« Dieu a tant aimé le monde qu’Il
a donné son Fils unique ».
Jean s’éveilla, le lendemain matin, tout surpris de ne pas entendre la voix aigre de la mère Mathieu lui ordonner de se lever et, comme déjà le soleil printanier inondait sa chambre, il se dit qu’il ne serait pas à la gare, à l’heure de l’arrivée des journaux… Mais la porte s’ouvrit, et la vieille bonne entra, avec un bon sourire.
Quelle joie ce fut pour l’enfant de faire une toilette soignée, de mettre du linge et des vêtements propres. Madame Lagarde vint chercher Jean : dans un joli geste affectueux, l’enfant lui sauta au cou, comme s’il était redevenu le petit Jeannot qu’une mère tendre couvrait jadis de baisers.
— Cher petit, dit Madame Lagarde, en embrassant l’enfant, comme tu me rappelles le fils que j’ai perdu à la guerre et dont tu as, cette nuit, occupé la chambre…
Elle emmena Jean dans la salle à manger, et, pendant qu’il déjeunait, l’informa de ses projets, pour la journée.
— Ce matin, tu travailleras.
— J’irai vendre des journaux ?
— Mais non, tu ne vendras plus de journaux, je vais te mener à un vieil instituteur qui veut bien t’apprendre à lire et à écrire.
— Quelle chance ! dit Jean. Après j’irai en classe ?
— Certainement, mais comme on ne peut pas te mettre avec les tout petits, il faut que tu saches lire et écrire, pour pouvoir suivre au moins les enfants de six à sept ans.
Jean rougit :
— J’ai huit ans, dit-il.
— Je le sais bien, mais tu n’es jamais allé en classe, ce n’est pas ta faute.
Quelques instants après, Jean était assis en face d’un vieux maître qui n’avait jamais eu, devant lui, un élève plus attentif.
Les trois premiers jours de la Semaine Sainte se passèrent ainsi : Jean, déjà, distinguait ses lettres et l’on pouvait espérer qu’avant un mois il lirait couramment.
Le Mercredi Saint, au soir, Madame Lagarde emmena l’enfant à l’église.
Ce n’était pas la brillante illumination du dimanche des Rameaux, mais une demi-obscurité destinée à rappeler les ténèbres qui couvrirent la terre quand Jésus expira. L’office, d’ailleurs, s’appelait « ténèbres », comme l’expliqua Madame La garde à l’enfant attentif.
Dans le chœur, un chandelier à trois branches, portant quinze cierges de cire jaune, éclairait faiblement. Ces lumières brillent, en souvenir de ceux qui ont cru en Jésus-Christ, Fils de Dieu. Les prêtres chantaient des psaumes et à la fin de chaque psaume, un enfant de chœur se levait et éteignait un cierge. Jean se demanda pourquoi, et sa protectrice lui dit tout bas que chaque lumière qui disparaissait, devait faire penser à la mort d’un serviteur de Dieu.
Bientôt, il ne resta plus qu’une lumière, elle représentait, celle-là, Dieu qui ne meurt pas, mais un enfant de chœur alla cacher ce cierge derrière l’autel, pour montrer que Jésus-Christ, crucifié par les méchants, demeura trois jours dans le tombeau. On chanta encore un psaume, puis tout se tut et Jean sentit que son cœur s’arrêtait de battre comme s’il avait assisté à la mort d’un Dieu.
Tout à coup, un grand bruit retentit et l’enfant vit, avec étonnement, les enfants de chœur taper sur les bancs avec leurs livres. Il s’attendait à voir gronder ces garçons tapageurs, mais pas du tout, les prêtres les regardaient avec indulgence, et comme l’office s’achevait, Madame Lagarde put expliquer à l’enfant que ce vacarme était destiné à rappeler le grand bruit qui remua la terre au moment de la mort du Fils de Dieu.
Il était temps, d’ailleurs, de préparer Jean aux cérémonies des jours suivants, et la charitable dame passa le reste de la soirée à lui raconter les derniers moments de la vie du Christ.
Elle lui dit comment, le Jeudi Saint, Notre-Seigneur étant à table avec ses douze apôtres, prit du pain, le bénit, et le partagea entre ses amis en disant : « Prenez et mangez, ceci est mon corps. » Elle conta ensuite à Jean de plus en plus attentif que le Christ ayant béni le vin, l’avait fait boire à ses apôtres, en disant : « Buvez-en tous, car ceci est mon sang. »
Puis elle essaya de faire comprendre à l’enfant que parce que Jésus avait dit : « Faites ceci en mémoire de moi », tous les prêtres qui tiennent la place de Dieu faisaient, chaque jour, du pain et du vin, le Corps et le Sang de Jésus-Christ. Et ce Pain, hommes, femmes et enfants le mangeaient et recevaient, dans leur cœur, Dieu Lui-même.
— Je voudrais Le recevoir, dit Jean, qui écoutait les yeux ravis.
— Si tu avais vécu il y a près de deux mille ans, dit Madame Lagarde, en souriant, tu aurais communié, c’est-à-dire reçu le Bon Dieu quand tu n’avais encore que quelques mois. À ce moment-là, on faisait boire le sang du Christ aux tout petits bébés. On était sûr, au moins, qu’ils n’avaient pas encore fait le mal.
— Moi j’ai fait le mal, dit tristement Jean.
— Vraiment ?
— Oh oui ! Un jour, j’ai dit à la mère Mathieu qu’elle était méchante, et un autre jour, j’ai envoyé un coup de poing à un gamin, qui voulait prendre ses sous à Marie.
— Quand tu te prépareras à ta Première Communion, — bientôt j’espère, — dit Madame Lagarde, tu te confesseras, c’est-à-dire que tu demanderas pardon de tout cela et le Bon Dieu te pardonnera, Il est si bon !
— Je ne le ferai plus, dit Jean, et quand, le lendemain, Madame Lagarde l’emmena visiter les reposoirs, il ne désirait plus que voir à l’église, la blanche Hostie, où Dieu habite.
Il fut déçu, car s’il y avait, sur l’autel, beaucoup de fleurs et de lumières, le Bon Dieu demeurait invisible. On eut beau expliquer à l’enfant que l’Hostie sainte était cachée, sous un drap d’or, comme Jésus avait été caché, dans le tombeau, il demeura tout triste, et Madame Lagarde hésitait presque à lui raconter la fin de la Passion, c’est-à-dire des souffrances du Christ. Ce fut Jean lui-même qui, le Vendredi-Saint, après avoir vu, à l’église, les tabernacles ouverts et les lumières éteintes, supplia sa grande amie de lui dire comment Jésus était mort.
— Mon pauvre petit, dit Madame Lagarde, il y a toujours eu des gens méchants et jaloux qui détestaient ceux qui étaient bons et doux.
— Qui c’étaient, ces méchants ?
— C’étaient, d’abord, ceux qui gagnaient beaucoup d’argent en vendant dans le temple de Jérusalem. Ceux-là, lorsque Jésus, en arrivant à Jérusalem, était monté au Temple pour y enseigner à la foule, Il les avait chassés avec un fouet.
— Comme il avait bien fait !
— Sans doute, mais ces gens Le détestèrent. Et puis, parce que le Christ avait souvent parlé du royaume des Cieux, les Juifs croyaient qu’Il voulait être Roi sur la terre.
— Ils étaient bêtes…
— Oui, ils l’étaient, mais ils avaient tellement peur que quelqu’un soit au-dessus d’eux qu’ils ne pensèrent plus qu’à faire mourir le Maître.
— Et ses Apôtres ne Le défendaient pas ?
— Hélas ! mon pauvre petit, parmi eux aussi il y en avait un qui aimait l’argent : celui-là, nommé Judas, promit aux Juifs de leur livrer son Maître si on lui donnait trente pièces d’argent.
— Oh ! dit Jean, si je l’avais connu, je l’aurais fait mettre en prison.
— C’est lui, malheureusement, qui fit arrêter Jésus. Il vint dans un beau jardin, le jardin des Oliviers où le bon Maître avait passé la nuit en prières : Judas était suivi de gens armés d’épées et de bâtons.
— Mais, ces gens ne Le connaissaient pas, le bon Jésus, il a fallu que le méchant Judas le leur montre ?
— Il a fait plus, mon enfant, il s’est approché de Notre-Seigneur et l’a embrassé en disant : « Je vous salue, Maître. » Alors, les gens armés ont mis la main sur Jésus et l’ont arrêté. Un des amis de Jésus tira son épée pour Le défendre, mais le Maître l’obligea à la remettre au fourreau en disant : « Quiconque se servira de l’épée, périra par l’épée. »
Voilà donc Jésus trahi par un des siens. Ah ! mon enfant, il y a eu, de tous temps, des crimes bien affreux, mais aucun n’a jamais dépassé en horreur ce baiser de Judas.
— Oh ! oui, c’était méchant, mais puisque le Bon Jésus est arrêté, il faut Le mener devant le juge, et le bon juge dira qu’Il n’a rien fait.
Madame Lagarde regarda tristement l’enfant naïf qui croyait à la justice humaine :
— On Le mena devant deux juges, dit-elle ; d’abord devant Caïphe, le grand-prêtre, puis devant Pilate, le gouverneur de Jérusalem.
— Et qu’est-ce qu’ils Lui ont demandé ?
— Caïphe Lui demanda de lui dire s’Il était le Fils de Dieu et Jésus répondit : « Vous l’avez dit. » Pilate Lui demanda : « Êtes-vous le Roi des Juifs ? » Et Jésus répondit encore : « Vous l’avez dit. » Puis, Il ne parla plus.
Alors, Pilate, qui voyait bien que Jésus n’était pas coupable, demanda au peuple quel prisonnier devait être délivré à l’occasion de la Pâque[1]. La femme de Pilate avait eu un rêve qui l’avait fort effrayée, et elle avait supplié son mari de ne pas se mêler de l’affaire de ce Juste. En demandant au peuple qui il fallait délivrer, Pilate espérait qu’on réclamerait la délivrance de Jésus.
— Et on ne la demanda pas, dit Jean, indigné ?
— Hélas ! non, le peuple préféra voir délivrer un voleur de grand chemin, qui s’appelait Barrabas.
— Oh ! et Pilate les laissa faire ?
— Pilate fit ce qu’après lui, ont fait tous les lâches : il ne voulut pas s’en occuper ; il se lava les mains devant le peuple, en disant : « Je suis innocent du sang de ce juste. » Et la foule cria : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants. »
C’est depuis, que, lorsqu’on veut parler de gens qui n’ont pas le courage de s’opposer au mal, on dit d’un ton méprisant : « Oh ! eux, ils s’en lavent les mains. »
— Mais qu’est-ce que faisaient donc les Apôtres, pendant tout ce temps ?
— Ils se cachaient, mon enfant ; un seul, Pierre, avait suivi de loin son Maître et s’était assis, avec les serviteurs, dans la cour du grand-prêtre. Une servante vint et lui dit : « Vous étiez aussi avec Jésus le Galiléen ? » Et il répondit : « Je ne sais ce que vous dites. »
— Oh ! le menteur, dit Jean.
— Il était lâche, plutôt, mon enfant, il avait peur, comme nous avons tous peur à certains moments, et, pour sauver notre vie, nous sommes tous capables d’un mensonge.
— Je ne mentirai jamais, dit Jean. Et, alors, on va le faire mourir, le Bon Jésus ? Et comment va-t-on faire ?
— Ce fut bien long, mon enfant. D’abord, on Lui enleva ses vêtements, et on Le frappa avec des verges, jusqu’à ce que le sang coulât ; puis on L’insulta, on Lui cracha au visage, et on Lui mit une couronne d’épines, pour se moquer de ce Royaume dont II parlait, quand les Juifs l’écoutaient, sans Le comprendre.
Jean pleurait.
— Les méchants ! dit-il. Et Lui, le Bon Jésus, qu’est-ce qu’Il disait, pendant tout ce temps ?
— Il se taisait, mon enfant, car Il pensait à nous, à tous les hommes, dont, par ses souffrances, Il effaçait les fautes.
— Il pensait à nous ? à moi aussi, dit Jean.
— À toi, mon enfant, aux plus petits, aux plus faibles d’entre nous. Puis, on décida qu’il était temps de Le faire mourir, et on Lui fit porter sur les épaules, une lourde croix.
— Pourquoi faire, une croix ?
— Tu vas le savoir, mon petit. Chargé de cette croix, on Le fit monter sur une montagne. Il était tellement affaibli par ses souffrances, et la croix était si pesante, qu’Il tomba trois fois.
— J’aurais voulu L’aider, murmura Jean, dont les larmes coulaient toujours.
— On L’aida un peu : un paysan, nommé Simon, se chargea de sa croix et une pieuse femme nommée Véronique Lui essuya le visage.
Quand on arriva au sommet du Calvaire, la croix fut posée à terre et notre bon Maître y fut étendu. Dans ses mains qui avaient si souvent caressé des têtes d’enfant, on plante deux longs clous. Ses pieds qui avaient parcouru nos chemins, pour y rencontrer les malheureux, sont croisés l’un sur l’autre et le même clou les transperce.
— J’aurais voulu être là pour empêcher les méchants, dit l’enfant. Et le bon Jésus ne disait toujours rien ?
— Rien, mon enfant. Mais quand on eut dressé la croix et qu’elle fut enfoncée dans le sol, alors, Jésus parla, et ses premiers mots furent pour demander à Dieu de ne pas punir ceux qui Lui faisaient du mal
— « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font. » Il parla une seconde fois, en s’adressant à un voleur, qui était crucifié à côté de Lui. Ce pauvre homme Lui avait dit :
« Seigneur, souvenez-Vous de moi, quand Vous serez dans votre royaume », et Jésus lui répond :
« Aujourd’hui même, tu seras avec Moi dans le Paradis. »
Il était midi, mais le soleil ne brillait plus, et, dans la nuit épaisse, des étoiles apparaissaient au ciel.
— On ne voyait plus le Bon Dieu, sur la croix ? dit Jean.
— Quelqu’un Le voyait encore, car il n’est pas de nuit qui empêche une mère de reconnaître son enfant. La Sainte Vierge était debout auprès de la croix où souffrait son Fils bien-aimé. Jésus la regarde, puis Il regarde Jean, le plus jeune des Apôtres, et dit :
« Femme, voilà votre fils ; fils, voilà votre mère. »
Il est maintenant trois heures. Jésus s’adresse alors à Son Père :
« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? »
Tout à l’heure, quand la fièvre desséchera sa bouche, Il dira encore :
« J’ai soif ! »
Puis, quand Il sent ses dernières forces L’abandonner, Il dit d’abord :
« Tout est consommé », c’est-à-dire « tout est fini », et ensuite :
« Mon Père, je remets mon âme entre vos mains. »
Sa tête s’incline sur sa poitrine : Il est mort !
Alors, le soleil reparaît, mais la terre tremble, les roches se brisent ; tandis que le tonnerre gronde et que les éclairs brillent, le voile du temple de Jérusalem se déchire de haut en bas.
— Alors, dit Jean, on a bien vu que c’était le Bon Dieu.
— On le verra mieux encore le troisième jour, car je te l’ai dit déjà aux Ténèbres : un Dieu ne meurt que pour revivre.
— Et le Bon Dieu revivra ?
— Oui, mon enfant, après les tristesses de ces jours de deuil, viendront les joies de Pâques, car c’est le jour de Pâques que Jésus sortira du tombeau.
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- [1] La Pâque, dont le nom signifie passage était la fête qui rappelait le passage de la Mer Rouge par les Hébreux conduits par Moïse.↩
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