Et maintenant une histoire ! Posts

| Ouvrage : La semaine de Suzette .

Temps de lec­ture : 7 minutes

Conte de Pâques

Histoire pour la fête de Pâques, racontée aux enfants

Dans une petite ville du moyen âge, aux rues étroites, aux toits poin­tus, vivait, il y a bien long­temps, la fille d’un humble potier. On l’ap­pe­lait Jac­quotte la sérieuse, car, bien qu’elle n’eût que douze ans, elle ne son­geait pas à jouer comme les autres petites filles mais pas­sait ses jour­nées dans l’a­te­lier de son père, à recueillir les débris d’ar­gile qui tom­baient du tour du potier ; elle les pétris­sait dans ses mains, puis, avec des outils de cise­leur que son père lui avait fabri­qués sur sa prière, elle tra­çait dans la pâte molle des guir­landes de fleurs, des fruits, des oiseaux, et toutes les figures que lui ins­pi­rait sa fan­tai­sie. Un jour, le bruit se répan­dit que le sei­gneur de la ville avait déci­dé d’of­frir une à l’é­glise. Comme il la vou­lait très belle, tous les maîtres cise­leurs étaient invi­tés à concou­rir pour sa déco­ra­tion : les pro­jets devaient être expo­sés sur la place publique le jour du ven­dre­di saint, et le peuple assem­blé serait juge.

Jac­quotte, quand elle apprit cela, fut sai­sie d’une sorte de fièvre.

— Père, sup­pliait-elle, faites-moi une cloche d’ar­gile, pour que j’es­saie de la décorer.

— Y songes-tu ? répon­dit en riant le potier. Tu vou­drais concou­rir, mau­viette, avec des arti­sans qui ont du poil au menton !

Pour­tant, il finit par céder aux larmes de sa fille, et se mit à l’ou­vrage, tout en haus­sant les épaules. Mais il avait tant tar­dé que la cloche ne fut ache­vée que le soir du .

— Allons dor­mir, main­te­nant, dit-il à Jac­quotte. En te levant de bonne heure, tu auras encore le temps d’être prête pour le concours, et il dis­si­mu­la un sou­rire dans sa barbe.

| Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 9 minutes

Patissier ambulant« Grand’­mère ! grand’­mère ! m’é­criai-je, voi­ci le mar­chand de gâteaux : viens vite ! j’ai été sage. »

J’en­ten­dais en effet au loin, dans la rue du vil­lage, la cla­quette du pâtis­sier ; et il ne venait pas len­te­ment comme chaque jour ; comme chaque jour, il ne s’ar­rê­tait pas de porte en porte ; la cla­quette, aux bat­te­ments si mal assu­rés d’or­di­naire, n’al­ter­nait plus avec le cri trem­blo­tant du bon­homme ; elle frap­pait fort et sans cesse. Les petits gâteaux venaient droit à moi, leur plus constant ami, et je me disais tout joyeux : « Nul ne les arrête au pas­sage, nul ne me pren­dra celui que je préfère »

Mais à mesure que le bruit appro­chait, un doute cruel gran­dis­sait dans ma tête : mon vieux mar­chand n’a­vait ni une démarche aus­si pré­ci­pi­tée, ni un bras aus­si ferme. « Mon Dieu, me disais-je, si ce n’é­tait pas lui ! ne vien­drait-il plus ? serait-ce main­te­nant un autre à sa place, et à la place de mes bons petits gâteaux dorés, les mau­vais gâteaux de tout le monde ? »

Il me pre­nait envie de bou­der les nou­veaux venus ; et cepen­dant, c’é­taient tou­jours des gâteaux : ils appro­chaient… je les sen­tais venir… « Grand’­mère ! grand’­mère ! » et, tra­ver­sant la cour à la hâte, je me lan­çai hors du logis.

Hélas ! mon bon­heur avait été trop grand pour ne pas cacher une décep­tion cruelle : Point de gâteaux ! point de mar­chand jeune ou vieux !… Un enfant de chœur en cos­tume, por­tant une immense cré­celle, par­cou­rait la rue en s’ar­rê­tant un ins­tant à chaque porte ; et soit qu’il ren­dît hom­mage à mon aïeule, soit qu’il vou­lût ajou­ter le sar­casme à la mys­ti­fi­ca­tion, il fit devant moi sa pause la plus longue et son tapage le plus acharné.

Crécelle du jeudi saintJe ren­trai au logis, tré­pi­gnant de rage, et j’al­lai me jeter dans les bras de ma grand’mère.

« Le méchant, m’é­criai-je, il l’a fait pour se moquer de moi ! »

Et je me mis à ver­ser de grosses larmes.

« Cher petit ! me dit mon aïeule, en tirant de son grand sac un bon­bon qui me cal­ma sou­dain, — l’en­fant de chœur ne pen­sait pas à toi ; oublies-tu donc que nous sommes au  ? Nous n’a­vons plus de , il venait nous annon­cer l’heure des vêpres.

— Com­ment, grand’­mère, plus de cloche ? je l’ai enten­due Ce matin…

— Ce matin ; mais ce soir elle s’en est allée.

— Où donc, grand’mère ?

— À , mon enfant.

— À Rome !… Et pourquoi ?

— Parce qu’elle y va chaque année le jeu­di saint.

Paques : Cloches partant pour Rome— Et pourquoi,faire ?

— Ah ! bien des choses. Elle va voir le saint-père.

— Et les autres ?

— Com­ment les autres ?

— Les cloches de la ville, celles des autres églises ?

— Elles y vont aussi.

— Quoi, toutes ?

— Oui, toutes.

— Oh ! grand’­mère ! dis-je en sou­riant.… Mais, ajou­tai-je avec inquié­tude, quand reviendront-elles ?

— La veille de , à midi, et elles son­ne­ront bien fort pour rat­tra­per le temps perdu.

— Oh ! tant mieux ! je pour­rai recon­naître le mar­chand de gâteaux. »

Et ma grand’­mère, ache­vant d’es­suyer mes larmes par un gros bai­ser, me prit par la main et m’emmena à vêpres.

Auteur : Par un groupe de pères et de mères de familles | Ouvrage : Histoire Sainte illustrée .

Temps de lec­ture : 14 minutes

X

Colette est inquiète. Elle a trou­vé Maria­nick endor­mie sur sa chaise dans la cui­sine et le visage pâle à mourir.

Dou­ce­ment réveillée, la bonne vieille a sou­ri, de ce sou­rire qui court à peine sur ses lèvres trop minces, pour dire :

— Las ! je ne suis plus bonne à rien, ma jolie !

Et Colette a sur­pris une las­si­tude infi­nie dans les yeux fidèles qui se rivaient aux siens. Alors, elle a effleu­ré d’un bai­ser le front ser­ré dans la coiffe blanche, comme elle eût posé les lèvres sur l’i­mage de quelque vieille sainte, au pays des landes et des genêts, puis elle a répon­du gaiement :

— Tu en fais trop ! C’est de l’or­gueil, vois-tu, de refu­ser tou­jours de l’aide, et je t’a­ver­tis que je suis par­fai­te­ment déci­dée à liguer tout le monde contré toi, pour que tu acceptes un peu de secours. Qu’est-ce qu’on devien­drait sans toi, Maria­nick ! On va te soi­gner, ma vieille, que tu le veuilles ou non. Et tu seras obli­gée de beso­gner encore des années sur cette « pauvre terre », comme tu dis !…

Plai­san­tant ain­si pour cacher son émoi, Colette court cher­cher sa mère.

Il fal­lut cou­cher Maria­nick et, pen­dant quelques jours, la main­te­nir de force à la chambre. Elle répé­tait : C’est‑y pas mal­heu­reux ! Où je vas-t‑y retrou­ver mes pauvres affaires ? Défen­dez tou­jours à Ber­nard de mettre le nez dans l’of­fice, y serait capable de mélan­ger l’huile et le vinaigre dans la même bou­teille ! Hélas ! quand la bonne vieille redes­cen­dit à la cui­sine, elle n’y retrou­va pas Ber­nard, mais un petit Bédouin, avec un visage de demoi­selle, des yeux noirs qui lui pre­naient toute la figure, une robe qui cou­vrait presque ses pieds nus, et des gestes de jeune chat adroit, souple et malin.

Maria­nick faillit en avoir une syncope.

— Que c’est‑y que ce païen-là ? demande-t-elle à maman, qui assiste pru­dem­ment à l’abordage.

— Pas un païen, ma bonne Maria­nick, mais un petit chré­tien, que nous a four­ni le Père rec­teur du col­lège. Il va t’ai­der au ménage, faire tes com­mis­sions, ta vais­selle. Il a bonne volon­té, tu verras.

Un « ara­bi­co » comme celui-là pour l’ai­der, elle, Maria­nick ! On a per­du la tête dans cette mai­son. c’est sûr. Et, sans un regard sur l’in­trus, Maria­nick, les lèvres ser­rées, s’en va droit à son fourneau.

Après déjeu­ner, on com­mente le fait du jour.

— Dieu veuille que Maria­nick sup­porte son asso­cié, dit maman non sans inquié­tude. J’ai bien peur qu’il ne lui fasse bien des sot­tises et qu’il n’en­traîne dans son sillage les deux petits, aux­quels j’ai pour­tant défen­du de jouer avec lui.

Comme pour don­ner rai­son aux craintes mater­nelles, Nicole et Bru­no, rouge de colère et se bous­cu­lant, entrent en tour­billon, se prennent les pieds dans le tapis et culbutent l’un par-des­sus l’autre au beau milieu de l’appartement.

— Qu’est-ce que cela signi­fie ! dit Gene­viève sévèrement.

— C’est Yamil !…

— C’est Yamil !…

— Hé bien quoi, Yamil ?

— Y m’a caché ma pou­pée, crie Nicole.

— Y m’a cas­sé ma trot­ti­nette, gémit Bruno.

— Faut le fouet­ter, conti­nue Nicole à tra­vers ses larmes, comme nous quand on est méchant.

Rete­nant son fou rire, Gene­viève relève ses enfants, essuie les larmes et cherche à savoir le fin mot de l’af­faire, lorsque Maria­nick, la coiffe à l’en­vers, s’en­cadre dans la porte.

Sa voix tremble de fureur contenue :

— Si ce païen-là conti­nue, moi je monte au gre­nier et j’y laisse ma cuisine !

Cette fois, c’est grave. Maman suit Maria­nick en deman­dant des expli­ca­tions, qui sont vite données.

Yamil est natu­rel­le­ment taquin, mali­cieux et d’une sou­plesse inquié­tante. Il joue des tours sans qu’on puisse s’en aper­ce­voir et maman sou­pire à la pen­sée d’un enfant de plus dans la mai­son,… mais quel enfant !

Pen­dant ce temps, les deux petits, avec force gestes, racontent, indi­gnés, les méfaits de Yamil.

Ber­nard trouve cela on ne peut plus amusant.

— Vous savez, les petits Bédouins sont très malins… et il fau­dra du temps pour mettre Yamil à la page. Les enfants juifs ont un tout autre carac­tère, beau­coup plus sérieux et rêveur, ce qui ne veut certes pas dire qu’ils soient sans défauts, mais c’est différent.

— Alors, dit Colette, qui tient avec une incroyable téna­ci­té à son rôle de pro­fes­seur, Yamil ne te ferait pas pen­ser au petit de notre His­toire Sainte ?

— Oh ! pas du tout. Tan­dis qu’à l’es­ca­drille, j’ai à faire à un très jeune Juif, qui convien­drait par­fai­te­ment comme type.

— Quel type ? demande immé­dia­te­ment Nicole, en cli­gno­tant des yeux comme quand elle ne com­prend rien du tout.

Colette répond à ce regard :

— J’au­rais vou­lu me ser­vir du petit Yamil pour vous faire le por­trait de Joseph, dont l’his­toire est tel­le­ment jolie, mais il paraît qu’il n’a pas le type.

Bru­no, de sa petite voix, déclare :

— Yamil est assom­mant. Lais­sez-le tran­quille et raconte l’his­toire, si elle est chic. Qui c’est Joseph ?

— L’un des douze enfants de . Deman­dez à l’oncle Ber­nard de vous dire leurs noms ?

Inté­rieu­re­ment, Colette, fine mouche, espère un peu embar­ras­ser son cou­sin… Douze noms, s’en souvient-il ?

Mais, par­fai­te­ment calme, avec un petit sou­rire iro­nique, Ber­nard qui a com­pris, défile : Ruben, Siméon, Lévi, Jud, Issa­char, Zabu­lon, Dan, Neph­ta­li, Gad, Aser, Joseph et Benjamin.

— Oh ! fait Bru­no, plein d’admiration.

Comme si Colette n’exis­tait plus, Ber­nard conti­nue : Savez-vous, les mioches, que dix de ces gaillards ont été de méchants gar­ne­ments. Ils ont trou­vé moyen d’être jaloux de leur petit frère Joseph ; jamais vous ne devi­ne­riez pourquoi ?

Quatre yeux inter­ro­ga­teurs sont plan­tés dans ceux de Bernard…

Enchan­té de son suc­cès, il poursuit :

— Un beau matin, Joseph très sim­ple­ment avait racon­té à ses frères qu’il avait eu de beaux rêves. Il s’é­tait cru trans­por­té dans un champ de blé, au temps de la mois­son, lorsque les gerbes rele­vées attendent, appuyées l’une contre l’autre, qu’on les trans­porte dans les granges.

Chose étrange, les gerbes des frères de Joseph sem­blaient venir s’in­cli­ner devant la sienne ; et puis, autre songe plus extra­or­di­naire encore : il avait vu dans son rêve le soleil, la lune et les étoiles se pros­ter­ner devant lui.

Nicole se tré­mousse sur sa petite chaise.

— Pour­quoi y fai­sait des rêves comme ça ?

— Joseph devait être char­gé d’une grande mis­sion. Le Bon Dieu se ser­vait de ces songes pour le lui faire com­prendre. Ses frères l’ont bien devi­né et, furieux de pen­ser que Joseph devien­drait peut-être plus puis­sant qu’eux tous, ils déci­dèrent de s’en débarrasser.

— Y vont pas le tuer ? réclame Bru­no tout apeuré.

Joseph vendu comme esclave par ses frères— Crois-tu qu’ils y ont pen­sé ! Ruben, le frère aîné, n’a tout de même pas été assez lâche pour le per­mettre ; mais tous ensemble, ils ont ven­du le petit Joseph comme esclave à des mar­chands égyp­tiens. Je vous assure que la mort eût été moins cruelle, car les fils de Jacob connais­saient l’é­pou­van­table escla­vage de ce temps-là.

— J’es­père que leur papa les a beau­coup. beau­coup punis ? Est-ce qu’il les a mis au cachot noir ?

Ber­nard ne peut s’empêcher de rire.

— Non, Nicole, pour une bonne rai­son, c’est que ces méchants gar­çons ont trom­pé Jacob, leur père. Ils ont tué un che­vreau, trem­pé dans son sang la robe de Joseph et por­té cette robe à Jacob, en lui racon­tant que l’en­fant avait été dévo­ré par les bêtes féroces.

— Ils ont men­ti, dit Bru­no avec un air de dédain. Hé bien ! c’é­taient des vilains monsieurs !

Auteur : Par un groupe de pères et de mères de familles | Ouvrage : Histoire Sainte illustrée .

Temps de lec­ture : 10 minutes

IX

Ayant enfi­lé son « bleu », Ber­nard véri­fie avec soin le moteur de l’a­vion. Un peu de graisse ici, un peu d’huile par là, quelques coups de pouce sur les com­mandes, et « ça tourne rond » comme il convient.

Atti­ré par le bruit qui assour­dit son oncle, Bru­no s’est glis­sé fur­ti­ve­ment au han­gar et contemple de tous ses yeux l’Oiseau-Bleu.

Ber­nard monte et des­cend de son échelle, va, vient, sans s’a­per­ce­voir de la pré­sence du petit homme, jus­qu’au moment où, dans un mou­ve­ment de recul, il le heurte brus­que­ment. Alors il gros­sit sa voix pour domi­ner le ron­fle­ment du moteur et lui crie, non sans impatience :

— Que fais-tu là, c’est dan­ge­reux de venir ici sans per­mis­sion. Va-t’en et plus vite que ça !

— Oh ! non. Je bou­ge­rai pas.

— Alors reste en dehors de la porte et laisse-moi travailler.

Bru­no marche à recu­lons vers l’ou­ver­ture et se colle au cham­branle. Pen­dant quelques ins­tants il se tait, puis hasarde :

— Dis, oncle Ber­nard, c’est‑y avec cet oiseau-là que tu es allé en Mésopotamie ?

— Bien sûr que non, c’est avec l’a­vion de mon escadrille.

— C’est‑y un drôle de pays, la Mésopotamie ?

— Pas drôle du tout, de grandes plaines, rien d’ex­tra­or­di­naire, et puis, laisse-moi tranquille !

Mais Bru­no est tenace, cha­cun le sait.

— Pour­quoi qu’on en parle tout le temps dans l’His­toire Sainte ?

— Tiens ! parce que les Hébreux y ont été souvent.

Bernard explique l'histoire de Jacob
— Laisse-moi tranquille !

— Com­bien de fois ?

Ber­nard, grim­pé sur l’es­ca­beau à hau­teur du moteur et fort occu­pé de savantes obser­va­tions, est excé­dé. Il hurle :

— Vas-tu te taire, à la fin ! Com­bien de fois ? est-ce que j’en sais quelque chose ! y a habi­té avec .

Quand son fils fut d’âge à se marier, son ser­vi­teur Élié­zer alla lui cher­cher une femme en Mésopotamie.

— Tu sais le nom de la « dame » ?

Cette fois, Ber­nard, désar­mé, lutte pour ne pas rire :

— Mais oui , la « dame » avait un très joli nom. Elle s’ap­pe­lait .

Un ins­tant de réflexion. Bru­no se demande si ce nom est vrai­ment joli. Oui, déci­dé­ment. Alors il continue :

— Elle était gentille ?

Tant de per­sé­vé­rance mérite tout de même qu’on en tienne compte. Tout en asti­quant son oiseau, Ber­nard consent à raconter :

— Quand Élié­zer est par­ti pour cher­cher une femme pour Isaac, il était bien embar­ras­sé de sa com­mis­sion, car il ne connais­sait per­sonne dans ce pays-là. Aus­si, tout le long de la route, il priait le Sei­gneur de le faire tom­ber juste.

Auteur : Par un groupe de pères et de mères de familles | Ouvrage : Histoire Sainte illustrée .

Temps de lec­ture : 8 minutes

VIII

L’ins­tant d’a­près, les enfants s’en­vo­laient, appe­lés par leur mère, pour se laver les mains avant le dîner, et Ber­nard, un peu son­geur, monologue :

— Ma parole, je découvre mon Ancien Tes­ta­ment en l’ap­pre­nant avec les mar­mots ! Quel carac­tère que ce Père  ! On vou­drait en trou­ver qui lui res­semblent par le temps qui court,… ça nous changerait !

— Tu crois ? dis maman, qui feuillette len­te­ment sa Bible, à la recherche d’un pas­sage. Hé bien ! tiens, lis cette page. Tu seras peut-être encore plus admiratif.

Ber­nard par­court le cha­pitre indiqué.

— C’est épa­tant ! J’a­vais tota­le­ment oublié ça.

— Oublié quoi ? réclame Colette.

— Que , le neveu d’A­bra­ham, pos­sé­dait de vastes terres, que des rois voi­sins les lui avaient volées, qu’A­bra­ham prit les armes, ni plus ni moins, pour déli­vrer Loth pri­son­nier des Ela­mites. Mais ce qui me dépasse, c’est qu’il refuse les richesses du roi de , lequel, ayant béné­fi­cié de sa vic­toire, vou­lait lui en céder une part. Écoute un peu : Abra­ham répond au roi de Sodome : « J’ai éle­vé mes mains vers le Très-Haut. Je ne pren­drai rien de ce qui est à toi, afin que tu ne puisses pas dire : j’ai enri­chi Abraham ! »

Eh bien ! tu sais, des types comme ça, ils sont plu­tôt rares !

Cette conclu­sion inat­ten­due met tout le monde en joie.

Mais Ber­nard ne s’en trouble pas. Il conti­nue… Et, tiens, le Bon Dieu a Lui-même trou­vé que cette atti­tude valait quelque chose, car, après la vic­toire d’A­bra­ham, il a char­gé de le bénir en son nom…

Récit biblique : Melchisédech bénit Abraham

Colette prend un air de mystère :

— Tu ne me ven­dras pas, Ber­nard, mais si je te disais que je n’ai jamais su qui était Melchisédech !

— Et si je te répon­dais que mon igno­rance vaut la tienne !

— Allons, cher­chons et pres­sons-nous, pen­dant que les petits ne sont pas là.

— Tiens, voi­là : Mel­chi­sé­dech, roi de Salem. Tout de même je savais que Salem est la future Jérusalem.

— N’ou­bliez pas, grands enfants que vous êtes, ajoute maman, que ce roi de Salem était en même temps un prêtre choi­si de Dieu pour repré­sen­ter d’a­vance Notre-Sei­gneur Jésus-Christ. Il offrit à Dieu un sacri­fice nou­veau, incon­nu jus­qu’a­lors, celui du Pain et du Vin, image loin­taine du Sacri­fice de la Messe.

— Et tu crois, déclare Ber­nard, solen­nel, en regar­dant Colette, que ça ne vaut pas la peine de relire ça, même quand on est vieux ?

La vieillesse de Ber­nard ! À cette pen­sée, Colette est prise du fou rire. Si bien que les deux petits, qui réap­pa­raissent coif­fés, bros­sés, lavés, demandent :

— Pour­quoi vous riez ?

— Parce que Ber­nard a des manières spé­ciales de racon­ter son His­toire Sainte.

— Oh ! quelles manières, oncle Ber­nard ? Il y a encore un quart d’heure avant le dîner. Dis-nous la fin de l’his­toire d’A­bra­ham. Tu veux bien ?

Et Nicole attrape le cou de Ber­nard et le serre de ses deux petites mains en guise de supplication.

— Si tu m’é­trangles, dit Ber­nard, en fai­sant mine d’é­touf­fer, je serai mort, les morts ne parlent plus.

En un clin d’œil, Nicole se donne une pose assa­gie, Bru­no s’as­sied à la turque sur le sable, et la voix mali­cieuse de Nicole déclare :