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Auteur : Mistral, Frédéric | Ouvrage : Mémoires et souvenirs .

Temps de lec­ture : 7 minutes

À la rencontre des Rois. – La .

– C’est demain la fête des Rois Si vous vou­lez les voir arri­ver, allez vite à leur ren­contre, enfants, et por­tez-leur quelques présents.

Voi­là, de notre temps, ce que disaient les mères, la veille du jour des Rois.

Les enfants à la rencontre des rois mages en Provence

Et en avant toute la mar­maille, les enfants du vil­lage ; nous par­tions enthou­siastes à la ren­contre des rois Mages, qui venaient à Maillane, avec leurs pages, leurs cha­meaux et toute leur suite, pour ado­rer l’En­fant Jésus.

– Où allez-vous, enfants ?

– Nous allons au-devant des Rois !

Et ain­si , tous ensemble, mioches ébou­rif­fés et petites blon­di­nettes, avec nos calottes et nos petits sabots, nous filions sur le che­min d’, le cœur tres­saillant de joie, les yeux rem­plis de visions. Et nous por­tions à la main, comme on nous l’a­vait recom­man­dé, des fouaces pour les Rois, des figues sèches pour les pages et du foin pour les chameaux.

Jours crois­sants,
Jours cui­sants.

C’é­tait au com­men­ce­ment de jan­vier et la bise souf­flait : c’est vous dire qu’il fai­sait froid. Le soleil des­cen­dait, tout pâle, vers le Rhône. Les ruis­seaux étaient gla­cés, l’herbe était flé­trie. Des saules dépouillés, les branches rou­geoyaient. Le rouge-gorge et le roi­te­let sau­taient, fré­tillants, de branche en branche, et l’on ne voyait per­sonne aux champs, à part quelque pauvre veuve qui met­tait sur sa tête son tablier rem­pli de souches, ou quelque vieillard en haillons qui cher­chait des escar­gots au pied d’une haie.

– Où allez-vous si tard, petits ?

– Nous allons au-devant des Rois !

Et la tête en arrière, fiers comme Arta­ban, en riant, en chan­tant, en cou­rant à cloche-pied, ou en fai­sant des glis­sades, nous che­mi­nions sur la route crayeuse, balayée par le vent.

Puis le jour bais­sait. Le clo­cher de Maillane dis­pa­rais­sait der­rière les arbres, der­rière les grands cyprès noirs ; et la cam­pagne s’é­ten­dait tout là-bas, vaste et nue. Nous por­tions nos regards aus­si loin que pos­sible, à perte de vue, mais en vain ! Rien ne parais­sait, si ce n’est quelques fagots d’é­pines empor­tés par le vent dans les chaumes. Comme cela a lieu dans les soi­rées d’hi­ver, tout était triste et muet.

Auteur : Berthon, Maurice | Ouvrage : Lorsque les saints de France étaient petits garçons .

Temps de lec­ture : 24 minutes

L'enfance de Saint Jean-François Régis-Fran­çois Régis naquit le 31 jan­vier 1597 à Font­cou­verte, à égale dis­tance de Nar­bonne et de Car­cas­sonne. Font­cou­verte, Fon­taine cou­verte, source cachée, est une place forte de modèle réduit : trente mai­sons pro­té­gées par un châ­te­let appar­te­nant au sei­gneur abbé de La Grasse.

Aujourd’­hui, c’est qui pro­tège Font­cou­verte et la pré­cieuse source est décou­verte : le vil­lage allait don­ner nais­sance à un saint !

Jean de Régis, père du bébé, a noté sur son livre de rai­son, d’une belle écri­ture mou­lée par la plume d’oie : « L’an mil-cinq-cent-nonante-sept, le der­nier jour de jan­vier, un diven­drès (dies vene­ris : ven­dre­di) es nas­qut notre enfant, Jean-Fran­çois. Et fut par­rin noble Fran­cis de Turin, dit de Brè­tés, sei­gneur et baron de Péchei­riq, la mar­rine damoi­selle Clare Daban, famé à mon frère Régis. »

C’est là l’acte de nais­sance du Saint. Jean-Fran­çois Régis naquit le même jour à la vie de l’âme, puisque son père ajou­ta sur son livre de famille : « Et fut bap­ti­sé à l’é­glise de Font­cou­verte. » Encore un saint qui a été bap­ti­sé le jour même de sa nais­sance. Remar­quons le fait, sans pré­tendre cepen­dant en tirer une conclu­sion caté­go­rique, car, à cette époque, pré­sen­ter un enfant du jour au bap­tême était une pieuse cou­tume géné­ra­le­ment obser­vée dans les familles catholiques.

Le père et l’oncle du Saint tiraient quelque gloire de leur titre de « capi­taine et gen­darme de la com­pa­gnie de Mon­sei­gneur le Maré­chal de Joyeuse. » Mais il s’a­gis­sait de gens d’armes de réserve ! La foi de ces deux braves leur fai­sait un devoir de répondre immé­dia­te­ment à tout appel des chefs ligueurs pour com­battre les troupes hugue­notes. Les deux sei­gneurs de Régis étaient plu­tôt, à la véri­té, des gen­tils­hommes ter­riens, de modestes gen­tils­hommes qui ne négli­geaient point d’ai­der de leurs propres mains les quelques domes­tiques qui semaient, cou­paient, bat­taient et engran­geaient les blés, récol­taient les fruits dorés au chaud soleil de . On voyait même les deux « gens d’armes » mettre la main aux man­che­rons de la charrue.

La demeure des Régis est éloi­gnée de tout luxe, elle ne montre point les pro­por­tions d’une gen­til­hom­mière. Com­po­sée d’un rez-de-chaus­sée et d’un étage cou­vert d’un gre­nier, son seul orgueil est de ren­fer­mer deux grandes pièces de six mètres de côté, dans les­quelles les Régis reçoivent, mais bien rare­ment, les hobe­reaux du voisinage.

Rude à la guerre, rude au tra­vail de ses champs, le père de Jean-Fran­çois est cepen­dant un homme de manières douces qui ne contra­rie­rait en rien sa jeune femme, Made­leine d’Arse. Celle-ci est mal­heu­reu­se­ment de san­té si déli­cate qu’elle doit renon­cer à nour­rir elle-même son bébé, qui est son second enfant. La mar­raine, Cla­ra Daban, demande à se char­ger de son filleul. Elle lui trou­ve­ra bien une nour­rice sur ses terres. Et c’est ain­si que Jean-Fran­çois devien­dra pour long­temps « le nour­ris­son de Moux », loca­li­té proche de Fontcouverte.

Cette nour­rice est entrée dans la légende, sinon dans l’His­toire. S’é­tant absen­tée, elle retrouve le bébé sous le ber­ceau, « déve­lop­pé de ses langes, sain et gaillard ». La bonne femme, qui a eu fort peur, accuse les sor­ciers d’a­voir vou­lu du mal au fils des Régis ; elle ne peut son­ger à accu­ser le démon qui aurait cer­tai­ne­ment aimé se débar­ras­ser, dès le ber­ceau, d’un grand saint qui allait lui cau­ser un tort consi­dé­rable en lui ravis­sant des mil­liers d’âmes.

Et l’en­fant gran­dit aux côtés de son frère aîné Charles, car Made­leine d’Arse a reti­ré son fils de Moux dès qu’il a pu sup­por­ter le lait de vache. La jeune femme a une trop belle idée de l’é­du­ca­tion pour aban­don­ner la for­ma­tion de l’en­fant au seul bon vou­loir d’une nour­rice pay­sanne. La brave femme ne lui ensei­gne­rait que le bien, mais elle se serait vite trou­vée débor­dée par l’in­tel­li­gence pré­coce de Jean-Fran­çois, dont les innom­brables ques­tions ne lais­saient pas un ins­tant de répit à sa maman. C’é­tait évi­dem­ment les habi­tuels : « Maman, qu’est-ce que c’est que cela ?… Maman, ça sert à quoi, cela ?… Et pour­quoi dit-on cela ?… » Par­fois, l’en­fant ne posait pas suf­fi­sam­ment de qes­tions pour conten­ter son insa­tiable curio­si­té, puis­qu’il lui arri­vait de se for­mer un dic­tion­naire à lui, un voca­bu­laire qui attri­buait aux mots un sens qu’ils n’a­vaient point !

Pour exemple, jugeons de l’é­ton­ne­ment et de la frayeur de Made­leine d’Arse lorsque, pro­me­nant par la main son Jean-Fran­çois de cinq ans, celui-ci lui décla­ra « sau­te­lant » à son côté, joyeux :

— Ma mère, je serai damné !…

La maman s’ar­rête, regarde son fils dans ses yeux rieurs et si vifs :

— Mon petit, voyons, tu ne sais pas le sens ter­rible du mot dam­né ! Dieu te garde d’un tel malheur !…

Et, à Jean-Fran­çois très atten­tif, Made­leine d’Arse donne une leçon de caté­chisme, que l’en­fant clô­ture par cette pro­messe joyeuse :

— Alors, au Ciel ! ma mère ! au Ciel !

Enfant, Jean-Fran­çois fai­sait déjà preuve de nom­breuses qua­li­tés de base, telles que la modes­tie, la rete­nue, la bien­séance. Mais il ne fau­drait point son­ger à trou­ver de la tris­tesse chez ce bam­bin méri­dio­nal ! Non, Jean-Fran­çois, ses heures de classe ter­mi­nées, se pré­ci­pi­tait de toute la vitesse de ses petites jambes pour jouer avec ses cama­rades sous les pla­tanes du mail de Font­cou­verte. Il était par­fois pré­cé­dé de Charles, son aîné, mais il avait la gen­tillesse d’en­traî­ner par la main ses deux petits frères, Jean et François.

Il est amu­sant de consta­ter que la maman aime­ra don­ner à nou­veau à ses deux autres enfants les mêmes pré­noms qu’à son cher Jean-Fran­çois. Autre curio­si­té : le nom de famille du saint, Régis, devien­dra un pré­nom habi­tuel, même très sou­vent don­né au bap­tême des gar­çons. Cette cou­tume est rela­ti­ve­ment rare, et on ne peut citer que quelques saints dont les noms de famille ont été ain­si trans­for­més en pré­noms usuels : sainte Jeanne de Chan­tal, saint Louis de Gon­zague, saint Fran­çois Xavier.

Et voi­ci l’âge de l’é­cole. Jean-Fran­çois fré­quen­te­ra l’é­cole du vil­lage, mêlé aux petits cama­rades, mêlé aux enfants des ser­vi­teurs de son père. Il étu­die comme les autres, mieux que les autres, et puis, brus­que­ment, moins bien que les autres.

Cet enfant pos­sé­dait une sen­si­bi­li­té extra­or­di­naire. « On pou­vait le châ­tier avec les yeux, et toutes les fautes étaient tou­jours trop punies par une mine un peu sévère. » Les parents avaient l’in­tel­li­gence de ne point abu­ser de cette faci­li­té de cor­rec­tion, mais il advint qu’un des pre­miers maîtres de l’en­fant crut pou­voir se per­mettre d’u­ser envers lui « d’un peu de rigueur ». Le résul­tat fut à ce point pitoyable que « ses parents déses­pé­raient déjà de le voir jamais capable de bonnes lettres. »

Par bon­heur, rap­portent les pre­miers his­to­riens du saint, « sa mère, qui l’é­tu­diait tous les jours, s’a­per­çut que la sévé­ri­té de son maître étouf­fait les lumières de son esprit. Elle le pria donc de chan­ger de bat­te­rie et de le conduire avec dou­ceur, ce qui lui réus­sit si heu­reu­se­ment que, se voyant cares­sé, il com­men­ça à s’é­pa­nouir en sorte qu’il appre­nait plus qu’on ne voulait ».

Jean-Fran­çois étu­diait la langue fran­çaise tout en conti­nuant à par­ler cou­ram­ment le lan­gue­do­cien avec ses parents et ses cama­rades de classe et de jeux. Peut-être était-ce la Pro­vi­dence qui pré­pa­rait ain­si le futur saint à ses mis­sions dans les mon­tagnes céve­noles, où il ne par­le­ra que le lan­gue­do­cien à ces bonnes gens, qui n’au­raient pas sai­si grand’­chose d’un ser­mon en pur fran­çais. Nous ne sommes qu’au XVIIe siècle.

Auteur : Filloux, H. | Ouvrage : Au cœur de la Provence .

Temps de lec­ture : 8 minutes

Le chant des Alyscamps

Devant nous s’ouvre la longue allée, bor­dée de hauts peu­pliers d’I­ta­lie au feuillage touf­fu. De chaque côté s’a­lignent des tom­beaux, des dalles funé­raires, des monu­ments en ruines. Ici, une date qu’on déchiffre avec peine ; là, un nom à demi effa­cé. Cette allée de tom­beaux rap­pelle les voies romaines que les riches habi­tants de bor­daient de leurs sépulcres. Ain­si, avant d’en­trer dans la ville des vivants, on tra­ver­sait la cité des morts.

L’é­vêque Tro­phime, le pre­mier, eut là son tom­beau et ce fut, dans la suite, un grand hon­neur d’être enter­ré auprès du saint. Évêques et sei­gneurs, com­mer­çants et bour­geois aimaient à venir dor­mir là leur der­nier som­meil. Dans les villes au bord du Rhône, on confiait les cer­cueils au fleuve, avec une offrande pour les marins qui les repê­chaient. Ain­si, ceux qui s’é­taient endor­mis du grand som­meil n’é­taient point oubliés ; ils se mêlaient à la vie de tous les jours et la vue de ces tom­beaux était une leçon pour les vivants. Car ceux qui repo­saient à l’en­trée de la cité, c’é­taient ceux-là qui l’a­vaient faite de leurs tra­vaux, de leurs peines, de leurs sueurs.

Les riches tom­beaux ont dis­pa­ru : il ne reste plus que ces pauvres dalles effri­tées et nues, sous l’al­lée magni­fique des peu­pliers. Au fond, la vieille église en ruines de Saint-Hono­rat. Ce , c’est le saint de , un des pre­miers évêques d’, qui vint des brumes du Nord au pays du soleil et lui don­na tout son cœur. Son his­toire est si belle que je ne puis résis­ter à l’en­vie de vous la conter. Asseyons-nous sur ces dalles, à l’ombre des feuillages, dans le cou­chant recueilli.

Saint Hono­rat est né, là-bas, dans une grande cité grise au bord du Rhin, vers l’an 360. Ses parents étaient de nobles sei­gneurs esti­més de tous et grands étaient leurs biens. Sa mère, avant sa nais­sance, avait vu, dans un songe, une gerbe de feu jaillir de son cœur. Elle pen­sait : « Que sera mon enfant ? »

Cet enfant, qu’on appe­la Andro­nich, fit la joie de ses parents : tou­jours sou­riant, très doux, avec un gra­cieux visage où brillaient des yeux vifs, sous une auréole de blonds che­veux. Il devint un éco­lier stu­dieux, mer­veilleu­se­ment doué, si bien qu’il dépas­sa même son frère aîné.

Jeune homme, il fai­sait l’en­vie des mères, tant il était aimable et cour­tois. Comme ses parents, il était païen et sacri­fiait aux dieux des Romains, maîtres du Rhin, comme du Rhône, maîtres du monde d’a­lors. Une aven­ture mer­veilleuse vint trans­for­mer sa vie. Comme il était à la chasse avec des amis, il aper­çut un cerf magni­fique qui, à sa vue, s’en­fuit dans les four­rés. Piqué au jeu, Andro­nich des­cend de che­val, oubliant ses com­pa­gnons pour pour­suivre la bête. Course dif­fi­cile à tra­vers la forêt. Tout à coup, le jeune homme voit devant lui s’ou­vrir une caverne. Curieux il s’ap­proche et découvre trois hommes vêtus de laine blanche, por­tant de longues barbes. Pris de peur, il songe à s’en­fuir, mais il lit tant de bon­té sur les visages qu’il avance jus­qu’à la caverne. Le cerf s’ac­crou­pit aux pieds des soli­taires. Andro­nich s’é­tonne et s’émerveille.

— Ce cerf appar­tient au Sei­gneur, explique le plus âgé des hommes, au Sei­gneur Dieu que nous ado­rons et il vit fami­liè­re­ment avec nous qui l’ap­pe­lons au nom de Jésus.

Alors, l’un des ermites, Caprais, conte au jeune homme atten­tif la mer­veilleuse his­toire du Christ. Ce Jésus de Naza­reth, mis en croix par amour pour les hommes, ne lui était pas incon­nu. On en avait sou­vent par­lé devant lui, il avait enten­du dis­cu­ter son ensei­gne­ment dans les écoles, mais il le consi­dé­rait jusque là tel que le lui avaient mon­tré ses parents : comme un mal­fai­teur, un fau­teur de troubles jus­te­ment condam­né. Aujourd’­hui, dans la caverne ouverte sur la forêt, il com­prend, son erreur et déjà son cœur loyal s’at­tache à Jésus. Enfin, le cerf le guide vers ses com­pa­gnons inquiets de sa longue absence.

Saint Honorat rencontre St Caprais en Provence

Auteur : Renoux, Jean-Claude | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 10 minutes

Récit de Noel ProvencalDans une mai­son, vieille mai­son offerte à tous les vents, res­tait il y a bien long­temps une vieille, vieille femme qu’on appe­lait la mamet Jau­mette. La vie n’a­vait guère épar­gné la vieille, et elle n’a­vait plus de famille qu’un petit-fils. Et encore : l’en­fant qui s’ap­pe­lait Oli­vier était si petit, si maigre, si pâle, que le voyant cha­cun rete­nait sa res­pi­ra­tion de crainte de le voir s’af­fais­ser comme un châ­teau de cartes. La vieille avait en charge la ber­ge­rie du châ­teau de la Baume qui se trou­vait tout à côté de la mai­son, vieille mai­son offerte à tous les vents.

Un jour un méde­cin pas­sant par là, vit l’en­fant si petit, si maigre, si pâle. Il dit à la vieille femme qu’elle devrait mieux le conduire à l’hô­pi­tal. Au regard qu’é­chan­gèrent la mamet Jau­mette et son petit-fils, il sut que rien ne pour­rait sépa­rer ces deux-là. Alors il pro­po­sa à la vieille de faire cou­cher l’en­fant dans la ber­ge­rie, et non dans la vieille mai­son offerte à tous les vents :

— La cha­leur des mou­tons le pro­té­ge­ra du froid, et avec un peu de chance peut-être se por­te­ra-t-il mieux.
Et le méde­cin s’en fut là où l’on payait ses services.

La vieille femme amé­na­gea un coin pour l’en­fant, à l’é­cart des mou­tons, et la vie conti­nua comme par le pas­sé. Mais Oli­vier ne s’en por­tait pas mieux. La fièvre dévo­rait ses grands yeux, et il ne quit­tait plus guère la bergerie.

Vint la période de Noël. Oli­vier, pour pas­ser le temps, confec­tion­na une , et y mit tous les san­tons que la mémé Jau­mette lui avait offerts les Noëls précédents :

Le tout petit Enfant dans son nid de paille, Joseph et Marie, le bœuf et l’âne, les rois mages, l’ange Bou­fa­reu souf­flant dans sa trom­pette, le ber­ger et son chien, un petit pâtre qui por­tait un agneau, l’a­veugle et son fils, un banc d’al­lu­mettes, les amou­reux Mireille et Vincent se cachant der­rière un buis­son de mousse, Rous­tide et sa lan­terne cher­chant les amou­reux, le Ravi s’ex­ta­siant tout en levant les bras, le garde cham­pêtre et le bou­mian, la pois­son­nière et son pis­ta­chier de mari, le rémou­leur, qu’on appelle amou­laïre en , le meu­nier qui s’é­tait char­gé d’un sac énorme de farine fraî­che­ment mou­lue, un mon­treur d’ours et sa bête…

Auteur : Par un groupe de pères et de mères de familles | Ouvrage : Petite Histoire de l'Église illustrée .

Temps de lec­ture : 10 minutes

∼∼ IV ∼∼

Colette est res­tée sans regret à bord. Ber­na­dette et Maria­nick sont demeu­rées sur le pont, bien à l’ombre, en train d’es­sayer un nou­veau point de tri­cot très compliqué.

Petit Pierre évo­lue autour d’elles en fai­sant fonc­tion­ner, à grand effort de tapage, un modèle réduit de conduite inté­rieure. Il est si occu­pé, que l’at­ten­tion des tra­vailleuses se concentre de plus en plus sur le fameux tri­cot. Pier­rot s’en rend compte. Il est affreu­se­ment taquin. S’il fai­sait une belle peur à tout le monde en se cachant der­rière ce gros tas de cor­dages ? Que ce serait donc amu­sant de voir la calme Ber­na­dette se déme­ner un peu ! Et mon­sieur Pierre sur­veille les alen­tours. Presque tout le monde est des­cen­du. Le vieux mon­sieur qui fume son cigare, là, à côté, ne le regarde pas, ni la dame anglaise qui lit son jour­nal à tra­vers ses lunettes dorées ; donc, c’est le moment.

Il faut pas­ser tout contre le fau­teuil de Ber­na­dette, mais Pier­rot l’en­tend comp­ter ses points. C’est ras­su­rant. Un petit détour. Ça y est.

Comme un chat, l’en­fant se tapit der­rière le tas de cor­dages, l’œil au guet à tra­vers de petits espaces libres, et attend l’ef­fet produit.

Une ou deux minutes se passent, puis Maria­nick se redresse. Son regard cherche Pier­rot. Elle l’ap­pelle. Pas de réponse.

— Ma Doué ! où est le petit ? Colette, tu jouais avec lui ?

Mais Colette, comme sa sœur aînée, n’a rien vu ; tout de suite c’est l’in­quié­tude qui enva­hit les tri­co­teuses. Ber­na­dette court aux cabines, se deman­dant si le petit impru­dent n’a pas essayé d’y des­cendre. Maria­nick, en cher­chant l’en­fant, répète invo­ca­tions sur invo­ca­tions à la bonne Mère Sainte Anne, se repro­chant amè­re­ment d’a­voir quit­té des yeux le petit.

Lui, du fond de son obser­va­toire, s’a­muse pro­di­gieu­se­ment. Mais papa, aler­té, gagne le pont en quelques enjam­bées. Comme le capi­taine y monte aus­si et s’é­tonne de sa pré­ci­pi­ta­tion, il le met au courant.

C’est un char­mant offi­cier, ce capi­taine. Il est grand, éton­nam­ment mince dans sa vareuse san­glée, et ses yeux ont vite fait de fouiller son navire, dont il connaît les moindres recoins. A peine sur le pont, une lueur amu­sée passe dans son regard. Il va droit aux cor­dages, plonge le bras der­rière et en extrait Pier­rot, soli­de­ment sus­pen­du par le fond de la culotte. Hélas ! des mains du capi­taine, le fond de culotte passe dans celles de papa, qui y applique de maî­tresses claques.

Il est à croire que Pier­rot déchante, et pour long­temps, du plai­sir d’in­quié­ter sa famille ; mais l’in­ci­dent fait sou­rire l’of­fi­cier et le retient auprès du groupe fami­lial, si mali­cieu­se­ment aler­té. On cause.

— J’ai fait ce voyage en pèle­rin avant de l’ac­com­plir tant de fois depuis, comme marin. J’en connais, je crois, tous les détails.

Il vous fau­drait des­cendre à Chypre, mon­sieur, puis à . Ce sont là des sites incom­pa­rables, et tel­le­ment inté­res­sants par ce que nous savons des séjours qu’y fit  !

— Oui. Je vou­drais jus­te­ment que mes enfants pro­fitent de ce voyage pour situer les débuts de l’His­toire de l’É­glise. Aucune étude en effet ne vau­dra sur ce point notre croisière.

Colette ne quitte pas des yeux le com­man­dant, tant elle met d’at­ten­tion à l’é­cou­ter. Il s’en aper­çoit. Char­mé par cette petite fille si simple, il se penche vers elle :

— Tenez, made­moi­selle, regar­dez cette jolie petite carte. Quand nous arri­ve­rons à Sala­mine, il fau­dra pen­ser à saint Paul. Il y a conver­ti le pro­con­sul Ser­gius Paulus.

Colette est inti­mi­dée, mais ce grand offi­cier a l’air si bon !

— S’il vous plaît, mon­sieur, un pro­con­sul, qu’est-ce que c’était ?

— Un repré­sen­tant de l’empereur romain, gou­ver­nant en son nom.

Savez-vous que ça n’a pas été facile de le conver­tir. Il y avait là un magi­cien, nom­mé Ély­mas, qui fai­sait l’im­pos­sible pour détruire l’in­fluence de saint Paul. Alors l’a­pôtre dit à Ély­mas : « Tu es un fils de Satan. Voi­ci que la main de Dieu va s’ap­pe­san­tir sur toi ; aveugle, tu ne ver­ras plus, pour un temps, la lumière du soleil.

— Oh ! mon­sieur. Et c’est arri­vé ? Il n’a plus rien vu ?

— Comme saint Paul l’a­vait dit. Devant ce miracle et cette puni­tion, Ser­gius a com­pris la puis­sance de Dieu et s’est converti.

Colette est tout à fait en confiance. Elle pose le doigt sur la carte et demande :

— Cette autre petite île, c’est Rhodes ?