JACQUES. — Monsieur Ambroise, comment a‑t-on eu l’idée de fabriquer ces petits Santons ?
MAÎTRE AMBROISE. — Ils sont venus tout d’un coup, à leur heure, té ! Quand le bon Dieu l’a voulu. Savez-vous que c’est saint François d’Assise, le doux prédicateur des oiseaux, qui, le premier, représenta la crèche, dans une vraie étable, avec l’âne et le bœuf ? Il est un peu de chez nous, bonne Mère, car sa mère était une Provençale. D’Italie la coutume des crèches vivantes est passée chez nous où tout de suite elle a été accueillie avec enthousiasme. Noël ! Calendo ! C’est une fête si Provençale.
Plus tard, la crèche s’anime. Les personnages deviennent acteurs et les Provençaux aiment à jouer un rôle autour de « l’Enfançoun ». Avec les bergers, on voit venir le meunier et la meunière, le rémouleur, la poissonnière. C’est la Pastorale avec les premiers Santons en chair et en os.
Nos petits Santons d’argile reproduisent les personnages des pastorales et des vieux Noëls que nous aimons.
Au dehors, la tempête faisait rage. Et quelle tempête ! Hurlements de fureur, vagues démesurées, coups de bélier à jeter bas les falaises de la côte. La nuit semblait au pouvoir de bêtes monstrueuses prêtes à dévorer l’humanité entière. Il n’eût pas fait bon être en mer à cette heure.
Dans le couvent, les moines priaient. Derrière les murs énormes, faits de granit inébranlable, très peu ouverts par d’étroites meurtrières, c’était à peine si le tumulte de l’océan déchaîné parvenait à leurs oreilles comme un grondement. Les psaumes succédaient aux psaumes, chaque moitié du chœur chantant à son tour les versets. L’église basse, trapue, n’était guère éclairée que par les cierges de l’autel et, de loin en loin, au bord des stalles, quelques lampes à huile dont la lueur jaune dansait sur les poutres et les solives de la toiture. On distinguait mal les formes agenouillées des moines, vêtus de bure brune ; seule la large tonsure blanche en couronne permettait de discerner leurs têtes inclinées.
Sans que nul n’eût entendu s’ouvrir une porte, une silhouette sombre apparut au milieu du chœur, se dirigeant vers la stalle du Révérendissime Père Abbé, reconnaissable à la haute crosse qui était dressée à côté de lui. Chaque nuit, tour à tour, pendant que la communauté célébrait l’office, un des frères demeurait en faction dans la tourelle de guet, à la pointe du monastère qui donnait droit au-dessus de la mer ; les naufrages n’étaient pas rares sur cette côte bretonne toute déchiquetée par les grands vents. Le moine guetteur se tenait là pour scruter l’océan immense et, s’il apercevait un navire en détresse, alerter tout le couvent.
Justement, cette nuit-là, les moines qui n’avaient pas interrompu leur chant liturgique, le virent, après s’être prosterné devant le Père Abbé, faire le signe de détresse : les bras levés au ciel, puis trois génuflexions. Saint Brendan frappa le sol de sa crosse. Le silence se fit instantanément et il sembla que le grondement de l’océan devînt plus fort, plus menaçant.
« Sauver la vie de nos frères est encore plus agréable à Dieu que chanter nos prières. Allons ! Le Seigneur nous appelle au devoir !… »
Un instant après, ils étaient tous dehors : les uns sur le chemin de ronde scrutèrent la nuit, où se distinguait, sous la clarté intermittente d’une lune blême, un navire ballotté par les vagues, plus qu’à demi renversé par elles ; les autres avaient déjà gagné le petit port et commençaient à mettre à l’eau le canot de sauvetage qui, bien souvent, dans des conditions semblables, avait arraché à la mort des naufragés. Et, une fois de plus, n’écoutant que la voix de leur conscience chrétienne, au péril de leur vie, sur l’océan démonté, les fils de saint Brendan s’élancèrent…
* * *
« Il vit ! » dit Frère Cadoc, qui était un peu médecin. La mince forme, en effet, remuait tout doucement, et le visage, livide, sous les pâles cheveux blonds plaqués par l’eau de mer, semblait reprendre quelques couleurs. Étrange histoire… Sur le bateau en perdition, les moines sauveteurs n’avaient plus trouvé de vivant que ce petit garçon de dix ou onze ans, attaché, par précaution, à un des bancs de rames pour qu’une vague ne l’enlevât point. Où était donc l’équipage ? Dans un coin, le cadavre d’un des marins, tué sans doute par une chute. Les autres avaient dû être emportés par une de ces énormes lames qui balayaient le pont.
— Oui, il vit, louange à Dieu ! répondit le Père Abbé, qui s’était penché sur la poitrine de l’enfant. Et d’une voix forte, il entonna un cantique d’action de grâces auquel tous les présents répondirent. À ce moment, réveillé, le petit garçon ouvrit les yeux…
C’est ainsi que celui qui devait devenir Edwin d’Islande fut recueilli, sur les côtes de Bretagne, par la charité et le courage des moines de saint Brendan. Car, lorsqu’on l’eut bien réchauffé, bien nourri, bien installé dans le meilleur lit qu’on pût trouver, il ne fut plus question de se séparer de lui. Dieu lui-même, dans sa Sainte Providence, n’avait-il pas clairement marqué qu’il désirait le voir vivre au monastère ; et puis, il faut bien l’avouer tous ces rudes hommes éprouvaient une secrète tendresse pour ce bel enfant frais et rosé, aux cheveux de lin… Il fut donc décidé qu’il serait élevé au couvent, que le cher Frère Gildas, le plus doux et le plus jeune de tous, serait spécialement chargé de veiller sur lui et de l’éduquer. Ce serait, plus tard, un frère de plus dans la communauté…
Gorde naît et grandit à Césarée de Cappadoce. Il entre dans l’armée où il fait rapidement son chemin. De haute taille, de non moins haute valeur militaire, il acquiert une grande réputation parmi les troupes.
Le voici donc bien parti pour la gloire, quand Dioclétien ouvre sa persécution contre les chrétiens. Leurs maisons sont pillées, les fidèles cherchent refuge dans les déserts et les forêts. Ceux qui sont pris sont jetés en prison.
Pour Gorde, il ne peut être question de se cacher : il est à son poste. Mais comment rester sous les ordres de celui qui persécute ses frères ? Malgré son goût pour la vie militaire, malgré le brillant avenir qui s’ouvre devant lui, il démissionne : « Je préfère, dit-il, vivre au désert avec les bêtes fauves, qu’avec ces idolâtres. »
Sa démission acceptée, il quitte l’armée, non sans regret et, comme tant d’autres, s’enfonce dans le désert. Son intention est de s’y fortifier dans la prière et la pénitence puis de revenir ensuite défendre les chrétiens et mourir avec eux s’il le faut.
Quand il se sent assez « fort de la force de Dieu », il sort de sa cachette et revient à la ville. Il a choisi pour cela un jour où la population se rue vers le cirque pour une course de chars.
Très calme, Gorde s’avance au milieu de l’arène. « Je m’appelle Gordius, déclare-t-il très haut. J’ai quitté l’armée depuis que l’Empereur est devenu persécuteur et ennemi du vrai Dieu. » Et, s’adressant au Gouverneur : « Je viens te reprocher ta cruauté envers les chrétiens. J’ai choisi le moment de ces fêtes pour protester à la face du monde contre l’injustice et la barbarie. »
Stupeur, puis tollé général. Fureur du Gouverneur : « Bourreaux ! des fouets, des chevalets, des haches, des croix, des fauves ! Un homme aussi exécrable mérite plusieurs fois la mort !
— Oui, réplique Gorde ; on me fera tort si on ne me donne pas plusieurs fois la mort. » Et il entonne un psaume.
Les bourreaux s’apprêtent et comme ils tardent : « Qu’attendez-vous ? leur demande le soldat. N’enviez-vous pas mon bonheur et ma récompense ?
— Voyons, quelle folie ! coupe le Gouverneur, volontairement radouci. Plus sûres que les récompenses que tu espères, tu as sous la main les honneurs des Césars. Rentre dans l’armée, adore nos dieux ; c’est pour toi la gloire immédiate.
— Quoi ! proteste Gorde, tu penses que ces misérables grandeurs d’ici bas : grades, citations, décorations, peuvent me détacher du ciel ? Voilà ce qui serait folie ! Rien sur la terre, rien, entends-tu ? ne pourrait me dédommager de la perte de Dieu. »
Fou de colère, le juge tire son épée et ordonne de passer à l’exécution.
Gorde est aussitôt conduit au supplice, au milieu d’une foule délirante. Les païens vocifèrent ; les membres de sa famille, encore païens, le supplient d’avoir pitié d’eux et de lui. Qu’il ne renonce pas au christianisme puisqu’il y tient, mais qu’il fasse semblant.
« Jamais ! ce serait déloyal. Je tiens ma langue de la bonté de Dieu et je l’emploierais à mentir, à le renier devant les hommes ? J’aime mieux mourir mille fois ! Mon drapeau, c’est la croix. Un soldat trahirait son drapeau par crainte de la mort ? Allons-donc ! »
Ce disant, Gorde trace sur sa poitrine le signe de la croix et, d’un pas alerte, suit les bourreaux. Il rayonne de joie, il est gai comme au matin d’une promotion. Ne va-t-il pas être promu au rang de témoin du Christ ? Ne va-t-il pas prendre place dans la glorieuse armée des martyrs ?
Saint Gorde, obtenez-nous des cœurs vaillants, des âmes vaillantes ! Ne sommes-nous pas aussi, par notre confirmation, soldats du Christ ?
Romain ~~~~~~
Pour un romain, voici un soldat bien nommé. Il assiste à l’interrogatoire du diacre Laurent et les réponses de celui-ci lui font une très grande impression. C’est bien autre chose quand il constate le courage du diacre au milieu des supplices ; et c’est enfin le comble, lorsque Laurent se trouvant demi-mort sous les coups de fouets — fouets armés de pointes de fer — Romain voit un ange essuyer le visage du martyr, étancher le sang de ses plaies. Le soldat païen en est tout interdit. La grâce passe, la lumière se fait ; Romain y correspond. Il s’approche de Laurent, lui dit ce qu’il voit, lui demande ses prières.
Le 30 avril 1651, tout était à la joie dans l’une des plus belles demeures de Reims : l’hôtel de la Cloche. On fêtait la naissance du premier enfant de Louis de La Salle, magistrat fort riche et considéré, et de sa femme, Nicole Moët de Brouillet.
Le même jour, l’enfant porté à l’église y recevait, avec le saint baptême, le nom de Jean-Baptiste.
Tandis que M. de La Salle remerciait Dieu de lui donner un fils, Mme de La Salle consacrait l’enfant à la Sainte Vierge et la suppliait de l’aider à l’élever saintement.
Le petit Jean-Baptiste grandit donc, enveloppé de tendresse, de soins extrêmes et de bons exemples. Sa mère lui apprit ses prières, le conduisait très souvent à l’église où il se tenait sage et attentif aux cérémonies.
La maison de famille s’emplissait de vie ; à la suite de Jean-Baptiste, de nombreux frères et sœurs vinrent la peupler, car le bon Dieu accorda 10 enfants à Mme de La Salle.
Jean-Baptiste prenait volontiers sa part du mouvement et de là gaieté du logis. C’était un enfant charmant, intelligent, doux, aimable et aimé de tous.
Mais déjà on sentait que les choses du bon Dieu l’attiraient plus que tout le reste.
Souvent, on donnait des fêtes à l’hôtel de la Cloche. La parenté se réunissait autour d’une longue table bien garnie et bien servie. Un soir où il y avait grande réception, le petit Jean-Baptiste semblait triste au milieu de la brillante société. Sans bruit, comme une souris, il se glissa hors des salons, grimpa jusqu’à la chambre de sa grand-mère : « S’il vous plaît, bonne maman, supplia-t-il, lisez-moi la Vie des Saints ! » La grand-mère prit un gros livre qu’elle posa sur ses genoux, et, lentement, commença les belles histoires que son petit-fils écoutait avidement. Les récits l’intéressaient beaucoup plus que la musique et les gâteaux du salon !
Ce que Jean-Baptiste souhaitait aussi ardemment, c’était de devenir enfant de chœur. Quelle joie, le jour où sa mère le conduisit chez le curé de la paroisse, le priant d’accepter son petit garçon comme servant de messe ! Dès lors, Jean-Baptiste mit le plus grand empressement à se rendre à l’église chaque matin. Ceux qui le voyaient prier, grave et recueilli au pied de l’autel, pensaient : « Cet enfant doit voir le bon Dieu, il n’est pas comme les autres ! »
En effet, Dieu regardait Jean-Baptiste avec amour et lui faisait comprendre au fond du cœur qu’il l’appelait à son service… Vers l’âge de 12 ans, après avoir bien prié la Très Sainte Vierge de l’aider, timidement, respectueusement, il fit part à ses parents de son grand désir d’être prêtre, et leur demanda la permission de suivre sa vocation.
Sa mère si pieuse joignit les mains en disant : « Merci mon Dieu. » Pour M. de La Salle, qui comptait sur son fils aîné pour lui succéder dans sa charge, le sacrifice fut plus grand, mais il s’inclina : « Mon enfant, dit-il, vous êtes à Dieu avant d’être à moi, devenez un bon prêtre ! »
L’an de grâce 1566… Quel mouvement dans la petite ville d’Annecy, paisible à l’ordinaire, entre ses montagnes et son bijou de lac, à l’ombre de ses clochers… La foule s’entasse à la Porte de Bœuf.
Voilà le cortège attendu ! Le duc Jean de Savoie et sa femme, Anne d’Este, visitent leur bonne ville.
Suivons le cortège à Notre-Dame de Liesse. Le duc et la duchesse vont s’agenouiller devant la précieuse relique que Chambéry a prêtée pour ce grand jour : le Saint-Suaire.
Au milieu de la foule, une jeune femme, à genoux, prie avec ferveur. Les anges ont recueilli sa prière : Mon Dieu, donnez-moi un fils, je vous le consacrerai.
Cette toute jeune femme, c’est Madame de Sales, la maman de celui qui fut le saint Évêque de Genève, le saint au suave sourire.
…Jour après jour, l’année a passé… Dans le château de Sales, un fils est né et ce fut une grande joie. Un vrai petit ange, tout blond et rose, si sage, si mignon que c’en est plaisir.
…Le petit ange blond a grandi. Voyez-le en promenade avec sa bonne nourrice Pétramande. De quels yeux suppliants il la regarde : Il voudrait quelque friandise pour le petit pauvre qui tend la main.
Avec quel joli sourire, François fait l’aumône !
Mais notre garçon semble d’humeur guerrière aujourd’hui.
Est-ce bien lui, une petite épée au poing, qui court par tout le poulailler en criant aux poules effrayées : Sus, sus aux hérétiques !
Les hérétiques, ce sont des chrétiens que de mauvais bergers ont entraînés hors du troupeau de l’Église. Le brave petit homme ! Il vient d’apprendre que Genève, la grande ville voisine, vient de chasser ses prêtres, briser ses crucifix… Et il aime déjà beaucoup le Seigneur, que sa mère lui apprend à prier, ce Dieu qui fait pousser le blé et les fleurs, notre Père qui est aux Cieux.