Catégorie : <span>Et maintenant une histoire II</span>

Ouvrage : Et maintenant une histoire II | Auteur : Jean-Claude

Commémoration des défunts

Devant la porte de la salle de classe, les élèves s’apprêtent à entrer pour subir les épreuves du cer­ti­fi­cat. Un à un, on les appelle et ils vont s’installer au bureau que leur indique le surveillant.

Pour les cours de caté - certificat d'étude« Robert Lenoir… Ber­nard Lernier… »

Robert, fur­ti­ve­ment, a glis­sé un coup d’œil à Ber­nard. Tous deux sont de la même école.

Robert Lenoir, élève médiocre, peu scru­pu­leux, n’a pas tra­vaillé beau­coup durant l’année. C’est un bon cœur, mais, mal­heu­reu­se­ment, il lui a man­qué, dès son jeune âge, l’in­fluence d’une mère, morte lors­qu’il avait quatre ans. Il ne lui reste que sa grand-mère, qui l’aime beau­coup mais qui n’a sur lui aucune auto­ri­té, et son père, trop pris par les affaires, ne s’oc­cupe guère de lui.

Ber­nard, au contraire, est tra­vailleur. Très ambi­tieux, il arrive tou­jours dans les pre­miers de sa classe.

Aus­si, Robert se réjouit d’être pla­cé près de son camarade.

* * *

Les can­di­dats, après avoir ren­du leurs rédac­tions, com­mencent main­te­nant la com­po­si­tion de calcul.

« Hem !… Bernard… »

Ber­nard a levé la tête à l’ap­pel dis­cret de son voisin.

« Passe-moi le problème. »

Mais à ce moment, le sur­veillant, enten­dant chu­cho­ter, lève la tête et regarde fixe­ment dans la direc­tion des deux enfants.

Ouvrage : Et maintenant une histoire II | Auteur : Dardennes, Rose

Caté : histoire pour la ToussainDans le sen­tier, blanc de givre, Jean rit tout seul : il se rap­pelle l’his­toire du couteau !

L’an der­nier, pen­dant sa rou­geole, il a deman­dé qu’on lui raconte une his­toire, et grand-père avait com­men­cé, sur un ton à faire fris­son­ner tous les braves :

« C’é­tait le soir. À la lueur d’une chan­delle, un homme allait à pas de loup dans la maison… »

Jean rete­nait son souffle : « Mon Dieu ! qu’al­lait-il advenir ?

- Sou­dain, annon­ça grand-père avec un geste épou­van­table, il prit un grand couteau… »

Ter­ri­fié, Jean dis­pa­rut sous ses couvertures…

Et l’aïeul ache­va, après un petit silence :

« …Il prit un grand cou­teau et… éten­dit du beurre sur son pain. »

Quel fou rire, ce soir-là !… Et quel suc­cès lors­qu’il répé­ta l’his­toire à ses camarades !

Pauvre grand-père, si gen­til ! Il fabri­quait arba­lètes et cha­riots, et jamais ne se fâchait lorsque Jean avait cas­sé une roue ou per­du toutes ses flèches…

Hélas ! grand-père n’est plus ici : voi­là trois semaines qu’il est par­ti chez le Bon Dieu. Jean ne met plus son pull rouge qu’il aimait bien ; Marie-Claire lui en a tri­co­té un blanc, « parce qu’on est en deuil » a‑t-elle dit.

C’est triste, la mort. Le jour de l’en­ter­re­ment, maman et Marie-Claire pleu­raient der­rière un grand voile noir, et papa avait une pauvre figure triste, triste… Jean aus­si avait du cha­grin : tout ce noir et ces larmes, et cette odeur de mort lui gla­çaient le cœur… Pen­dant l’en­ter­re­ment, il pleu­rait si fort que Marie-Claire vint s’as­seoir auprès de lui pour le conso­ler. Elle a dit beau­coup de choses qui le ber­çaient, mais il n’en a rete­nu qu’une : grand-père est au pur­ga­toire et il faut prier pour qu’il entre vite au ciel. Alors, au lieu de pleu­rer, il a réci­té son cha­pe­let, du mieux qu’il a pu ; puis il a dit à la Sainte Vierge :

« Arran­gez-vous avec le Bon Dieu, Maman du Ciel, pour que grand-père quitte vite vite le purgatoire. »

Puis à Jésus pré­sent au tabernacle :

« Mon cher Jésus, votre Maman va Vous deman­der quelque chose : Vous lui obéi­rez, n’est-ce pas ? »

***

Seul dans le sen­tier, blanc de givre, Jean rumine ces choses tristes.

Ouvrage : Et maintenant une histoire II | Auteur : Dardennes, Rose

Rosaire

Du bon usage du chapelet - Vierge à l'Enfant qui donne un Rosaire à deux enfants
Vierge à l’En­fant qui donne un Rosaire à deux enfants

Oui, clame Jac­que­line indi­gnée, je l’ai entendu !

– Que disait-il, enfin ?

– Il s’é­tait dis­pu­té avec Michel Bougre qui vou­lait pro­fi­ter de son agi­li­té pour l’en­voyer grim­per au noyer. Michel était par­ti en bou­gon­nant, et le petit « Noir » a dit entre ses dents : « Li méchant boy ; mais moi prendre mitraillette, et pan-pan-pan !… li deve­nir bon ! »

Ghis­laine et Pau­lette sont affolées :

« Une mitraillette ! Il va le tuer !

– Il ne semble pour­tant pas méchant, ce petit », mur­mure Odette.

Il a même l’air fort gen­til, Joseph, authen­tique négrillon, débar­qué avant-hier au vil­lage avec le Père Duchesne reve­nu voir sa vieille maman. Le mis­sion­naire – un gars du pays qui fut à l’école avec tous les papas des enfants d’aujourd’hui, et arrive droit d’Afrique – était joyeu­se­ment atten­du par tout le petit monde de Rive­claire, friand d’his­toires de nègres et de sor­ciers… Mais quand on le vit accom­pa­gné de son boy Joseph, ce fut du délire : cha­cun vou­lait voir et appro­cher ce petit noir en chair et en os, avec des che­veux cré­pus, un nez épa­té, des yeux mali­cieux et des dents écla­tantes de blan­cheur dans sa figure cho­co­lat. Bien­tôt s’engagèrent des conver­sa­tions déso­pi­lantes, en un impayable fran­çais ponc­tué de rires sonores… puis ce furent, avec les gar­çons, des par­ties de cache-cache et de balle au camp, sous l’œil envieux 

Ouvrage : Et maintenant une histoire II | Auteur : Des Brosses, Jean

Notre-Dame

Pen­dant des siècles et des siècles, jus­qu’à ce qu’une main pro­fa­na­trice la détrui­sit en 1793, sous la Ter­reur, on véné­rait dans une très vieille cha­pelle, à La Saul­ne­rie, en Tar­de­nois, non loin de Reims, en Cham­pagne, une sin­gu­lière sta­tue de la Vierge. Cette sta­tue por­tait, pro­fon­dé­ment enfon­cé dans le genou gauche, un bizarre trait de fer, long d’une ving­taine de pouces. On l’ap­pe­lait « la Sar­ra­sine », mais nul ne savait trop pourquoi.

La toute récente décou­verte d’une ancienne légende cham­pe­noise vient enfin de don­ner le fin mot de cette his­toire bien mal connue. Elle mérite d’être contée. Je vais donc, ici, vous la dire.

* * *

embarquement pour la croisade à Aigues-MortesC’é­tait en l’an 1249. A cette époque, sous la ban­nière aux fleurs de lys de France, à la suite du très saint roi Louis IX, comtes et barons d’An­jou, de Cham­pagne ou de Poi­tou, ducs, vidames ou simples sires d’Au­vergne et de Nor­man­die, des Flandres, d’Ar­tois ou de Lor­raine, tous grands sei­gneurs ou petit princes par­tirent pour le loin­tain Orient.

Cette sep­tième Croi­sade s’é­tait embar­quée le 25 août 1248 du port d’Aiguës-Mortes, dans le golfe du Lion, récem­ment acquis par saint Louis, pré­ci­sé­ment pour que l’expédition chré­tienne par­tit d’un port français.

Une Croi­sade n’é­tait pas une mince entre­prise, hâti­ve­ment conduite et bien­tôt ter­mi­née. Les armées s’é­bran­laient pour plu­sieurs années et, avec elles, une foule consi­dé­rable de très humbles gens ne por­tant ni heaumes, ni ban­nières, mais, tout modes­te­ment, les outils de leur état : enclumes des for­ge­rons ou pics des bâtis­seurs, draps et ciseaux des fai­seurs d’ha­bits, pétrins et fours des bou­lan­gers, charmes et houes des labou­reurs… Ne fal­lait-il pas, pour tant de gens s’exi­lant par delà les mers en des lieux par avance hos­tiles, pré­voir qu’ils ne devraient comp­ter que sur eux-mêmes ?

* * *

Or, c’est ain­si qu’à la sep­tième Croi­sade se trou­va entraî­né, dans la trei­zième année de son âge, Thi­baut, de La Saul­ne­rie, en Tar­de­nois, fils d’un humble save­tier. Son père, que le sire de Mont­mi­rail avait enga­gé dans l’ex­pé­di­tion, s’é­tait vu contraint, étant veuf, d’emmener avec lui son fils dans la grande aven­ture. Thi­baut, au prin­temps 1249, débar­quait en Égypte, le roi Louis ayant choi­si ce pays pour y lan­cer ses pre­miers assauts.

Saint Louis - DamietteIl y eut d’a­bord un grand suc­cès, puisque les Croi­sés, presque sans coup férir, purent s’emparer de Damiette.

Ah ! que Thi­baut trou­vait donc alors la Croi­sade, en même temps que la plus sainte chose, assu­ré­ment, la plus agréable aus­si qui se pût conce­voir en ce monde ! On bour­lin­guait sur des flots magni­fiques, on décou­vrait des pays d’or et d’a­zur, d’où les enne­mis s’en­fuyaient, aban­don­nant d’i­nes­ti­mables tré­sors entre les mains de leurs vainqueurs.

Tous étaient très bons pour Thi­baut, depuis les plus grands chefs, tel le Séné­chal de France, Mon­sei­gneur de Join­ville, jus­qu’au der­nier des sol­dats. Tous 

Ouvrage : Et maintenant une histoire II | Auteur : Dardennes, Rose

Assomption

« Ciel ! comme nous voi­là faits !… »

Les Enfants jardiniers : Eté. Enfants arrosant et jouant avec un chien - Desportes François (d'après Charles Le Brun)Ils étaient par­tis endi­man­chés, vêtus de blanc ain­si que les lis des jar­dins et les mar­gue­rites des champs. Par­tis par une très longue route vers la Cité mer­veilleuse où leur père était roi, et où ils seraient princes.

Leur mère, sage et pru­dente, leur avait dit au départ :

« Pre­nez grand soin de vos vête­ments imma­cu­lés : votre père n’y tolé­re­rait ni tache ni accroc.

– Bien sûr ! » avaient répon­du filles et gar­çons, gaillards et fanfarons.

Oui, mais…

En route, il leur avait pris fan­tai­sie de s’a­mu­ser : ils avaient joué, ri, chan­té, cha­hu­té, et puis cha­hu­té, chan­té, ri et joué, comme des fous, dans la pous­sière des villes et dans la bouc des champs, sans regar­der aux ronces du che­min, aux épines des buis­sons, sans se sou­cier le moins du monde de leurs beaux vête­ments cou­leur de mar­gue­rites et de lis…

Ils n’y avaient point pensé.

Mais voi­ci qu’en arri­vant aux portes de la Cité, un rayon de sa lumière les tou­cha, dans lequel, sou­dain, ils se figèrent, transis.

« Ciel ! comme nous voi­là faits ! » répé­ta le plus grand en écho.

La nouvelle Jérusalem - Tapisserie d Angers - l 'Apocalypse de Saint Jean

Et le plus petit se mit à pleurer.

Et tous les autres à trembler.

Dans cette aube-là, qui ne res­sem­blait à aucune autre clar­té mais les dépas­sait toutes, ils se sen­taient eux-mêmes trans­pa­rents et