Catégorie : <span>Autres textes</span>

Auteur : Dandurand, Joséphine | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 7 minutes

On est à la Noël. Par­tout dans la cam­pagne, sur la vaste éten­due, les longues routes blanches sont constel­lées. Entre leur bor­dure verte de sapins, — ces bouées fleu­ries, guides du voya­geur dans la plaine immense et nive­lée par l’hiver, — on les voit cou­rir et se croi­ser à tra­vers les champs combles.

Et c’est comme une pro­ces­sion, ce long cor­tège de traî­neaux venant de toutes parts, s’acheminant tous vers l’église du village.

La rosse qui les tire, indif­fé­rente au froid comme à la gra­vi­té de l’heure, trotte sans hâte, d’un pas égal et rythmé.

De ses naseaux l’haleine s’échappe en fumée lumi­neuse ; mais cette res­sem­blance loin­taine avec les cour­siers olym­piens, dont les narines flam­boyantes lancent des éclairs, en est une bien trom­peuse cepen­dant, car, voyez la pauvre bête — par exemple la der­nière là-bas, avec cette lourde charge — les ardeurs guer­rières sont depuis long­temps mortes en sa vieille charpente.

D’un conten­te­ment égal elle porte au mar­ché les poches pleines, ou, comme en ce moment, la famille à la messe de minuit.

Le pauvre che­val n’est pas né du printemps.

Cette demi-dou­zaine de mar­mots qu’il traîne là, et d’autres encore qu’on a lais­sés à la mai­son, s’il ne les a pas vus naître, du moins les a‑t-il tous, cha­cun à son tour, menés à l’église petits infi­dèles, pour les en rame­ner petits chrétiens.

L’histoire de ces vieilles bêtes est celle de leur maître.

Jeune et frin­gant, le bon ani­mal brû­la jadis le pavé pour conduire chez « sa blonde[1] » le père d’aujourd’hui. Et, depuis, ils che­minent ensemble dans la vie, se sup­por­tant réci­pro­que­ment, tra­vaillant côte à côte, indis­pen­sables l’un à l’autre, se retrou­vant tou­jours aux heures solen­nelles, aux moments d’urgence, moments où le plus humble des deux devient par­fois le prin­ci­pal acteur.

Les enfants allant à la Messe de minuit au Quebec

Quand il s’agit, par exemple, de longues courses pres­sées, l’hiver, par les che­mins débor­dés, au milieu de la « pou­dre­rie » que sou­lève l’aquilon ; l’automne, quand le pied s’embourbe et se dégage avec peine dans les sen­tiers boueux, et l’été sur les routes sans ombrage.

Élé­ment obli­gé des joies de la famille, il conduit aujourd’hui « les enfants » à la messe de minuit ; cette fête unique pour les petits et les simples ; fête mys­té­rieuse où ils retrouvent dans la tou­chante et poé­tique allé­go­rie de la Crèche, la repro­duc­tion tan­gible, comme une incar­na­tion des choses vagues et douces, du mer­veilleux qu’ils voient par­fois flot­ter dans les rêves de leur som­meil pai­sible ou dans les fan­tai­sies de leur ima­gi­na­tion naïve.

Les deux plus jeunes de ces six heu­reux, enfouis, émus et recueillis, dans le fond du traî­neau, y viennent pour la pre­mière fois.

  1. [1] Au Que­bec, « une blonde », c’est une fian­cée
Auteur : Vaultier, Roger | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 9 minutes

epuis des siècles, les culti­va­teurs des dif­fé­rentes pro­vinces de France invoquent un cer­tain nombre de bien­heu­reux, aux spé­cia­li­tés bien défi­nies, pour la pro­tec­tion et la pros­pé­ri­té de leur bétail, de leur basse-cour et de leurs ani­maux domes­tiques. Ces dévo­tions assez par­ti­cu­lières, mais fort tou­chantes, donnent lieu à des cou­tumes pit­to­resques, dont nous dési­rons aujourd’­hui pré­sen­ter quelques exemples à nos lecteurs.

Dans le Nord de la France, à Dom­pierre, le pèle­ri­nage de saint Etton est en renom depuis des siècles. Le jour de l’As­cen­sion, vers 1890, envi­ron six mille per­sonnes se ren­daient dans cette petite loca­li­té, située non loin d’A­vesnes. Dès l’aube, une foule de fer­miers obs­truaient les rues du vil­lage. Cha­cun était por­teur d’une baguette de cou­drier dont l’é­corce avait été décou­pée en spi­rale avec le plus grand soin. Ils fai­saient trois fois le tour de l’é­glise en l’hon­neur, disait-on, de la sainte Tri­ni­té — en réa­li­té, pour suivre une tra­di­tion nul­le­ment chré­tienne. Puis, après avoir tra­ver­sé le haut de la grande nef, ils tou­chaient de leur brin de bois toute la super­fi­cie de la sta­tue du bon saint Etton, de la plante des pieds au som­met de la tête, et conti­nuaient leur marche. Le troi­sième périple ache­vé, ils se fai­saient ins­crire à la confré­rie, se fai­saient dire l’é­van­gile du jour et allaient, d’un pas allègre, trem­per leur brin­dille dans l’eau mira­cu­leuse de la fon­taine voi­sine. Au retour de leur pieux voyage, leur pre­mier soin était de se rendre dans leurs étables et de pro­me­ner sur le dos de leurs bêtes la baguette bénite afin d’ob­te­nir qu’elles fussent pré­ser­vées des acci­dents et des maladies.

Les pay­sans visi­taient aus­si le sanc­tuaire de Bien­vil­lers-au-Bois où ce saint, peu connu dans l’his­toire, était éga­le­ment prié ; ils chan­taient un long can­tique dont voi­ci un extrait :

Vaches, che­vaux et bre­bis,
Par­tout ce saint est notre appui,
De loin comme de près,
Il peut par­tout nous pré­ser­ver …

Saint Etton protecteur du bétail

Un autre pas­sage de ce pieux poème nous dévoile les buts de ce pèlerinage :

À Bien­vil­lers-au-Bois,
Vil­lage du quar­tier d’Ar­ras,
Là où est saint Etton,
Pro­tec­teur de tous ces can­tons,
Un nombre de gens vont infi­ni­ment (sic)
En dévo­tion ser­vir saint Etton,
Offrant leur cœur à Dieu,
Au nom de ce saint glo­rieux,
D’a­pai­ser les fléaux
Qui règnent sur les animaux …

Auteur : Pourrat, Henri | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 9 minutes

D’après les noëls d’Auvergne.

CETTE nui­tée, avant-veille de saint Étienne, pre­mier mar­tyr, les ber­gers fai­saient la veillée au pied d’une petite mon­tagne. Ils avaient allu­mé un clair et grand feu. Le puy les abri­tait du vent, et Gra­bié, de sa cime, sur-veillait les trou­peaux. On le voyait appuyé à son bâton, debout et noir contre le ciel plein d’étoiles. 

Enve­lop­pés dans leurs limou­sines, Cirgues et Guillot dor­maient, le cha­pe­ron sur la face. Les autres, en écou­tant les contes que leur nar­rait Robin, se chauf­faient les mains aux flammes ou man­geaient des châ­taignes cuites sous la cendre. Par­fois un bous­set de vin pas­sait à la ronde. Ils buvaient alors à la réga­lade ; et la lumière rouge éclai­rait leurs têtes renversées. 

Sur la mi-nuit, comme Gau­thier se levait pour jeter sur les braises une bras­sée de genièvre, une sou­daine clar­té illu­mi­na la cam­pagne et tous furent sai­sis de frayeur. Mais, du haut des cieux, des anges beaux comme le jour leur disaient de ne point craindre, qu’ils venaient leur annon­cer une grande joie : Que le Sei­gneur était né dans la ville de Beth­léem et que tous devaient l’al­ler adorer. 

Les anges annoncent la naissance de Jésus aux bergers

Ils s’é­taient dres­sés en sur­saut. Tom­bant à genoux devant les anges et leur tirant leurs bon­nets, ils pro­met­taient d’al­ler saluer cette nuit même Celui qui apporte aux hommes la délivrance. 

En grande liesse donc, ils se mirent en route, et plu­tôt cou­rant que mar­chant, dan­sant la viran­dole par les friches, cepen­dant que leurs bre­bis gam­ba­daient autour d’eux. Cirgues son­nait de la vielle, et Ligier, enflant ses joues, du flageolet. 

Le cœur enchan­té de la nou­velle, les pas­tou­reaux déva­laient en hâte. Et tou­jours chan­tant réjouis­sance, ils sau­taient à grands sauts toutes les ravines, si bien que Gra­bié faillit se rompre le col. 

En pas­sant devant le buron de Pier­rot, ils heur­tèrent de tous leurs poings à la porte. L’autre, qui était bon homme, pous­sa son volet, bien éba­hi de ce train. Ils lui deman­dèrent alors s’il n’a­vait pas ouï les voix célestes. À quoi il répon­dit en enfi­lant sa casaque qu’il avait bien enten­du par­ler des gens qui, à coup sûr, n’é­taient point du vil­lage et qu’il leur conseillait même de se don­ner garde de son chien ; mais quant à croire ce qu’ils disaient, il ne le croyait pas : car à des gens des­cen­dus des cieux, il fau­drait pour y remon­ter une échelle par trop haute. Au demeu­rant, si ces van­tards vou­laient faire la course, il quit­te­rait ses sabots et, même en leur don­nant de l’a­vance, arri­ve­rait encore fin premier.

Les ber­gers attrou­pés firent force risées de sa sim­plesse, puis le convièrent à se joindre vite à eux pour venir pré­sen­ter leur ser­vice à leur maître. Et Pier­rot pen­sait qu’ils lui par­laient de M. de Cha­ze­ron. Mais quand il eut com­pris, il décla­ra que puisque leur roi tenait ses États dans Beth­léem, ils devaient tous aller lui don­ner le bon­soir. Ne vou­lant s’y rendre sans étrennes, il mit force pommes et noix dans sa pane­tière la plus belle. Car ç’a­vait été grande année de noix et de pommes. Et il sor­tit sur la bruyère, tout brave avec ses grègues et sa sou­que­nille de serge bleue, tenant à la main ses présents. 

Menant joyeuse vie et cla­mant haut Noël ! Noël ! ils arri­vèrent à leur vil­lage. Les chaumes lui­saient dans la nuit claire, au- des­sus des cour­tils où la gelée n’a­vait lais­sé que quelques choux et les buis pour le jour des Rameaux. Ils se dis­per­sèrent par la place entre les chars déte­lés et les fago­tiers poin­tus. Bien­tôt cha­cun revint de son logis, avec, qui une fourme, qui un flu­tiau, qui deux char­don­ne­rets dans une cage pour réjouir l’En­fant, qui une hou­lette fine puis­qu’il serait leur pas­teur. Jenin por­tait sur ses épaules un cabri de trois mois qui bêlait. Même Bar­thot l’a­va­ri­cieux, affir­mant qu’il l’of­fri­rait en pur don, secouait une bourse pleine de ducats qu’il tenait jus­qu’à cette heure bien ser­rée dans son coffre. 

Auteur : Jasinski, Max | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 6 minutesLe roi de France, Louis le neu­vième, qui fut plus tard cano­ni­sé, fai­sait un jour une pro­me­nade à che­val avec le sire de Join­ville et quelques sei­gneurs. Il arri­va au vil­lage de Cha­ren­ton par un pont à péage. Il paya scru­pu­leu­se­ment pour lui, pour sa suite et pour les che­vaux, bien qu’on lui eût offert le pas­sage gra­tuit. De l’autre côté du pont, il tom­ba sur des pay­sans réunis en cercle autour d’un jeune homme. Celui-ci, agile comme un singe, les pieds en l’air et la tête en bas,courait sur les mains avec vélo­ci­té. Les spec­ta­teurs qui applau­dis­saient se tinrent cois, par res­pect, à la venue du cor­tège. L’homme se repla­ça sur ses pieds et s’approcha sur un signe de Louis. Il reti­ra son bon­net, râpé et troué, d’où pen­dait, à moi­tié bri­sée, une plume de coq, et, immo­bile, atten­dit qu’on l’interrogeât. Il était de piètre mine, maigre, accou­tré d’habits rapié­cés dont les teintes, jadis vives, étaient déco­lo­rées ; mais son atti­tude était gra­cieuse et ses mou­ve­ments aisés. Ses joues étaient creuses, mais son regard était clair et sa lèvre spirituelle.

— Qui es-tu ? dit le roi.

— Un homme, répon­dit l’autre.

— D’où viens-tu ?

— De là-bas.

Troubadour musicien

— Où vas-tu ?

— À côté de mon ombre.

— De quel pays es-tu ?

— De notre ville.

— Où est ta ville ?

— Sur une rivière.

— Qu’est-ce que cette rivière ?

— De l’eau.

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Temps de lec­ture : 5 minutes

II était une fois deux enfants, une sœur et un frère. C’était des enfants très sages et obéis­sants. Ils en étaient presque un peu fiers. Ils aimaient bien jouer avec leurs cama­rades, mais encore plus entre eux deux.

Un jour, – c’était la veille de Noël -, ils déci­dèrent de par­tir tout seuls fêter Noël au ciel, avec les anges et avec Jésus. Ils se mirent en route de bon matin, car ils pen­saient bien que le che­min serait assez long. Ain­si ils mar­chèrent et mar­chèrent à tra­vers les pay­sages, en direc­tion du soleil levant.

Sou­dain ils enten­dirent au loin le gron­de­ment d’un tor­rent et se trou­vèrent bien­tôt au bord d’un pro­fond ravin lon­gé de ver­ti­gi­neuses falaises. Pru­dem­ment ils s’approchèrent du bord. Com­ment faire pour tra­ver­ser ? Alors ils aper­çurent un pont, rec­ti­ligne comme une règle et tout aus­si étroit, qui réunis­sait les deux bords. Ose­raient-ils la tra­ver­sée ? Cela parut de la folie.

Mais voi­là : ce pont s’appelait « le pont du men­songe ». Celui qui n’avait jamais men­ti de sa vie pou­vait l’emprunter sans dan­ger. Les deux enfants se regar­dèrent et dirent d’un com­mun accord : « Nous n’avons jamais men­ti de notre vie, allons‑y. » Un peu trem­blants ils s’y enga­gèrent, un pied devant l’autre, et encore un pied devant l’autre, et ain­si de suite, et ils gagnèrent le bord opposé.

Un peu fati­gués, ils conti­nuèrent leur route. Au bout d’un cer­tain temps ils enten­dirent de loin­tains rugis­se­ments. Mal­gré leur frayeur ils avan­cèrent. Les rugis­se­ments enflèrent, cela res­sem­blait bien à des rugis­se­ments de lions, mais ils ne purent rien voir, car le pay­sage était sau­vage : des four­rés et des buis­sons épi­neux s’étendaient à perte de vue.