Le recteur de ce village breton, monsieur de l’Isle-Adam, aime à rassembler autour d’un bon repas des convives pour le plaisir de converser. Ce soir-là, dans le temps qui précède Noël, chacun des convives évoque les Noëls d’antan.
C’est ainsi que Jonathas Morvan, l’un des invités, parle de la légende du « trésor de Noël » qu’il a cherché en vain. Mais…
Au haut bout de la table, les yeux à éclipses de M. de L’Isle-Adam brillèrent d’un éclat glauque.
– Vous l’avez cherché, Jonathas, dit-il, et vous ne l’avez pas trouvé. Je sais quelqu’un, moi, qui l’a trouvé, précisément parce qu’il ne le cherchait pas.
Il se fit, à ces mots, un silence presque religieux. Tous les visages s’étaient tournés vers le recteur.
Il commença :
III
Le pays de Maël-Pestivien, où je suis né, est une contrée rude, pierreuse et pauvre, située à quelque douze lieues d’ici, dans ce que vous autres, gens des basses terres, vous appelez la montagne. Par une de ses lisières il touche à la forêt de Porthuault, où la reine Anne, de précieuse mémoire, avait jadis une de ses chasses. Moi-même, dans ma jeunesse, j’y allais souvent courre le gros gibier. Ce fut ainsi que je nouai connaissance avec Jérôme Garel.
Jérôme Garel, mon cadet de dix-huit mois, était un beau garçon bien découplé, frais, souple et droit comme un plant de futaie. À demi bûcheron, à demi braconnier, il vivait de hasard et de liberté. Toujours rôdant, toujours furètent, il n’y en avait pas deux à posséder comme lui le sous-bois.
Un soir que nous avions battu les halliers ensemble et que, dans notre ardeur, nous nous étions laissés surprendre par la nuit, il me proposa l’hospitalité dans sa hutte. J’acceptai. Nous dormîmes côte à côte sur le même lit de feuilles. À partir de ce moment, il considéra qu’il existait entre nous un lien sacré.
Lorsque je m’éloignai, le matin, dans la rosée, il me dit en me secouant le poignet :
– Je suis dur à l’apprivoisement, mais, quand ça y est, ça y est pour de bon.
Sur ces entrefaites, cédant un peu tard à l’appel de Dieu, je décidai d’entrer dans les Ordres. Je quittai la maison paternelle pour le séminaire, et ce fut seulement au bout de cinq années que je reparus à Maël-Pestivien. J’y venais célébrer ma première messe, au grand autel de la paroisse, un dimanche, 22 juin. Parmi les personnes qui, à cette occasion, voulurent recevoir la communion de ma main, je distinguai immédiatement Jérôme à son épaisse toison frisée, noire comme un buisson de mûres et fleurant la senteur mouillée des bois.
Je comptais le revoir à la sortie de l’église, mais je ne réussis point à le découvrir : effarouché par la foule qui me faisait cortège, il avait dû s’esquiver.
Je m’arrangeai, le lendemain, pour aller le relancer jusque sous les ombrages de sa forêt.
Il avait abandonné son ancien logis, et j’eus toutes les peines du monde à le joindre. Lorsque enfin je l’eus déniché dans sa nouvelle cache, bâtie au sommet d’une éminence d’où l’on embrassait un large panorama de fermes et de cultures, je remarquai dès l’abord dans ses traits une altération qui, la veille, ne m’avait point frappé. Il avait les joues hâves, les orbites creuses, le front barré d’un pli. Impossible de douter que le fier sauvageon en pleine pousse ne portât au flanc quelque blessure secrète par où sa sève coulait. Les démonstrations de joie avec lesquelles il m’accueillit ne me donnèrent pas le change.
– Ça, lui demandai-je brusquement, qu’est-ce que tu as ? Qu’est-ce qui t’est arrivé ?
– Moi ? fit-il en devenant tout pâle.
– Oui, toi, Jérôme Garel. Je suis sûr que tu as de grosses peines. Qu’attends-tu pour me les confier ?
Il baissa la tête ; deux larmes tombèrent comme deux gouttes de pluie à ses pieds.
– Ce n’est pas des choses à dire à un prêtre, monsieur de l’Isle-Adam.
– Tu te trompes, Jérôme : nul n’a plus que le prêtre qualité pour tout entendre.
Il m’entraîna vers le seuil de la hutte et, me désignant du doigt une des fermes éparses dans la vallée :
– Vous voyez la fumée qui monte de ce toit de tuiles ? C’est pour la regarder monter ainsi, matin et soir, que j’ai établi mon domicile sur cette hauteur.
Alors, en phrases gauches et plaintives, entrecoupées de sanglots,





Le paysan était vêtu, en manière de manteau, d’une grande peau de chèvre qui, ouverte sur la poitrine, laissait voir une petite veste bretonne et un gilet à gros boutons. Il avait aux pieds des sabots et sa tête était couverte d’un grossier chapeau de feutre à larges bords et à longs rubans, posé sur un bonnet de laine. Les cheveux flottaient sur son cou. Il suivait, les mains liées, l’air impassible et dur ; ses petits yeux clairs fouillaient à la dérobée les haies qui bordaient le chemin et les sentiers tortueux qui s’en détachaient. Deux soldats tenaient, enroulées à leur bras, les extrémités de la corde qui lui serrait les poignets.


À Paris, l’agent n° 217 revenait pour la cinquantième ou la soixantième fois, le long du trottoir, rue de la Cité, quand il aperçut au milieu du parvis Notre-Dame un rassemblement déjà énorme et qui grossissait toujours.
Il était petit, mais tout carré, carré de tête, carré d’épaules. La mule tendit le cou, et, répondant à cette avance, il lui donna une petite tape d’amitié qui fit carillonner les grelots. Après quoi, il dit à l’agent :
Saint Guénolé était en charge de l’Ile de Sein qui s’appelait à l’époque Insula Seidhun. Il protégeait les habitants qui se laissaient influencer encore trop facilement aux injonctions des beaux parleurs envoyés par le diable.