Le 30 avril 1651, tout était à la joie dans l’une des plus belles demeures de Reims : l’hôtel de la Cloche. On fêtait la naissance du premier enfant de Louis de La Salle, magistrat fort riche et considéré, et de sa femme, Nicole Moët de Brouillet.
Le même jour, l’enfant porté à l’église y recevait, avec le saint baptême, le nom de Jean-Baptiste.
Tandis que M. de La Salle remerciait Dieu de lui donner un fils, Mme de La Salle consacrait l’enfant à la Sainte Vierge et la suppliait de l’aider à l’élever saintement.
Le petit Jean-Baptiste grandit donc, enveloppé de tendresse, de soins extrêmes et de bons exemples. Sa mère lui apprit ses prières, le conduisait très souvent à l’église où il se tenait sage et attentif aux cérémonies.
La maison de famille s’emplissait de vie ; à la suite de Jean-Baptiste, de nombreux frères et sœurs vinrent la peupler, car le bon Dieu accorda 10 enfants à Mme de La Salle.
Jean-Baptiste prenait volontiers sa part du mouvement et de là gaieté du logis. C’était un enfant charmant, intelligent, doux, aimable et aimé de tous.
Mais déjà on sentait que les choses du bon Dieu l’attiraient plus que tout le reste.
Souvent, on donnait des fêtes à l’hôtel de la Cloche. La parenté se réunissait autour d’une longue table bien garnie et bien servie. Un soir où il y avait grande réception, le petit Jean-Baptiste semblait triste au milieu de la brillante société. Sans bruit, comme une souris, il se glissa hors des salons, grimpa jusqu’à la chambre de sa grand-mère : « S’il vous plaît, bonne maman, supplia-t-il, lisez-moi la Vie des Saints ! » La grand-mère prit un gros livre qu’elle posa sur ses genoux, et, lentement, commença les belles histoires que son petit-fils écoutait avidement. Les récits l’intéressaient beaucoup plus que la musique et les gâteaux du salon !
Ce que Jean-Baptiste souhaitait aussi ardemment, c’était de devenir enfant de chœur. Quelle joie, le jour où sa mère le conduisit chez le curé de la paroisse, le priant d’accepter son petit garçon comme servant de messe ! Dès lors, Jean-Baptiste mit le plus grand empressement à se rendre à l’église chaque matin. Ceux qui le voyaient prier, grave et recueilli au pied de l’autel, pensaient : « Cet enfant doit voir le bon Dieu, il n’est pas comme les autres ! »
En effet, Dieu regardait Jean-Baptiste avec amour et lui faisait comprendre au fond du cœur qu’il l’appelait à son service… Vers l’âge de 12 ans, après avoir bien prié la Très Sainte Vierge de l’aider, timidement, respectueusement, il fit part à ses parents de son grand désir d’être prêtre, et leur demanda la permission de suivre sa vocation.
Sa mère si pieuse joignit les mains en disant : « Merci mon Dieu. » Pour M. de La Salle, qui comptait sur son fils aîné pour lui succéder dans sa charge, le sacrifice fut plus grand, mais il s’inclina : « Mon enfant, dit-il, vous êtes à Dieu avant d’être à moi, devenez un bon prêtre ! »
Jean-Baptiste étudiait alors à Reims, au collège des « Bons-Enfants ». Il redoubla d’application dans ses classes. On le regardait comme le meilleur et le plus pieux des écoliers.
Plus tard, afin de se mieux préparer encore au sacerdoce, il obtint de ses parents la permission d’aller à Paris, au Séminaire Saint-Sulpice. Humble, fervent, travailleur, il se montra vite le modèle des séminaristes.
Durant son séjour à Saint-Sulpice, il entra dans une association de prières pour obtenir de Dieu des maîtres chrétiens pour l’enfance abandonnée.
Cette question le préoccupait déjà.
Jean-Baptiste n’était pas à Paris depuis une année, quand il eut la grande douleur d’apprendre la mort de sa mère et, quelques mois après, celle de son père… Terrible épreuve pour ce jeune homme qui chérissait ses parents ! Le cœur meurtri, il quitta le Séminaire pour revenir à Reims. Devenu chef de famille, il lui fallait prendre soin de ses frères et de ses sœurs.
Bien des gens cherchèrent alors à le détourner de sa vocation. Mais il résista énergiquement.
Tout en s’occupant tendrement de ses frères, en veillant sur l’éducation de ses sieurs, sur leurs intérêts à tous, il continuait ses études pour se préparer au sacerdoce.
Jean-Baptiste de La Salle atteignait 27 ans, quand il fut ordonné prêtre dans la cathédrale de Reims, le Samedi Saint 9 avril 1678. Le lendemain, dans la cathédrale également, à l’autel de la Sainte Vierge, il célébrait sa première messe, entouré de ses frères et sœurs. Le rayonnement de son visage, sa ferveur extrême frappèrent les assistants. On eut dit qu’il voyait Notre-Seigneur sur l’autel.
Une fois prêtre, Jean-Baptiste partagea son temps entre la prière, les offices de la cathédrale dont il était chanoine, ses devoirs de famille, l’étude, le soin des pauvres qu’il aimait et servait avec une délicate charité.
Ceux qui le regardaient prier, ou qui le voyaient passer modeste, recueilli, dans les rues de Reims, admiraient sa sainteté.
L’humble prêtre, au fond de son cœur, suppliait le Seigneur de daigner l’employer comme un outil, docile. Dieu allait bientôt lui montrer ce qu’il attendait de lui.
Les écoles chrétiennes
Saint Jean-Baptiste de La Salle, parmi les œuvres nombreuses auxquelles il se dévouait, fut amené à s’occuper des Sœurs du « Saint Enfant Jésus » qui dirigeaient les écoles de petites filles, et à souhaiter une œuvre semblable pour les garçons. Certes, il existait des écoles paroissiales, mais en trop petit nombre, et mal dirigées. Les enfants, en foule, restaient abandonnés, ignorants, traînant par les rues où ils se battaient, faisaient mille sottises et apprenaient à devenir de mauvais sujets. C’était pitoyable ! Le saint prêtre portait une vive compassion à ces pauvres petits, mais il ne se doutait guère que Dieu l’avait choisi pour venir à leur secours !
Bientôt, cependant, la Providence l’amena à fonder une première école gratuite pour les garçons. Elle s’ouvrit en 1679, sur la paroisse Saint-Maurice. Les parents y envoyèrent leurs enfants avec empressement. D’autres paroisses voyant les bons résultats demandèrent aussi des écoles.
Mais, pour ouvrir des classes nombreuses et bien conduites, il fallait de bons maîtres. Plusieurs jeunes gens se proposèrent pour cette tâche à l’abbé de La Salle. Ils étaient pleins de bonne volonté, mais trop pauvres pour continuer leurs études et mal préparés à cette grande mission. Le saint prêtre comprit très vite qu’il devait d’abord former ces maîtres à l’éducation de la jeunesse. Il commença par les réunir et les loger chez lui, malgré le mécontentement de sa famille. Puis, leur nombre croissant, il se décida de les installer dans une maison où ils seraient chez eux.
C’était le commencement d’une grande œuvre. Jean-Baptiste de La Salle quitta sa belle demeure pour partager la vie de ces jeunes gens, s’occuper entièrement d’eux, se faire leur instituteur et leur père.
On poussa de beaux cris dans la ville ! Critiques, épreuves de tous genres tombèrent sur le pauvre prêtre. Mais rien ne le détournait de ce qu’il savait être la volonté de Dieu. Il pensait aux enfants abandonnés et voulait leur préparer des apôtres, c’est-à-dire des éducateurs capables de leur donner non seulement une instruction aussi bonne que possible, mais une vraie formation chrétienne qui les mît sur 1a route du ciel.
Aussi demandait-il aux maîtres un dévouement héroïque, un détachement de tous les biens de ce monde pour ne compter que sur la Providence.
Au début, tout alla bien, puis une violente tentation passa sur ces jeunes gens. Ils furent pris de découragement, d’inquiétudes pour l’avenir : « C’est facile à M. de La Salle de nous prêcher la confiance en Dieu, lui qui est riche disaient-ils. Pour nous autres qui sommes pauvres, si l’œuvre ne réussit pas, nous n’aurons ni pain, ni état ! »
Le Saint écouta leurs murmures avec bonté et convint humblement qu’ils avaient raison… Il réfléchit, pria beaucoup, demanda conseil, et prit la résolution de vendre tous ses biens pour les donner aux pauvres.
On était alors en l’année 1684. Les récoltes ayant manqué, une terrible famine désolait la Champagne. À Reims, des troupes de malheureux parcouraient les rues, déguenillés, sans abri, mourant de faim et de froid.
Chaque jour, saint Jean-Baptiste de La Salle, après avoir donné du pain à tous les enfants des écoles et secouru les pauvres cachés, distribuait lui-même vivres, argent, vêtements, à tous ces misérables. Il les accueillait dans sa maison, leur parlait avec un tendre respect comme s’il eût servi Notre-Seigneur en personne.
Il donna, donna ainsi jusqu’au jour où ayant achevé de distribuer tout ce qu’il possédait, il fut devenu pauvre lui-même.
« Maintenant, dit-il aux jeunes maîtres, nous formons une vraie famille. »
Dans la maison, il choisit pour lui la plus misérable chambre, la nourriture la plus grossière, le vêtement le plus usé et le plus rapiécé.
À partir de ce moment, il décida que les jeunes maîtres suivraient un règlement et prendraient le nom de Frères des Écoles Chrétiennes.
Puis il revêtit, ainsi que ses compagnons, l’habit que les Frères portent encore actuellement, et qui était celui des pauvres gens de ce temps, la soutane en plus. Quand on vit sortir sous ce costume Jean-Baptiste de La Salle et les Frères, c’est alors qu’on se moqua d’eux ! Dans les rues on leur jetait de la boue et des pierres. Railleries et insultes pleuvaient sur le pauvre saint.
Mais loin de s’en plaindre, il en remerciait Dieu. Si le démon se montrait ainsi furieux, c’est qu’il prévoyait le bien immense que les instituteurs chrétiens allaient faire aux enfants à travers le monde.
Quand les difficultés semblaient insurmontables, Jean-Baptiste de La Salle se livrait à de dures pénitences : il jeûnait, couchait sur le pavé de sa chambre. Puis il cherchait le secours et la force dans 1a prière.
Chaque semaine, il passait une nuit tout entière en prières près du tombeau de saint Rémi, le grand apôtre de la Gaule. Le sacristain l’enfermait le soir dans l’église et 1’y retrouvait le lendemain matin, agenouillé sur les dalles froides.
Mais surtout, c’était vers la Très Sainte Vierge qu’il se tournait avec la confiance d’un fils.
Le prêtre au chapelet
C’est ainsi, que l’on désignait Jean-Baptiste de La Salle, parce que dans les rues, le long des chemins, il ne cessait d’égrener son rosaire. On le voyait passer, humble, pieux, un petit chapelet d’étain entre les doigts.
« Le chapelet, disait-il, est le bréviaire des Frères. »
Toujours il avait tendrement aimé la Très Sainte Vierge. Enfant, il ornait ses autels, jeune homme, il lui confiait sa vocation.
À l’origine des écoles, il conduisit un jour les premiers Frères en pèlerinage à N.-D. de Liesse, et là, il consacra l’œuvre naissante à la Très Sainte Vierge, la suppliant, d’en être la protectrice.
La fête de l’Immaculée Conception se célébrait très solennellement dans les maisons des Frères et l’on y renouvelait la Consécration à Marie.
Les maîtres inspiraient aux élèves une vive dévotion envers leur Mère du ciel. Dans des classes, son image, ornée de fleurs et souvent de lumières, semblait présider au travail. Mais surtout, en chaque école, deux ou trois élèves désignés à tour de rôle récitaient continuellement le chapelet devant la, statue de Marie. Ils se relayaient tous les quarts d’heure. Cela s’appelait « l’intercession perpétuelle », car ce chapelet dit tout au long des classes attirait des bénédictions de Marie sur les enfants.
Le Saint des enfants
À travers des difficultés incroyables, les écoles chrétiennes se multipliaient.
En 1688, Jean-Baptiste de La Salle prenait le chemin de Paris pour de nouvelles fondations.
Dans la capitale, il établit plusieurs écoles qui devinrent rapidement très florissantes. Mais, poursuivi par des jalousies et des méchancetés de tous genres, il dut se retirer à Rouen. Là, il installa de nouvelles écoles et le Noviciat des Frères.
Ensuite, ce furent les villes de Chartres, Calais, Marseille, etc… qui réclamèrent des écoles chrétiennes. Partout, on demandait des Frères. Les enfants par centaines emplissaient leurs classes, Jean-Baptiste de La Salle avait dû renouveler complètement les méthodes d’instruction, bien rebutantes alors.
Son enseignement clair, précis, vivant, rendait la lecture, l’écriture, le calcul, faciles aux enfants. Chaque jour, les Frères expliquaient le catéchisme d’une façon intéressante.
Les parents remarquaient que les enfants des Écoles chrétiennes étaient plus polis, mieux élevés que les autres, et se tenaient parfaitement aux offices. Jean-Baptiste de La Salle fonda également des écoles professionnelles, des écoles du dimanche pour les jeunes ouvriers, et même des écoles pour des enfants indisciplinés qu’il transformait par sa douce influence. Il fonda des Écoles Normales et fut : « l’Instituteur des instituteurs ».
Chacune de ces fondations s’achetait par de cruelles épreuves.
Mais le Saint était prêt à tout endurer pour procurer le bien de ses chers enfants. I1 les aimait tant et désirait tellement les conduire à Notre-Seigneur ! Son cœur d’apôtre aurait voulu étendre les bienfaits de l’éducation chrétienne aux enfants du monde entier. Comme son divin Maître, il aurait pu répéter « Laissez venir à moi les petits enfants ! »
C’est à Rouen, le Vendredi Saint 7 avril 1719, que Jean-Baptiste de La Salle mourut saintement.
Après sa mort, son œuvre continua de s’étendre à travers la France, l’Europe, les colonies, et même les “cinq parties du monde.
Actuellement, les Frères des Écoles chrétiennes enseignent dans 64 pays et comptent dans leurs écoles près d’un demi-million d’élèves. L’humble prêtre qui durant sa vie n’avait cessé de s’abaisser, de se dépouiller, fut élevé bien haut dans la gloire. Le 24 mai 1909, le Pape Léon XIII le plaçait au rang des Saints.
Il n’y a peut-être pas de Saint à qui les enfants doivent plus de reconnaissance, et qui dans le ciel, soit mieux disposé à veiller sur eux !
J. M.
Nihil obstat :
Verdun, le 15 août 1949.
MAX. HUARD, vic. gén.
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