Pâques

Auteur : Latzarus, Marie-Thérèse | Ouvrage : Pâques .

Temps de lec­ture : 19 minutes

— Je suis content, dit Jean ; main­te­nant, il n’y a plus que les Apôtres qui n’ont pas encore vu le Bon Dieu. 

— Cela ne va pas tar­der : la mati­née est ache­vée, les Apôtres ont enten­du les récits des Saintes Femmes, mais les scènes de la Pas­sion leur ont lais­sé de si affreux sou­ve­nirs qu’ils ne par­viennent pas à vaincre leur tris­tesse : Jean seule­ment, est convain­cu : n’ou­blie pas, mon petit ami, qu’au pied de la croix, il était seul avec les femmes : en récom­pense, Dieu a vou­lu que l’un des pre­miers, il soit ras­su­ré : Pierre, Jacques, André, Tho­mas et les autres pleurent encore. 

C’est à Pierre, l’a­pôtre que Jésus a choi­si pour être à la tête de son Église, c’est à Pierre que le divin Maître appa­raît d’a­bord. Quand Jésus avait été arrê­té, tu t’en sou­viens, on avait deman­dé par trois fois à Pierre s’il Le connais­sait, et, trois fois, Pierre avait dit : « Je ne connais pas cet homme. » 

— Je m’en sou­viens, c’é­tait très vilain, dit Jean. 

— Si vilain que, depuis, Pierre n’a­vait pas ces­sé de pleu­rer sa faute. Il avait constam­ment, devant les yeux, le doux visage du Maître, et il lui sem­blait qu’il n’y aurait pas de repos, pour lui, tant qu’il n’au­rait pas obte­nu son par­don. Jésus est si bon qu’en appa­rais­sant à Pierre l’un des pre­miers, Il a vou­lu lui mon­trer qu’Il lui avait par­don­né sa fai­blesse. Désor­mais, mon petit Jean, Pierre ne renie­ra plus son Maître : il se lais­se­ra char­ger de chaînes, empri­son­ner, frap­per à coups de pierres et enfin cru­ci­fier, comme son Dieu, et ne ces­se­ra de répé­ter « Le Christ est ressuscité ». 

Cette grande nou­velle, Pierre l’an­nonce aux autres apôtres, aux­quels Jésus n’est pas encore appa­ru. Le Maître tient à conso­ler d’a­bord, deux voya­geurs qui marchent tris­te­ment sur le che­min d’un vil­lage nom­mé Emmaüs. En mar­chant, ils parlent de la mort de Jésus : Ils croyaient en Lui, mais, depuis trois jours qu’Il est dans le tom­beau, Il n’a pas fait les miracles qu’on atten­dait ; alors ses amis ont peur des Juifs et fuient Jéru­sa­lem. Sou­dain, un com­pa­gnon de route survient : 

— De quoi par­lez-vous, dit-il, et d’où vient votre tristesse ?

L’un d’eux, Cléo­phas, lui dit qu’ils pleurent leur Maître qu’on a mis à mort. 

— Hommes sans intel­li­gence, leur dit le voya­geur, cœurs lents à croire tout ce que les pro­phé­ties ont annon­cé, ne fal­lait-il pas que le Christ souf­frît toutes ces choses et qu’ain­si Il entrât dans la Gloire ? 

Et Il leur expli­qua tout ce qui avait été dit du Christ, bien avant qu’Il vînt sur la terre. Cepen­dant, l’on arri­vait à Emmaüs et le voya­geur s’ap­prê­tait à quit­ter ses compagnons : 

— Demeu­rez avec nous, dirent-ils, car il se fait tard, et déjà le jour baisse. 

Le voya­geur demeu­ra et se mit à table avec les dis­ciples. Et voi­ci qu’ayant pris du pain, Il le rom­pit et le pré­sen­ta à ses com­pa­gnons. Alors, les yeux des pèle­rins d’Em­maüs s’ou­vrirent : Celui qui rom­pait ain­si le pain, c’é­tait Jésus, c’é­tait leur Maître. Ils le recon­nais­saient, mais déjà Il avait dis­pa­ru, et, demeu­rés seuls, ils se disaient l’un à l’autre : 

— N’est-il pas vrai que notre cœur était tout brû­lant, en nous-mêmes, lors­qu’Il nous par­lait en chemin ?

Les pèle­rins d’Emmaüs.

— Moi, je l’au­rais recon­nu, tout de suite, dit Jean. 

— Aucun de nous, peut-être, ne l’au­rait recon­nu, mon enfant, mais tous, à notre tour, nous sommes comme les pèle­rins d’Em­maüs, attris­tés, décou­ra­gés. Les petits enfants comme toi, ont, par­fois, peur de la nuit : les grands ont peur de la vieillesse et de la mort. Tous alors, nous devons répé­ter avec confiance : 

« Sei­gneur, demeu­rez avec nous, car il se fait tard, et déjà le jour baisse. »

— Je le dirai, Madame, mais quand Il a été par­ti, le Bon Jésus, qu’est-ce qu’ils ont fait, les pauvres voyageurs ? 

— Ils retour­nèrent à Jéru­sa­lem et allèrent trou­ver les Apôtres qui étaient réunis dans une grande salle, dont toutes les portes étaient fer­mées, par peur des Juifs. 

— Mais on leur ouvrit, aux pèlerins ? 

— Oui, on leur ouvrit, et bien vite, on leur annon­ça la grande nouvelle : 

« Le Sei­gneur est res­sus­ci­té, et Il est appa­ru à Pierre. » 

— Mais ils le savaient bien, eux ? 

— Aus­si se hâtèrent-ils de racon­ter aux apôtres ce qu’ils avaient vu et entendu. 

— Les autres ont dû être jaloux, n’est-ce pas, Madame ? 

— Peut-être, mais cer­tains se refu­saient encore à croire à la Résur­rec­tion, quand, tout à coup, sans qu’au­cune porte s’ou­vrît, Jésus parut au milieu d’eux, en disant : « La paix soit avec vous. » 

Aux pélerins d'Emmaüs : La paix soit avec vous.
La paix soit avec vous.

Et comme les dis­ciples avaient l’air de prendre leur Maître pour un fan­tôme, Il leur dit en souriant : 

— Avez-vous quelque chose à man­ger ? et Il man­gea un peu de miel et de pois­son grillé. L’on vit bien alors qu’Il était réel­le­ment vivant. 

— Alors, main­te­nant, tous les Apôtres l’a­vaient vu ? 

— Non, l’un d’entre eux, Tho­mas, venait de sor­tir quand Jésus vint, et il décla­ra qu’il ne croi­rait à la Résur­rec­tion que lors­qu’il aurait vu la trace des clous et posé sa main dans la plaie du côté du Christ… 

— Oh ! dit Jean indi­gné, alors il pen­sait que tout le monde disait des mensonges. 

— Il le pen­sait, mon enfant, mais Jésus lui appa­rut, à lui aus­si, et lui dit de regar­der et de tou­cher les traces des clous et de la lance. 

— Est-ce qu’il l’a fait ? dit Jean, curieusement. 

— Oh ! non, à peine Jésus lui était-il appa­ru que, tom­bant à genoux, il s’é­tait écrié : « Mon Sei­gneur et mon Dieu ! » 

— Et le Bon Dieu ne l’a pas grondé ?

— Un peu, mais si dou­ce­ment, « Tho­mas, lui a‑t-Il dit, parce que tu as vu, tu as cru ; bien-heu­reux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru ». 

Depuis lors, mon petit, nous sommes tous obli­gés de faire ce que n’a pas su faire le pauvre Tho­mas. Le Bon Dieu se cache à nous, et pour­tant, nous croyons, et demain, dans le monde entier, les chré­tiens chan­te­ront, tous, d’une seule voix : 

« Le Sei­gneur est véri­ta­ble­ment res­sus­ci­té : Alleluia. » 

— J’ai hâte d’être à demain, dit Jean. 

Il se leva, enfin, ce jour béni. Dès les pre­mières lueurs du jour, les cloches annon­cèrent à tous les échos que, vain­queur de la mort, le Christ était sor­ti du tombeau. 

Il n’est pas de fête qui apporte avec elle autant de joie que Pâques : Noël, c’est la nais­sance du petit Enfant qui doit sau­ver le monde, mais à l’heure où on Le fête Il n’est encore qu’un bébé vagis­sant qui gre­lotte sur la paille. Que de souf­frances et de peines Le séparent du jour glo­rieux, où, bri­sant les chaînes de la mort, Il s’é­lan­ce­ra dans l’é­ter­nelle vie. C’est au jour de Pâques que le Fils de Dieu fait vrai­ment écla­ter sa puissance. 

Quand les rois de la terre ont rem­pli le monde du bruit de leurs exploits, l’heure vient, tou­jours, où le silence se fait, autour de leur tombeau. 

Leurs enne­mis-mêmes sont désar­més, car tout cède devant la mort. Pour Jésus, notre Dieu, c’est lorsque tout semble fini que tout com­mence, car la résur­rec­tion apprend au monde éton­né que l’œuvre divine est accomplie. 

Pour sau­ver le genre humain condam­né à l’en­fer, le Fils de Dieu est des­cen­du sur la terre, a vécu par­mi les hommes, est mort pour eux, mais en sor­tant du tom­beau, Il montre qu’Il était Dieu. Aus­si quelle joie emplit l’u­ni­vers ! Désor­mais, les pauvres hommes peuvent espé­rer qu’a­près leur vie misé­rable, s’ou­vri­ront, pour eux, les portes du Ciel. « Alle­luia, le Christ est res­sus­ci­té », nos souf­frances n’au­ront qu’un temps et, nous aus­si, nous vain­crons la mort, puisque, tan­dis que notre corps sera cou­ché dans le tom­beau, notre âme s’en­vo­le­ra vers Dieu… 

Pen­dant les qua­rante jours du Carême, les chré­tiens, en sou­ve­nir des souf­frances du Maître, s’im­posent des pri­va­tions. Autre­fois, pen­dant cette longue période, on ne fai­sait qu’un repas par jour, et ce repas ne devait com­por­ter ni viande, ni œufs, ni lai­tage. C’est pour­quoi au matin de Pâques, le prêtre bénis­sait, solen­nel­le­ment, l’a­gneau pas­cal et les œufs, pour mon­trer que l’on pou­vait recom­men­cer à s’en nour­rir. Depuis lors, bien que les rigueurs du Carême soient très adou­cies, la cou­tume est demeu­rée de don­ner aux enfants des œufs de Pâques. 

Dans bien des régions de France, en par­ti­cu­lier en Cham­pagne et en Lor­raine, lorsque les cloches se taisent, du Jeu­di au Same­di Saint, les enfants de chœur par­courent les rues, armés de cré­celles et annoncent les heures des offices. Dès qu’au Glo­ria in excel­sis du Same­di Saint, les cloches recom­mencent à tin­ter, les enfants se répandent à nou­veau à tra­vers les rues et demandent à être payés de leurs peines : 

Alleluia, chantent-ils, 
Alleluia, du fond du cœur,
Ayez pitié des enfants de chœur,
Et le Bon Dieu vous le rendra,
Alleluia !

En Nor­man­die, les gamins sont plus auda­cieux et chantent, sur l’air de « O filii et filiae » : 

Bonne femme, bonne femme, tâtez au nid, 
Ne nous donnez pas d’œufs pourris,
Car le Bon Dieu vous f'rait mouri,
Alleluia !

Le len­de­main, jour de Pâques, les quê­teurs font bom­bance avec les œufs qu’ils ont recueillis et que leurs mères trans­forment en ome­lettes, galettes et frian­dises variées. 

Dans beau­coup de nos vieilles pro­vinces, les œufs durs, teints de cou­leurs vives, servent aux jeux des enfants. Ils les font rou­ler le long d’une plan­chette incli­née et les œufs heur­tés appar­tiennent au gagnant.

Il n’est pas rare de voir des gamins gagner, par ce pro­cé­dé, une dou­zaine d’œufs qu’ils absorbent, dans leur jour­née. Natu­rel­le­ment, on a pen­sé aux esto­macs déli­cats des petits enfants des villes qui ne consi­dèrent pas les œufs durs comme une frian­dise. Pour eux, les confi­seurs étalent dans leurs vitrines des œufs de sucre et de cho­co­lat, des œufs enru­ban­nés, conte­nant des sur­prises, et, dans la plu­part des sou­ve­nirs d’en­fance, la fête de Pâques demeure liée aux beaux œufs mul­ti­co­lores reçus avec tant de joie. 

Œufs véri­tables ou arti­fi­ciels, ils ont tous le même sens en rap­pe­lant que les pri­va­tions du Carême ont pris fin. 

Chaque région célèbre à sa manière la joie de Pâques. À Épi­nal, les enfants, au soir du Same­di Saint, se dirigent vers les rives de la Moselle, por­teurs de petits bateaux char­gés de bou­gies. Ils lancent leur flotte en minia­ture, et pen­dant que les esquifs illu­mi­nés des­cendent le fleuve, gar­çons ou fillettes chantent à tue-tête :

Les champs golots (les champs coulent), 
La lour relot (les veillées s'en vont),
Pâques revient,
C'est un grand bien.

Ils veulent dire par là que l’hi­ver est pas­sé… L’hi­ver de l’âme aus­si est pas­sé et l’on dit qu’au matin de Pâques, si le ciel se colore de bleus si tendres et de roses si déli­cats, c’est parce qu’on y voit flot­ter des ailes d’anges… 

Ces ailes d’anges, Madame Lagarde les vit pla­ner ce matin-là sur le lit de l’en­fant endor­mi, qui nais­sait à peine à la vie de l’âme. Jus­qu’a­lors, en effet, le petit Jean avait vécu d’une vie toute maté­rielle, sans autre sou­ci que de man­ger à sa faim, et de boire à sa soif. Il savait, désor­mais, qu’il avait, au Ciel, un Père qui revêt les lys des champs et nour­rit les oiseaux des bois mais qui veut que les enfants L’aiment, Le prient, et deviennent, pour Lui, bons et sages. 

Jus­te­ment, en s’é­veillant, Jean avait dit en sou­pi­rant, que, s’il avait vécu au temps de Jésus, il aurait tou­jours vou­lu être près de Lui.

— Même à pré­sent, mon petit, tu peux ne jamais Le quit­ter, mais, ne veux-tu pas voir ce que t’ont appor­té les cloches de Pâques ? 

Et devant les yeux éblouis de l’en­fant, Madame Lagarde ouvrit un paquet : elle en tira d’a­bord une sou­tane rouge, ornée d’in­nom­brables petits bou­tons, une aube de den­telles, une minus­cule calotte, enfin des bas et des pan­toufles rouges, sur les­quels Jean se jeta, avec des trans­ports de joie. 

— Des sou­liers rouges, comme quand j’é­tais petit, bégayait l’en­fant, qui ne savait s’il devait rire ou pleu­rer… C’est pour moi, tout cela ; je vais le mettre pour sortir ? 

— Non, dit Madame Lagarde en sou­riant, nous allons refaire le paquet et aller ensemble à l’é­glise, c’est là qu’on t’habillera. 

Ils sor­tirent : dehors, c’é­tait la joie de Pâques, et l’al­lé­gresse du prin­temps. Dans l’air léger, les cloches son­naient, à toute volée, et tous les pas­sants que l’on croi­sait avaient des vête­ments neufs et des visages contents. Dans le ciel d’un bleu écla­tant, les hiron­delles se pour­chas­saient avec des cris de joie. 

— On dirait, dit Jean, qu’elles crient aus­si « Alleluia ». 

— Peut-être, dit Madame Lagarde, ne sais-tu pas qu’on raconte, que, le jour de la mort du Christ, les petits oiseaux, réunis autour de la Croix, essayèrent de sou­la­ger les souf­frances du Bon Maître. Le rouge-gorge enle­va avec son bec les épines du front divin, et c’est une goutte du sang de Jésus qui tei­gnit sa gorge, alors grise. L’hi­ron­delle enle­va les clous, et c’est pour cela qu’elle porte bon­heur à nos mai­sons. La cigogne pria : « Sei­gneur, don­nez-Lui de la force » et, depuis lors, on aime la voir, en Alsace, construire son nid, sur les che­mi­nées. Enfin, si la tour­te­relle est tou­jours si plain­tive, c’est, dit-on, parce que, per­chée sur un bras de la Croix, elle assis­ta aux der­nières souf­frances du Fils de Dieu. Alors, elle s’é­cria « Sei­gneur, Sei­gneur », et, depuis, elle vole à tra­vers la cam­pagne, en répé­tant ces tristes mots. 

— Oh ! dit Jean, je suis content de savoir cela, parce que, quand je ver­rai de méchants gar­çons avec des frondes, je les empê­che­rai de tirer sur les oiseaux. 

Ce n’é­tait pas à Sainte-Per­pé­tue que Madame Lagarde condui­sait Jean, mais dans la vieille cathé­drale, où, sous la minus­cule croix d’or de la mosaïque, dort le grand Fléchier. 

Tenant par la main l’en­fant, tou­jours char­gé de son paquet, la pieuse dame se diri­gea à droite du grand autel, vers un esca­lier condui­sant à la salle de la maîtrise. 

Les pre­mières marches à peine mon­tées, on enten­dait un joyeux bavar­dage, mêlé à des rires étouf­fés et à des voix graves impo­sant silence. 

Un peu inti­mi­dé, Jean fut pous­sé par sa pro­tec­trice dans une grande salle, où une cin­quan­taine de petits gar­çons de sept à douze ans étaient occu­pés à enfi­ler leurs sou­tanes rouges. Un jeune prêtre, se frayant un pas­sage au milieu des rangs joyeux, s’a­van­ça en sou­riant à la ren­contre de Madame Lagarde et dit en tapant sur l’é­paule de l’enfant : 

— Voi­là donc Jean Varnaud. 

Jean pen­sa à part lui qu’il était plus connu qu’il ne le croyait, mais se conten­ta de répondre : 

— Oui, Mon­sieur le Curé. 

— Curé, pas encore ; dis, Mon­sieur l’Ab­bé, cela suffira… 

Puis, pre­nant congé de Madame Lagarde, avec laquelle il s’é­tait enten­du à l’a­vance, il emme­na l’en­fant dans un coin du ves­tiaire. Un des plus grands gar­çons fut char­gé d’ha­biller Jean qui ne put s’empêcher de se mirer dans une porte vitrée et se trou­va superbe. Le « rang de taille » le fit pla­cer à côté d’un petit blon­din que l’Ab­bé appe­la Étienne et qui fut char­gé d’empêcher Jean de com­mettre trop de maladresses. 

Deux par deux, les mains pla­cées l’une contre l’autre, et les pouces croi­sés, les petits de la Maî­trise firent leur entrée dans le sanc­tuaire illu­mi­né. Un coup de cla­quoir, ils s’a­ge­nouillent deux par deux… un autre coup, ils se relèvent, un coup encore, ils se séparent en deux files et vont se ran­ger à droite et à gauche de l’au­tel. Ils sont à peine à leurs places que Mon­sei­gneur fait son entrée : crosse en main et mitre en tête, il va prendre place sous un dais de soie rouge, fran­gée d’or. Jean ne le quitte pas des yeux et son voi­sin doit le pous­ser pour le faire suivre la maî­trise qui va se mas­ser der­rière l’au­tel, pour chan­ter la messe de Pâques. Jean ne chante pas encore, mais il entre­voit le jour pro­chain où sa voix se mêle­ra à celles de ses cama­rades et où il lui sem­ble­ra faire par­tie du Chœur des Anges. …Car les enfants qui l’en­tourent ont des voix d’anges. Quand les grands sémi­na­ristes, en sou­tanes noires et en sur­plis blancs, ont lan­cé d’une voix ton­nante l’interrogation : 

Dic nobis Maria 
Quid vidisti in via ?
(Qu'avez-vous vu, en allant au tombeau, Marie, dites-nous ?)
Dic nobis Maria Quid vidis­ti in via ?

Les voix des enfants de chœur se sont éle­vées si fraîches qu’il a sem­blé à Jean que des gouttes d’eau lim­pide tom­baient, dans un bas­sin d’argent : 

Sepulcrum Christi viventis 
(J'ai vu le tombeau du Christ qui est vivant).

Puis, le chœur s’est ren­for­cé : aux voix des plus petits se mêlent main­te­nant les voix des plus grands, souples et chaudes, comme des voix de femmes : 

Et gloriam vidi resurgentis 
(J'ai vu la gloire du Christ ressuscité),

clament ces voix, et le chant des vio­lons se mêle au gron­de­ment des orgues, pour affir­mer avec la foule en prière : 

« Nous savons que le Christ est véri­ta­ble­ment ressuscité. » 

Trop igno­rant pour savoir que jadis, en ce jour de Pâques, les fidèles se don­naient les uns aux autres, un bai­ser fra­ter­nel en s’an­non­çant la joyeuse nou­velle : « Le Christ est res­sus­ci­té », Jean est si heu­reux qu’il vou­drait embras­ser tout le monde, et ses yeux vont sans cesse de l’au­tel illu­mi­né, au trône ten­du de rouge et à la foule en fête. 

Est-ce bien lui, le pauvre Jean, qui, dimanche der­nier, se fau­fi­lait timi­de­ment, dans une église, un brin d’o­li­vier à la main ? Est-ce lui, l’en­fant en haillons auquel nul ne pen­sait et qui ne pen­sait à personne ?

À pré­sent, les mains jointes et les yeux clos, il entend la clo­chette argen­tine qui annonce que le miracle va s’ac­com­plir. Dimanche der­nier, il s’é­tait age­nouillé et avait bais­sé la tête en même temps que les autres, mais sans savoir pour­quoi. Il savait, main­te­nant, que, s’il fal­lait demeu­rer incli­né, immo­bile et rete­nant son souffle, c’est qu’à la voix du prêtre, Jésus Lui-même allait venir sur l’au­tel fleuri. 

L’Hos­tie blanche que Jean avait vai­ne­ment cher­chée sur le repo­soir du Jeu­di Saint, il la voyait main­te­nant entre les mains de l’of­fi­ciant et il savait qu’au jour de sa Pre­mière Com­mu­nion, Jésus des­cen­drait dans son cœur d’en­fant. Il ne regret­tait plus, main­te­nant, le petit Jean, de n’a­voir pas vécu au temps du Maître. Près du taber­nacle où Dieu habite, le petit gar­çon pas-serait les plus belles années de son enfance et ce Bon Jésus, qu’il aurait vou­lu suivre, il Le por­te­rait en lui. C’é­tait presque trop de bon­heur pour un petit gar­çon, qui, pen­dant si long­temps, n’a­vait connu ni fêtes, ni dimanches et qui vivrait main­te­nant, à l’ombre des autels, c’est-à-dire dans une fête perpétuelle… 

On m’a dit — et je l’ai cru — qu’a­près avoir long­temps chan­té pour la gloire de Dieu, et sou­vent ser­vi la messe, le petit Jean, deve­nu grand, avait vou­lu la dire, la messe, et qu’il était, main­te­nant, un saint prêtre. Je ne me suis pas du tout éton­née de cette trans­for­ma­tion, car Celui qui, mort depuis trois jours, est sor­ti du tom­beau, a bien pu faire un ser­vi­teur de Dieu, d’un pauvre petit gar­çon pur et bon.

l'Enfant de chœur est devenu prêtre



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