Les Saints seront contents

Auteur : Markowa, Eugenia | Ouvrage : Toussaint .

Temps de lec­ture : 12 minutes

XII

UN mou­ve­ment régnait au Para­dis, pour ain­si dire, dans la paix, dans le calme et dans la tendresse. 

C’é­tait un mou­ve­ment sans cesse renou­ve­lé comme le mou­ve­ment des vagues. Beau­coup de saints étaient accou­rus et entou­raient la cou­ronne, déchif­frant les dix «  ».

Les Saints sont avec les Anges les seuls habi­tants du Ciel. Il n’y en a pas d’autres. Les Saints sont les por­teurs de lumières ; ils les déposent aux pieds de la Sainte Vierge qui de son côté les remet à son Fils, dont les bras sont ten­dus vers Elle.

Ces lumières semblent voler à tra­vers le Paradis. 

La Vierge Marie et l'Enfant Jésus - Rosaire

Les cou­ronnes s’ac­crochent au man­teau de Marie et ce man­teau tout azur, tout lisse et étin­ce­lant, est si flot­tant qu’il semble cou­vrir le Ciel entier. Les yeux de la très Sainte Vierge Marie comme des myo­so­tis rendent le ciel bleu. 

Il est cer­tain qu’il est Là-Haut tout dif­fé­rent de ce qu’il est vu de la terre. 

Les prières y sont par­fai­te­ment bien com­prises, comme si ce n’é­tait pas la bouche qui les trans­met­tait, mais les cœurs. 

Lorsque la cou­ronne des dix « Je vous salue » péné­tra au Ciel, elle appa­rut toute petite à côté d’autres cou­ronnes, mais elle brillait joli­ment et l’ar­change Raphaël, le gué­ris­seur des per­dus, la remit.

XIII

CHAQUE saint était curieux de savoir quelle était cette cou­ronne, cette petite cou­ronne si bien tressée ! 

Les Saints sont curieux, mais leur curio­si­té est une bonne curio­si­té qui désire por­ter secours, don­ner cou­rage, embra­ser du feu de l’a­mour, sur­tout en ces jours de la Tous­saint. Et chaque saint, lors­qu’il aper­çoit l’a­mour dans la prière, c’est-à-dire les âmes levées vers Dieu, se réjouit comme s’il était per­son­nel­le­ment gratifié. 

C’est bien ainsi. 

Lors­qu’on fait un cadeau à Jésus, on le donne par là même aux Saints et ce que l’on donne aux Saints devient la pro­prié­té de Jésus, parce que les Saints sont le corps de gloire de Jésus. 

Il est impos­sible de dire le nom de chaque saint tant est grand leur nombre. 

Sainte Thérèse arrose d'une pluie de rose, sous forme de grâces

La plu­part ont noyé leur nom dans celui de Dieu et ne dési­rent qu’une chose : que leur cœur soit doux et humble comme le cœur de Jésus. 

Les saints de la terre comme ceux du Ciel n’ont d’autre ambi­tion que de plaire à Dieu. La petite sainte Thé­rèse, occu­pée de sa plan­ta­tion de roses qui tombent de ses mains sur la terre sous forme de grâces, cueillit vive­ment une de ses fleurs pour l’at­ta­cher à la cou­ronne des enfants. 

Jeanne d’Arc sans bou­clier, en ber­gère sur les prai­ries des Cieux, recon­nut aus­si la voix des enfants, comme elle avait l’ha­bi­tude jadis sur terre d’é­cou­ter et de recon­naître les voix venant du Ciel. 

Saint Ber­nard, si ten­dre­ment dévot à Marie, s’ap­pro­cha avec ten­dresse de la dizaine de Jeanne, Ber­nard, Fran­çois, Thé­rèse et Josée. 

Saint Fran­çois d’As­sise, qui savait par­ler à chaque oiseau et à chaque pois­son sourd-muet, trou­va faci­le­ment le che­min du cœur de ces petits. 

Saint Joseph, le patron de Josée la cadette, vint le der­nier, sui­vant l’ha­bi­tude d’hu­mi­li­té qu’il avait déjà sur la terre. De sa gerbe de lys blancs, il salua la couronne. 

Beau­coup d’autres saints accou­rurent, qui étaient sur terre des enfants, et tous en chœur s’é­criaient : — Aidons-les, aidons-les ! Demain c’est la Toussaint !

Ils se tenaient autour de la cou­ronne comme des abeilles autour d’une ruche. Et le Ciel entier, et chaque âme aux Cieux, ne dési­rait qu’une chose : aider les enfants qui avaient envoyé à la Sainte Vierge les dix « Je vous salue ».

XIV

LA montre du doc­teur mar­quait trois heures, l’heure de la visite chez le petit malade. 

Jeanne se trou­va à côté de son père lorsque celui-ci ouvrit la grille de l’en­trée. Elle ne disait rien, elle ne deman­dait rien. Papa com­pre­nait tout aujourd’hui. 

C’é­tait un jour spé­cial pour Jeanne ; il res­sem­blait à une veille d’anniversaire. 

— Tu veux donc être mon assis­tante ? — deman­da papa, — tu n’au­ras pas peur ? 

— Avoir peur ! 

Papa sou­riait. Ne connais­sait-il point le cœur de Jeanne, sa petite fille ? Ils tra­ver­sèrent la cour. Le soleil chauf­fait déjà moins. 

Sainte Jeanne d'Arc, la bergère écoutant les voix du ciel

Un esca­lier étroit mon­tait comme dans une tour. Jeanne se tenait à la rampe. Lorsque la porte se fut ouverte, ils se trou­vèrent en face d’une petite femme robuste, à la coif­fure démo­dée. De l’an­ti­chambre ils pas­sèrent dans une pièce toute propre et rem­plie de meubles. 

— C’est très aimable, doc­teur, d’être venu… J’ai per­du d’autres enfants et il ne me reste que celui-là. 

Le doc­teur était pres­sé de voir le malade. 

— Condui­sez-nous vers lui, dit-il à la femme. 

Jeanne remar­qua que papa avait dit « condui­sez-nous » ; elle le sui­vit avec un visage grave. 

Dans la pièce voi­sine, ils se trou­vèrent devant le malade.

— C’est lui, le per­du, pen­sait Jeanne. 

Il repo­sait dou­ce­ment, sur le lit haut, dans les draps nou­vel­le­ment chan­gés. Ses pau­pières étaient baissées. 

Il était long, maigre sous la cou­ver­ture et tout pâle ; il pou­vait avoir l’âge de Jeanne. 

Papa dési­gna à sa fille une chaise pla­cée à côté de la fenêtre. 

— Assieds-toi, ma petite. 

Jeanne s’as­sit et ne bou­gea plus. 

Le doc­teur se pen­cha au-des­sus du malade.

XV

J’ENVERRAI le médi­ca­ment par ma fillette. Elle pour­ra venir voir votre fils, car la mala­die n’est pas conta­gieuse. À demain, Madame ; je revien­drai à la même heure. » 

Mme Lebrun écou­tait tout ce que le doc­teur disait en bais­sant et levant vive­ment les paupières. 

Elle sem­blait dire : — Et puis, docteur ? 

Papa s’ar­rê­ta encore un ins­tant, obser­va autour de lui comme s’il eût vou­lu se ren­sei­gner sur l’en­droit où il avait per­mis à Jeanne de revenir. 

Le visage de Mme Lebrun et la pro­pre­té de son loge­ment éveillaient la confiance ; puis le doc­teur obéis­sait à la voix inté­rieure que l’on entend lors­qu’on écoute bien. 

Saint François parle aux oiseaux

La mère du malade vou­lait ajou­ter encore un petit mot. 

— Ce n’est pas grave, n’est-ce pas, doc­teur ? Je dis tou­jours à mon mari : Michel sera comme toi. C’est la mala­die qui traîne et qui affai­blit comme cela. 

Le doc­teur s’ap­prê­tait à sortir. 

— On fera tout ce qu’on pour­ra, Madame. 

Mme Lebrun était très satisfaite. 

Lors­qu’ils furent au bas de l’es­ca­lier, Jeanne se leva sur la pointe des pieds et embras­sa vive­ment papa. 

XVI

AU jar­din, devant la mai­son, les enfants goû­taient avec du pain au cho­co­lat. On entou­ra Jeanne. 

— Com­ment c’é­tait, dis ? 

— Qu’est-ce qu’il a, ce garçon ? 

— Quel est son nom ? 

— Quel âge a‑t-il ?

— Il s’ap­pelle Michel. Il a 13 ans. Il a le cœur malade, papa m’a dit qu’il était très malade. 

Le soir appro­chait. La nou­velle mai­son parut aux enfants trop grande. Trop grande et trop vide. Ils ne connais­saient encore ni ses coins ni ses recoins.

Ils ne la connais­saient pas encore le soir, à la lumière des lampes. 

À cinq heures seule­ment, peut-être même un peu plus tard, papa appe­la Jeanne après une conver­sa­tion avec maman. 

Saint Joseph, et ses lys blancs

— Voi­là un paquet pour le petit Michel, dit-il. 

Jeanne ten­dit la main vivement. 

— Melle Made­leine te condui­ra et elle ira te cher­cher ensuite. 

Jeanne était déjà sur la porte avec son paquet lorsque papa l’ar­rê­ta. Il se tenait devant elle, un peu pen­ché et frot­tait ses lunettes avec un mouchoir. 

— Que feras-tu là-bas, chez mon malade ? Ne t’en­nuie­ras-tu pas ?

Jeanne regar­da son père et il lut un reproche dans les yeux de sa fille.

— Non, répon­dit-elle, j’aime ce petit garçon.

— Com­ment ? L’aimes-tu comme Ber­nard et Fran­çois ? inter­ro­gea le père. 

— Autre­ment, papa. Je l’aime comme on aime… un perdu. 

Le docteur parle à sa fille Jeanne du petit malade

— Oui, et le doc­teur devint grave, ce petit est vrai­ment perdu. 

Jeanne tenait le paquet dans ses deux mains et une larme tom­ba le long de sa joue. 

Le père remit ses lunettes. Il regar­dait sa fille attentivement. 

— Melle Made­leine t’at­tend. Elle est pres­sée, dit-il très doucement.

XVII

JEANNE entra avec pré­cau­tion dans la chambre où une lampe sous l’a­bat-jour était allu­mée. Elle éclai­rait dou­ce­ment la tête du malade. 

La porte se refer­ma der­rière Jeanne et elle per­çut des voix qui se turent au bout d’un ins­tant ; puis elle n’en­ten­dit que le va et vient de Mme Lebrun. 

Dans la chambre régnait un grand calme. 

Le malade sou­le­va les pau­pières et jeta sur Jeanne un regard de ses yeux foncés. 

— Je suis venue te faire un peu de lec­ture. J’ap­pro­che­rai la lumière.

Michel ne vou­lait pas de la lecture. 

— Dis-moi à quoi vous jouez dans la cour, deman­da-t-il d’une voix faible. Jouez-vous aux billes ? 

Sa voix s’en­tre­cou­pait et sa poi­trine se sou­le­vait haletante. 

Tout à coup Jeanne se sen­tit pous­sée. Elle se retour­na, mais ne vit personne. 

Elle s’ap­prê­tait à racon­ter les jeux du matin, com­ment les gar­çons avaient construit une for­te­resse, lorsque sou­dain, mal­gré elle, Jeanne dit tout autre chose : 

— Demain, c’est la Toussaint. 

— Com­ment est-ce la Toussaint ? 

Elle allait répondre, lorsque Mme Lebrun entra dans la pièce, un remède à la main. 

Elle sou­tint d’une main la tête du petit, tan­dis que dans l’autre elle tenait une cuillère, conte­nant la potion. 

— Ouvre la bouche. Prends ceci qu’on t’en­voie pour te gué­rir. Ouvre la bouche. 

Michel res­tait la bouche fermée.

Alors Jeanne se pen­cha au-des­sus du lit. 

Michel prend son médicament : les saints seront contents.

— Prends le médi­ca­ment, dit-elle dou­ce­ment. Les Saints seront contents.

Michel ouvrit la bouche et obéit. Mme Lebrun bor­da le lit, sou­pi­ra et, après s’être attar­dée un peu, elle quit­ta la chambre, lais­sant la porte entr’ouverte. 

— Était-ce mau­vais ? deman­da Jeanne. 

Le malade hésitait. 

— Ce n’é­tait pas bon. Mais je ne me sou­viens plus. 

Un sou­rire éclai­ra son visage, un sou­rire plus doux que l’ombre rose de l’abat-jour. 

— Qu’est-ce que c’est que les Saints ? 

Le petit atten­dait la réponse. 

Jeanne sen­tait toute la gra­vi­té de cette réponse. 

— Les Saints, ce sont ceux qui sup­portent avec dou­ceur, pour faire plai­sir au bon Dieu, tout ce qu’Il leur envoie. 

— Qui est le bon Dieu ?

XVIII

CE n’é­tait pas une petite tâche pour Jeanne. 

Elle appe­la à son aide le Saint-Esprit. 

— Dieu est le créa­teur de tout ce qui existe. C’est lui qui est ton Père et le Père du monde entier. C’est un Père très bon qui, au lieu de nous faire ses ser­vi­teurs, nous a faits ses enfants chéris. 

Elle ôta de son cou sa chaî­nette à laquelle pen­dait un petit cru­ci­fix en or, et l’ap­pro­cha des lèvres du malade. 

— Embrasse.

Michel embras­sa doci­le­ment et regar­da avec une muette interrogation.

— Ceci, c’est l’i­mage du Fils de Dieu, de Jésus, de Dieu lui-même.

Jeanne explique la Croix au petit garçon

Le visage de Michel s’anima.

— Il est venu sur la terre et Il est mort sur la croix par amour pour nous, pour que nous puis­sions entrer au Paradis. 

— Où est le Paradis ? 

— Le Para­dis est dans les cœurs purs. Il est pour les pauvres, pour les doux, pour ceux qui pleurent, pour ceux qui sont mal­heu­reux, pour les justes, pour les misé­ri­cor­dieux qui aiment la paix, qui souffrent les per­sé­cu­tions et les insultes à cause de Jésus. Le Para­dis est pour tous ceux-là. 

— Est-ce vrai ? 

Michel se sou­le­va sur ses coussins.

— Oui, c’est vrai, Michel. Je n’in­vente rien. Je te jure que Jésus est des­cen­du sur la terre pour mou­rir sur la Croix afin que nous puis­sions gagner le Ciel. 

Les yeux de Michel ne quit­taient pas Jeanne. 

— Je veux y être aussi. 

— Où ? deman­da tout bas Jeanne. 

— Au Ciel.

XIX

CE soir à table les yeux des enfants se col­laient déjà. 

La mai­son leur parais­sait très changée. 

Qu’é­tait deve­nu le buffet ? 

Dans l’an­cienne mai­son il occu­pait tant d’es­pace, il sem­blait si impor­tant ; puis, arra­ché de sa place et trans­por­té sur le grand camion, il parais­sait main­te­nant, dans la grande pièce de la nou­velle demeure, amai­gri, rape­tis­sé, presque insi­gni­fiant. D’ailleurs c’é­tait pour tout la même chose. 

Les enfants, enivrés par le plein air et les évé­ne­ments de la jour­née, voyaient tout à tra­vers un demi-som­meil. Tout se balan­çait et dan­sait devant eux. 

Ils apprirent de maman, qui les réunit comme d’ha­bi­tude avant le cou­cher, qu’on dirait aujourd’­hui une prière de plus à une inten­tion nouvelle.


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