Temps de lecture : 2 minutesJésus avait enseigné l’humilité ; mais il voulait nous en donner un exemple stupéfiant. En Orient, laver les pieds de quelqu’un est réservé aux serviteurs ; bien plus, après, on baise les pieds qu’on a lavés !… Jésus baisant les pieds de Judas !… Jésus se mit donc à genoux devant ses…
Étiquette : <span>Jeudi Saint</span>
MALGRÉ le froid d’une matinée de mars, un groupe de gamins jouait à la balle devant les grilles des jardins du Louvre. Ils étaient vêtus de façon insuffisante mais ne semblaient pas s’en soucier, ni sentir le vent qui balayait la place avec de brusques rafales. D’ailleurs, à regarder leurs visages hâlés, leurs membres agiles, on devinait que ce n’était point des enfants habitués à être dorlotés et à craindre les écarts de température.
Tout autre paraissait un garçon d’une dizaine d’années, assistant au jeu en spectateur, derrière les grilles du Louvre. Sa petite figure pâle s’encadrait de boucles blondes, ses jambes étaient minces et ses mains fines comme celles d’une fille. Il était vêtu à la mode de cette année 1612 : pourpoint de velours bleu, col de dentelle et bas de soie blanche. Certainement, il faisait partie de la cour royale habitant le vaste et sévère palais.

Il suivait attentivement le jeu des autres, mais ne souriait pas et gardait un air de profonde mélancolie. À un moment, la balle lancée avec violence, dépassa son but et, passant entre deux barreaux, frôla la tête du petit seigneur avant de retomber à ses pieds. Dépités, les joueurs se ruèrent vers les grilles.
— Elle est là ! cria l’un d’eux, la désignant du doigt.
— Oui, mais elle est perdue pour nous, riposta le second.
— Pas si sûr, voici quelqu’un qui va nous la rendre. Eh ! petit, lance-nous notre balle !
L’interpellé ne broncha point.
— Es-tu sourd, marmouset ?
— C’est à moi que vous parlez ? laissa tomber dédaigneusement l’enfant blond.
— Évidemment, puisque tu es seul. Dépêche-toi de nous rendre notre balle.
Pour toute réponse, le jeune seigneur tourna les talons et s’éloignait déjà lorsque Benoît, le chef de la bande, furieux, trépignant, s’accrocha aux barreaux :
« Dieu a tant aimé le monde qu’Il
a donné son Fils unique ».
Jean s’éveilla, le lendemain matin, tout surpris de ne pas entendre la voix aigre de la mère Mathieu lui ordonner de se lever et, comme déjà le soleil printanier inondait sa chambre, il se dit qu’il ne serait pas à la gare, à l’heure de l’arrivée des journaux… Mais la porte s’ouvrit, et la vieille bonne entra, avec un bon sourire.
Quelle joie ce fut pour l’enfant de faire une toilette soignée, de mettre du linge et des vêtements propres. Madame Lagarde vint chercher Jean : dans un joli geste affectueux, l’enfant lui sauta au cou, comme s’il était redevenu le petit Jeannot qu’une mère tendre couvrait jadis de baisers.

— Cher petit, dit Madame Lagarde, en embrassant l’enfant, comme tu me rappelles le fils que j’ai perdu à la guerre et dont tu as, cette nuit, occupé la chambre…
Elle emmena Jean dans la salle à manger, et, pendant qu’il déjeunait, l’informa de ses projets, pour la journée.
— Ce matin, tu travailleras.
— J’irai vendre des journaux ?
Temps de lecture : 9 minutes« Grand’mère ! grand’mère ! m’écriai-je, voici le marchand de gâteaux : viens vite ! j’ai été sage. »
J’entendais en effet au loin, dans la rue du village, la claquette du pâtissier ; et il ne venait pas lentement comme chaque jour ; comme chaque jour, il ne s’arrêtait pas de porte en porte ; la claquette, aux battements si mal assurés d’ordinaire, n’alternait plus avec le cri tremblotant du bonhomme ; elle frappait fort et sans cesse. Les petits gâteaux venaient droit à moi, leur plus constant ami, et je me disais tout joyeux : « Nul ne les arrête au passage, nul ne me prendra celui que je préfère »
Mais à mesure que le bruit approchait, un doute cruel grandissait dans ma tête : mon vieux marchand n’avait ni une démarche aussi précipitée, ni un bras aussi ferme. « Mon Dieu, me disais-je, si ce n’était pas lui ! ne viendrait-il plus ? serait-ce maintenant un autre à sa place, et à la place de mes bons petits gâteaux dorés, les mauvais gâteaux de tout le monde ? »
Il me prenait envie de bouder les nouveaux venus ; et cependant, c’étaient toujours des gâteaux : ils approchaient… je les sentais venir… « Grand’mère ! grand’mère ! » et, traversant la cour à la hâte, je me lançai hors du logis.
Hélas ! mon bonheur avait été trop grand pour ne pas cacher une déception cruelle : Point de gâteaux ! point de marchand jeune ou vieux !… Un enfant de chœur en costume, portant une immense crécelle, parcourait la rue en s’arrêtant un instant à chaque porte ; et soit qu’il rendît hommage à mon aïeule, soit qu’il voulût ajouter le sarcasme à la mystification, il fit devant moi sa pause la plus longue et son tapage le plus acharné.
Je rentrai au logis, trépignant de rage, et j’allai me jeter dans les bras de ma grand’mère.
« Le méchant, m’écriai-je, il l’a fait pour se moquer de moi ! »
Et je me mis à verser de grosses larmes.
« Cher petit ! me dit mon aïeule, en tirant de son grand sac un bonbon qui me calma soudain, — l’enfant de chœur ne pensait pas à toi ; oublies-tu donc que nous sommes au jeudi saint ? Nous n’avons plus de cloche, il venait nous annoncer l’heure des vêpres.
— Comment, grand’mère, plus de cloche ? je l’ai entendue Ce matin…
— Ce matin ; mais ce soir elle s’en est allée.
— Où donc, grand’mère ?
— À Rome, mon enfant.
— À Rome !… Et pourquoi ?
— Parce qu’elle y va chaque année le jeudi saint.
— Et pourquoi,faire ?
— Ah ! bien des choses. Elle va voir le saint-père.
— Et les autres ?
— Comment les autres ?
— Les cloches de la ville, celles des autres églises ?
— Elles y vont aussi.
— Quoi, toutes ?
— Oui, toutes.
— Oh ! grand’mère ! dis-je en souriant.… Mais, ajoutai-je avec inquiétude, quand reviendront-elles ?
— La veille de Pâques, à midi, et elles sonneront bien fort pour rattraper le temps perdu.
— Oh ! tant mieux ! je pourrai reconnaître le marchand de gâteaux. »
Et ma grand’mère, achevant d’essuyer mes larmes par un gros baiser, me prit par la main et m’emmena à vêpres.
Temps de lecture : 7 minutesJoël réfléchissait.
« Déjà, se disait-il, toute la ville retentit de tambourins et de flûtes. Déjà, les fours cuisent le pain sans levain, et partout on tue les agneaux que l’on fera rôtir. Demain, c’est la Pâque, la plus grande et la plus joyeuse de nos fêtes. Il faut aujourd’hui que je fasse quelque chose d’exceptionnel. Ce ne peut pas être un jour comme les autres. »
Et Joël, mâchonnant une brindille, tournait en rond sur la terrasse de la maison, au grand soleil. Autour de lui, les innombrables toits de Jérusalem s’étendaient, dominés par des tours. On entendait la sourde rumeur de la ville en fête.
Le garçon descendit et alla trouver son père.
« Père, lui dit-il, confiez-moi un travail que je n’ai pas l’habitude de faire… Tenez, ma mère est très occupée aujourd’hui. Donnez-moi à porter la plus grosse des jarres. Je vais aller chercher de l’eau à sa place. »
Le père Michaël se mit à rire.
« Tu veux donc que tout le monde se moque de toi ? Tu sais bien que puiser l’eau est un travail de femme. Que dira-t-on quand tu arriveras à la fontaine ? On te prendra pour un fou. Ça ne s’est jamais vu !
— Peut-être, répliqua le garçon. Mais je veux rendre service à ma mère. Si cela me coûte quelques moqueries, tant mieux. Je n’en serai que plus heureux. Rendre service, cela a beaucoup plus de valeur quand c’est difficile ! »
Haussant les épaules, Michaël acquiesça et permit à son fils de s’en aller vers la fontaine, la lourde cruche sur le dos.
* * *
… Ce fut un joli succès pour Joël. Les passants le montraient du doigt. Faire un travail de femme ! Était-ce raisonnable pour un grand gaillard comme lui ? Mais le garçon n’en avait cure. Il remplit sa jarre, au milieu des quolibets, et péniblement, l’échine ployée sous son fardeau, remonta les ruelles en escalier, laissant derrière lui une longue trace de gouttelettes que le pavé brûlant avait tôt fait d’absorber.
Il avait déjà parcouru la moitié du chemin, lorsqu’il croisa deux hommes, des Galiléens. Ceux-ci regardèrent Joël, puis, après s’être murmuré quelque chose à voix basse, se mirent à le suivre. Le garçon les surveillait du coin de l’œil.
« Que me veulent-ils, ces gens-là ?… Ils marchent derrière moi depuis la place aux oliviers… Ce ne sont pas des malfaiteurs, pourtant, mais… Bah ! Après tout, si ça les intéresse de me voir porter ma cruche !… »
Il pénétra dans la maison de son père et déposa le récipient dans un angle de la cour. Des coups heurtaient la porte. Michaël alla ouvrir. Les deux étrangers étaient là.
« La paix soit sur toi, dit le plus âgé. Je me nomme Simon-Pierre, et voici Jean, mon compagnon. Le Maître nous a envoyés en disant : Vous rencontrerez un homme qui portera une cruche d’eau. Nous l’avons vu et suivi, et nous venons te demander, de la part du Maître, où est le lieu où Il doit manger la Pâque avec ses disciples.