Monsieur Vincent – La fondation des Filles de la Charité

Auteur : Saint-Pierre, Michel de | Ouvrage : Monsieur Vincent .

Temps de lec­ture : 17 minutes

Et pour­tant, que de bel et bon tra­vail il fait !

Voyons d’a­bord la fameuse Mis­sion dont il se dit « le prêtre indigne ».

C’est une sin­gu­lière orga­ni­sa­tion, à la véri­té. Les mis­sion­naires de M. Vincent arrivent dans un dio­cèse, dans une Pro­vince ; ils demandent à l’é­vêque ses ordres, puis ils débarquent dans la paroisse qui leur est fixée, avec un cha­riot où ils ont entas­sé leurs humbles affaires et leur mobi­lier. Ils s’ins­tallent où ils peuvent et com­mencent leur besogne : un caté­chisme à expli­quer soir et matin, non seule­ment aux enfants, mais à tous les paroissiens.

Monsieur Vincent vient evangéliser avec ces Missions

Institution des dames de la charité par Saint Vincent de PaulVoi­là bien où M. Vincent est un nova­teur : il n’aime pas les grandes pré­di­ca­tions, les dis­cours solen­nels. Non ! Il s’a­git, répé­tons-le, du simple caté­chisme ; il s’a­git aus­si de conver­ser libre­ment avec l’au­di­toire modeste auquel cet ensei­gne­ment est des­ti­né. Puis, quand ils estiment avoir suf­fi­sam­ment ins­truit la paroisse en ques­tion, les mis­sion­naires plient bagage et partent vers un autre vil­lage. Et ce n’est pas tout. M. Vincent ne se contente pas de l’en­sei­gne­ment spi­ri­tuel, ni de la gué­ri­son des âmes. Il veut aus­si gué­rir les corps — parce que l’en­sei­gne­ment du Christ pénètre plus faci­le­ment dans l’es­prit de gens qui ne sont pas trop mal­heu­reux. Les œuvres de M. Vincent, alors, se mul­ti­plient : la Cha­ri­té d’hommes et de femmes, dont nous avons déjà par­lé, se rami­fie en nom­breuses confré­ries qui s’en­gagent à ser­vir les pauvres et à soi­gner les malades. Puis Vincent fonde l’œuvre des Dames de la Cha­ri­té, qui for­me­ront pour lui, à Paris, une sorte de vaste état-major et l’ai­de­ront dans la direc­tion natio­nale de son mou­ve­ment. Là encore, l’é­lan du saint est irré­sis­tible. Sous la direc­tion de la pré­si­dente Gous­saut, les Dames riva­lisent de zèle ; elles pren­dront peu à peu en charge toutes les œuvres de M. Vincent, celles qui inté­ressent les galé­riens, les pri­son­niers, les enfants trou­vés, bien d’autres encore. Vincent, leur chef, pré­side sans relâche et sans défaillance leurs réunions : il les exhorte, les conseille quand elles fai­blissent dans leur zèle, pré­cise leur rôle, répond à toutes. Et la mode s’en mêlant, il n’est pas une grande dame de Paris qui ne tienne à pas­ser au moins un moment dans la célèbre Com­pa­gnie des Dames de la Cha­ri­té. Mais Vincent de Paul, qui a du bon sens, veut que cet effort soit autre chose qu’un feu de paille. Car la dif­fi­cul­té n’est pas de créer une œuvre, mais de la faire durer : c’est là que M. Vincent appa­raît dans tout son génie rayonnant…

Après les Dames, voi­ci les . Sous la direc­tion de Louise de Marillac, Vincent réunit cette fois des filles simples qui seront les ser­vantes des pauvres et qu’il orga­ni­se­ra en nou­velle confré­rie : ce seront de véri­tables reli­gieuses, mais des reli­gieuses d’un type nou­veau que l’on ver­ra cir­cu­ler libre­ment à tra­vers le monde auquel elles por­te­ront secours. Oui, il s’a­git bien de « ser­vantes des pauvres ». Avec les Filles de la Cha­ri­té, le som­met du rêve de M. Vincent est atteint…

— Ser­vantes des pauvres, s’é­crie-t-il, c’est comme si l’on disait ser­vantes de Jésus-Christ !

Et, leur fai­sant connaître les règles aux­quelles elles seront sou­mises, il dit à ses « Filles » dans un dis­cours célèbre :

— Celles qui sont appe­lées de Dieu pour vivre en une sainte com­mu­nau­té doivent en obser­ver toutes les règles. Je crois que cha­cune de vous est dans le des­sein de les mettre en pra­tique. N’êtes-vous pas toutes dans ce sentiment-là ?

Les Sœurs l’é­coutent à genoux. Elles répondent, d’une voix qui tremble d’émotion :

Les soeurs de la Charité de Saint Vincent de Paul s'occupent des pauvres— Oui, mon Père !

Et saint Vincent pour­suit son discours :

— Oh ! Je prie la sou­ve­raine bon­té de Dieu qu’il lui plaise ver­ser abon­dam­ment toutes sortes de grâces et de béné­dic­tions sur vous !

Ain­si parle M. Vincent. Ain­si lui répondent les Ser­vantes des pauvres, qui le suivent avec une confiance éperdue…

Et les acti­vi­tés du saint se mul­ti­plient. Sans par­ler des Mis­sions que nous retrou­ve­rons plus tard, ces trois œuvres prin­ci­pales et dis­tinctes : « Cha­ri­tés », « Dames de la Cha­ri­té », « Filles de la Cha­ri­té » cou­vri­ront peu à peu la France entière, comme une véri­table marée de la misé­ri­corde humaine. M. Vincent par­ti­cipe en outre, et puis­sam­ment, à la créa­tion de sémi­naires dans la région pari­sienne et en pro­vince, où les jeunes ecclé­sias­tiques reçoivent une for­ma­tion nou­velle. Il fonde pour les prêtres ses fameuses confé­rences du mar­di : par­mi les assis­tants se trouvent de nom­breux évêques, de futurs car­di­naux — le jeune Bos­suet lui-même…

Œuvre des enfants trouvés : Monsieur Vincent arpente les rues pour récupérer les enfants abandonnés

On n’en fini­rait plus, si l’on vou­lait exa­mi­ner dans le détail tout ce que fait M. Vincent. Ce qu’il faut rete­nir, c’est l’in­fluence extra­or­di­naire qu’il exerce par­tout où il passe — et le carac­tère durable des mou­ve­ments qu’il fonde. Il ne faut pas croire, d’ailleurs, que les choses lui sont faciles. M. Vincent devra lut­ter toute sa vie pour obte­nir, au sein des œuvres créées par lui, que l’u­nion existe et se main­tienne. Il y a, il y aura des heurts, des que­relles, entre celles-là même qui ont choi­si de se dévouer.

Et voi­ci à cet égard une anec­dote signi­fi­ca­tive : un jour, pré­si­dant une réunion, Vincent de Paul parle pré­ci­sé­ment de l’en­tente néces­saire par­mi les Filles de Cha­ri­té d’une même mai­son — et il en vient à dire qu’il faut, pour main­te­nir la paix, se deman­der volon­tiers par­don les unes aux autres. On voit alors une Sœur se lever et dire :

— Mon­sieur, vou­driez-vous me per­mettre de deman­der hum­ble­ment par­don à mes Sœurs de ce que j’ai mur­mu­ré, pen­sant que quelques-unes dédai­gnaient de me saluer par les rues ?

— Très volon­tiers, ma Sœur, répond Vincent.

Cette Fille se met alors à genoux et toutes les autres avec elle. Et la péni­tente demande par­don avec grande humi­li­té, nom­mant ses sœurs l’une après l’autre. Et M. Vincent, heu­reux d’as­sis­ter à ce spec­tacle, s’écrie :

— Dieu soit béni, mes Sœurs ! C’est ain­si qu’il faut faire pour conser­ver une par­faite union…

N’hé­si­tons pas à le dire : la sain­te­té de Vincent est contagieuse.

Mais l’on oublie­rait l’un de ses efforts essen­tiels, l’une de ses grandes inno­va­tions, si l’on ne par­lait pas de la fameuse Œuvre des enfants trouvés.

À cette époque, on décou­vrait sou­vent de pauvres petits êtres aban­don­nés en pleine rue : rien qu’à Paris, on en recueillait des cen­taines chaque année. Et par­mi ces enfants, ceux qui ne mou­raient pas immé­dia­te­ment connais­saient un sort épou­van­table. Il se fai­sait un véri­table com­merce de ces mal­heu­reuses créa­tures — et n’im­porte qui pou­vait acqué­rir, « pour huit à vingt sols », un petit gar­çon ou une petite fille. Or, Paris était alors infes­té de men­diants, cou­verts de ver­mine et réfrac­taires à tout tra­vail, et qui implo­raient la pitié des pas­sants ; sou­vent, ces gueux hor­ribles ache­taient des enfants trou­vés et, selon les paroles de saint Vincent lui-même, « ils leur rom­paient bras et jambes pour exci­ter le monde à pitié, et les lais­saient mou­rir de faim » — ou bien encore, « ils leur don­naient des pilules de lau­da­num pour les faire dor­mir, qui est un poison ».

Oui, M. Vincent est ins­truit de ces choses affreuses, et c’en est trop ! Il s’in­digne et fonde alors son « Œuvre des Enfants trou­vés », obli­geant les Dames de la Cha­ri­té à se dévouer avec lui et comme lui. Il les adjure de recueillir et soi­gner les pauvres petits — s’é­criant que « ces enfants sont en néces­si­té extrême et qu’en ce cas vous êtes obli­gées d’y pour­voir ! L’on peut tuer un pauvre enfant de deux façons, ou par mort vio­lente, ou en lui refu­sant la nour­ri­ture. » Puis, conti­nuant ce dis­cours indi­gné, Vincent de Paul s’ex­clame — et ce n’est pas seule­ment aux Dames qu’il s’a­dresse, mais à tout le siècle où il vit :

Trafic d'enfants par les mendiants au temps de Saint Vincent de Paul

— Si vous les aban­don­nez, que dira Dieu qui vous a appe­lées à cela ? Que dira le roi et le magis­trat, qui, par lettres véri­fiées, vous ont attri­bué le soin de ces pauvres enfants ? Que dira le public… que diront ces petites créatures ?

Le roi Louis XIII demande Monsieur Vincent pour l'aider à l'heure dernièreLes Dames entendent cela et ne peuvent s’empêcher de fondre en larmes ; elles paient, elles se dévouent — et très cer­tai­ne­ment, grâce à M. Vincent, des mil­liers d’en­fants mal­heu­reux seront sauvés.

Une influence, un rayon­ne­ment pareils à ceux de Vincent, une telle force d’âme, un tel génie de la cha­ri­té ne pou­vaient man­quer d’at­teindre à leur tour et d’é­mou­voir les grands. Déjà, le roi et la reine Anne d’Au­triche avaient eu l’oc­ca­sion de s’en­tre­te­nir avec le saint.

Et quand le roi sen­tit venir son heure der­nière, il vou­lut appe­ler cet homme excep­tion­nel auprès de lui. Donc, dans les pre­miers jours d’a­vril 1643, M. Vincent vint lui rendre visite à Saint-Ger­main. En entrant dans la chambre royale, il dit en latin la parole de l’Écriture :

— Celui qui craint Dieu n’a pas de peine en mourant.

Et Louis XIII, qui était fort pieux et fort ins­truit des choses de la reli­gion, répon­dit lui-même, ache­vant le verset :

— Et il sera béni au jour de sa mort.

De sa fenêtre, le malade pou­vait aper­ce­voir la flèche de Saint-Denis. Très calme, il dit à son visiteur :

— C’est là, Mon­sieur, que mon corps ira repo­ser bien­tôt. Puis, sou­le­vant son bras amai­gri, il deman­da tris­te­ment en le mon­trant à M. Vincent :

— Est-ce bien le bras d’un roi ?

Louis XIII mou­rut avec le plus grand cou­rage. Quand son méde­cin lui dit que sa der­nière heure appro­chait, il chan­ta lui-même le Te Deum. Le 14 mai, il entra en ago­nie — et lucide jus­qu’au bout, il était non pas effrayé, non pas même sou­mis et rési­gné, mais joyeux d’ap­pro­cher du ciel, comme un homme qui va retrou­ver son pays.

On a beau­coup dis­cu­té à pro­pos de Louis XIII. On a dit de lui beau­coup de mal — trop de mal. Mais Vincent, qui s’y connais­sait en hommes, devait par la suite répé­ter bien sou­vent qu’il n’a­vait jamais vu mou­rir avec tant de pié­té ni tant de grandeur.

* * *

La reine Anne d’Au­triche res­tait seule. Elle avait déjà devi­né ce qu’é­tait Vincent de Paul. Le saint se dis­po­sait à ren­trer à Saint-Lazare où sa Mis­sion l’at­ten­dait ; mais la reine lui deman­da de rester :

— Ne m’a­ban­don­nez pas, lui dit-elle. Je vous confie mon âme. Guidez-moi.

Et puis elle ajou­ta, pour ache­ver de le convaincre :

— Je veux aimer et ser­vir Dieu. M. Vincent accep­ta de la gui­der. Mais toute reine qu’elle fût, il ne la ména­gea point. Il lui pro­di­gua les conseils, et même les ordres d’un véri­table direc­teur de conscience.

Mais l’on sait que la reine avait, de par la mort du roi et l’ex­trême jeu­nesse de son fils, une nou­velle et écra­sante res­pon­sa­bi­li­té. Régente, elle cher­chait quel­qu’un pour l’ai­der dans sa tâche poli­tique — et ce fut Mazarin…

Le nou­veau ministre et M. Vincent n’é­taient pas faits pour s’en­tendre. L’I­ta­lien était souple, men­teur, ambi­tieux, rusé. Certes, il se dévoua à la cause de la France et à celle du roi — et à bien des égards, il fut un grand homme d’é­tat. Mais M. Vincent exi­geait davan­tage des hommes — et les bas­sesses de Maza­rin, ses four­be­ries, son orgueil, son esprit ran­cu­nier lui déplai­saient au plus haut point. Homme de Dieu, Vincent ne savait pas cacher ce qu’il pen­sait. Si bien qu’entre eux la situa­tion fut, à plus d’une reprise, fort tendue…

* * *

mercenaires dévastant les campagnes au temps de Vincent de Paul

Cepen­dant, l’é­poque était trou­blée — et les hor­reurs de la guerre ne ces­saient pas.

Anne d'Autriche prend Saint Vincent comme directeur de conscience - Mazarin Après l’Est, qui avait retrou­vé un peu de tran­quilli­té, le Nord (Artois, Picar­die et Cham­pagne) souf­frait à son tour. Les mis­sion­naires de M. Vincent conti­nuaient de par­cou­rir le pays — en atten­dant de visi­ter l’Eu­rope et le monde. Et le saint était fort bien ren­sei­gné par eux sur l’é­vo­lu­tion des évé­ne­ments. On sait qu’a­près le trai­té de West­pha­lie, la guerre conti­nuait avec l’Es­pagne. Des mer­ce­naires de tous pays et de toutes races pas­saient et repas­saient dans les mêmes cam­pagnes pié­ti­nées — où la misère était atroce, inhu­maine. On ima­gine mal, même aujourd’­hui, la cruau­té de ces armées errantes. Les récoltes
étaient pillées, les vil­lages flam­baient, et sou­vent on mas­sa­crait pêle-mêle les hommes, les femmes et les enfants. Deve­nus véri­ta­ble­ment enra­gés, après des années et des années de guerre affreuse et de per­sé­cu­tions, les pay­sans renon­çaient à culti­ver, s’ar­maient de fourches et de faux pour lut­ter contre les loups et contre les sol­dats. Par­fois on arra­chait, pour la dévo­rer, l’é­corce des arbres. Il y eut même des scènes de cannibalisme…

Bien sûr, de nom­breuses pro­vinces res­taient heu­reuses et pros­pères. Mais celles qui ser­vaient de théâtre à la guerre souf­fraient, comme nous l’a­vons dit — et il est néces­saire de connaître tout cela pour mieux juger quelle fut jus­qu’au bout l’im­mense cha­ri­té d’un Vincent de Paul. Il n’y avait pas, d’ailleurs, que la guerre étran­gère. De 1648 à 1652 — et même, hélas, bien au-delà de cette date en réa­li­té — , c’est-à-dire la guerre civile, fit rage. On en connaît les prin­ci­pales étapes : Fronde par­le­men­taire et Fronde des princes. Le som­met, si l’on peut dire, de ces luttes entre Fran­çais qui déchi­raient notre beau pays, fut peut-être la fameuse bataille du Fau­bourg-Saint-Antoine, où l’on vit les deux plus grands capi­taines fran­çais, Condé et Turenne, com­battre l’un contre l’autre — et leurs armées s’entre-tuer…

L'action de Saint Vincent de Paul durant la Fronde

Ce que l’on connaît moins, c’est le rôle émi­nent que jouait alors M. Vincent. Car lui qui n’a­vait pas d’autre ambi­tion que de ser­vir les pauvres, dut à maintes reprises inter­ve­nir dans les évé­ne­ments natio­naux — et tou­jours il inter­vint pour le bien. Il alla jus­qu’à écrire à Maza­rin une lettre admi­rable (sep­tembre 1652) qui est à la fois un chef-d’œuvre de fer­me­té, de diplo­ma­tie et de poli­tique. Vincent y conseillait à Son Émi­nence le Car­di­nal d’en­voyer le jeune roi à Paris, pour y rece­voir les accla­ma­tions de son peuple. Il lui conseillait aus­si de ne l’y rejoindre que plus tard — car le ministre était alors extrê­me­ment impo­pu­laire. Maza­rin, bien qu’il n’ai­mât point M. Vincent, accep­ta le conseil. Et l’on peut dire sans exa­gé­rer que par son juge­ment et sa clair­voyance, M. Vincent a mis fin pra­ti­que­ment à la Fronde.

* * *

Le temps passe.

Fami­lier des grands, enne­mi et conseiller du ministre, direc­teur de conscience d’une reine, Vincent de Paul n’en mène pas moins l’exis­tence la plus humble, la plus rude et la plus pauvre.

M Vincent et son influence politique auprès des grands du royaume

Ses œuvres innom­brables, orga­ni­sées comme un véri­table minis­tère, conti­nuent de se déve­lop­per entre ses deux puis­santes mains. L’en­semble s’é­tend, nous l’a­vons dit, sur la France, l’Eu­rope et le monde.

Et pour­tant, celui qui dirige tout cela n’est qu’un prêtre-pay­san tout simple et mal vêtu, tra­vaillant dans une chambre qui res­semble à une cel­lule de moine. Main­te­nant, il approche de ses quatre-vingts ans.

La fatigue a tout de même fini par mar­quer pro­fon­dé­ment, comme au cou­teau, son visage ridé. Les épaules du vieillard sont voû­tées ; presque sans trêve il est tour­men­té par les accès d’une fièvre qu’il nomme sa « fié­vrotte » et qu’il a contrac­tée en Afrique du Nord. Ses jambes s’af­fai­blissent et il boite à pré­sent, comme boi­tait son père. Seuls, ses yeux n’ont pas chan­gé, qui brillent encore de leur flamme intense. Et ne dor­mant que quatre à cinq heures par nuit, acca­blé de fatigue, le saint homme conti­nue d’être ce Vincent de Paul mali­cieux et tendre, élo­quent et vif, irré­sis­tible, à la bon­té de qui l’on finit tou­jours par céder.

Mais un homme ne peut se dépen­ser ain­si, jeter ses forces à tous les vents de la cha­ri­té, sans arri­ver un jour à l’é­pui­se­ment com­plet. Le miracle est que M. Vincent ait résis­té si longtemps…

Ses fami­liers, qui le voient lut­ter chaque jour, savent main­te­nant qu’il approche de la mort.

Il a grande hâte, à vrai dire, d’al­ler retrou­ver le Dieu d’a­mour — d’al­ler rejoindre ses amis. Mme Gous­saut, la plus dévouée de ses Dames de Cha­ri­té, Louise de Marillac, la plus fidèle et la plus éner­gique de ses col­la­bo­ra­trices, sont mortes. Oui, M. Vincent s’a­che­mine vers la fin de sa vie comme on atteint le bout de la route : avec hâte et avec joie.

Il n’en conti­nue pas moins à tra­vailler, à se don­ner. Des mes­sages lui arrivent de toutes parts ; les mis­sion­naires de pas­sage viennent cher­cher ses encou­ra­ge­ments ; des évêques le consultent — et de grands sei­gneurs, des chefs de guerre lui demandent son avis…

Il ne peut plus mar­cher. Un abcès à l’œil le fait cruel­le­ment souf­frir. Mais il est capable encore de répondre à ses visi­teurs — et jus­qu’au bout, c’est lui, le malade, qui exhorte et encourage.

Et puis, dans sa petite chambre de Saint-Lazare, le 27 sep­tembre 1660, à quatre-vingts ans, M. Vincent quitte la terre et rend son âme à Dieu.

* * *

Vincent de Paul est mort. Mais son œuvre, dans le monde entier, conti­nue de vivre. Elle rayonne encore, de nos jours. En cette année 196o qui marque le troi­sième cen­te­naire de sa dis­pa­ri­tion, la lumière de brille d’un nou­vel éclat par­mi nous — et cette lampe de cha­ri­té, nous savons bien qu’elle ne s’é­tein­dra jamais.

Les oeuvres de charité de Monsieur Vincent perdurent jusqu'à nos jours


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