Catégorie : <span>2 *** LES AUTEURS ***</span>

Auteur : Wyzewa, Teodor de | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 30 minutes

Barsabas ou le don des langues

II

LE CITOYEN DU MONDE

Quiesce a nimio scien­di desiderio,
quia magna ibi inve­ni­tur distractio
et deceptio !
(Imi­ta­tio Chris­ti, I, s.)

Devant la grâce inat­ten­due qui venait de lui échoir, Bar­sa­bas se sen­tit d’abord si heu­reux à la fois et si effrayé que, bien qu’il pût main­te­nant répondre sans effort aux ques­tions de ses amis, il ne prit pas même le temps de les écou­ter. Ren­tré dans sa chambre, il se hâta d’en faire sor­tir un petit gar­çon avec qui tous les soirs il avait cou­tume de jouer, et qui, ce soir-là encore, vou­lait, à toute force, lui grim­per sur le dos. Puis, ayant ver­rouillé la porte pour n’être plus déran­gé, il se pros­ter­na et pria hum­ble­ment Sei­gneur, s’écria-t-il, vous m’avez hono­ré par delà mon mérite ! Au der­nier de vos ser­vi­teurs vous avez dai­gné confier le plus pré­cieux de vos dons ! Et voi­ci cepen­dant, – telle est ma fai­blesse ! – voi­ci que je tremble de frayeur à la pen­sée des devoirs nou­veaux qui en résultent pour moi : « Sou­te­nez-moi, Sei­gneur, éclai­rez-moi, dites-moi ce que je dois faire, afin que je ne sois qu’un outil entre vos mains, l’instrument de votre gloire et de votre jus­tice ! » Mais le Sei­gneur ne lui dit rien, et Bar­sa­bas se vit contraint de déci­der lui-même ce qu’il devait faire.

Aus­si bien ne pou­vait-il guère hési­ter sur le pre­mier et le plus urgent des devoirs nou­veaux qui s’imposaient à lui ; et sa frayeur ne lui venait, pré­ci­sé­ment, que de sa trop claire conscience de ce pénible devoir. Il avait, en effet, tout de suite com­pris que le don des langues ne lui avait pas été accor­dé sim­ple­ment pour qu’il pût s’entretenir, à Jéru­sa­lem, avec des étran­gers déjà conver­tis, ni moins encore pour qu’il s’en retour­nât mener sa vie silen­cieuse à l’ombre des col­lines de son cher vil­lage. Le don des langues lui impo­sait le devoir de par­cou­rir le monde, pour por­ter aux païens la sainte parole : cela était cer­tain, hélas ! trop certain !

Tout au plus eut-il un ins­tant l’idée que, si son maître avait vrai­ment exi­gé de lui un pareil sacri­fice, c’est lui qu’il aurait dési­gné pour faire par­tie des douze apôtres, au lieu de Mathias. Mais aus­si­tôt il rou­git de cette idée, misé­rable pré­texte sug­gé­ré par sa lâche­té. Le pou­voir mira­cu­leux de par­ler toutes les langues n’était-il pas un signe d’apostolat aus­si évident, pour le moins, qu’une élec­tion où peut-être le hasard avait seul agi ? Non, non, Bar­sa­bas sen­tait que nul doute ne lui était pos­sible ! Et plus était cruel le sacri­fice que son maître exi­geait de lui, plus il se sen­tait tenu de l’accomplir, en échange de l’immense faveur qu’il avait reçue. Il réso­lut donc de quit­ter Jéru­sa­lem dès le len­de­main, et de se mettre en route vers les pays étran­gers, après avoir dit un rapide adieu à sa femme, à sa mère, aux lieux qui, jusqu’alors, avaient été pour lui l’univers entier.

Encore ne leur dit-il cet adieu que par pro­cu­ra­tion. Ayant ren­con­tré, aux portes de Jéru­sa­lem, un pay­san de son vil­lage qui ren­trait chez lui, c’est sur lui qu’il se déchar­gea du soin d’annoncer aux siens sa nou­velle mission.

« Je comp­tais aller moi-même prendre congé d’eux, ajou­ta-t-il, mais le ciel a eu pitié de moi, et voi­ci qu’il t’a envoyé sur mes pas, pour m’épargner un sup­plice au-des­sus de mes forces. Ou plu­tôt ce sont les dan­gers de la ten­ta­tion que le ciel, sans doute, aura vou­lu m’épargner : car je me deman­dais com­ment, après avoir revu tout ce qui m’est cher, je trou­ve­rais le cou­rage de m’en sépa­rer. Adieu donc, frère bien-aimé ! Et quand, après-demain, du haut de la col­line, tu aper­ce­vras à tes pieds les mai­sons de notre vil­lage, rap­pelle-toi ton frère Bar­sa­bas qui s’en va, seul et triste, par­mi des inconnus ! »

Bar­sa­bas pleu­rait en disant ces mots ; puis il se jeta, tout pleu­rant, au cou de son ami. Mais à peine l’eut-il vu dis­pa­raître, dans la pous­sière du che­min, qu’il ne put s’empêcher de son­ger qu’il avait été, lui aus­si, la veille encore, sem­blable à ce pay­san inutile et gros­sier. Et, fié­vreu­se­ment, il eut soif d’employer au plus vite, pour le bien de son maître, le magni­fique don qu’il por­tait en lui. Quand son ami, le sur­len­de­main soir, aper­çut du haut de la col­line les mai­sons du vil­lage, il sou­pi­ra en se rap­pe­lant le pauvre Bar­sa­bas qui allait, seul et triste, sur des routes loin­taines ; mais Bar­sa­bas, au même ins­tant, mar­chait d’un pas alerte et la tête haute, médi­tant le dis­cours qu’il pro­non­ce­rait dès qu’il ren­con­tre­rait une ville, devant lui.

Cette ville se trou­va être Péluse, dans la Basse-Égypte ; et Bar­sa­bas, qui y était par­ve­nu après cinq jours de marche, fut d’abord ten­té de mar­cher cinq jours de plus pour s’en éloi­gner. Habi­tué comme il l’était aux mœurs rus­tiques de la Gali­lée, Jéru­sa­lem déjà lui avait paru inha­bi­table ; mais il se sen­tait prêt main­te­nant à la regret­ter, en com­pa­rai­son de cette ville étran­gère où, depuis les traits des visages jusqu’à la façon de man­ger et de se vêtir, rien ne res­sem­blait à ce qu’il connais­sait. La lar­geur des rues, la hau­teur des mai­sons, les amples man­teaux et les lourds sou­liers, tout cela était, à ses yeux, aus­si laid qu’incommode. Il éprou­vait une indi­gna­tion mêlée de mépris à la vue des litières qui ser­vaient à traî­ner, d’une mai­son à l’autre, des hommes par­fai­te­ment capables de se ser­vir de leurs jambes. Il ne com­pre­nait pas que des êtres humains pussent se pas­ser d’arbres et d’oiseaux, ni se rési­gner à vivre enfer­més dans d’obscures bou­tiques, sans autre pro­fit que de gagner un argent aus­si­tôt dépen­sé. En un mot, il jugeait Péluse l’endroit le plus mons­trueux du monde : et telle il conti­nua de la juger pen­dant les six mois qu’il y demeura.

Car le fait est qu’il y demeu­ra six mois, en dépit de sa mau­vaise humeur : et ce fut bien là qu’il prê­cha pour la pre­mière fois. S’étant ren­du sur le port, le len­de­main de son arri­vée, il abor­da quelques mate­lots qui musaient au soleil, et se mit à leur expli­quer la doc­trine chré­tienne. Il la leur expli­qua dans la langue grecque, qui était leur langue ; mais il répé­ta ensuite son expli­ca­tion en arabe à des mar­chands arabes qui s’étaient appro­chés ; il la répé­ta en syrien et en éthio­pien, de telle sorte que, bien­tôt, une foule énorme se pres­sa autour de lui, curieuse d’entendre un homme qui par­lait toutes les langues. Et Bar­sa­bas racon­ta à cette foule la vie et la mort divines de Jésus. Il leur racon­ta sa propre vie, de quelles ténèbres il avait été tiré, et vers quelle lumière. Il leur dit quelques-unes des para­boles de son maître, les plus simples et les plus tou­chantes, s’efforçant de retrou­ver, dans sa voix, un écho de la voix sur­na­tu­relle qui les lui avait ensei­gnées. Long­temps il par­la, debout sur un banc de pierre, indif­fé­rent aux injures comme aux raille­ries ; et d’heure en heure, à mesure qu’il par­lait, injures et raille­ries deve­naient plus rares, jusqu’à ce qu’enfin il eut le bon­heur de voir jaillir des larmes presque de tous les yeux. Lui aus­si, il pleu­rait ; une ardente émo­tion fai­sait fré­mir ses lèvres, don­nait à sa parole des accents pathé­tiques. Quand il des­cen­dit du banc et ces­sa de prê­cher, cent per­sonnes de tout âge et de toute condi­tion, s’approchant de lui avec défé­rence, lui expri­mèrent leur désir d’être baptisées.

Et comme, quelques heures plus tard, Bar­sa­bas, tout heu­reux de la belle mois­son qu’il avait rap­por­tée à son maître dès son pre­mier dis­cours, s’en retour­nait joyeu­se­ment vers l’auberge où il s’était logé, un petit vieillard l’accosta dans la rue. C’était un aimable petit vieillard, chauve, replet, avec un visage ridé où s’ouvraient de grands yeux naïfs et bien­veillants, Il avait la mise d’un riche bour­geois. Et, en effet, il apprit à Bar­sa­bas qu’il vivait de ses rentes, mais qu’il employait son temps à s’instruire et à médi­ter. « Or, je regrette d’avoir à vous dire, pour­sui­vit-il, que votre Jésus n’est pas le vrai Dieu. Car le vrai Dieu, je le connais : il m’a été révé­lé par un homme admi­rable, le phi­lo­sophe Épis­trate, auteur du trai­té sur l’Essence de l’Être. Peut-être n’avez-vous pas lu ce livre sans pareil ? Tenez, je n’ai pas pu m’empêcher de vous l’apporter ! » – Et le vieillard ten­dait à Bar­sa­bas un épais rou­leau. – « Je vous en prie, lisez-le ! Que si même il ne réus­sis­sait pas à vous convaincre tout à fait, vous y trou­ve­riez encore de quoi réfléchir ! »

Le petit vieillard avait une si hon­nête et douce figure que Bar­sa­bas crut pou­voir lui par­ler comme à un ami. Il lui avoua donc qu’il lirait volon­tiers, pour l’obliger, le trai­té de son phi­lo­sophe, mais que, par mal­heur, il ne savait pas lire. Et, loin de lui en témoi­gner le moindre mépris, le vieillard lui pro­po­sa aus­si­tôt de lui apprendre lui-même à lire et à écrire. « Quelques leçons vous suf­fi­ront, lui dit-il, aidées d’un peu d’exercice. Et vous acquer­rez là un bien ines­ti­mable, qui dou­ble­ra l’effet de vos prédications ! »

Auteur : Wyzewa, Teodor de | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 26 minutes

Tibi, margaritæ meæ !

En ce jour-là, Pierre se leva au milieu des dis­ciples, qui étaient assem­blés au nombre d’en­vi­ron cent vingt, et il leur dit :

… « Il faut que, de ceux qui ont été avec nous pen­dant que le Sei­gneur Jésus a vécu par­mi nous, il y en ait un qui soit témoin avec nous de sa  ! »

Alors ils en pré­sen­tèrent deux : Joseph, appe­lé Bar­sa­bas, sur­nom­mé le Juste, et Mathias. Et, priant, ils dirent : « Toi, Sei­gneur, qui connais le cœur de tous, montre-nous lequel de ces deux hommes tu as choi­si, afin qu’il prenne part au minis­tère et à l’a­pos­to­lat en rem­pla­ce­ment de Judas, qui nous a aban­don­nés ! » Et ils tirèrent au sort ; et le sort tom­ba sur Mathias, qui, d’un com­mun accord, fut mis au rang des onze apôtres.

(Actes des Apôtres, I, 15 – 24.)

Et, lorsque vint le jour de la , tous tes dis­ciples se réunirent dans le même lieu. Et voi­ci que sor­tit tout à coup du ciel un bruit comme d’un grand vent, qui rem­plit toute la mai­son où ils se tenaient assis. Et ils virent des langues de feu qui, se par­ta­geant, des­cen­daient sur la tête de cha­cun d’entre eux. Et, aus­si­tôt, tous furent rem­plis de l’Es­prit-Saint ; et ils se mirent à par­ler toutes les langues, sui­vant l’ins­pi­ra­tion de l’Es­prit qui était en eux.

Or il y avait alors à Jéru­sa­lem des hommes crai­gnant Dieu, qui venaient de toutes les nations qui sont sous le ciel. Et, quand on apprit le miracle, la foule accou­rut ; et ces étran­gers furent stu­pé­faits d’en­tendre les dis­ciples leur par­ler à cha­cun dans sa langue.

Et, dans leur sur­prise, ils se disaient l’un à l’autre : « Est-ce que tous ces hommes qui nous parlent ne sont pas des Gali­léens ? Com­ment donc les enten­dons-nous par­ler à cha­cun de nous dans sa langue ? Parthes, Mèdes, Éla­mites, habi­tants de la Méso­po­ta­mie, de la Judée, de la Cap­pa­doce, du Pont et de l’A­sie, de la Phry­gie et de la Pam­phy­lie, de l’É­gypte et des régions de la Libye qui avoi­sinent Cyrène ; et Romains, tant Juifs que pro­sé­lytes, et Perses, et Arabes, voi­ci que nous les enten­dons nous prê­cher, dans nos langues, les grandes choses de Dieu ! »

(Actes des Apôtres, II, 1 – 11.)

I

Le chrétien

Chris­tus. – Cui ego loquer, cito sapiens erit.
(Imi­ta­tio Chris­ti, III, 43.)

C’est tout à fait par hasard, – ou, plus exac­te­ment, par miracle, – que Joseph, appe­lé aus­si Bar­sa­bas, était deve­nu de Jésus. Il avait alors vingt ans, et demeu­rait, avec sa mère, dans le vil­lage gali­léen où il était né. Or, voi­ci l’heu­reuse aven­ture qui lui était arrivée :

Se ren­dant à Caper­naüm en com­pa­gnie de son petit âne, un matin d’au­tomne, pour vendre au mar­ché les figues de son champ, il avait fran­chi déjà la double ran­gée des col­lines qui sépa­raient son vil­lage du lac de Géné­sa­reth, lorsque, à un tour­nant du sen­tier, un spec­tacle impré­vu l’a­vait arrê­té. Une ving­taine de men­diants et de vaga­bonds étaient assis en cercle, sur la rive du lac, occu­pés à écou­ter un homme vêtu de blanc, qui, debout au milieu d’eux, sem­blait leur don­ner des ordres ou les répri­man­der. Il leur par­lait, en tout cas, d’une voix si sévère que Bar­sa­bas, et son âne lui-même, n’a­vaient pu s’empêcher d’en être effrayés. Mais sou­dain, oubliant son effroi, toute l’âme du jeune pay­san avait fré­mi de fureur : car, dans la troupe de ces va-nu-pieds, com­plo­tant sans doute quelque bri­gan­dage, il venait de recon­naître l’homme qu’entre tous au monde il détes­tait le plus, un homme qu’il avait autre­fois recueilli, nour­ri, trai­té en frère, et qui, pour récom­pense, lui avait volé cinq mines d’argent, son unique bien ; après quoi le misé­rable s’é­tait enfui, et Bar­sa­bas avait sen­ti que sa joie et son repos s’en­fuyaient du même coup.

Aus­si, dès qu’il avait recon­nu son ancien ami, n’a­vait-il plus eu de pen­sée que pour sa ven­geance. Mais, au moment où déjà il s’ap­pro­chait, le cou­teau en main, l’homme vêtu de blanc avait détour­né la tête, et fixé sou­dain son regard sur lui. C’é­tait un regard pro­di­gieux, plein à la fois de dou­ceur et d’au­to­ri­té, un regard qui entrait jus­qu’au fond de l’âme, mais pour l’a­pai­ser et la puri­fier. Et tan­dis que Bar­sa­bas, inter­dit, trem­blait sous l’im­pé­rieuse caresse de ce regard, l’homme s’é­tait écrié, pour­sui­vant son dis­cours : « Aimez vos enne­mis, bénis­sez ceux qui vous mau­dissent, faites du bien à ceux qui vous font du mal, et priez pour ceux qui vous outragent et vous per­sé­cutent, afin que vous soyez enfants de votre Père, qui est dans les cieux ! Car, si vous n’ai­mez que ceux qui vous aiment, quel mérite y aurez-vous ? Et si vous ne faites accueil qu’à vos frères, qu’y aura-t-il là qui vaille d’être loué ? »

À peine Bar­sa­bas avait-il enten­du ces paroles, qu’il avait eu le sen­ti­ment qu’un poids se déta­chait de son cœur. Tout de suite, ajour­nant sa ven­geance, il s’é­tait assis sur une pierre pour mieux écou­ter ; et son âne avait dres­sé les oreilles pour écou­ter aus­si. Car cette voix, dont tous deux à dis­tance s’é­taient effrayés, elle n’é­tait plus main­te­nant qu’une ado­rable musique, légère, lim­pide, pareille à un chant de fau­vette dans le calme des bois. Et long­temps encore la voix avait conti­nué de par­ler, ensei­gnant à Bar­sa­bas toute sorte de choses qu’il s’é­ton­nait de pou­voir com­prendre. Elle lui avait ensei­gné le plai­sir de la pau­vre­té, la beau­té de l’i­gno­rance, l’i­nu­ti­li­té de l’ef­fort et de la pen­sée. « Ne soyez pas en sou­ci pour votre vie, – disait-elle, – ne vous pré­oc­cu­pez pas de ce que vous man­ge­rez ni de ce que vous boi­rez ! Soyez comme les petits enfants que vous voyez sur les routes : car ceux-là seuls qui leur res­semblent pour­ront entrer dans le royaume des cieux. Et qui­conque s’a­baisse pour deve­nir sem­blable à un petit enfant, celui-là est le plus grand dans le royaume des cieux ! »

Jesus guerissant les malades sur le bord du lac de Genezareth

Mais sur­tout la voix révé­lait à Bar­sa­bas quelle joie c’é­tait de renon­cer à soi-même pour don­ner son cœur aux souf­frances d’au­trui : de sorte que peu à peu le jeune homme, sans ces­ser d’é­cou­ter, avait com­men­cé à consi­dé­rer ses nou­veaux com­pa­gnons. Des men­diants et des vaga­bonds, oui, sa pre­mière impres­sion ne l’a­vait pas trom­pé : mais com­ment avait-il pu les prendre pour des mal­fai­teurs ? La plu­part avaient de bonnes figures simples et ouvertes ; et ceux dont les traits étaient plus durs ou la mine moins plai­sante, ceux-là même por­taient, dans leurs yeux, un vivant reflet du regard de leur maître. Il n’y avait pas jus­qu’au visage de l’en­ne­mi de Bar­sa­bas qui, au contact de ce regard, ne se fût trans­for­mé. Nulle ombre n’y res­tait plus des pas­sions de jadis : l’œil avait per­du toute trace de ruse, les plis du front s’é­taient effa­cés, la bouche s’en­trou­vrait en un clair sou­rire. Mieux encore que les autres, il avait su deve­nir pareil à un enfant.

Auteur : Tharaud, Jérôme et Jean | Ouvrage : Les contes de la Vierge .

Temps de lec­ture : 8 minutes

La légende tait le nom du che­va­lier au bari­zel. Elle dit seule­ment que, pous­sé par la peur de la dam­na­tion éter­nelle et non par un vrai , ce che­va­lier prit un jour la bure et le bâton du pèle­rin, pour se rendre dans un monas­tère et faire confes­sion de ses péchés.

Chevalier pécheur

La confes­sion fut longue ! Jamais chré­tien n’a­vait pillé tant d’é­glises, rui­né tant de cou­vents, dépouillé tant de voya­geurs, blas­phé­mé plus sou­vent le nom du Christ et de sa mère. Mais rien qu’à racon­ter ses crimes, il trou­vait encore tant de plai­sir, que l’ab­bé qui le confes­sait était bien moins épou­van­té de la gran­deur et du nombre des péchés qu’il avait com­mis, que de l’ dia­bo­lique qui le fai­sait tou­jours s’y complaire.

– Mon fils, dit-il au péni­tent, quand celui-ci eut ache­vé sa confes­sion épou­van­table, n’at­tends pas de moi l’ab­so­lu­tion : tu es encore au pou­voir de Satan, et les péchés ne sont remis qu’à ceux qui ont domp­té leur mau­vaise âme.

Auteur : Ancelet-Hustache, Jeanne | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 14 minutes

Conte de pour les enfants sages

Il était une fois, dans une tour grise qui domine un des plus vieux quar­tiers de , cinq cloches sus­pen­dues en trois ran­gées : deux, puis deux, puis une. Mgr l’Ar­che­vêque les avait bénites et elles por­taient des noms, car les cloches reçoivent des noms comme les petits chrétiens.

baptême de cloches

Que les cloches étaient jolies, le jour de leur bap­tême, dans leur robe blanche ornée de bro­de­ries et de rubans ! La plus petite, qui avait pour par­rain et mar­raine des enfants royaux, avait été nom­mée Hen­riette-Louise, comme une prin­cesse de France.

Les cloches mêlaient leurs voix quand on bap­ti­sait un petit, quand le prêtre unis­sait deux époux ou quand l’âme d’un chré­tien était retour­née à Dieu. Le dimanche aus­si, leurs notes plus chan­tantes ou plus graves s’ac­cor­daient pour louer le Sei­gneur, et aux jours de fête, leurs accents se fai­saient si joyeux que leur allé­gresse sem­blait rem­plir la ville entière.

Pour les son­ner, on ne fai­sait pas usage de cordes. C’est bon quand il s’a­git des cloches de vil­lage qu’un seul homme peut mettre en branle.

Ici la plus petite , la filleule royale Hen­riette-Louise pesait près de deux mille livres.

Aux jours solen­nels, quand toutes les cloches devaient prendre part à la fête, le maître-son­neur allait recru­ter des hommes solides dans les coins du quar­tier où il savait les trouver.

Des deux mains, ils empoi­gnaient les cro­chets de fer vis­sés dans les poutres, et s’y tenaient ferme, le maître-son­neur don­nait le signal et, de toutes leurs forces, les son­neurs appuyaient en mesure régu­lière sur des pédales qui met­taient la cloche en branle. Pen­dant qu’elle se balan­çait, ils res­taient un ins­tant sus­pen­dus dans le vide, mais ils évi­taient de regar­der sous eux le noir pro­fond de la tour, où un filet était d’ailleurs prêt à les rece­voir si le ver­tige arra­chait leurs mains aux cram­pons de fer.

Sonnerie des cloches - Manoeuvre bourdon Emmanuel

Au pied du clo­cher, les fidèles se ren­daient à l’é­glise en beaux atours du dimanche. La joie était plus grande encore quand les petites filles en mous­se­line blanche arri­vaient pour la pre­mière Com­mu­nion ou la Fête-Dieu. D’an­née en année, celles-ci demeu­raient sem­blables, si bien que, du haut du clo­cher, on eût pu croire que c’é­taient tou­jours les mêmes qui reve­naient, mais la mode trans­for­mait la coupe des vête­ments que por­taient les mes­sieurs et la forme des robes pour les dames.

Comme les hommes aiment le chan­ge­ment ! que de choses étranges ils inventent ! Les che­vaux, qui fai­saient son­ner sous leurs sabots le pavé des rues voi­sines, avaient peu à peu dis­pa­ru. Des voi­tures qui rou­laient toutes seules avaient rem­pla­cé les calèches ou les camions lourds qu’ils traî­naient. Voi­ci même qu’on avait trou­vé le moyen de trans­for­mer presque abso­lu­ment la nuit en jour.

Or il advint ceci.

Dans l’es­ca­lier, un beau jour, des pas reten­tirent, qui n’é­taient point les pas pesants des son­neurs. Trois mes­sieurs en cha­peau rond, habillés chez le bon tailleur, accom­pa­gnaient Mon­sieur le Curé. Ils regar­dèrent les cloches de haut en bas, de long en large et en tra­vers, pro­non­cèrent des mots extra­va­gants que les cloches n’a­vaient jamais enten­dus et aux­quels elles ne com­pre­naient goutte : « Élec­tri­ci­té… moteur… cou­rant… trans­for­ma­teur… mise en mou­ve­ment auto­ma­tique… », puis ils sor­tirent de la poche de leur ves­ton de grandes feuilles avec des tra­cés noirs aus­si extra­va­gants que leurs paroles, et des car­nets sur les­quels ils se mirent à ins­crire des chiffres.

Auteur : Ségur, Comtesse de | Ouvrage : Évangile d’une grand’mère .

Temps de lec­ture : 5 minutes

Marie-Made­leine, la pauvre péche­resse conver­tie, la fidèle et cou­ra­geuse chré­tienne du Cal­vaire, pous­sée par son amour pour Jésus, sor­tit de Jéru­sa­lem le dimanche matin avant même le lever du soleil. Elle vou­lait aller pleu­rer près du tom­beau de son bon maître, s’exposant ain­si aux insultes des sol­dats qui gar­daient le corps.

Pen­dant qu’elle allait au tom­beau, le Christ était res­sus­ci­té ; et lorsque Made­leine arri­va au petit jar­din qui entou­rait le sépulcre, les gardes s’étaient déjà enfuis et Made­leine vit avec stu­pé­fac­tion la porte ouverte et la pierre enlevée.

Pierre roulée et tombeau vide PaquesElle jeta un regard rapide dans l’intérieur du caveau, et croyant qu’on avait enle­vé le corps, elle cou­rut pré­ci­pi­tam­ment au Cénacle aver­tir Pierre, qui était déjà consi­dé­ré comme le Chef des Apôtres. Pierre et Jean sor­tirent aus­si­tôt et cou­rurent vers le tom­beau. Made­leine les sui­vit de loin.