La Cloche d’argile

| Ouvrage : La semaine de Suzette .

Temps de lec­ture : 7 minutes

Conte de Pâques

Histoire pour la fête de Pâques, racontée aux enfants

Dans une petite ville du moyen âge, aux rues étroites, aux toits poin­tus, vivait, il y a bien long­temps, la fille d’un humble potier. On l’ap­pe­lait Jac­quotte la sérieuse, car, bien qu’elle n’eût que douze ans, elle ne son­geait pas à jouer comme les autres petites filles mais pas­sait ses jour­nées dans l’a­te­lier de son père, à recueillir les débris d’ar­gile qui tom­baient du tour du potier ; elle les pétris­sait dans ses mains, puis, avec des outils de cise­leur que son père lui avait fabri­qués sur sa prière, elle tra­çait dans la pâte molle des guir­landes de fleurs, des fruits, des oiseaux, et toutes les figures que lui ins­pi­rait sa fan­tai­sie. Un jour, le bruit se répan­dit que le sei­gneur de la ville avait déci­dé d’of­frir une à l’é­glise. Comme il la vou­lait très belle, tous les maîtres cise­leurs étaient invi­tés à concou­rir pour sa déco­ra­tion : les pro­jets devaient être expo­sés sur la place publique le jour du ven­dre­di saint, et le peuple assem­blé serait juge.

Jac­quotte, quand elle apprit cela, fut sai­sie d’une sorte de fièvre.

— Père, sup­pliait-elle, faites-moi une cloche d’ar­gile, pour que j’es­saie de la décorer.

— Y songes-tu ? répon­dit en riant le potier. Tu vou­drais concou­rir, mau­viette, avec des arti­sans qui ont du poil au menton !

Pour­tant, il finit par céder aux larmes de sa fille, et se mit à l’ou­vrage, tout en haus­sant les épaules. Mais il avait tant tar­dé que la cloche ne fut ache­vée que le soir du jeu­di saint.

— Allons dor­mir, main­te­nant, dit-il à Jac­quotte. En te levant de bonne heure, tu auras encore le temps d’être prête pour le concours, et il dis­si­mu­la un sou­rire dans sa barbe.

Jac­quotte alla se cou­cher sans répli­quer. Mais, quand tout le monde fut endor­mi, elle se leva sans bruit et gagna l’a­te­lier de son père.

Jacquotte s'entraine à ciseler l'argile

La cloche d’ar­gile était là, posée sur l’é­ta­bli ; un rayon de lune entrait par la fenêtre ouverte et l’é­clai­rait en plein, haute comme une cloche de cathé­drale, avec les anses pour la pendre et l’an­neau, et le bat­tant. II faut que je me hâte, pen­sa Jac­quotte, pour avoir fini de la déco­rer demain matin. Elle prit ses outils et com­men­çait à tra­cer un fes­ton sur le bord d’ar­gile, lors­qu’un bruit étrange lui fit lever la tête. L’air s’emplissait de sono­ri­tés incon­nues, qui s’en­flaient, s’en­flaient ; cela finit par for­mer une mélo­die cadencée :

— Viens donc, viens donc ! nous par­lons, nous par­tons. Nous allons à Rome…

Les cloches ! mur­mu­ra Jac­quotte. Les cloches de , qui partent pour Rome… Et sou­dain, elle sen­tit la cloche d’ar­gile fré­mir et s’agiter.

— Ne t’en va pas, s’é­cria-t-elle en l’en­tou­rant de ses bras. Ne va pas avec elles ; reste avec moi !

La cloche vacillait, comme prête à tom­ber. Et tout d’un coup, elle s’en­vo­la par la fenêtre, empor­tant Jac­quotte qui n’eut que le temps de s’as­seoir entre les deux anses, pour n’être pas pré­ci­pi­tée. Tout de suite, elle se trou­va en plein ciel, sous les étoiles, au milieu d’un vol de cloches ; il y en avait de toutes les dimen­sions, et elles accou­raient de tous les points de l’ho­ri­zon, en jacas­sant à pleine voix. Il est heu­reux que ma cloche soit muette, pen­sa Jac­quotte, s’il me fal­lait être assise sur une de ces bavardes, elle me ren­drait sourde ! Elle trou­vait cette façon de voya­ger tout à fait agréable, et riait de sen­tir le vent cou­rir dans ses che­veux. Bien­tôt, les cloches qui volaient les pre­mières se mirent à chan­ter : Rome ! Rome !

Les cloches de Pâques allant à Rome

— Rome ! répé­ta Jac­quotte ; il faut que je regarde bien, car jamais sans doute je ne recom­men­ce­rai un pareil voyage. Elle s’a­per­çut alors qu’elle avait conser­vé ses outils en main et elle se mit à tra­cer sur l’ar­gile, pour n’en pas perdre le sou­ve­nir, toutes les mer­veilles qu’elle voyait : le ciel étoi­lé, la ronde des cloches, et, tout en bas, la ville aux douze portes et aux sept col­lines. Peu à peu cepen­dant, la fatigue la gagnait : elle sen­tait ses yeux se fer­mer mal­gré elle et les outils s’é­chap­per de ses mains. Je vais tom­ber, pen­sa-t-elle, si je m’en­dors. Et elle pria :

— Chère cloche, ren­trons à la mai­son, main­te­nant que nous avons vu Rome…

La cloche obéit, sans doute, car Jac­quotte voyait les autres s’é­loi­gner, deve­nir toutes petites, petites, se perdre dans le brouillard. Rome avait dis­pa­ru ; il n’y avait plus rien qu’un ciel tout gris où Jac­quotte se sen­tait empor­tée d’un mou­ve­ment très doux. Tout à coup il lui sem­bla qu’elle tou­chait terre, et une voix lui dit, près d’elle :

— Jac­quotte ! que fais-tu là ?

Elle ouvrit les yeux et recon­nut l’a­te­lier de son père, éclai­ré par le petit jour, et son père lui-même qui lui tou­chait l’épaule :

— En voi­la une idée, bou­gon­nait-il, d’al­ler dor­mir sur mon éta­bli, avec une cloche pour oreiller !

Jac­quotte se frot­tait les yeux ; était-ce pos­sible qu’elle eût rêvé ? Elle regar­da la cloche, et pous­sa un cri de joie :

— Ce n’é­tait pas un rêve. Regar­dez, père !

Le bon­homme se retour­na et res­ta stupéfait.Qui a fait cela ? deman­da-t-il en dési­gnant la cise­lure mer­veilleuse qui cou­rait sur l’argile.

La fillette et la cloche ciselée au retour de Rome pour la fête de Pâques

— C’est moi, répon­dit fiè­re­ment Jac­quotte, et elle mon­trait ses mains et ses outils encore souillés de terre.

Il y a du miracle la-des­sous, mar­mot­ta le potier quand la petite fille eut racon­té son aven­ture ; et il se lais­sa per­sua­dé de por­ter la cloche sur la place publique, avec les modèles des maîtres cise­leurs. Ce ne fut qu’un cri d’ad­mi­ra­tion quand on vit paraître la cloche d’ar­gile. Elle fut consa­crée comme un chef-d’œuvre, et le sei­gneur ordon­na que modèle en fût pris pour la cloche d’argent qu’il vou­lait offrir à l’église.

Jac­quotte la sérieuse devint par la suite un maître cise­leur. Mais quand on par­lait devant elle de son pre­mier chef-d’œuvre et qu’on sou­te­nait qu’elle l’a­vait fait en rêve, elle hochait la tête en sou­riant, car toute sa vie elle gar­da la cer­ti­tude qu’elle avait réel­le­ment accom­pli le voyage à Rome en com­pa­gnie des cloches de Pâques.

La semaine de Suzette, 1925
Illus­tra­tion de René Gif­fey

Source : www.bd-anciennes.com

Coloriage catéchisme Jésus est vraiment ressuscité Alleluia

2 Commentaires

  1. Julien a dit :

    Je viens de voir que vous avez reco­pié inté­gra­le­ment l’ar­ticle que nous avons mis sur le blog de bd-anciennes.com « cloches de pâques de René Gif­fey » avec les mêmes images, et sans même avoir la cour­toi­sie de faire un lien sur le blog où vous avez pris l’histoire…

    4 mars 2021
    Répondre
    • Le Raconteur a dit :

      Bon­jour,
      Je vous prie d’ac­cep­ter mes excuses ; je viens d’a­jou­ter le lien vers votre article.

      Le racon­teur

      4 mars 2021
      Répondre

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