XIV
Il ne s’agit pas d’oublier ce que tate a promis. Et puis, c’est jeudi. Les grands doivent être là ; c’est beaucoup plus amusant quand ils s’en mêlent. Et Nicole et Bruno, se tenant par la main, arrivent en sautillant chez Colette.
Assis près du divan de sa sœur, Jean, qui en effet les voit venir, souffle :
— Que leur racontes-tu en ce moment ?
— Aujourd’hui je m’inquiète de ce que j’ai à leur dire. Comment leur faire saisir le gouvernement de Moïse ? Tu m’aideras, dis ? Soyons clairs.
Pendant que les enfants s’installent, Jean redresse les coussins afin que « le professeur » soit aussi confortable que possible, malgré son immobilité.
— Là, tu as une vraie chaire ; parle, maintenant !
Colette dissimule derrière un sourire la souffrance que lui cause encore le moindre mouvement et s’appuie gaiement sur la pile de coussins.
— Dis un peu, Nicole, où en étions-nous ?
— Le Bon Dieu avait pardonné aux Hébreux.
— Moi, déclare Bruno, je trouve que le Bon Dieu pardonne tout le temps.
— Fort heureusement pour les Hébreux, riposte Jean, et non moins heureusement pour nous. Que deviendrions-nous, mon pauvre Bruno, si le Bon Dieu cessait de nous pardonner ! Mais tout de même, attention ! Sa justice égale sa bonté. Les Hébreux s’en sont bien aperçu, n’est-ce pas, Colette ? Tu vas nous dire comment. Nous t’écoutons.
Cependant Colette, appuyée sur son coude, se tait et réfléchit, puis elle semble se décider et pose une drôle de question :
— Dans une famille, dans une armée, dans un pays, il faut quelqu’un pour commander, n’est-ce pas ?
Étonnés, les deux petits répondent :
— Bien sûr.
— Et si personne ne commandait ?
Bruno écarquille les yeux.
— Tout le monde s’amuserait, mais personne ferait ce qu’est ennuyeux. Moi, j’apprendrais pas ma table de multiplication et Marianick ferait pas la cuisine. Et on mangerait pas, alors on mourirait.
— À moins qu’on ne se batte pour « chiper » les bons plats à ceux qui auraient le courage d’allumer leur fourneau, dit Jean.
— Exactement, déclare Colette. Il est impossible de vivre plusieurs ensemble sans une autorité qui commande, et c’est justement cela que je veux vous faire comprendre. Or Celui qui seul possède par Lui-même le droit de commander aux hommes qu’il a créés, c’est Dieu. Quand Il jugea bon de leur donner une loi écrite par l’entremise de Moïse, Il entendait faire respecter cette loi et garder pour Lui-même le gouvernement de son peuple.
Aux hommes qu’Il choisissait pour être en quelque sorte ses ministres sur la terre, Il donnait directement ses ordres. Le seul Roi des Hébreux, c’était le Bon Dieu.
Mais une expression de souffrance envahit le visage de Colette. Elle ferme les yeux malgré elle, en se laissant aller sur ses coussins. Puis, essayant énergiquement de se redresser, elle murmure à son frère :