Étiquette : <span>1 novembre</span>

Auteur : Markowa, Eugenia | Ouvrage : Toussaint .

Temps de lec­ture : 7 minutes

Deuxième Partie

1er Novembre

I

TOUTES les feuilles étaient-elles tom­bées des arbres cette nuit ?

Oui, beau­coup de feuilles étaient tom­bées et un léger zéphir souf­flait sur elles dans une mati­née sans soleil… 

Les enfants, à demi habillés, cou­rurent aux fenêtres. 

— Oh ! comme tout est nou­veau ici, dif­fé­rent et beau, pen­sait chaque enfant. 

La mère entra dans la chambre des fillettes. 

— Pres­sons-nous, mes ché­ries, disait-elle avec un sou­rire et elle aida la petite Josée qui était en retard dans sa toilette.

Les enfants furent bien­tôt prêts à sor­tir et entou­rèrent leur mère, leur petite maman. 

Ils la voyaient tou­jours à leur côté. Ses mains pro­té­geaient et ses paroles fortifiaient. 

La mère était si unie à eux que seule­ment beau­coup plus tard, dans la vie, lors­qu’ils auraient quit­té la mai­son, ils la ver­raient dans la lumière de l’amour. 

On ne réflé­chis­sait pas main­te­nant à ceci ; on se pres­sait pour aller à la .

Ce petit monde était sim­ple­ment heu­reux de sor­tir avec maman. 

Les fillettes allaient devant, Josée au milieu de Jeanne et de Thé­rèse ; les gar­çons, Ber­nard et Fran­çois, se tenaient de chaque côté de leur mère. 

Les enfants n’o­saient jamais ques­tion­ner maman sur l’ab­sence de leur père aux offices. 

Les pas­sants se retour­naient lors­qu’ils ren­con­traient cette mère jeune encore, d’une allure élé­gante, avec ses cinq enfants qui tenaient cha­cun un petit parois­sien dans la main.

Maman et les enfants vont à la messe de la Toussaint

II

LES mains jointes, les tresses tom­bant des deux côtés de sa tête pen­chée, Jeanne s’ap­pro­cha à son tour, le moment venu, de la Table sainte dans la cha­pelle où maman avait ame­né aujourd’­hui les enfants. 

Auteur : Markowa, Eugenia | Ouvrage : Toussaint .

Temps de lec­ture : 10 minutes

Première Partie

I

DU bal­con du deuxième étage les enfants regar­daient dans la rue. 

Le mou­ve­ment y régnait déjà mal­gré l’heure matinale. 

Les enfants fixaient avi­de­ment le grand camion arrê­té devant la maison. 

C’é­tait un camion de démé­na­ge­ment avec une porte à l’arrière. 

Des hommes en blouse bleue débou­chaient sans cesse de la porte cochère avec des meubles qu’ils trans­por­taient, à deux ou à quatre, sur leurs épaules, pour les pla­cer dans le camion.

Ain­si dis­pa­rais­sait tout ce que les enfants connais­saient si bien. 

Jus­qu’i­ci ils avaient tou­jours vu les meubles comme sou­dés à leur place. 

Il n’en était plus ainsi. 

Le buf­fet, déta­ché du mur, était trans­por­té comme un bles­sé ou un mort. 

Le pia­no à queue qui le sui­vait était enfon­cé avec effort dans les pro­fon­deurs du camion. 

Les chaises avaient des ailes. 

Chaque objet enfin chan­geait aujourd’­hui d’as­pect, à la lumière du jour, dans la rue. 

N’é­taient-ils pas des­ti­nés à un éclai­rage estom­pé, der­rière les rideaux ? 

Ils parais­saient main­te­nant désem­pa­rés, livrés au jeu du destin… 

Au bal­con l’aî­né des gar­çons, Ber­nard, trou­vait que la place de Fran­çois était la meilleure, tan­dis que celui-ci sou­te­nait le contraire. 

En bas, dans la rue, se pour­sui­vait le démé­na­ge­ment de leur mai­son, de la mai­son qui les avait vus naître et grandir.

Les enfants suivent le déménagement de leur maison

C’é­tait un jour enso­leillé et doux, vigile de la .

— Les choses s’ar­rangent ain­si, — disait maman la veille, alors que les meubles étaient encore à leurs places, sur les par­quets dépouillés des tapis, que les fenêtres étaient déjà sans rideaux et que les murs s’é­ta­laient tris­te­ment avec des taches claires à l’emplacement des tableaux, — le démé­na­ge­ment tombe jus­te­ment pen­dant la vigile de la Tous­saint ; confions donc notre nou­velle demeure à l’in­ter­ces­sion de tous les Saints. 

Le démé­na­ge­ment avait l’air d’un voyage ; on ne chan­geait cepen­dant pas de quartier. 

Jeanne, à qui maman avait mon­tré déjà la nou­velle habi­ta­tion, était obli­gée d’en refaire à plu­sieurs reprises la des­crip­tion. Les gar­çons la tour­men­taient de leurs questions. 

— Toute la mai­son sera donc à nous ! s’é­criaient-ils avec joie. 

Et puis de nouveau :

— Com­ment est-ce ? Com­ment est-ce ? dis, Jeanne ! 

— De la rue, — répon­dait-elle, — la mai­son res­semble à toutes les autres, mais, en entrant par la porte cochère, dans la cour, on aper­çoit tout au fond à l’é­cart, un peu sur la droite, notre vil­la avec ses deux étages et un petit jar­din qui l’entoure. 

La cadette, très calme, demanda : 

— Y a‑t-il des pommes de terre dans l’enclos ? 

Rien n’é­tait capable de chan­ger son humeur impas­sible et son bon appétit. 

Elle regar­dait de son air tran­quille char­ger les meubles, fer­mer le camion et démar­rer le lourd véhi­cule tiré par quatre chevaux.

II

APRÈS le départ du camion, les enfants se mirent à cou­rir à tra­vers les pièces vides et pleines d’échos. 

Maman avait les yeux rougis. 

Auteur : Péguy, Charles | Ouvrage : Les saints de tous les jours .

Temps de lec­ture : 13 minutesIl était une fois un homme, un homme qui s’en­nuyait, mais qui s’en­nuyait ! On ne pour­ra jamais dire com­bien s’en­nuyait cet homme-là. Sa vie était tel­le­ment grise, morose, mono­tone. Il s’en­nuyait tout le long de la jour­née. Mais cet homme qui s’en­nuyait tout le long de la jour­née, qui s’en­nuyait le matin, cet homme qui s’en­nuyait le soir, savait que pour sor­tir de son ennui il n’a­vait qu’à com­mettre un gros péché. Un gros péché, là. Pec­ca­tum enorme, ingens. Un gros péché qui le désen­nuie­rait une fois pour toutes. Un péché énorme. Une faute, une faute énorme, une trans­gres­sion abominable.

Et cette faute était ain­si faite que pour la com­mettre une fois pour toutes, cet homme n’a­vait qu’à écrire une lettre. Rien qu’une lettre. Une lettre de rien du tout. Prendre là une feuille de papier, la mettre sur son bureau, bien devant soi, trem­per la plume dans l’encre, écrire. Et ça y était. Ça lui aurait don­né de l’oc­cu­pa­tion pour toute sa vie. Plu­sieurs fois il avait dit : Non, c’est trop bête, je m’en­nuie trop, mais il s’é­tait tou­jours arrê­té à temps.

Saint Louis - 25 août
Louis

Or, un jour que la vie de ce pauvre homme était encore plus grise, plus terne qu’à l’or­di­naire, il n’y tint plus du tout : Allons, dit-il, et il prit une feuille de papier à lettre. Mais il faut que je vous apprenne que cet homme qui s’en­nuyait avait une manie. Une manie quand il écri­vait. Il ne pou­vait regar­der la date sans regar­der en même temps le saint du jour. Allons, dit-il, et il décro­cha le calen­drier, same­di 21, dimanche 22, lun­di 23, mar­di 24, mer­cre­di 25… Saint Louis !

Saint Louis ! Ça n’al­lait pas tout seul. Saint Louis. Il se mâchon­nait la mous­tache. Non, vrai­ment, jamais il n’au­rait le cou­rage de com­mettre un aus­si gros péché que le sien le jour de saint Louis. Ça n’é­tait pas pos­sible. Il ne fal­lait pas même y son­ger. Pen­sez donc ! Saint Louis et tout ce que ça repré­sen­tait. Blanche de Cas­tille. Saint Louis ren­dant la jus­tice. Saint Louis et les Croi­sades. Saint Louis à Car­thage et cette épée et ce sceptre et ce lit de cendre. Saint Louis, roi de France, modèle et exem­plaire et patron des rois de France. Toute cette ancienne France. Pro­tec­teur de la France et des Fran­çais. De tous les Fran­çais. Avec son beau vête­ment bleu à fleurs de lys, la main de la jus­tice à la main comme dans le tableau du père Lau­rens. Pas moyen de pas­ser outre. Jamais saint Louis ne lais­se­rait com­mettre une chose pareille.

Vous voyez la finesse. La seule idée, la seule repré­sen­ta­tion de saint Louis suf­fit à l’ar­rê­ter ins­tan­ta­né­ment. Parce que les saints fran­çais et saint Louis en par­ti­cu­lier sont des saints qui enfoncent les autres saints. Saint Louis ! Mais ça ne pou­vait pas durer tou­jours comme ça. Il remit le calen­drier des postes à sa place en se disant que ça ne serait que par­tie remise. Il était déci­dé. Plus ça allait, plus il s’en­nuyait. La pluie, le vent, le soleil, les gens qu’il ren­con­trait, sa femme, ses amis, le jour, le soir, ce qu’il fai­sait, ce qu’il ne fai­sait pas. Tout l’en­nuyait. Le len­de­main il rou­vrit sa boîte à papier à lettres, éten­dit soi­gneu­se­ment sur la table la feuille de papier, trem­pa sa plume dans l’encre : Ah ! la date. Mer­cre­di, jeu­di 26. Saint Zéphy­rin. Ah ! Saint Zéphy­rin. Bien. Bien. Et il se mit à écrire.

Auteur : Bourgine, Édouard | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 13 minutes

( normand)

À l’as­sem­blée de Rati­mes­nil qui se tenait dans sa vaste cour, le caba­re­tier Heur­taux, debout dans une car­riole fixée entre deux troncs de pom­miers, fai­sait dan­ser la « jeu­nesse » aux sons de son crin­crin. Il bat­tait lui-même de tels entre­chats que, mal­adroi­te­ment, il se fou­la le pied.

Dévotion aux saints populairesDès lors, il pas­sa le plus clair de son temps à jouer aux domi­nos avec quelques vieux du pays. Venait se joindre à eux, dans la soi­rée, le fils Farin César, que le père Heur­taux avait pris en ami­tié et appe­lait fami­liè­re­ment « son bezeau ». Ce jeune cam­pa­gnard n’é­tait pas fâché de pou­voir ain­si « cau­ser un brin » à la belle Léo­nie, la fille de la maison […].

Cette Léo­nie, si fié­rote et si froide en appa­rence, aspi­rait de toute son âme au mariage, mais Farin n’i­gno­rait pas que le père s’y oppo­se­rait tant qu’il ne serait pas plus valide. On avait trop besoin d’elle au cabaret.

Heur­taux, sur les conseils réité­rés de ses clients, s’en fut consul­ter un rebou­teux du vil­lage, qui « tra­vailla » son entorse durant neuf jours, ajou­tant chaque matin à ses mas­sages vigou­reux, d’in­co­hé­rentes invocations […].

En fin de compte, en plus de son entorse, le caba­re­tier eut des rhu­ma­tismes aigus qui l’o­bli­gèrent à s’aliter.

« Tu veyes ben, lui dit alors sa femme, que tan rebou­teux est un fei­gnant ; quand j’te répète qu’il n’peut point t’guéri !

Heur­taux répondait :

— Tais-té, la mé. T’é­luges point si vite. Espère un p’tieu. Mé j’m’en rap­porte à li ; i n’a sau­vé bé d’autres.

— Eh ben, mé, j’au­rais pu d’con­fiance dans les Bons Saints.

Sur la place de l’é­glise, le dimanche, les com­mères, leur parois­sien à fer­moir à la main, fai­saient cercle autour de la mère Heurtaux :

« Pour­qui qu’­vos condui­sez point vot’­homme à la Mare -Fir­min, disait l’une ; faites‑y « tou­cher » l’saint qu’est raide bon pour enle­ver l’mâ, qu’a du « pou­voir » pour les douleurs !

Auteur : Mesnil, Luc | Ouvrage : Et maintenant une histoire II .

Temps de lec­ture : 9 minutes

Histoire à raconter aux jeunes - La ToussaintVidi tur­bam magnam… Vidi tur­bam… Vidi…

Et le bré­viaire tom­ba des mains de Mon­sieur le Curé empor­té par le sommeil…

Le tic-tac de la pen­dule fut cou­vert par les onze coups qui mar­quaient qu’un jour nou­veau allait bien­tôt com­men­cer. Puis, plus rien que la res­pi­ra­tion régu­lière du brave prêtre, vain­cu par la fatigue…

***

La jour­née avait été par­ti­cu­liè­re­ment pénible. Levé, comme chaque jour, à 5 heures 1/​2 pour assu­rer la pre­mière , il n’a­vait pas encore eu une seule minute de détente. Après la messe et le déjeu­ner, pris debout, il avait fal­lu cou­rir à l’hô­pi­tal pour confes­ser les malades ; puis enter­re­ment à 9 heures, caté­chisme à l’é­cole des filles, visite des malades…

Le repas de midi pris “sur le pouce“ et ren­dez-vous avec l’élec­tri­cien dans la salle du patro­nage. Puis caté­chisme à l’é­cole libre et confes­sion des gar­çons jus­qu’à 4 heures. A 4 heures : réunion des pre­miers com­mu­niants de la paroisse. De 5 à 7 heures : pré­sence au confes­sion­nal. A 8 heures : cercle d’é­tudes et “patro“.

Et il était presque 11 heures lorsque Mon­sieur le Curé ren­tra au pres­by­tère, avec son bré­viaire à dire et son ser­mon à pré­pa­rer pour le lendemain…

« Vous vous tue­rez, gémit la vieille Cathe­rine, sa ser­vante, lors­qu’elle le vit ren­trer. Pre­nez au moins ce lait de poule que je vous ai préparé. »

Le prêtre englou­tit le conte­nu de son bol, sans même prendre le temps de dégus­ter, puis gagna rapi­de­ment sa chambre.

« Mer­ci, Cathe­rine. Vous êtes une bien bonne fille. Dieu vous le rendra. »

Mais la fatigue était plus forte que tout. Et Mon­sieur le Curé, la tête pen­chée sur son bureau, dans la douce cha­leur de la lampe élec­trique, venait de suc­com­ber au sommeil.

***

La pen­dule fai­sait tic-tac… tic-tac …, un chat miau­lait sur le toit voi­sin, au loin le sif­flet du der­nier train per­çait le silence de la nuit. La ville, la petite ville som­brait dans les ténèbres. Demain, avant le lever du jour, les trois cloches lan­ce­raient leur joyeux appel. Déjà, la sœur sacris­tine avait pré­pa­ré les beaux orne­ments blancs, ten­du la nappe de pure batiste, et pla­cé de gros chry­san­thèmes rouges entre les chan­de­liers du maître-autel…

De sa voix toni­truante, le chantre lan­ce­rait les pre­mières notes de l’In­troït : Gau­dea­mus omnes in Domi­no… Réjouis­sons-nous, c’est la fête de tous ceux qui peuplent le Para­dis, les connus mar­qués au calen­drier et les incon­nus dont, j’es­père, nous serons un jour…

Et Mon­sieur le Curé, en cette veille de fête, n’a pu ter­mi­ner ni Vêpres, ni Matines qu’il lui fau­dra reprendre tout à l’heure. Il dort au milieu des papiers épars sur la table, à côté de sa biblio­thèque mal ran­gée parce que tous les grands gar­çons viennent s’y ravi­tailler, près du divan sur lequel il ne repose que quelques heures chaque nuit.