Sur les traces de saint François
L’an de grâce 1566… Quel mouvement dans la petite ville d’Annecy, paisible à l’ordinaire, entre ses montagnes et son bijou de lac, à l’ombre de ses clochers… La foule s’entasse à la Porte de Bœuf.
Voilà le cortège attendu ! Le duc Jean de Savoie et sa femme, Anne d’Este, visitent leur bonne ville.
Suivons le cortège à Notre-Dame de Liesse. Le duc et la duchesse vont s’agenouiller devant la précieuse relique que Chambéry a prêtée pour ce grand jour : le Saint-Suaire.
Au milieu de la foule, une jeune femme, à genoux, prie avec ferveur. Les anges ont recueilli sa prière : Mon Dieu, donnez-moi un fils, je vous le consacrerai.
Cette toute jeune femme, c’est Madame de Sales, la maman de celui qui fut le saint Évêque de Genève, le saint au suave sourire.
…Jour après jour, l’année a passé… Dans le château de Sales, un fils est né et ce fut une grande joie. Un vrai petit ange, tout blond et rose, si sage, si mignon que c’en est plaisir.
…Le petit ange blond a grandi. Voyez-le en promenade avec sa bonne nourrice Pétramande. De quels yeux suppliants il la regarde : Il voudrait quelque friandise pour le petit pauvre qui tend la main.
Avec quel joli sourire, François fait l’aumône !
Mais notre garçon semble d’humeur guerrière aujourd’hui.
Est-ce bien lui, une petite épée au poing, qui court par tout le poulailler en criant aux poules effrayées : Sus, sus aux hérétiques !
Les hérétiques, ce sont des chrétiens que de mauvais bergers ont entraînés hors du troupeau de l’Église. Le brave petit homme ! Il vient d’apprendre que Genève, la grande ville voisine, vient de chasser ses prêtres, briser ses crucifix… Et il aime déjà beaucoup le Seigneur, que sa mère lui apprend à prier, ce Dieu qui fait pousser le blé et les fleurs, notre Père qui est aux Cieux.
Les jours, les mois passent et les années tombent dans le cœur de Dieu, comme ces pétales de marguerite qu’on effeuille.
Le saint au doux sourire
Elles sont bien curieuses, les rues d’Annecy, bordées d’arcades, comme cette rue Sainte-Claire, qui était autrefois telle que vous la voyez aujourd’hui, encombrée de boutiques.
Midi. On étouffe dans la petite ville, resserrée entre ses remparts. D’où vient tout ce bruit ? Il couvre la sonnerie des angelus qui tombent de tous les clochers à la fois, c’est la sortie du collège. Les écoliers s’emparent de la rue à grand tapage. Ils tiennent à la main leurs lourds chapeaux ; plusieurs même ont déboutonné leur veste. Quel est ce joli garçon, blond, aux yeux gris-bleu plein de douceur ? Comme son habit est soigné et bien boutonné ! L’épée au côté, il marche, sérieux et grave.
Renseignons-nous auprès de ce vénérable prêtre qui va, lisant son bréviaire.
— C’est M. François, le fils de M. de Sales, dont le château est tout près d’ici. Un si bel enfant ! si bénin (doux). Ce sera plus tard un grand personnage, ou je me trompe fort. Ses camarades sont en admiration devant lui. Je les entends dire parfois : Soyons sages, voilà le saint ! Et cela, sans malice, je vous assure.
« On me conta hier qu’un sien cousin avait mérité le fouet, oui, Messieurs, le fouet. Le pauvret se lamentait fort. François, tout bellement, sort de son banc et demande d’être battu à la place du coupable. On refuse, il réclame tant et si bien que le maître impatienté lui donne le fouet ! Est-ce joli ?… »
…Le soleil se couche dans le ciel rouge où se dessinent en noir les clochers. Voyez à la fenêtre de ce vieil hôtel. Une dame âgée, la tête penchée, écoute… Assis près d’elle, ses boucles blondes touchant les pages, un jeune garçon lit, de sa douce voix chantante, « la Vie des Saints », c’est François. Les enfants jouent et crient au dehors, comme ce soir, les bourgeois descendent vers le lac…
HUBERT. — Quel est ce clocher qui s’élève plus haut que les autres ?
— C’est le clocher de la Visitation, sur le coteau. Montons jusque là-haut, c’est une belle promenade.
Cette église inachevée a été élevée en l’honneur de saint François. De chaque côté du chœur, voyez ces deux châsses. Ici, c’est l’image du doux saint de Genève.
HENRI. — Il est habillé comme Monseigneur.
— Il fut, en effet, évêque d’Annecy, un évêque aimé de tous, chéri des enfants qui couraient derrière lui dans la rue. Il était si bon !
Là, c’est l’image de sainte Jeanne de Chantal. C’était une pieuse dame qui, aidée de saint François, groupa plusieurs dames pieuses comme elle, pour vivre ensemble dans la prière. Ce fut le premier couvent de la Visitation installé dans une humble maison au bord du lac.
Ici, dans ce monastère, les religieuses continuent la vie de prière de sainte Jeanne, loin des bruits de la ville, tout près des reliques du doux saint François.
Redescendons vers le lac.
Le beau lac bleu entre les monts tranquilles. Comme elles sont transparentes, ces eaux couleur de ciel ! Que d’images ravissantes elles reflètent dans leur miroir ! Les montagnes mauves s’y dessinent en tremblants contours ; un nuage rose y frissonne en ombre légère ; les cygnes y mirent leur blancheur de neige.
Le cœur de la Savoie est toute douceur, comme le sourire du grand saint dont elle est fière.
Dans les pas de l’Apôtre
Nous sortons d’Annecy par la route qui va vers Genève. Savez-vous que, sur cette même route, un matin de septembre, François de Sales et son cousin Louis s’en allaient à cheval, émus et pleins d’ardeur. Ils partaient à la conquête des âmes.
À mesure qu’il avance sur la route, une grande souffrance serre le cœur du doux apôtre. Ces clochers qu’il aperçoit, dans des nids de verdure, il sait qu’ils sont muets. La cloche ne sonne plus les messes. Les chrétiens suivent les mauvais bergers… Au bord du lac, voici Thonon qui a suivi l’exemple de Genève, chassant ses prêtres, brisant ses crucifix… Et François pleure…
Comment aller vers les âmes ? Chaque jour, il se rend à Thonon, sans crainte du danger. Il prêche : à peine une douzaine de personnes viennent l’entendre. Il se fait doux et bon pour gagner les cœurs, mais les cœurs sont durs.
L’hiver est venu. Le soir, François rentre transi ; ses pauvres pieds, meurtris d’engelures, saignent. Sur la neige, il y a comme des fleurs rouges sur ses pas. François prie et souffre…
Une nuit, il traverse un bois où hurlent les loups. Il monte dans un arbre, s’attache avec sa ceinture, et prie la bonne Vierge. Au matin, des paysans le découvrent à moitié gelé et, pris de pitié, le réchauffent près de leur feu.
Et voici qu’on commence à aimer cet apôtre plein de bonté. Des chrétiens quittent les mauvais bergers et François se réjouit dans son cœur. Il regarde la plaine où la moisson mûrit et il songe qu’il va offrir au Seigneur une belle moisson d’âmes.
L’aimable plaine dans le cadre des montagnes, qui s’en vient doucement baigner ses pieds dans le lac. Un bouquet de verdure : châtaigniers, poiriers, noyers, cerisiers. Sur le coteau, une tourelle de château pointe ça et là à travers le feuillage. Sur les pentes, les vignes grimpent et s’enlacent curieusement autour des troncs d’arbres morts. Paysage de douceur. Joie de vivre.
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