Saint Vincent de Paul à la cour du roi

Auteur : Saint-Pierre, Michel de | Ouvrage : Monsieur Vincent .

Temps de lec­ture : 10 minutes

Histoires à raconter le soir - Saint Vincent de Paul

De Rome, Vincent par­tit pour Paris — et il y alla avec une mis­sion. Le pape Paul V, en effet, lui avait confié, à lui, jeune prêtre encore incon­nu, un mes­sage oral et secret pour le roi de France lui-même. Nous ne savons pas exac­te­ment quelle était cette mis­sion. Cer­tains his­to­riens croient qu’il s’a­gis­sait de pré­pa­rer la Cour de France à un mariage espa­gnol, dans le but de rap­pro­cher les nations catho­liques. Quoi qu’il en fût, Vincent de Paul et Hen­ri IV se plurent : le roi appré­cia l’é­qui­libre et la vigueur de ce prêtre, fils de pay­san — et Vincent était tout dis­po­sé à aimer, dans Hen­ri, le Béar­nais ami du peuple qui vou­lait que les petites gens de son royaume eussent, le dimanche, la poule au pot.

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Peu après cette ambas­sade — sur laquelle Vincent devait gar­der le secret — le jeune prêtre fut nom­mé aumô­nier de la reine Margot…

Cette sou­ve­raine avait connu un curieux des­tin. C’é­tait la fille d’Hen­ri II et de Cathe­rine de Médi­cis. Et sa mère l’a­vait mariée contre son gré à Hen­ri de Navarre, deve­nu depuis lors, nous l’a­vons vu, Hen­ri IV. Or, le roi de France avait obte­nu l’an­nu­la­tion de son mariage — en sorte que Mar­got était deve­nue « reine sans couronne ». 

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Ins­tal­lée à Paris, sur la rive gauche de la Seine, en face du Louvre, en un palais vaste et somp­tueux qu’elle s’é­tait fait construire, elle mena désor­mais l’exis­tence d’une sou­ve­raine amie des Lettres et des Arts. Fort pieuse mal­gré ses désordres, la reine Mar­got enten­dait trois messes chaque matin et dépen­sait une bonne part de son immense for­tune à des œuvres de cha­ri­té. Comme Vincent, mais à sa manière, elle avait l’a­mour des pauvres ; payant de sa per­sonne, elle visi­tait et ser­vait elle-même les malades dans les hôpi­taux. Mais, en même temps, elle tenait sa cour, où tous les plus illustres gen­tils­hommes et les plus célèbres artistes défi­laient du matin au soir. Si bien que Vincent de Paul — qu’on appe­lait déjà « Mon­sieur Vincent » — tout en admi­rant le dévoue­ment et la bon­té de Mar­got, appré­ciait moins l’at­mo­sphère et la vie fas­tueuse de son palais…

M. Vincent est main­te­nant dans sa tren­tième année. Nous le savons à la fois sédui­sant et laid. Si laid qu’un jour, se voyant au miroir, il s’é­crie en par­lant de lui-même :

— Quel maroufle !

Histoires à imprimer : Vie et portrait de Saint VincentMais sédui­sant, il l’est aus­si parce qu’il paraît dès l’a­bord extrê­me­ment intel­li­gent et pro­fon­dé­ment bon. Et voi­ci le por­trait que fait de lui, d’a­près les gra­vures de l’é­poque, l’un de ses his­to­riens, Antoine Rédier : « A consi­dé­rer ses por­traits, il est impos­sible de sup­po­ser qu’un tel visage ait jamais été, même dans les années d’en­fance, agréable à voir. Mais la bouche était vaste, gour­mande et sym­pa­thique. Sur un extra­or­di­naire men­ton, un men­ton solide comme une pièce de forge, men­ton de vil­la­geois dur au tra­vail, men­ton impla­cable de dic­ta­teur, ses lèvres sou­riaient avec huma­ni­té. C’est par elles et par l’es­prit de ses yeux qu’il a dû faire, tout-petit, les pré­cieuses conquêtes que nous savons… »

Il ne fau­drait pas croire que, mal­gré sa vie édi­fiante et son dévoue­ment, M. Vincent fût déjà un saint. Il lui arri­vait de rêver, comme beau­coup d’entre nous, d’une exis­tence qui eût été à la fois pai­sible et dévote, sans heurts et sans peine. Il écri­vit même à sa mère, pour lui expri­mer son désir de prendre retraite auprès d’elle.

Mais Dieu en dis­po­sa bien autrement !

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Nous sommes main­te­nant en 1611, et Hen­ri IV vient d’être assassiné.

La res­tau­ra­tion poli­tique est bien entre­prise. Mais les que­relles entre catho­liques et pro­tes­tants sont loin d’être apai­sées — et les esprits les plus clair­voyants de ce temps-là pensent évi­dem­ment à la res­tau­ra­tion reli­gieuse. Or, M. Vincent compte déjà, à trente ans, par­mi les meilleurs esprits de son temps. Et, bien vite, il ren­contre, à l’oc­ca­sion d’une retraite, un esprit émi­nent, M. de Bérulle — qui va fon­der l’O­ra­toire et qui sera car­di­nal. Très cer­tai­ne­ment, Bérulle est à l’o­ri­gine de la véri­table voca­tion de Vincent de Paul, et de leur entre­tien date peut-être la pre­mière étape du long voyage de M. Vincent sur le che­min de la per­fec­tion. Vers cette époque, Vincent — qui lit assi­dû­ment l’Imi­ta­tion de Jésus-Christ et l’Intro­duc­tion à la Vie dévote de saint Fran­çois de Sales, évêque de Genève — fait le vœu de se don­ner entiè­re­ment et pour tou­jours au ser­vice des pauvres…

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Un jour, la cure de Cli­chy se trou­vant libre, Bérulle pousse son ami à l’ac­cep­ter : et voi­là Vincent de Paul, en 1612, curé de Cli­chy, où il va exer­cer son minis­tère pen­dant un an. Cli­chy n’é­tait pas alors, comme aujourd’­hui, le quar­tier agi­té d’une grande ville. Ce n’é­tait qu’un vil­lage, avec des champs, de l’air pur, des pay­sans — et ce bourg s’é­ten­dait jus­qu’aux confins de notre quar­tier de la Made­leine. Les empla­ce­ments actuels de la gare Saint-Lazare et de l’é­glise Saint-Augus­tin étaient éga­le­ment cou­verts de cultures, et ils appar­te­naient à la paroisse du nou­veau curé. Vincent fut, durant cette brève année, content de ses parois­siens — et lui-même devait dire plus tard : « J’ai été curé des champs (pauvre curé !). J’a­vais un si bon peuple et si obéis­sant à faire ce que je lui deman­dais que, lorsque je leur dis qu’il fal­lait venir à confesse les pre­miers dimanches du mois, ils n’y man­quaient pas. Ils y venaient et se confes­saient, et je voyais de jour en jour le pro­fit que fai­saient ces âmes. Cela me don­nait tant de conso­la­tion, et j’en étais si content, que je me disais à moi-même : « Mon Dieu, que tu es heu­reux d’a­voir un si bon peuple ! » Et, un jour, Mgr le car­di­nal de Retz me dit : « Eh bien ! Mon­sieur, com­ment êtes-vous ? » Je lui dis :

« Mon­sei­gneur, je suis si content que je ne le vous puis dire.

— Pour­quoi ?

— C’est que j’ai un si bon peuple, si obéis­sant à tout ce que je lui dis, que je pense en moi-même que ni le Saint-Père, ni vous, Mon­sei­gneur, n’êtes si heu­reux que moi… »

Lutte de saint Vincent de Paul contre les duelsMais une chose pré­oc­cu­pait M. Vincent : il ne savait pas chan­ter. Il s’en déso­lait, et c’est encore lui qui devait le racon­ter, tout navré, en évo­quant cette époque de sa vie :

— Je dirai, à ma confu­sion, que, quand je me voyais à ma cure, je ne savais comme il m’y fal­lait prendre ; j’en­ten­dais avec admi­ra­tion ces pay­sans qui enton­naient les psaumes, ne man­quant pas d’une seule note. Pour lors je me disais : « Toi qui es leur père spi­ri­tuel, tu ignores cela » ; et je m’affligeais.

Mais si M. Vincent chan­tait faux, il savait bâtir — et il trou­va le moyen de construire à Cli­chy une belle église neuve…

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Un jour de 1613, M. de Bérulle fit connaître à Vincent de Paul qu’il avait trou­vé pour lui « une bonne place à Paris ». Il vou­lait l’in­tro­duire comme pré­cep­teur dans la famille de M. de Gon­di, géné­ral des galères et com­man­dant en chef des flottes royales.

Les Gon­di, d’o­ri­gine flo­ren­tine, étaient venus en France avec les Médi­cis : c’é­taient de grands sei­gneurs, intel­li­gents, braves, altiers.

L’homme dont allait dépendre M. Vincent s’ap­pe­lait Phi­lippe-Emma­nuel de Gon­di, rude capi­taine, homme pieux mais intran­si­geant, ambi­tieux et batailleur. Vincent, qui entrait dans sa mai­son pour ensei­gner l’un de ses fils, s’employa maintes fois à cal­mer la bouillante agres­si­vi­té de ce gen­til­homme. On sait que le était alors presque une ins­ti­tu­tion (bien que condam­né par l’É­glise) et que les sei­gneurs, dans leur humeur bel­li­queuse, avaient du mal à com­prendre que tuer leur pro­chain en com­bat sin­gu­lier, pour régler un point d’hon­neur, n’é­tait pas com­pa­tible avec la reli­gion de Jésus-Christ. Un jour donc, M. Vincent eut la sur­prise et la dou­leur de voir son maître Emma­nuel de Gon­di venir assis­ter à la messe, sans cacher qu’a­près l’of­fice il allait se battre en duel. Tout se pas­sait comme si Gon­di eût vou­lu deman­der à Dieu de l’ai­der à faire un péché mor­tel. Et Vincent devait racon­ter lui-même qu’a­près la messe, il alla se jeter aux pieds du grand sei­gneur, qui était encore à genoux en orai­son, et qu’il lui dit là, en pleine chapelle :

— Mon­sei­gneur, per­met­tez qu’en toute humi­li­té je vous dise un mot : je sais que vous avez des­sein de vous battre en duel ; je vous dis, de la part de mon Dieu, que je viens de vous mon­trer et que vous venez d’a­do­rer, que, si vous ne quit­tez pas ce mau­vais des­sein, il exer­ce­ra sa jus­tice sur vous et sur toute votre postérité.

Le géné­ral des galères céda. Le duel n’eut pas lieu, mais Gon­di était furieux, crai­gnant qu’on ne prît pour fai­blesse son acte d’o­béis­sance et de piété…

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M. Vincent par­lait sou­vent à Mme de Gon­di : très vite, elle devint sa péni­tente. C’é­tait une femme fort pieuse et fort bavarde, intel­li­gente, géné­reuse, mais rem­plie de scru­pules et d’in­quié­tudes — comme étaient par­fois les dévotes à cette époque. Si bien que le pauvre M. Vincent avait fort à faire pour diri­ger la conscience de cette dame agitée.

Il fit de son mieux, pour­tant — et sous sa direc­tion, Mme de Gon­di tou­cha du doigt la misère reli­gieuse et la misère tout court des paroisses de ses terres. Dans l’un des hameaux de l’im­mense domaine des Gon­di, à Fol­le­ville, en jan­vier 1617, Vincent par­la un jour de la pré­sence de Dieu et de l’a­mour des hommes — appe­lant ceux qui l’é­cou­taient à la confes­sion géné­rale. L’ef­fet de ce ser­mon fut fou­droyant : et les confes­sions géné­rales devinrent si nom­breuses qu’il fal­lut faire venir d’autres prêtres, et même des Pères Jésuites d’A­miens, pour aider Vincent de Paul à absoudre tout le monde. Oui, M. Vincent avait tou­ché la pro­fonde plaie de son temps : le mal­heu­reux peuple de cam­pagne se per­dait, corps et âme, et il était urgent d’al­ler à son secours. Et nous ver­rons plus loin que ce jour-là, le jour de la pré­di­ca­tion de Fol­le­ville, fut sans doute à l’o­ri­gine de la fameuse œuvre des Mis­sions.

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