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VIII
L’instant d’après, les enfants s’envolaient, appelés par leur mère, pour se laver les mains avant le dîner, et Bernard, un peu songeur, monologue :
— Ma parole, je découvre mon Ancien Testament en l’apprenant avec les marmots ! Quel caractère que ce Père Abraham ! On voudrait en trouver qui lui ressemblent par le temps qui court,… ça nous changerait !
— Tu crois ? dis maman, qui feuillette lentement sa Bible, à la recherche d’un passage. Hé bien ! tiens, lis cette page. Tu seras peut-être encore plus admiratif.
Bernard parcourt le chapitre indiqué.
— C’est épatant ! J’avais totalement oublié ça.
— Oublié quoi ? réclame Colette.
— Que Loth, le neveu d’Abraham, possédait de vastes terres, que des rois voisins les lui avaient volées, qu’Abraham prit les armes, ni plus ni moins, pour délivrer Loth prisonnier des Elamites. Mais ce qui me dépasse, c’est qu’il refuse les richesses du roi de Sodome, lequel, ayant bénéficié de sa victoire, voulait lui en céder une part. Écoute un peu : Abraham répond au roi de Sodome : « J’ai élevé mes mains vers le Très-Haut. Je ne prendrai rien de ce qui est à toi, afin que tu ne puisses pas dire : j’ai enrichi Abraham ! »
Eh bien ! tu sais, des types comme ça, ils sont plutôt rares !
Cette conclusion inattendue met tout le monde en joie.
Mais Bernard ne s’en trouble pas. Il continue… Et, tiens, le Bon Dieu a Lui-même trouvé que cette attitude valait quelque chose, car, après la victoire d’Abraham, il a chargé Melchisédech de le bénir en son nom…
Colette prend un air de mystère :
— Tu ne me vendras pas, Bernard, mais si je te disais que je n’ai jamais su qui était Melchisédech !
— Et si je te répondais que mon ignorance vaut la tienne !
— Allons, cherchons et pressons-nous, pendant que les petits ne sont pas là.
— Tiens, voilà : Melchisédech, roi de Salem. Tout de même je savais que Salem est la future Jérusalem.
— N’oubliez pas, grands enfants que vous êtes, ajoute maman, que ce roi de Salem était en même temps un prêtre choisi de Dieu pour représenter d’avance Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il offrit à Dieu un sacrifice nouveau, inconnu jusqu’alors, celui du Pain et du Vin, image lointaine du Sacrifice de la Messe.
— Et tu crois, déclare Bernard, solennel, en regardant Colette, que ça ne vaut pas la peine de relire ça, même quand on est vieux ?
La vieillesse de Bernard ! À cette pensée, Colette est prise du fou rire. Si bien que les deux petits, qui réapparaissent coiffés, brossés, lavés, demandent :
— Pourquoi vous riez ?
— Parce que Bernard a des manières spéciales de raconter son Histoire Sainte.
— Oh ! quelles manières, oncle Bernard ? Il y a encore un quart d’heure avant le dîner. Dis-nous la fin de l’histoire d’Abraham. Tu veux bien ?
Et Nicole attrape le cou de Bernard et le serre de ses deux petites mains en guise de supplication.
— Si tu m’étrangles, dit Bernard, en faisant mine d’étouffer, je serai mort, les morts ne parlent plus.
En un clin d’œil, Nicole se donne une pose assagie, Bruno s’assied à la turque sur le sable, et la voix malicieuse de Nicole déclare :