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Auteur : Le Braz, Anatole | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 16 minutes

Chapeau du recteur breton - Récit à la veillée de Noël pour les petitsLe rec­teur de ce vil­lage bre­ton, mon­sieur de l’Isle-Adam, aime à ras­sem­bler autour d’un bon repas des convives pour le plai­sir de conver­ser. Ce soir là, dans le temps qui pré­cède , cha­cun des convives évoque les Noëls d’antan.

C’est ain­si que Jona­thas Mor­van, l’un des invi­tés, parle de la du «  de Noël » qu’il a cher­ché en vain. Mais… 

Au haut bout de la table, les yeux à éclipses de M. de L’Isle-Adam brillèrent d’un éclat glauque.

– Vous l’a­vez cher­ché, Jona­thas, dit-il, et vous ne l’a­vez pas trou­vé. Je sais quel­qu’un, moi, qui l’a trou­vé, pré­ci­sé­ment parce qu’il ne le cher­chait pas.

Il se fit, à ces mots, un silence presque reli­gieux. Tous les visages s’é­taient tour­nés vers le recteur.

Il com­men­ça :

III

Le pays de Maël-Pes­ti­vien, où je suis né, est une contrée rude, pier­reuse et pauvre, située à quelque douze lieues d’i­ci, dans ce que vous autres, gens des basses terres, vous appe­lez la mon­tagne. Par une de ses lisières il touche à la forêt de Por­thuault, où la reine Anne, de pré­cieuse mémoire, avait jadis une de ses chasses. Moi-même, dans ma jeu­nesse, j’y allais sou­vent courre le gros gibier. Ce fut ain­si que je nouai connais­sance avec Jérôme Garel.

Jérôme Garel, mon cadet de dix-huit mois, était un beau gar­çon bien décou­plé, frais, souple et droit comme un plant de futaie. À demi bûche­ron, à demi bra­con­nier, il vivait de hasard et de liber­té. Tou­jours rôdant, tou­jours furètent, il n’y en avait pas deux à pos­sé­der comme lui le sous-bois.

Récit Noel de Bretagne - DAUBIGNY Charles François - maison à la lisière de la forêtUn soir que nous avions bat­tu les hal­liers ensemble et que, dans notre ardeur, nous nous étions lais­sé sur­prendre par la nuit, il me pro­po­sa l’hos­pi­ta­li­té dans sa hutte. J’ac­cep­tai. Nous dor­mîmes côte à côte sur le même lit de feuilles. À par­tir de ce moment, il consi­dé­ra qu’il exis­tait entre nous un lien sacré.

Lorsque je m’é­loi­gnai, le matin, dans la rosée, il me dit en me secouant le poignet :

– Je suis dur à l’ap­pri­voi­se­ment, mais, quand ça y est, ça y est pour de bon.

Sur ces entre­faites, cédant un peu tard à l’ap­pel de Dieu, je déci­dai d’en­trer dans les Ordres. Je quit­tai la mai­son pater­nelle pour le sémi­naire, et ce fut seule­ment au bout de cinq années que je repa­rus à Maël-Pes­ti­vien. J’y venais célé­brer ma pre­mière messe, au grand autel de la paroisse, un dimanche, 22 juin. Par­mi les per­sonnes qui, à cette occa­sion, vou­lurent rece­voir la com­mu­nion de ma main, je dis­tin­guai immé­dia­te­ment Jérôme à son épaisse toi­son fri­sée, noire comme un buis­son de mûres et fleu­rant la sen­teur mouillée des bois.

Je comp­tais le revoir à la sor­tie de l’é­glise, mais je ne réus­sis point à le décou­vrir : effa­rou­ché par la foule qui me fai­sait cor­tège, il avait dû s’esquiver.

Je m’ar­ran­geai, le len­de­main, pour aller le relan­cer jusque sous les ombrages de sa forêt.

Il avait aban­don­né son ancien logis, et j’eus toutes les peines du monde à le joindre. Lorsque enfin je l’eus déni­ché dans sa nou­velle cache, bâtie au som­met d’une émi­nence d’où l’on embras­sait un large pano­ra­ma de fermes et de cultures, je remar­quai dès l’a­bord dans ses traits une alté­ra­tion qui, la veille, ne m’a­vait point frap­pé. Il avait les joues hâves, les orbites creux, le front bar­ré d’un pli. Impos­sible de dou­ter que le fier sau­va­geon en pleine pousse ne por­tât au flanc quelque bles­sure secrète par où sa sève cou­lait. Les démons­tra­tions de joie avec les­quelles il m’ac­cueillit ne me don­nèrent pas le change.

– Ça, lui deman­dai-je brus­que­ment, qu’est-ce que tu as ? Qu’est-ce qui t’est arrivé ?

– Moi ? fit-il en deve­nant tout pâle.

– Oui, toi, Jérôme Garel. Je suis sûr que tu as de grosses peines. Qu’at­tends-tu pour me les confier ?

Il bais­sa la tête ; deux larmes tom­bèrent comme deux gouttes de pluie à ses pieds.

– Ce n’est pas des choses à dire à un prêtre, mon­sieur de l’Isle-Adam.

– Tu te trompes, Jérôme : nul n’a plus que le prêtre qua­li­té pour tout entendre.

Il m’en­traî­na vers le seuil de la hutte et, me dési­gnant du doigt une des fermes éparses dans la vallée :

– Vous voyez la fumée qui monte de ce toit de tuiles ? C’est pour la regar­der mon­ter ain­si, matin et soir, que j’ai éta­bli mon domi­cile sur cette hauteur.

Alors, en phrases gauches et plain­tives, entre­cou­pées de sanglots,

| Ouvrage : 90 Histoires pour les catéchistes II .

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Rédemption et Grâce

Honfleur, Calvaire de la Côte de Grâce - COROT - été 1830

Vous avez remar­qué par­fois, en vous pro­me­nant dans la cam­pagne, de grands cal­vaires pla­cés au car­re­four des che­mins. Près d’un petit vil­lage de l’Ouest de la France on pou­vait voir, avant la guerre de 1939 un de ces vieux Christ plu­sieurs fois cen­te­naire. Il était là, invi­tant les gens à prier… Mais hélas les pas­sants ne s’en sou­ciaient pas beau­coup ! Il n’y avait plus de prêtre dans la paroisse et c’est à peine si l’é­glise s’ou­vrait pour les bap­têmes, les mariages et les enter­re­ments. Autre­fois cepen­dant les habi­tants étaient pieux. C’é­taient les ancêtres qui jadis avaient pla­cé au bord de la route, comme une sen­ti­nelle, ce grand Christ de chêne.

Au moment de la Libé­ra­tion des sol­dats impies osèrent prendre pour cible ce . Le Christ, cri­blé de balles, était tom­bé au milieu des ronces. Chaque jour cepen­dant un pieux vieillard pas­sait devant ces débris et, navré, s’ar­rê­tait pour faire une courte prière. Un soir, comme il reve­nait de la ville en com­pa­gnie de sa petite-fille, il s’ap­pro­cha du buis­son qui enva­his­sait le socle. C’é­tait pitié de voir ce Christ gisant à terre, la poi­trine trans­per­cée, les bras et les jambes bri­sées, la tête trouée de balles ! Alors le vieillard et l’en­fant se regar­dèrent et, sans rien dire, se com­prirent. Lui prit les bras et les jambes, elle la tête et ce qui res­tait de la poi­trine puis, sans se faire voir des pay­sans tra­vaillant à l’en­tour, ils allèrent dépo­ser leur pré­cieux far­deau au milieu des fou­gères, sous un gros chêne. À la tom­bée de la nuit ils revinrent pour trans­por­ter ces pieuses reliques chez eux. Là, per­sonne ne les pro­fa­ne­rait plus !