Deuxième Partie
1er Novembre
I
TOUTES les feuilles étaient-elles tombées des arbres cette nuit ?
Oui, beaucoup de feuilles étaient tombées et un léger zéphir soufflait sur elles dans une matinée sans soleil…
Les enfants, à demi habillés, coururent aux fenêtres.
— Oh ! comme tout est nouveau ici, différent et beau, pensait chaque enfant.
La mère entra dans la chambre des fillettes.
— Pressons-nous, mes chéries, disait-elle avec un sourire et elle aida la petite Josée qui était en retard dans sa toilette.
Les enfants furent bientôt prêts à sortir et entourèrent leur mère, leur petite maman.
Ils la voyaient toujours à leur côté. Ses mains protégeaient et ses paroles fortifiaient.
La mère était si unie à eux que seulement beaucoup plus tard, dans la vie, lorsqu’ils auraient quitté la maison, ils la verraient dans la lumière de l’amour.
On ne réfléchissait pas maintenant à ceci ; on se pressait pour aller à la messe.
Ce petit monde était simplement heureux de sortir avec maman.
Les fillettes allaient devant, Josée au milieu de Jeanne et de Thérèse ; les garçons, Bernard et François, se tenaient de chaque côté de leur mère.
Les enfants n’osaient jamais questionner maman sur l’absence de leur père aux offices.
Les passants se retournaient lorsqu’ils rencontraient cette mère jeune encore, d’une allure élégante, avec ses cinq enfants qui tenaient chacun un petit paroissien dans la main.
II
LES mains jointes, les tresses tombant des deux côtés de sa tête penchée, Jeanne s’approcha à son tour, le moment venu, de la Table sainte dans la chapelle où maman avait amené aujourd’hui les enfants.
La chapelle était remplie de fidèles qui se pressaient à la table de communion.
« Domine, non sum dignus ut intres sub tectum meum, sed tantum dic verbo, et sanabitur anima mea. »
Jeanne pencha davantage la tête.
Et soudain lui revint en mémoire le souvenir de celui auquel elle n’avait pas encore pensé depuis le matin : Michel, le petit malade.
Jeanne s’agenouilla. Le prêtre s’approcha.
« Corpus Domini nostri… »
Une grande lumière et un grand calme envahirent Jeanne qui revint lentement à sa place.
Dans cette lumière et dans cette paix, où elle se sentait sans poids, Jeanne comprit que le petit Michel, enfermé dans sa chambrette et son cher papa absent lui demandaient de les associer à sa communion.
Avec tout son zèle, avec toute sa générosité, elle se présenta devant Jésus et s’offrit à lui pour ses protégés.
Priant pour eux, elle était entraînée à prier aussi pour les autres.
Elle savait que Dieu Se cache afin qu’on Le découvre dans la petite hostie…
III
APRÈS le petit déjeuner les enfants revinrent dans le jardin, leur royaume.
Le jour ensoleillé d’hier n’y était plus. Il faisait frais, le temps était couvert. La terre sentait bon ; les fleurs automnales levaient leurs têtes orange, bordeaux, violettes et blanches.
Josée sortit ses poupées et les rangea au pied de l’arbre. Thérèse l’aidait avec ferveur. Sa voix douce chantait des berceuses et toutes les poupées s’endormaient, bien que l’heure ne touchât pas encore à midi.
Les garçons construisaient une nouvelle forteresse, car celle d’hier était déjà démolie.
Par la fenêtre ouverte on entendait la voix de maman.
Aujourd’hui, à cause de la Toussaint, on avait interrompu l’aménagement de la maison. Mais la maison respirait déjà l’âme de ses nouveaux habitants ; elle se remplissait de vie d’enfants.
Le chat circulait dans les chambres. Ne se souvenait-il plus de ses anciens coins ?
Jeanne s’approcha de maman.
— Petite mère, permettras-tu ?…
Maman attendait avec un sourire.
— …Je voudrais voir comment va le petit Michel ?
— T’es-tu souvenue de lui dans tes prières ?
Le visage de maman était redevenu sérieux.
Jeanne hocha la tête.
— Lorsque le bon Jésus descendit dans mon cœur, je lui ai parlé aussitôt du petit Michel. Mais sais-tu, maman, qu’au même moment il m’a semblé sentir à côté de moi papa qui me disait : — Parle-Lui aussi de ton papa, ma fille…
Maman caressa la tête de Jeanne.
— Apporte au petit quelques fleurs. Fais attention dans l’escalier. Reviens à midi juste.
Jeanne regarda sa montre-bracelet.
— Il est onze heures moins dix.
Elle posa tendrement la tête sur le bras de sa maman. Déjà elle atteignait presque à son épaule.
— Va, petite.
Traversant la cour en tenant dans une main son petit bouquet, Jeanne tâta de l’autre la poche de son tablier ; oui, l’image y était. L’image de la Sainte Vierge.
IV
LE sourire de Michel vint à la rencontre de Jeanne à son entrée.
Mme Lebrun n’était pas moins contente.
— Ainsi le petit ne s’ennuiera pas. Moi, j’ai tant à faire.
— C’est fête aujourd’hui, Madame.
— Il n’y a pas fête pour nous, Mademoiselle, répondit sèchement la mère de Michel.
— La fête est pour tout le monde, dit Jeanne qui ne se rendait pas. Je vais vous aider, cela ira plus vite…, ajouta-t-elle.
Mme Lebrun s’adoucit.
— Non, non, ce n’est vraiment pas la peine. Restez un peu, Mademoiselle, à côté de mon Michel. Il a eu une mauvaise nuit. Il étouffait. Je n’ai pas dormi non plus. Il fallait surveiller, pour que mon mari puisse se reposer ; il se lève à cinq heures pour aller à son travail. Il revient tard le soir.
Le visage de Mme Lebrun était soucieux, inquiet même.
— Tu ne veux rien boire, Michel ? dit-elle. Elle s’approcha du lit du malade et arrangea avec soin les coussins.
— Si tu veux, maman, répondit Michel d’une voix faible et Mme Lebrun alla à la cuisine.
Jeanne s’approcha de la petite table placée à côté du lit et y disposa les fleurs dans un verre d’eau.
Puis elle posa l’image à côté du malade.
— Michel, je t’apporte notre Mère du Ciel.
La poitrine du malade s’élevait et retombait. Sa voix était saccadée.
— Le Ciel ? Qu’est-ce que c’est ?
Jeanne répondit d’un seul trait.
— Le Ciel, c’est l’endroit où on est toujours heureux.
— Qui est au Ciel ? demanda Michel sans le moindre mouvement, attendant la réponse.
— Au Ciel il y a tous les Saints et tous les Anges autour du bon Dieu. N’es-tu jamais allé au catéchisme ?
La porte s’ouvrit et Mme Lebrun reparut.
— Non, répondit-elle pour son fils, je ne l’y ai jamais envoyé. Enfant, il n’a pas été baptisé.
— Et maintenant, Madame ? dit Jeanne en retenant son émotion.
— Maintenant ? Il est trop vieux, Mademoiselle.
V
PENDANT le déjeuner maman étonnée regardait Jeanne.
N’aimait-elle pas le dessert aujourd’hui ?
Non, Jeanne n’avait rien contre le dessert, mais son petit cœur avait des soucis…
Papa semblait oublier la visite chez le petit malade.
Après le déjeuner Jeanne mit tout son effort à ne pas le lui rappeler.
Les papas sont-ils toujours occupés à lire après les repas ?
Ainsi s’écoula le temps jusqu’à trois heures.
Alors papa ferma son livre et sortit sa montre.
— Oh ! s’écria-t-il, déjà trois heures !
— Comme il se rappelle ! pensa Jeanne avec joie.
Elle prit courage :
— Papa, le petit Michel…
— Mais oui, mais oui, j’y vais…
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