Catégorie : <span>Autres textes</span>

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Temps de lec­ture : 5 minutes

II était une fois deux enfants, une sœur et un frère. C’é­tait des enfants très sages et obéis­sants. Ils en étaient presque un peu fiers. Ils aimaient bien jouer avec leurs cama­rades, mais encore plus entre eux deux.

Un jour, – c’é­tait la veille de -, ils déci­dèrent de par­tir tout seuls fêter Noël au ciel, avec les anges et avec Jésus. Ils se mirent en route de bon matin, car ils pen­saient bien que le che­min serait assez long. Ain­si ils mar­chèrent et mar­chèrent à tra­vers les pay­sages, en direc­tion du soleil levant.

Sou­dain ils enten­dirent au loin le gron­de­ment d’un tor­rent et se trou­vèrent bien­tôt au bord d’un pro­fond ravin lon­gé de ver­ti­gi­neuses falaises. Pru­dem­ment ils s’ap­pro­chèrent du bord. Com­ment faire pour tra­ver­ser ? Alors ils aper­çurent un pont, rec­ti­ligne comme une règle et tout aus­si étroit, qui réunis­sait les deux bords. Ose­raient-ils la tra­ver­sée ? Cela parut de la folie.

Mais voi­là : ce pont s’ap­pe­lait « le pont du men­songe ». Celui qui n’a­vait jamais men­ti de sa vie pou­vait l’emprunter sans dan­ger. Les deux enfants se regar­dèrent et dirent d’un com­mun accord : « Nous n’a­vons jamais men­ti de notre vie, allons‑y. » Un peu trem­blants ils s’y enga­gèrent, un pied devant l’autre, et encore un pied devant l’autre, et ain­si de suite, et ils gagnèrent le bord opposé.

Un peu fati­gués, ils conti­nuèrent leur route. Au bout d’un cer­tain temps ils enten­dirent de loin­tains rugis­se­ments. Mal­gré leur frayeur ils avan­cèrent. Les rugis­se­ments enflèrent, cela res­sem­blait bien à des rugis­se­ments de lions, mais ils ne purent rien voir, car le pay­sage était sau­vage : des four­rés et des buis­sons épi­neux s’é­ten­daient à perte de vue.

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Temps de lec­ture : 11 minutes

On sait que Jésus est né dans une étable. Mais dans l’é­table, il n’y avait pas que lui et ses parents, Joseph et Marie. Même le len­de­main matin, après le départ des mages et des ber­gers. Il y avait aus­si des . Le bœuf et l’âne, bien sûr, c’est connu, mais pas ceux-là seule­ment. Si l’on ne parle que d’eux, c’est parce qu’ils se sont bien débrouillés. Où que ce soit, il y a tou­jours des malins qui s’ar­rangent pour être sur la photo.

Le bœuf, par exemple, s’é­tait ins­tal­lé là, il trô­nait. Il avait failli se faire sor­tir, Joseph trou­vait qu’il était de trop. Il esti­mait que ce n’é­tait pas la place d’un balourd comme lui. Il avait com­men­cé à lui don­ner des tapes sur l’ar­rière-train pour le mener dehors. Mais Marie avait dit : « Non, laisse-le ! Au contraire, fais-le appro­cher, il va réchauf­fer le petit, il fait froid. » Et le bœuf se gon­flait d’or­gueil. Presque autant que la gre­nouille de Jean de la Fon­taine. Bon, on dira ce qu’on vou­dra, ce bœuf était utile.

L'âne et le boeuf réchauffent l'Enfant JésusMais Joseph n’a­vait pas remar­qué qu’au fond de l’é­table, il y avait aus­si un âne. Celui-ci, voyant le suc­cès du bœuf, a vou­lu se faire remar­quer. Il s’est mis à chan­ter : « Hi-han, hi-han ! » Marie a dit : « Ah non, fais-le taire, c’est hor­rible ! Mets-le dehors, il va faire peur au petit ! » Mais Joseph a répon­du : « Je pense qu’il vaut mieux le gar­der. On ne sait jamais, on aura peut-être besoin de lui. » C’é­tait bien vu, parce que quelques jours plus tard, ils en ont eu besoin, de cet âne. Ils se sont enfuis avec lui, qui por­tait Marie et le bébé. Les sol­dats du méchant roi Hérode vou­laient le tuer, cet enfant-là ! Joseph a donc fait avan­cer l’âne près du bébé. Une bête en sus, ça fait de la cha­leur en plus. Et du coup, l’âne deve­nait utile, lui aussi.

Donc : le bœuf et l’âne. Mais en réa­li­té il y avait bien d’autres bêtes dans cette étable ! D’a­bord il y avait des chiens. Il y a tou­jours des chiens dans les envi­rons d’une étable. Ils montent la garde. Essayez d’en­trer dans la cour d’une ferme et de vous appro­cher de l’é­table ! Vous ver­rez si les chiens n’ar­rivent pas à toute allure ! Ils aboient, et ils montrent les crocs en gro­gnant ! Mais là, on les avait fait entrer à cause du froid. À condi­tion qu’ils res­tent près de l’en­trée, ils aver­ti­raient en cas de dan­ger. Ils étaient utiles.

Mais il y avait aus­si des ani­maux qui n’é­taient pas utiles, dans cette his­toire. Sim­ple­ment, on n’a­vait pas pen­sé à les chas­ser. Tenez, les chauves-sou­ris, la tête en bas, accro­chées aux poutres tout là-haut. On n’al­lait pas les déran­ger, les réveiller, elles auraient effrayé Marie. Ça aurait réveillé aus­si le bébé. Et il y avait les petites sou­ris, et même quelques gen­tils gros rats. Pas ras­su­rés, ni les unes ni les autres, bien cachés dans leur trou. Mais quand même curieux, le nez fré­mis­sant juste sor­ti, pour savoir : « Qu’est-ce qui se passe ? Pour­quoi tout ce tin­touin, au petit matin, en plein hiver ? » Vous voyez, il y avait beau­coup d’a­ni­maux, dans cette étable. Et même, il y en avait un qui se réveillait juste à l’ins­tant. Il dor­mait tout l’hi­ver, d’ha­bi­tude, bien mus­sé dans la paille. Sous un tas de brin­dilles et de copeaux. Bien au chaud, bien tran­quille. Un petit qui avait drô­le­ment som­meil et qu’on avait réveillé. « On ne peut plus être tran­quille, de nos jours, dans une étable, se disait-il. Serait-ce seule­ment pen­dant trois mal­heu­reux mois ! Je vois bien ce que c’est, ce sont encore ces humains ! Ça fait du bruit, et ça se dis­pute, et ça crie, et ça se bat, et ça pleure, et ça chante ! Pas vrai­ment utile. »

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Temps de lec­ture : 12 minutes

La com­mune de Chan­teau, située au milieu de la d’, ne compte que 73 mai­sons et 348 habi­tants[1]. Les débris de tuiles et de briques que la char­rue ramène au-des­sus du sol en divers endroits, font pré­su­mer que cette paroisse était plus popu­leuse autre­fois qu’elle ne l’est aujourd’­hui, et cette pré­emp­tion se change en cer­ti­tude à la lec­ture des anciens titres de pro­prié­té, Chan­teau aurait par­ta­gé ses vicis­si­tudes avec toutes les loca­li­tés rive­raines de la forêt, au secours des­quelles l’in­dus­trie et l’a­mé­lio­ra­tion des voies vici­nales ne seraient pas accou­rues. Les pri­vi­lèges concé­dés par les rois, les princes apana­gistes et les tré­fon­ciers, furent, croyons-nous, les causes de ces agglo­mérations d’hommes auprès des bois. En effet, les habi­tants durent affluer aux lieux qui four­nis­saient le pacage et le panage pour leurs bes­tiaux et pour eux-mêmes, l’u­sage du bois mort et du mort-bois. Mais à mesure que ces pri­vi­lèges étaient res­treints, puis sup­pri­més, hommes et bêtes délais­saient les lieux où ils ne trou­vaient plus les mêmes moyens d’exis­tence. Chan­teau pos­sé­dait, dans son voi­si­nage, une autre source de pros­pé­ri­té ; nous vou­lons par­ler de Notre-Dame-­d’Am­bert, monas­tère riche et peu­plé de nom­breux religieux.

Moine de l'ordre des CelestinsAu com­men­ce­ment du XVe siècle, temps où Ambert et Chan­teau fleu­ris­saient, on voyait, à l’ex­tré­mi­té nord de la rue de la Bou­ve­rie, s’é­le­ver une mai­son, der­rière laquelle s’é­ten­dait un jar­din sépa­ré de la forêt par le grand che­min d’Or­léans à Rebré­chien. Cette mai­son était habi­tée par une mère et ses trois fils. Le père, atta­ché dès son enfance au ser­vice du monas­tère, avait su méri­ter l’a­mi­tié du prieur, qui lui avait appris à lire et à écrire. Peut-être le pro­jet du reli­gieux était-il d’at­ta­cher Pierre au couvent, en qua­li­té de frère lai, mais Pierre vou­lut se marier. Alors, le monas­tère lui don­na la mai­son dont nous avons par­lé et trois arpents de dépen­dances, pour en jouir, lui et ses des­cen­dants, pen­dant 199 ans, à la charge de payer 16 sols pari­sis de rente et 18 deniers de cens, plus la dîme du grain, de deux gerbes par arpent, et celle du vin, d’une jalaye par ton­neau. Après quelques années de , Pierre mou­rut, lais­sant à sa veuve et à ses enfante, l’hé­ri­tage que lui avait don­né le couvent, et un livre des Évan­giles qu’il tenait de l’a­mi­tié du prieur.

Jac­que­line, ain­si se nom­mait la veuve, savait que dans le mal­heur la véri­table conso­la­tion n’est qu’en Dieu. Elle s’a­dres­sa donc à celui qui n’a­ban­donne jamais l’af­fli­gé, et le cou­rage lui revint. Elle en avait grand besoin, la pauvre femme, pour nour­rir et éle­ver ses enfants. Par­fois le décou­ra­ge­ment la pre­nait ; elle se reti­rait alors au fond de son jar­din, et là, assise sur un petit tertre de gazon, elle pui­sait la rési­gna­tion dans le livre des Évan­giles. Les enfants voyaient-ils leur mère ain­si occu­pée, ils s’ap­pro­chaient d’elle dou­ce­ment et lui disaient : « Mère, raconte-nous donc une des belles his­toires de ton livre » ; et Jac­queline lisait quelques-uns des traits de la vie de Jésus-Christ. C’é­tait le para­ly­tique ou l’a­veugle-né, qui n’a­vaient dû leur gué­ri­son qu’à leur foi ; c’é­tait l’en­fant pro­digue qui nous révèle l’i­né­pui­sable misé­ri­corde de Dieu ; ou bien encore le bon Sama­ri­tain. Elle fai­sait décou­ler de ces lec­tures des réflexions qui ten­daient à rendre ses enfants meilleurs, en leur ins­pi­rant l’a­mour de Dieu et du prochain.

Femme lisant l'Évangile à ses enfantsUn jour Jac­que­line racon­tait la pré­di­lec­tion de Jésus pour l’en­fance : « On lui pré­sen­ta de petits enfants, afin qu’il leur impo­sa les mains et qu’il priât, et les dis­ciples les repous­saient. Jésus leur dit : « Lais­sez ces enfants et ne les empê­chez pas de venir à moi, car le royaume du ciel est pour ceux qui leur res­semblent. » » À ce moment, un nuage tout noir vint à pas­ser, et ver­sa une pluie abon­dante sur la petite famille. Elle s’empressa de gagner la maison.

— Quel dom­mage, dit le cadet, que nous n’ayons pas là-bas un de ces beaux chênes qui croissent dans la forêt ! la mère ne crain­drait plus le soleil ni la pluie, et elle pour­rait lire dans son beau livre autant qu’elle le voudrait.

— Mes enfants, reprit Jac­que­line, vous pou­vez en plan­ter un.

— La mère a rai­son ; je le plan­te­rai, dit l’aîné.

— Non, non, ce sera moi, reprit le cadet.

— Pas du tout, ajou­ta le troi­sième, ce sera le petit Étienne.

Et cha­cun de vou­loir l’emporter. La mère inter­vint encore.

  1. [1] Texte paru en 1891 ; aujourd’­hui, la démo­gra­phie de Chan­teau a bien évo­lué !
Auteur : Jasinski, Max | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 8 minutesLes parents de Jean étant morts, il avait été adop­té par les parents de Jeanne. Les deux enfants avaient gran­di ensemble. Avec le temps, l’un était deve­nu un robuste jeune homme, agile et mus­cu­leux, l’autre une svelte jeune fille dont les joues avaient la cou­leur des roses et les yeux la cou­leur du ciel. Les pre­mières vio­lettes du prin­temps, Jean les offrait à Jeanne. Les jours de fête, Jeanne ne dan­sait qu’a­vec Jean. Et les parents regar­daient avec joie les deux ado­les­cents, en qui refleu­ris­sait leur jeu­nesse. Et tout le vil­lage les admi­rait, tant ils étaient beaux. « Bien­tôt, disait-on, les cloches son­ne­ront pour leurs noces. »

Les très riches heures - paysans devant le chateauOr cela se pas­sait il y a bien long­temps, lorsque les rois de France fai­saient la guerre aux Infi­dèles. Un matin, le sei­gneur du pays fut man­dé à Paris. Il en revint pour annon­cer qu’il par­ti­rait dans un mois, avec ses hommes d’armes et quelques pay­sans capables de com­battre à ses côtés. Jean fut natu­rel­le­ment choisi.

Jean fut choi­si, et il fut un peu fier d’être ain­si dis­tin­gué. Pen­dant cinq semaines, il fut exer­cé à manier la hache et le cou­te­las, à faire de longues marches sous le vête­ment de cuir et le casque lourd. Les écuyers du sei­gneur le com­pli­men­taient sur sa force. Le soir, il retour­nait à sa chau­mière et, tout heu­reux, racon­tait ses prouesses de la jour­née. Le père l’é­cou­tait avec mélan­co­lie. La mère sou­pi­rait en filant sa que­nouille. Jeanne, les mains jointes, oubliant sur ses genoux la tâche com­men­cée, le contem­plait comme si elle eût vou­lu s’emplir l’âme de son image. Elle le contem­plait jus­qu’au moment où une buée venait ter­nir ses pru­nelles. Alors elle sor­tait pour pleurer.

La veille du départ, elle s’en fut à sa ren­contre, jus­qu’au pont-levis du châ­teau. Lui, en la voyant de loin, sen­tit sou­dain qu’il l’ai­mait et une angoisse mor­telle ser­ra son cœur. Il lui dit :

— Jeanne, ma mie, je pars demain. Est-ce que vous m’attendrez ?

Elle lui répondit :

— Je vous atten­drai et n’au­rai point d’autre époux que vous.

Alors, tirant de son doigt un simple anneau d’argent, son unique bijou, elle le lui ten­dit avec un triste sourire :

— Por­tez-le en sou­ve­nir de moi.

Auteur : Legrin, Albert | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 6 minutes

Conte de Pâques

C’é­tait en 1400 et tant : en ce temps-là comme chante le diacre à l’, vivait en la ville de Pon­tor­son une vieille femme, si âgée, si décré­pite, si ché­tive, si minable, que les anciens du pays n’a­vaient aucune sou­ve­nance de l’a­voir vue jeune, accorte et folâtre ; elle habi­tait sur les bords du Coues­non une chau­mière bran­lante et, quand la tem­pête souf­flait de la grève, c’é­tait miracle que la hutte de Guil­hau­mette résis­tât et ne fut pas jetée dans la rivière. Cette mal­heu­reuse était la ter­reur du voi­si­nage : elle ne fai­sait pour­tant de mal à per­sonne ; inca­pable de tra­vailler, elle deman­dait d’une voix bien humble, bien sup­pliante, une aumône que la peur ne lui fai­sait pas refu­ser. Les jeunes gens pre­naient la fuite à son approche : les vieux se signaient, les enfants n’o­saient aller jouer sur la grève, de peur d’être enle­vés par ce mau­vais génie à qui on attri­buait tout le mal qui arri­vait dans le pays.

Guilhaumette

Guil­hau­mette pas­sait son che­min en silence, appuyée sur un long bâton, elle se remé­mo­rait, la pauvre, le temps où, gente jou­ven­celle aux joues fleu­ries comme une églan­tine, ce qui lui avait valu son sur­nom de la Rosée. Elle était fêtée, adu­lée par les hauts et puis­sants sei­gneurs du pays. Dans ce temps-là, elle était riche, elle semait l’or à pro­fu­sion et bien sou­vent : hélas ! pour satis­faire ses fan­tai­sies, les fiers che­va­liers avaient pres­su­ré leurs vas­saux, enle­vé le néces­saire aux vilains pour dépo­ser leur or aux pieds de l’enchanteresse.

Mais les années étaient venues, les rides étaient appa­rues, les che­veux noirs avaient blan­chis, les joues s’é­taient creu­sées, la taille s’é­tait épais­sie, en un mot la vieillesse était arri­vée avec son cor­tège de dou­leurs, avec la faim, la froi­dure, avec le remords, mais non avec le repentir.

Nous sommes au Same­di-Saint, était accom­pa­gné cette année de neige et de fri­mas ; il tom­bait le vingt-cin­quième jour de mars, l’hi­ver avait été bien dur ; la faim avait fait de nom­breuses vic­times, la misère était grande, mais l’es­pé­rance du prin­temps pro­chain met­tait comme un rayon lumi­neux dans tous les cœurs, mal­gré la rigueur du temps.