Et maintenant une histoire ! Posts

Auteur : France, Anatole | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 12 minutes
Chanson enfantine de Saint Nicolas

, évêque de Myre en Lycie, vivait à l’é­poque de Constan­tin le Grand. Les plus anciens et les plus graves auteurs qui aient par­lé de lui célèbrent ses ver­tus, ses tra­vaux, ses mérites ; ils donnent de sa sain­te­té des preuves abon­dantes ; mais aucun d’eux ne rap­porte le du . Il n’en est pas fait men­tion non plus dans La dorée. Ce silence est consi­dé­rable : pour­tant on ne se résout pas volon­tiers à mettre en doute un fait si célèbre, attes­té par la com­plainte uni­ver­sel­le­ment connue :

Il était trois petits enfants qui s’en allaient gla­ner aux champs…

Ce texte fameux dit expres­sé­ment qu’un char­cu­tier cruel mit les inno­cents « au saloir comme pour­ceaux » . C’est-à-dire appa­rem­ment qu’il les conser­va, cou­pés par mor­ceaux, dans un bain de sau­mure. En effet, c’est ain­si que s’o­père la salai­son du porc : mais on est sur­pris de lire ensuite que les trois petits enfants res­tèrent sept ans dans la sau­mure, tan­dis qu’à l’or­di­naire on com­mence au bout de six semaines envi­ron à reti­rer du baquet, avec une four­chette de bois, les mor­ceaux de chair. Le texte est for­mel : ce fut sept années après le crime que, selon la com­plainte, le grand saint Nico­las entra dans l’au­berge mau­dite. Il deman­da à souper.

L’hôte lui offrit un mor­ceau de jambon.

— Je n’en veux pas ; il n’est pas bon.

— Vou­lez-vous un mor­ceau de veau ?

— Je n’en veux pas ; il n’est pas beau.

— Du p’tit salé je veux avoir

— Qu’y a sept ans qu’est dans le saloir.

Quand le bou­cher enten­dit c’la,

Hors de la porte il s’enfuya.

Aus­si­tôt, par l’im­po­si­tion des mains sur la saloir, l’homme de Dieu res­sus­ci­ta les tendres victimes.

Tel est, en sub­stance, le récit du vieil ano­nyme ; il porte en lui les carac­tères inimi­tables de la can­deur et de la bonne foi. Le scep­ti­cisme semble mal ins­pi­ré quand il s’at­taque aux sou­ve­nirs les plus vivants de la conscience popu­laire. Aus­si n’est-ce pas sans une vive satis­fac­tion que j’ai trou­vé moyen de conci­lier l’au­to­ri­té de la com­plainte avec le silence des anciens bio­graphes du pon­tife lycien. Je suis heu­reux de pro­cla­mer le résul­tat de mes longues médi­ta­tions et de mes savantes recherches. Le miracle du saloir est vrai, du moins en ce qu’il a d’es­sen­tiel ; mais ce n’est pas le bien­heu­reux évêque de Myre qui l’a opé­ré ; c’est un autre saint Nico­las, car il y en a deux : l’un, comme nous l’a­vons dit, évêque de Myre en Lycie ; l’autre, moins ancien, évêque de Trin­que­balle en Ver­vi­gnole. Il m’é­tait réser­vé d’en faire la dis­tinc­tion. C’est l’é­vêque de Trin­que­balle qui a tiré les trois petits gar­çons du saloir ; je l’é­ta­bli­rai sur des docu­ments authen­tiques et l’on n’au­ra pas à déplo­rer la fin d’une légende.

J’ai été assez heu­reux pour retrou­ver toute l’his­toire de l’é­vêque Nico­las et des enfants res­sus­ci­tés par lui. J’en ai fait un récit qu’on lira, j’es­père, avec plai­sir et profit.

I

Nico­las, issu d’une illustre famille de Ver­vi­gnole, don­na dès l’en­fance des marques de sain­te­té et fit vœu, à l’âge de qua­torze ans, de se consa­crer au Sei­gneur. Ayant embras­sé l’é­tat ecclé­sias­tique, il fut éle­vé, jeune encore, par l’ac­cla­ma­tion popu­laire et le vœu du cha­pitre, sur le siège de saint Cro­ma­daire, apôtre de Ver­vi­gnole et pre­mier évêque de Trin­que­balle. Il exer­çait pieu­se­ment son minis­tère pas­to­ral, gou­ver­nait ses clercs avec sagesse, ensei­gnait le peuple et ne crai­gnait pas de rap­pe­ler les grands à la jus­tice et à la modération.

Auteur : Carême, Maurice .

Temps de lec­ture : 2 minutes Il me fau­drait, dit la Vierge Qui fuyait avec Jésus, Il me fau­drait, dit la Vierge, Des sabots pour mes pieds nus. Passe ton che­min, pau­vresse, Lui cria-t-on d’une auberge ; Passe ton che­min, pau­vresse, Et que le diable t’héberge ! Mes pieds sont las, dit la Vierge Qui tra­ver­sait un hameau ; Mes pieds…

Auteur : Lauriot-Prévost, Suzanne | Ouvrage : Et maintenant une histoire II .

Temps de lec­ture : 8 minutesC’en aurait fait, vrai­ment, une fameuse veillée, si seule­ment le vieux Feine avait été là !

Depuis des années et des années que le ber­ger ser­vait dans la famille, c’é­tait la pre­mière fois qu’il man­quait, et c’est cela qui était grave… Tout le monde y pen­sait : les parents, les voi­sins, les amis réunis chez Jean-Mathias Cabaïre ; et, dans la salle bien chaude et bien éclai­rée, on sen­tait une espèce de gêne. On avait beau rire et par­ler plus fort pour écar­ter cette gêne, mal­gré tout, elle res­tait la maîtresse.

Papa, maman, racontez-moi une histoire - bergerieEt tout cela, pour­quoi, mon Dieu, pour­quoi ? Pour une bêtise : un dia­logue un peu vif. Jean-Mathias, le Maître, et Feine, le vieux ber­ger, n’é­taient pas d’ac­cord sur une répa­ra­tion à faire à la ber­ge­rie. Ils avaient dis­cu­té en s’échauffant.

« Dans les temps d’au­tre­fois, s’en­tê­tait Feine, c’est comme ça qu’on fai­sait et c’é­tait la bonne manière.

– On fait mieux à pré­sent, ripos­tait Jean-Mathias, et c’est le progrès.

– Que tu dis, avait répon­du le ber­ger avec un peu d’ai­greur. Ton père, qui s’y connais­sait, n’au­rait jamais agi comme ça… »

Alors, Jean-Mathias s’é­tait emporté :

« Mon père était de son temps, c’est-à-dire du tien. Main­te­nant, c’est moi le Maître. Et j’en­tends faire à mon idée. Tu me brouilles l’es­prit avec tes his­toires d’au­tre­fois. Tiens, va-t’en… »

Deve­nu très rouge, le vieux Feine s’é­tait levé :

« Je m’en vas, avait-il dit d’une voix étran­glée, je m’en vas et je ne revien­drai plus. »

***

On avait pris ça pour des mots. Mais Feine n’é­tait plus reve­nu. On ne le voyait plus, tra­ver­sant les pâtu­rages, sa grande houp­pe­lande volant au vent. Il ne sor­tait plus guère de sa petite chau­mine, en bas du vil­lage, toute seule et iso­lée dans la campagne.

Et, bien que la vieille mère l’eût sup­plié, bien que sa femme l’eût gour­man­dé, bien que les enfants eussent pleu­ré après le ber­ger et ses his­toires, Jean-Mathias n’a­vait pas vou­lu faire le pre­mier pas :

« Je veux bien qu’il revienne, oui, bien sûr, et je ne lui dirai rien, mais je n’i­rai pas le chercher… »

***

Contre tous les espoirs, était arri­vé sans ame­ner de détente. Ce soir, pour la pre­mière fois depuis tou­jours, le vieux Feine ferait soli­taire sa veillée de Noël, et ce n’est pas lui qui pré­sen­te­rait à la Messe de Minuit l’a­gne­let der­nier-né, si soi­gneu­se­ment nour­ri par Maî­tresse Cabaïre, si ten­dre­ment cares­sé par les enfants… Ce soir, pour la pre­mière fois depuis des Noëls et des Noëls,

Auteur : Mainé, Marie-Colette | Ouvrage : Et maintenant une histoire II .

Temps de lec­ture : 4 minutesInvitation à lire la vie des saints - sainte Catherine d'Alexandrie - Raffaello SantiDans , sur les bords de la Médi­ter­ra­née orien­tale, gran­dit la Cathe­rine, douée d’une vive intel­li­gence et d’une mer­veilleuse beau­té, mais dont le cœur est rem­pli d’orgueil.

À la mort du roi, la reine Sabi­nelle, sa mère, l’emmène en Armé­nie où Cathe­rine devient une ado­les­cente tou­jours plus belle, tou­jours plus savante, tou­jours plus orgueilleuse aus­si. Bien­tôt, les demandes en se suc­cèdent, mais tou­jours elles sont sui­vies d’in­va­riables refus. L’é­poux que l’on pro­pose à la jeune fille n’est jamais assez beau, jamais assez savant.

*

Or, un jour, la reine Sabi­nelle emmène Cathe­rine vers un vieil ermite nom­mé Ananias.
« Eh bien ! déclare celui-ci, à mon tour, j’ai un brillant par­ti à te proposer. »
Très intri­guée, la jeune fille écoute, puis lève vers le vieillard des yeux rem­plis de hardiesse :
« Avant de m’en­ga­ger envers ce jeune homme, je veux le voir.
– Mon enfant, sache seule­ment que la plus belle créa­ture est vile devant lui.
– Qu’im­porte, je veux le voir absolument.
– Soit, répond Ana­nias. Cette nuit donc, reste dans ta chambre et invoque la Vierge , Mère de Dieu. »

*

Cathe­rine, bou­le­ver­sée, rentre chez elle. Bien­tôt, le soir tombe, jetant sur toute chose le silence, le recueillement.

D’une main trem­blante, la jeune fille allume les flam­beaux et les lampes.
« Je veux que mon visi­teur ait un accueil vrai­ment digne ; je veux que tout rayonne et brille ; je veux être moi-même magni­fique… d’ailleurs, ne le suis-je pas déjà ? »

Puis elle se met à genoux. Son cœur bat très fort, car elle essaie de croire en Dieu, de croire à ce qu’en réa­li­té elle n’a jamais cru vraiment.

Auteur : Amien, Henri | Ouvrage : À l'ombre du clocher - 1. Les sacrements | Ouvrage : Et maintenant une histoire I .

Temps de lec­ture : 7 minutes

Récit pour la jeunesse, un miracle - Nef de l'église Faverney

Faver­ney est un petit vil­lage dans la Haute-Saône. Le visi­teur qui l’a­borde ne peut man­quer de remar­quer l’im­mense bâtisse de l’an­cienne béné­dic­tine, actuel­le­ment sec­tion de phi­lo­so­phie du grand sémi­naire de Besan­çon. Tout près du sémi­naire nous trou­vons la Basi­lique de Faver­ney… église célèbre de Notre-Dame-la-Blanche, célèbre aus­si par un grand que Jésus y fit pour mon­trer sa pré­sence dans l’Hostie.

Repor­tons-nous plus de trois cents ans en arrière. En ce 24 mai 1608, nous trou­vons les reli­gieux très occu­pés. Ils vont, ils viennent, sous les cloîtres, por­tant des fleurs, des ten­tures, des cierges. C’est que nous sommes à la veille de la Pen­te­côte ; et, en cette fête, de par la per­mis­sion du Pape, les reli­gieux de Faver­ney ont l’au­to­ri­sa­tion d’ex­po­ser pen­dant trois jours la Sainte Hos­tie à la véné­ra­tion des fidèles.

À l’en­trée du sanc­tuaire, le frère sacris­tain est occu­pé à dres­ser le repo­soir qui ser­vi­ra de trône à Jésus, tan­dis que les autres moines sus­pendent des guir­landes aux ten­tures et aux piliers de l’é­glise. Le jour de la Pen­te­côte, les ado­ra­teurs se suc­cèdent jus­qu’au déclin du jour. Cha­cun rentre alors chez lui ; les béné­dic­tins eux-mêmes songent à prendre leur repos.

Ils n’é­taient pas très fer­vents car, au lieu de se relayer pour mon­ter la garde devant Jésus, ils rega­gnèrent tous leur cel­lule après avoir lais­sé seule­ment au repo­soir quelques cierges allu­més. Le lun­di 26 mai, à trois heures du matin, le sacris­tain vient ouvrir les portes de l’é­glise et son­ner l’of­fice. Une âcre odeur de fumée le sai­sit à la gorge ; il se pré­ci­pite dans la nef enté­né­brée, n’o­sant croire l’hor­rible véri­té. Et cepen­dant oui, c’est bien cela : du beau repo­soir, il ne reste plus qu’un petit tas de choses informes qui achèvent de se consu­mer. Affo­lé, il court au dehors, il appelle au secours, ne pou­vant que répé­ter en mots inar­ti­cu­lés, cou­pés de san­glots : « Mon repo­soir, ma cha­pelle ! » Les reli­gieux, les habi­tants accourent. Il faut bien se rendre à l’é­vi­dence, le mal­heur n’est que trop réel. Des braises encore rouges, on retire quelques mor­ceaux cal­ci­nés. C’est tout ce qui reste de la table d’au­tel. Voi­ci un chan­de­lier, tor­du par la vio­lence des flammes. Voi­ci la plaque de marbre qui sup­por­tait le repo­soir, gisant bri­sée en trois mor­ceaux. Atter­rés les reli­gieux écartent avec des pinces les débris, remuent les char­bons, cher­chant à retrou­ver quelque chose de l’os­ten­soir qui a dû, avec son pré­cieux dépôt, être la proie des flammes. Tout à coup, alors que le jour nais­sant éclaire l’é­glise, la voix du plus jeune s’élève :