Toutes les espérances d’Abrahamreposaient sur son fils Isaac, lorsqu’une nuit, pour éprouver sa foi, le Seigneur demanda à l’heureux père, de lui sacrifier son fils chéri. Fidèle jusqu’à l’héroïsme, le vieux patriarche emmena le jeune homme au lieu désigné. Après trois jours de marche, il laissa en arrière les deux serviteurs et l’âne et s’avança seul avec Isaac vers la montagne du sacrifice. Isaac se laissa lier sur le bûcher et offrir au Seigneur.
Au moment où Abraham allait frapper son fils, un ange arrêta son bras. Se retournant, il aperçut un bélier embarrassé par ses cornes dans un buisson ; il le prit et l’offrit à la place d” Isaac. — « Puisque vous m’avez obéi, dit le Seigneur, toutes les nations de la terre seront bénies par Celui qui sortira de vous ».
Le Seigneur dit à Abraham : « Le péché de Sodome et de Gomorrhe est monté à son comble, je les détruirai ».
— « Mais, dit Abraham, perdrez-vous le juste avec l’impie ? S’il y a cinquante justes, ne pardonnerez-vous pas ? » Il descendit ainsi jusqu’à dix. — « S’il y a seulement dix justes, dit le Seigneur, je ne les perdrai pas ».
Mais les dix justes ne s’y trouvèrent pas et Dieu fit descendre sur ces villes, une pluie de cendre et de feu qui détruisit tout : habitants, animaux et même l’herbe des champs. Cependant, Dieu voulant sauver la famille d’Abraham, commanda à Loth (frère d’Abraham) de fuir avec sa femme et tous les siens, sans se retourner. Mais sa femme se retourna et fut changée en statue de sel.
Le Seigneur dit à Abraham (descendant de Noé) : « Sortez de votre pays et venez en la terre que je vous montrerai : je vous bénirai et tous les peuples de la terre seront bénis en vous. Je ferai croître votre race à l’infini et vous rendrai le chef des nations, des rois sortiront de vous ».
Un jour qu’Abraham était assis à l’entrée de sa tente, il vit venir à lui trois jeunes hommes. Il se prosterna devant eux, les priant de ne pas passer sa Maison. Sara, sa femme fit cuire trois pains sous la cendre pendant que lui allait choisir un chevreau très tendre. Il le fit cuire et leur servit avec du beurre et du lait. En s’en allant, ils prédirent à Sara qu’elle aurait un fils, Isaac.
L’instant d’après, les enfants s’envolaient, appelés par leur mère, pour se laver les mains avant le dîner, et Bernard, un peu songeur, monologue :
— Ma parole, je découvre mon Ancien Testament en l’apprenant avec les marmots ! Quel caractère que ce Père Abraham ! On voudrait en trouver qui lui ressemblent par le temps qui court,… ça nous changerait !
— Tu crois ? dis maman, qui feuillette lentement sa Bible, à la recherche d’un passage. Hé bien ! tiens, lis cette page. Tu seras peut-être encore plus admiratif.
— Que Loth, le neveu d’Abraham, possédait de vastes terres, que des rois voisins les lui avaient volées, qu’Abraham prit les armes, ni plus ni moins, pour délivrer Loth prisonnier des Elamites. Mais ce qui me dépasse, c’est qu’il refuse les richesses du roi de Sodome, lequel, ayant bénéficié de sa victoire, voulait lui en céder une part. Écoute un peu : Abraham répond au roi de Sodome : « J’ai élevé mes mains vers le Très-Haut. Je ne prendrai rien de ce qui est à toi, afin que tu ne puisses pas dire : j’ai enrichi Abraham ! »
Eh bien ! tu sais, des types comme ça, ils sont plutôt rares !
Cette conclusion inattendue met tout le monde en joie.
Mais Bernard ne s’en trouble pas. Il continue… Et, tiens, le Bon Dieu a Lui-même trouvé que cette attitude valait quelque chose, car, après la victoire d’Abraham, il a chargé Melchisédech de le bénir en son nom…
Colette prend un air de mystère :
— Tu ne me vendras pas, Bernard, mais si je te disais que je n’ai jamais su qui était Melchisédech !
— Et si je te répondais que mon ignorance vaut la tienne !
— Allons, cherchons et pressons-nous, pendant que les petits ne sont pas là.
— Tiens, voilà : Melchisédech, roi de Salem. Tout de même je savais que Salem est la future Jérusalem.
— N’oubliez pas, grands enfants que vous êtes, ajoute maman, que ce roi de Salem était en même temps un prêtre choisi de Dieu pour représenter d’avance Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il offrit à Dieu un sacrifice nouveau, inconnu jusqu’alors, celui du Pain et du Vin, image lointaine du Sacrifice de la Messe.
— Et tu crois, déclare Bernard, solennel, en regardant Colette, que ça ne vaut pas la peine de relire ça, même quand on est vieux ?
La vieillesse de Bernard ! À cette pensée, Colette est prise du fou rire. Si bien que les deux petits, qui réapparaissent coiffés, brossés, lavés, demandent :
— Pourquoi vous riez ?
— Parce que Bernard a des manières spéciales de raconter son Histoire Sainte.
— Oh ! quelles manières, oncle Bernard ? Il y a encore un quart d’heure avant le dîner. Dis-nous la fin de l’histoire d’Abraham. Tu veux bien ?
Et Nicole attrape le cou de Bernard et le serre de ses deux petites mains en guise de supplication.
— Si tu m’étrangles, dit Bernard, en faisant mine d’étouffer, je serai mort, les morts ne parlent plus.
En un clin d’œil, Nicole se donne une pose assagie, Bruno s’assied à la turque sur le sable, et la voix malicieuse de Nicole déclare :
Mais, juste à cet instant, le chat de Marianick débouche à nouveau dans le jardin. La vanité de M. Bruno n’y tient pas ; il appelle Nicole et une véritable partie de cache-cache s’engage entre le chaton et ses deux amis.
Nicole saute comme un cabri par-dessus les plates-bandes. Bruno se poste gravement aux passages prévus, en vain. Le chat, souple et rapide, passe entre leurs jambes, et ce sont des cris, des rires qui gagnent les aînés. Pierre est entré dans la course et Colette ne peut s’empêcher de prendre part au jeu, en encourageant les petits ; elle rit aux larmes quand Bruno, fauché par le chaton, tombe assis sur un tas de terreau, qui s’effondre avec lui.
Alors, spontanée comme toujours, Colette se retourne vers sa mère :
— Oh ! les enfants, maman ! Qu’est-ce qu’on ferait dans une maison sans enfants ?
— Je n’y mettrais pas souvent les pieds, dit Bernard en allumant une cigarette. Quel tombeau !
— Et moi je n’imagine pas la vie sans eux, ajoute sa tante. Quand j’ai cru perdre Jean, à Jérusalem, il me semblait que j’allais en mourir. Heureusement que Dieu donne des grâces d’état aux parents, quand leurs enfants sont en danger, sans cela les pauvres mamans deviendraient folles…
Bernard, tout en écoutant, semble suivre avec intérêt la fumée de sa cigarette, et demeure silencieux. Étonnée, maman lui demande :
— À quoi penses-tu ?
— Je me pose une question sans trouver la réponse. Comment expliquerons-nous aux petits, quand il faudra achever de leur raconter la vie d’Abraham, que Dieu ait pu demander à un père de lui sacrifier son fils unique ?
— II y a là, en effet, à leur faire comprendre deux choses bien hautes, aussi belles l’une que l’autre et qu’il ne faut pas séparer. Même à leur âge on peut les leur dire. Il y a d’abord celle-ci : Que Dieu, Créateur de tout, peut aussi disposer de tout. Il est le maître de la vie et de la mort et Il a le droit de nous demander ce qu’Il veut.
Et puis, voici la seconde chose : Dieu ne demande rien, si ce n’est comme un Père infiniment bon, même quand cela paraît le plus dur. Abraham le savait bien. Il n’a pas douté du cœur de son Dieu, il n’a pas douté de ses promesses. Il ne comprenait pas, bien sûr, comment la réalisation de ces promesses pouvait s’accorder avec le sacrifice que Dieu lui demandait, mais il croyait quand même, et sa confiance n’est pas moins admirable que sa soumission.
Pourtant, il y a quelque chose de plus beau encore : C’est la Sainte Vierge, au pied de la Croix, offrant Jésus, son Fils Unique, pour notre salut. Sa soumission est incomparable, comme sa confiance.
Elle aussi croit tout ce qui a été promis. Elle croit, malgré sa douleur inexprimable, que son Fils ressuscitera.
Après cela, il n’est pas étonnant que le Bon Dieu, lorsqu’Il veut accorder de grandes faveurs, demande aux âmes de passer avant par le sacrifice. Et même pour nous, pauvres gens qui nous sentons si faibles en face de la souffrance, tu sais, Bernard, à quel point la foi intrépide et la confiance sans borne peuvent nous donner, à l’heure voulue, le courage héroïque.
Bernard, qui n’a pas cessé de regarder silencieusement évoluer la fumée de sa cigarette, répond seulement :
— Oui, je le sais.
Mais en même temps une petite voix toute proche demande :
— Qu’est-ce que c’est, un courage héroïque ?
Nicole est là, rouge de sueur, se tamponnant le front avec un mouchoir minuscule de couleur indécise ; Pierre et Bruno en font autant, un peu derrière elle, tandis qu’on aperçoit Marianick rentrant à la cuisine, son chat dans les bras.
Maman attire à elle la petite fille.
— Veux-tu un exemple d’héroïsme ? Il est tout trouvé, ma chérie. Assieds-toi là, sur le pliant, et demande à Colette d’achever l’histoire d’Abraham, dont nous parlions à l’instant.
Dédaignant le pliant, Nicole s’installe d’office sur les genoux de Colette, en disant avec une moue irrésistible :
— S’il vous plaît, ma petite Tate ! Je ne sais pas ce que vous avez raconté pendant qu’on jouait, mais vous avez des drôles de figures. Pourtant elle est amusante l’histoire. Tu sais bien ? Abraham attendait la naissance du petit garçon de Sara. Alors il est né ?
— Oui, il est né. Tu t’imagines facilement de quel amour fut entouré cet enfant pour lequel Dieu avait promis tant de belles choses.