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Temps de lecture : 15 minutesC’était à Tibériade, la ravissante ville qui mirait ses palais, ses maisons, ses palmiers, dans l’eau pure du plus beau des lacs. Parmi les bandes d’enfants qu’on voyait chaque jour jouer sur la rive, comme ont toujours fait les enfants de tous les pays et de tous les temps, à lancer de fragiles esquifs sur les courtes vagues, ou à bâtir des châteaux avec du sable, l’un d’eux, depuis quelques mois, se faisait remarquer par son air étrange, grave et méditatif, bien surprenant chez un petit garçon de six ans.
Il s’appelait Martial, ce qui était un nom latin, bien que ses parents fussent d’excellente race juive, de la célèbre tribu de Benjamin. Mais son père avait servi dans les troupes auxiliaires de Rome et quand son fils était né, il avait voulu qu’il portât le nom d’un de ses compagnons de combats. Martial avait été élevé comme tous les petits garçons de son temps, c’est-à-dire fort librement. Il lui arrivait souvent, malgré son jeune âge, de partir dans la campagne, en compagnie de sa chevrette familière qui le suivait partout, et de s’en aller dans quelque belle prairie au-dessus du lac, passant des heures à cueillir des fleurs, à regarder un vol de flamants rosés tourner en criant dans le grand ciel bleu ou encore à se chanter pour lui-même de belles chansons qu’il ne répétait à personne, car personne n’aurait pu le comprendre…
Or, un jour qu’il était allé chercher des anémones — de magnifiques anémones d’un rouge sombre, au cœur violet, comme il s’en cachait dans les creux de rochers qu’il connaissait, — Martial avait fait une rencontre. Il venait de grimper sur un monticule, à quatre pattes, sa petite chèvre blanche bondissant, plus leste, à côté de lui, quand, à dix pas peut-être, il avait vu un homme, tout seul, immobile, qui se tenait les bras levés,comme en prière,et la tête tendue vers le ciel. Un instant, l’enfant était demeuré immobile, considérant attentivement l’inconnu.
Puis l’homme avait baissé la tête ; ses bras étaient retombés doucement et, à ce moment, son regard s’était posé sur Martial et, en silence, l’avait fixé. Quel regard!… Jamais l’enfant n’avait parlé à quiconque de cette rencontre, même à sa mère ou à son père. Jamais il n’avait raconté ce qui s’était passé lorsque l’inconnu lui avait fait signe d’avancer et qu’il était allé vers lui. Jamais il n’avait répété les paroles qu’il avait entendues.
Mais c’était depuis cette rencontre que Martial était mystérieusement grave, comme s’il portait dans son jeune cœur un secret immense, une image à laquelle il ne cessait de penser.
Le printemps était là, le merveilleux printemps de Palestine, tout empli d’air léger, de jeune soleil, de chants d’oiseaux. La vigne en fleurs exhalait son parfum et l’on entendait retentir dans les sycomores le roucoulement des tourterelles et des pigeons.
Dans la bande des garçons qui jouaient au bord du lac, tout heureux de barboter, pieds nus, dans l’eau si douce, les aînés parlaient beaucoup d’une histoire qu’ils avaient entendu raconter par leurs pères et qui les surexcitait fort. Ne disait-on pas qu’un prophète était apparu ? Oui, un prophète, un de ces hommes étranges, extraordinaires, que Dieu avait envoyés maintes fois à son peuple, — ainsi qu’on l’apprenait à l’école de la synagogue, — pour l’avertir, le conseiller ou le consoler. Il y avait cependant bien des années, des centaines d’années, qu’il n’avait pas été question de prophètes. Portait-il des vêtements faits de peaux de bête ? Le Seigneur lui avait-il purifié les lèvres avec un charbon ardent ? Ou, comme le grand Élie, se promenait-il dans le ciel sur un char de feu ? Car ces enfants, qui apprenaient à lire dans la Bible, connaissaient à merveille tous les épisodes du Livre Saint.
En tout cas, il avait fait des miracles, c’était certain. Il avait guéri la mère d’un des pêcheurs du lac, que tous connaissaient, le bon Simon, celui qui avait la grande barque à dix rames. Et à Capharnaüm, tout près de là, on racontait qu’un officier romain était allé le trouver pour le supplier de sauver son serviteur atteint d’une grave fièvre et que, sans même voir le malade, de loin, d’un seul mot, il l’avait remis debout. Ainsi, dans ces jeunes âmes, l’histoire du Nouveau Prophète éveillait-elle une curiosité ardente.
Aussi quand, un matin, la petite Rébecca, qui savait toujours tout, — curieuses, les filles le sont encore plus que les garçons, — accourut sur la plage en criant : « Il est là ! Je le sais ! Il est dans le champ là-haut, assis avec ses amis, dans les asphodèles. Et il parle…», pas un des enfants n’hésita une seconde à comprendre de qui il s’agissait. À toutes jambes, comme un vol d’alouettes, ils s’élancèrent, montant le chemin caillouteux que