Catégorie : <span>Et maintenant une histoire I</span>

| Ouvrage : Et maintenant une histoire I .

Temps de lec­ture : 6 minutes

« Alors vrai, tu crois que ce pour­rait être bientôt ? »

Le jeune ser­gent a fait de la tête un signe affir­ma­tif, et, fou de joie, un éclair dans ses yeux noirs, Has­san s’est enfui en cou­rant pour ne pas être en retard en classe.

Il y a plu­sieurs semaines que le ser­gent Gaillard est arri­vé à Bey­routh, impa­tient de mettre sa jeune ardeur au ser­vice du pays. Mais, mal­gré tous ses dési­rs, il lui a fal­lu accep­ter ce poste trop tran­quille où il ronge son frein en rêvant de gloire et de combats.

Petite histoire chrétienne - Baptême de sangTout près, heu­reu­se­ment, il y a le col­lège des Frères, l’im­mense col­lège des Frères dont les petits gars lui rap­pellent ceux du groupe Cœurs Vaillants où il aimait à ser­vir avant la guerre.

Et c’est d’un regard plein de fier­té que le ser­gent suit Has­san, le petit indi­gène qui depuis de longs mois attend avec fer­veur le moment où il pour­ra rece­voir le , et qui, pour méri­ter cette grâce, a pro­mis de faire « quelque chose de grand, qui coûte, pour le Bon Dieu ».

Une semaine a pas­sé et brus­que­ment tout a chan­gé. Depuis deux jours la guerre fait rage dans le Sud. Les armées ramas­sées en Pales­tine ont fran­chi la fron­tière et s’a­vancent en trois colonnes sur Bey­routh et sur Damas. Dès les pre­mières heures, le ser­gent Gaillard a quit­té son poste habi­tuel. Il a pris posi­tion aux portes de la ville, avec la d’empêcher l’a­vance des blin­dés légers sur la route qui longe la mer. Il a à sa dis­po­si­tion un groupe de mitrailleuses et déjà ses hommes sont aux empla­ce­ments de com­bat der­rière les chi­canes et les bar­ri­cades éle­vées rapidement.

Auteur : Falaise, Claude | Ouvrage : Et maintenant une histoire I .

Temps de lec­ture : 8 minutes

Mes­siés, Mes­dames, com­mence Luid­gui, avec son savou­reux accent qui fait le bon­heur des autres…

— Eh ! y a pas de dames », inter­rompt Alex, le Parisien.

Il n’y a pas de dames, en effet. Le bivouac, en plein bled maro­cain, n’est pas fait pour les dames… mais Luid­gui s’en moque bien. À la foire de Neuilly, les clowns qui, devant la foule amu­sée, font la retape pour le spec­tacle, tou­jours super­sen­sa­tion­nel, les clowns disent tou­jours : Mes­dames, Mes­sieurs… à moins qu’ils ne disent Mes­sieurs-dames, ce qui revient au même.

Moquerie supportée vaillament ; maîtrise de soi

Et Luid­gui qui a reçu avant tout autre don, et bien avant sa voca­tion de légion­naire, des dis­po­si­tions éton­nantes pour l’é­tat de clown, Luid­gui pré­tend, ce soir comme les autres, pro­cu­rer aux cama­rades une bonne par­tie gra­tuite de fou-rire.

« Mes­siés, Mes­dames, recom­mence-t-il imper­tur­bable, nous vous offrons ce soir « oune nou­mé­ro abso­lou­ment extra-vagant ». Cla­ra, la « pouce » savante (lisez la puce) a pro­vo­qué en « douel » pour « oune » match de boxe… devi­nez qui, Mes­siés-dames, dévi­nez si vous pou­vez… Zé vous lé donne en cent… zé vous lé donne en mille… zé vous lé donne en dix mille. »

Un silence char­gé de curio­si­té s’est éta­bli par­mi les légionnaires.

La vie rude de la a fait de ces hommes si divers de grands enfants. L’ab­sence de toute dis­trac­tion les a ren­dus badauds. Et ce soir, ils prennent un plai­sir de gosses à écou­ter les boni­ments de Luid­gui. Le jeune étran­ger a réus­si à les intri­guer, il les tient en haleine, sus­pen­dus à ses lèvres, On sent bien qu’il va sor­tir quelque chose d’é­norme, d’i­nat­ten­du, une de ces trou­vailles cocasses dont il a le génie.

« Ah ! Mes­siés-dames, zé vois bien que vous « brou­lez » de savoir contre qui Cla­ra pré­tend rem­por­ter cé soir « oune » grande vic­toire spor­tive… Eh bien, Mes­dames, Mes­siés, « celoui » contre qui Cla­ra, la « pouce », sé mesou­re­ra n’est autre que notre gran­dé cham­pion de boxe poids lourd… Phanor ! »

Une cas­cade de rires a jailli de toutes parts dans le cercle for­mé par les hommes éten­dus sur le sable.

« Hur­rah !

— Vive Clara !

Auteur : Legeais, A. | Ouvrage : Et maintenant une histoire I .

Temps de lec­ture : 10 minutes

Moha­med Ben Ab-del­ka­der, le cara­va­nier, est venu par piste aux longues étapes de Tim­mi­moun à Ain-Tleïa, oasis à la source jaune. Il était mon­té sur sa cha­melle blanche et, à sa selle, étaient atta­chées les longes de son bour­ri­cot et de son cha­meau noir, tous deux lour­de­ment char­gés de couf­fins de belles dattes jaunes, sa seule fortune.

Moha­med le Tar­gui appar­tient à la grande tri­bu des Aouel­li­min­den. Âgé de trente ans à peine, il aurait pu se joindre à la cara­vane annuelle qui par­tait quelques jours après. Mais il a pré­fé­ré voya­ger seul dans les grandes dunes d’A­drar et de Béni-Abbès. Moha­med est pro­fon­dé­ment croyant ; jamais il n’a enten­du par­ler de Jésus de Naza­reth, mais chaque soir, à la halte, il des­cend de sa cha­melle et se pros­terne sur le sable, ado­rant Dieu le Tout-Puissant.

Touareg et le missionnaireLa nuit venue, il abreuve ses ani­maux ; de sa grande « tas­souf­fra » en cuir, il retire aus­si l’orge et l’a­voine qu’il leur donne en leur par­lant dou­ce­ment, car Moha­med aime ses bêtes, ses seuls com­pa­gnons dans ce immense. Lui-même se nour­rit fru­ga­le­ment d’une poi­gnée de dattes sèches, arro­sée d’une tasse brû­lante de thé à la menthe sucré, la bois­son natio­nale des nomades. Puis il se roule dans son bur­nous brun et s’en­dort sous le ciel constel­lé d’é­toiles près du ventre chaud de ses animaux.

Après de longues jour­nées dans les sables mou­vants, il a dépas­sé Taghit, Kenad­sa la ville sainte, et Colomb-Béchar la neuve. Enfin, pour­sui­vant sa route au pas lent de ses bêtes, il a atteint la longue ham­ma­da rocheuse de Dje­nien Bou Rezgt, celle qui indique que désor­mais le domaine du désert est bien ter­mi­né, celle aus­si où les ani­maux des nomades doivent subir la dou­lou­reuse épreuve des arêtes du che­min, aiguës et coupantes.

Enfin, trois jours après, au cou­chant, voi­ci qu’il aper­çoit devant lui les cou­poles blanches et le mina­ret du ksar d’Ain-Tleïa. Le mina­ret res­plen­dit sous les der­niers rayons du cou­chant. Le muez­zin, ain­si que le nomment les fidèles, appelle à la prière : Moha­med se pros­terne. Près du mina­ret s’é­lève un autre monu­ment, sur­mon­té d’une croix. Le Tar­gui connaît aus­si ce lieu de prière : c’est celui d’un mara­bout-rou­mi (un blanc) venu là il y a quelques années. Le père de Moha­med a connu un sem­blable mara­bout-rou­mi qui, durant sa vie, a sans cesse séjour­né entre Béni-Abbès et Taman­ras­set, où il repose au cœur du pays Tar­gui ; il lui a racon­té la sain­te­té de vie de cet homme et de ses sem­blables. Aus­si, Moha­med res­pecte-t-il beau­coup ces hommes, qui n’ont pas la même reli­gion que lui, mais qui prient tout le temps le Dieu Infi­ni, et vivent si pieusement.

La nuit tom­bée, Moha­med campe seul, un peu à l’é­cart de la ville, aux abords du vil­lage nègre. Il a ramas­sé quelque bois mort pour son feu, et décharge déjà ses bêtes, quand une brû­lure vio­lente à son talon lui arrache un cri de dou­leur ; il se retourne : un gros scor­pion noir, déran­gé par le Tar­gui dans son som­meil, vient de le piquer. Un coup de pierre écrase la bête mal­fai­sante, mais la dou­leur force Moha­med à s’as­seoir, tant elle est forte. Il connaît les scor­pions noirs ce sont les plus dan­ge­reux et les plus veni­meux. Aus­si, avec son cou­teau bien aigui­sé n’hé­site-t-il pas à essayer d’in­ci­ser sa bles­sure pour la faire sai­gner et la dés­in­fec­ter. Mais ce remède pri­mi­tif est sans effet : sa plaie ouverte le fait encore plus souf­frir et son pied enfle déjà rapidement.

Auteur : Bourron, M. | Ouvrage : Et maintenant une histoire I .

Temps de lec­ture : 6 minutes

Non, il ne vou­lait pas quit­ter la mai­son pour aller là-bas, dans cette ferme comme petit . Depuis huit jours on ne par­lait que de cela.

Georges n’a­vait plus que sa maman et sa grande sœur qui était repasseuse.

Cette année, la vie deve­nant plus dif­fi­cile, la maman de Georges s’in­quié­tait pour son fils, assez déli­cat de san­té ; le doc­teur du dis­pen­saire et les infir­mières consul­tés avaient répondu :

Le prêtre, le berger des chrétiens« Il faut envoyer cet enfant à la cam­pagne. Met­tez-le petit ber­ger dans une bonne famille de culti­va­teurs, vous ver­rez comme cela lui fera du bien ; l’âme et le corps y gagneront.

Quand sa maman lui avait rap­por­té ces paroles, en venant l’at­tendre avec sa sœur à la sor­tie du patro (on était un jeu­di), Georges s’é­tait mis à pleurer :

« Non, je ne veux pas par­tir ! Tant pis si je suis malade, je ne veux pas être berger !

— Tu n’es pas rai­son­nable, mon petit Georges, avait dit sa sœur Mar­celle ; pense au sou­la­ge­ment que nous aurons, maman et moi, de te savoir bien nour­ri et au bon air ; tu devrais être fier de pen­ser que tu vas pou­voir nous déchar­ger et gagner ta nour­ri­ture. Tiens, voi­là jus­te­ment Mon­sieur l’Ab­bé qui passe, nous allons lui deman­der son avis.

Auteur : Demetz L. | Ouvrage : Et maintenant une histoire I .

Temps de lec­ture : 7 minutes

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Ding, ding, dong ! ding, ding, dong !

Gravure église à colorierEn ce beau soir de mai, Marie-Odile, la petite cloche, fidèle à son office quo­ti­dien, appelle à les habi­tants d’Etial-aux-Sapins.

Tan­dis que tinte le frêle carillon au creux de la val­lée, les fidèles arrivent à pas pres­sés au ren­dez-vous parois­sial du soir.

Il en vient de par­tout : du vil­lage pai­sible, des fermes cachées au pied de la mon­tagne toute bleue, des hameaux reliés les uns aux autres par des lacets de sen­tiers roses.

Il en vient de partout.

Main­te­nant la cloche s’est tue pour écou­ter les voix simples des pay­sans qui adressent au Bon Dieu la chantée.

« Celui qui se repose à l’ombre du Tout-Puis­sant, Celui-là dit au Sei­gneur : « Tu es ma cita­delle, mon Dieu en qui je me confie. »

La prière monte, monte.

Elle s’é­chappe par envo­lées, à tra­vers les fenêtres gothiques de la petite église, comme si elle vou­lait cou­rir toute la vallée.

Dans la nuit qui vient, une sil­houette fur­tive, qui avan­çait le long de la rue, s’est arrê­tée près de l’église.

Un homme a écou­té un ins­tant, lui aus­si, la voix du  :

« Celui qui se repose à l’ombre du Tout-Puissant… »

puis il est repar­ti avec un rire cynique.

Et main­te­nant voi­ci qu’il s’é­loigne comme un homme sans rai­son vers la pro­fon­deur solen­nelle des montagnes.

Brus­que­ment, il s’ar­rête encore ; ten­du, il écoute.

Au-des­sus de lui, dans les sapins majes­tueux, mille voix d’oi­seaux redisent une can­tate toute pure… une prière du soir.

L’homme croit rêver ; à ses oreilles bour­don­nantes les oiseaux redisent une can­tate toute pure…

« Celui qui se repose à l’ombre du Tout-Puissant… »

N’en pou­vant plus, il fuit de nou­veau pour ne plus rien entendre, mais le vent qui s’é­lève et la source qui jaillit lui répètent sans arrêt :

« Celui qui se repose à l’ombre du Tout-Puis­sant, Le Sei­gneur le préservera. »

Plus sombre, plus farouche que jamais, il rugit de colère et mar­tèle rageu­se­ment le sol de ses talons.

  1. [1] Le bien d’au­trui tu ne pren­dras, ni retien­dras injus­te­ment.