Temps de lecture : 13 minutes Chapitre XI Vacances de Pâques ! Qui dira ce que ces trois mots contiennent de joie ? L’hiver est passé. Les petites primevères blanches ou roses étalent leurs grosses touffes dans la mousse ; les pervenches courent à travers le lierre, sous les bois. Il y a de gros bourgeons dodus au bout des…
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Chapitre X
Colette ne se doutait guère qu’un surcroît de besogne bien inattendue allait chasser très loin le fameux « cafard ».
Rentrant d’une course à travers bois, à la recherche des premières violettes, elle s’arrête à la porte du petit salon, toute surprise d’y voir son bon vieux pasteur avec André, disparaissant tous les deux sous la charge d’énormes paquets plus ou moins bien ficelés.
— Bonjour, monsieur le Curé ; qu’est-ce que c’est que tout ça ?
— Bonjour, ma petite fille. Tout ça, c’est de l’ouvrage pour vous.
— Pour nous ! Faites voir bien vite.
Et Colette, qui n’a jamais su attendre, se précipite sur le plus gros colis.
— Doucement ! doucement ! C’est la chape pour Monseigneur !
— Pour Monseigneur ! Vous allez lui donner une chape ?…
— Qu’en ferait-il, mon Dieu ? Pauvre Monseigneur ! Je ne le vois pas recevant semblable cadeau. C’est déjà bien assez humiliant de penser qu’il le portera quelques instants.
— Mais où ?… mais quand ? monsieur le Curé ?
— Mais ici, dans mon église. Ce n’est pas une petite affaire, je t’assure. Le curé de Saint-Sauveur est malade, transporté dans une clinique, et la Confirmation qui devait avoir lieu chez lui sera donnée dans mon église. Il va falloir remettre en état tous les ornements dont se servira Monseigneur : chape, surplis, rochet, étole, écharpe, que sais-je ? Brigitte a complètement perdu la tête ; et je ne suis pas loin d’en faire autant.
— Oh ! elle est solide, votre tête, monsieur le Curé, riposte Colette, avec de la malice plein les yeux, et moi je trouve cette affaire très, très amusante. Il faut rassurer Brigitte. Vous verrez si nous allons vous arranger tout cela, maman et moi !
Chapitre IX
Cette fois encore, les vacances se sont envolées en tourbillon, comme les feuilles mortes dans le jardin, et Colette peine solitaire sur une composition française, tandis que petit Pierre, les yeux très rouges, entre à la cuisine.
— Qu’as-tu, mon petit fieu ? réclame immédiatement Marianick.
— Rien.
— Avec ces yeux-là ?
— Qu’est-ce qui s‑ont mes yeux ?
— Des larmes, tiens ! Les voilà encore qui coulent.
— Je peux pas te dire. Je suis très, très content, c’est drôle, je pleure ; et puis j’ai un peu de peine, et je pleure aussi.
— Ça se voit, ces choses-là, mon petit gars, conclut Marianick d’un air entendu. Conte-moi ça un peu.
— C’est que maman vient de me dire que je ferais ma première communion le jour où Yvon dirait sa messe ici,… et ça chante dans mon cœur. Seulement maman a ajouté que j’étais paresseux, étourdi, taquin et « qui » faudrait changer tout ça. Je pourrai jamais !
Et les larmes deviennent un ruisseau.
— Tout seul, pour sûr que tu ne pourras pas, mais pense un peu, pour t’aider y a le Bon Dieu qui n’attend que ça, et puis tes deux mamans, celle d’ici et celle du Ciel, la bonne Vierge : et puis comme qui dirait tes deux grand’mères, la bonne mère sainte Anne et puis moi, Marianick.
Et la conversation continue un moment sur ce ton, si bien que la joie déborde définitivement dans le cœur de petit Pierre.
Colette, au contraire, la plume en l’air et les yeux dans le vague, songe à toute autre chose qu’à son devoir de style. Pour une fois dans sa vie, elle se sent triste. L’hiver est long, tout de même, seule à la campagne, avec un petit frère de six ans.
Mais Colette a compté sans maman, et les mamans, ça devine tout. Une main se pose tout doucement sur l’épaule de la petite rêveuse, qui réagit brusquement.
— Oh ! maman, vous m’avez fait peur !
— Dis plutôt que j’ai interrompu un voyage en pays imaginaire, et sombre, si je ne me trompe.
— Je suis une sotte, dit Colette avec un sourire, qui semble bien un peu forcé.
— Non, tu t’ennuies loin des autres, tout simplement, et je reconnais que le manque d’émulation, en particulier, rend ton travail très monotone. J’y ai pensé, mon petit. Je compte sur ton joyeux courage pour chasser les papillons noirs et songer à tout ce que tu possèdes, au lieu de rêver à ce qui te manque.
Mais je veux t’aider. Reprenons ensemble un peu de cette liturgie que tu aimes. Cours chercher ta boîte à ouvrage et mes grands ciseaux.
Chapitre VIII
Ce matin, le vent d’ouest court en secouant les branches à travers le petit bois. De temps en temps, une rafale fait passer dans l’air sa longue plainte triste, mais les garçons s’en moquent bien. Ils sont partis, gais comme pinsons, gauler les dernières châtaignes, laissant leurs sœurs à la maison.
Colette confère avec Bernadette.
— Veux-tu que nous allions, nous deux, chercher Nono ? Nous le conduirions à l’église, pour lui apprendre ce qu’est la Maison du Bon Dieu.
— Mais il fait un temps de chien !
— Et après ! Mets ta cape d’infirmière, et moi, mon manteau et mon capuchon ; seulement, gare si le vent les gonfle, nous serons enlevées comme des aéroplanes !
De fait, c’est une tempête qu’affrontent les deux sœurs.
Quand, ayant cueilli Nono en chemin, elles pénètrent dans la vieille église, il faut leur effort combiné pour refermer la grande porte contre la poussée du vent. On entend les mugissements de la rafale frapper le long des murs, comme les vagues sur les rochers, les jours de grande marée.
Aussi, à peine entré, Nono murmure :
— On est bien ici. Il fait bon !
Se penchant vers l’enfant, Bernadette répond :
— On se sent en sécurité contre la tempête, n’est-ce pas, mon petit ? Je voudrais que tu comprennes aussi combien notre âme, bien plus encore que notre corps, est ici à l’abri du danger. Quand l’enfant demeure chez son père, qu’il le sent là, tout proche, il n’a peur de rien. Or nous sommes à l’église, dans la maison de notre Père.
— Oui, insiste Colette, le Bon Dieu est partout, mais ici, Il nous attend pour que nous puissions lui parler tout à notre aise. Tu comprends, Nono, devant le Bon Dieu, il faut se tenir très bien, et, si on a quelque chose à se dire, on le fait tout bas, mais ça n’empêche pas d’expliquer bien respectueusement.
Tu vas d’abord mettre ton doigt dans le bénitier et faire le signe de la Croix.
La frimousse attentive se lève ; les yeux disent : Pourquoi ?
Colette a lu la question. Elle répond :
— Parce que le signe de la Croix, accompagné du regret de nos fautes et fait pieusement avec l’eau bénite, efface nos péchés véniels. Maintenant, mettons-nous
— Non, je ne trahirai pas le serment de mon baptême ! Non, je n’accepterai pas de revenir aux idoles, aux fétiches ! Non, non… je préfère mourir !
À quel moment de l’histoire sommes-nous donc ? À Rome, à l’époque des grandes persécutions, et cette jeune voix qui proclame ainsi sa foi, est-ce celle d’un frère de sainte Agnès, de sainte Blandine ; celle d’un martyr du IIIe ou du IVe siècle ? Nullement, nous sommes en plein XIXe siècle. Il y a environ soixante-cinq ans. Et où donc ? Regardez.
Les jeunes enfants sont noirs, absolument noirs, oui de jeunes nègres de quatorze ou quinze ans. Alignés les uns à côté des autres, une quarantaine, ils sont enfermés dans des cages en bambous ; leur cou est pris dans une fourche et de lourdes pièces de bois leur emprisonnent un pied et un poignet. Devant eux s’agitent des sortes de monstres grotesques et horribles en grand nombre ; le visage enduit d’argile rouge, zébré de traînées de suie, la tête hérissée de plumes, des peaux de bêtes attachées autour des reins, un collier d’ossements battant sur la poitrine et des grelots tintant à leurs chevilles, ce sont des sorciers. Mais leurs gesticulations menaçantes,leurs cris, leurs chants sauvages, pas plus que les préparatifs du grand bûcher qu’on élève non loin de là, rien ne peut faire fléchir le courage de ces jeunes héros du Christ.
Ils mourront tous, sans un moment de faiblesse, sans qu’un seul abandonne la foi et trahisse. Cette histoire des petits martyrs de l’Ouganda est un des plus beaux chapitres de toute la grande histoire de l’Église… Écoutez-la !
* * *
L’immense continent noir, l’Afrique, a été pénétré par le Christianisme surtout depuis un siècle… Et cette pénétration a été l’œuvre d’hommes admirables, les Missionnaires, prêtres et moines d’un dévouement sans trêve, d’un courage à toute épreuve, d’une merveilleuse bonté. Aussi braves quand il s’agit d’aller, en des pays hostiles, parmi des peuples encore sauvages, pour y semer la bonne parole du Christ, l’Évangile, que patients et bons organisateurs quand il s’agit ensuite de vivre au milieu des noirs, pour leur apporter non seulement l’enseignement chrétien, mais toutes sortes de secours, les missionnaires ont été, dans toute l’Afrique, de véritables conquérants pacifiques qui, sans armes, ont gagné à la civilisation des espaces géants. Aujourd’hui, il n’est contrée si lointaine, si perdue, qui n’ait ses Missionnaires. Au Père, les indigènes viennent demander tout : un conseil, un médicament, une protection. Si l’Église a désormais des milliers de fidèles dans le continent noir, c’est aux Missionnaires que ce grand succès est dû.
Parmi ceux qui ont participé le mieux à cette grande tâche se trouvent au premier rang les Pères Blancs. Ils ont été fondés par un homme de génie, le Cardinal Lavigerie, tout exprès pour vivre la même vie que les indigènes, s’habillant comme eux, parlant leur langue, aidés aussi par les Sœurs Blanches qui, vivant de la même façon, s’occupent spécialement des femmes et des enfants. « II y a là-bas cent millions d’êtres humains qui attendent le Christ ; je veux les donner à Lui ! » s’était écrié un jour Lavigerie devant le Pape Pie IX. Et, fidèles à cette promesse, Pères blancs et Sœurs blanches n’ont pas cessé, depuis lors, de travailler à sa réalisation.
Vers 1880, les Pères blancs avaient pénétré dans l’Ouganda. Savez-vous où se trouve, sur la carte d’Afrique, ce pays ? Regardez au sud du Soudan et de l’Éthiopie, c’est-à-dire à l’est du continent. Là s’étend un immense plateau, grand à peu près comme la France, que domine la puissante masse du volcan Elgon. Une magnifique nappe d’eau, le lac Victoria, — si vaste qu’il s’y produit de petites marées,— en occupe le sud, et c’est de ce lac que sort une des deux rivières qui, en s’unissant, vont former le Nil. Ce haut plateau, où le climat est frais, où les pluies sont suffisantes sans être excessives, ne manque pas de richesses : bananiers, épices, café, maïs, sorgho, bœufs et moutons y font vivre à l’aise une population qui se développe. Cette population est formée de nègres ; des nègres intelligents, travailleurs, qu’on appelle « bantous ».
Comme la presque totalité des nègres d’Afrique, les bantous de l’Ouganda étaient