Temps de lecture : 2 minutesJésus, envoyant ses apôtres et ses disciples prêcher l’Évangile dans les villes de Judée, leur dit : « La moisson est grande, mais les ouvriers sont peu nombreux ! » Parole qu’Il nous répète encore, car la sixième partie du globe seulement est catholique. Un milliard et deux-cent millions d’hommes n’ont pas encore entendu…
Étiquette : <span>Mission</span>
La neige ! La neige !
Tout joyeux, vous courez à la fenêtre ou au jardin.
Autre chose est de vivre dans les neiges du Grand Nord, comme le missionnaire qui s’en va si loin évangéliser l’Esquimau.
Le P. Le Roux, un Breton aux yeux bleus et le P. Rouvière, Lozérien aux yeux noirs, tous les deux Oblats de Marie, partent à la recherche des Esquimaux campés sur la banquise.
La banquise… Imaginez-vous cela ? une mer sans bateaux, sans vagues, immobilisée sous la neige. Au loin, du côté de la terre, la falaise aux cavernes habitées par les ours blancs ; au large, un chaos de blocs de glace qui se détachent avec un bruit de tonnerre et s’en vont à la dérive… Quelle idée d’aller vivre là ! C’est que, sous la neige, il y a la glace, et sous la glace, l’eau, et dans l’eau, le poisson et le mammifère dont l’homme se nourrira puisqu’il ne peut cultiver la terre ni récolter les fruits d’arbres inexistants.
Venant de la Mission Notre-Dame d’Espérance, après plusieurs jours de voyage, les deux missionnaires aperçoivent enfin les coupoles des maisons de neige. Il est temps ! Pères et chiens sont à bout de forces et quel froid ! 52 degrés au-dessous de zéro ! « Tiens, remarque un des Pères, nous avons été signalés ; voici qu’ils sortent de leurs iglous. »
Un Esquimau vient en effet à leur rencontre et les salue à la mode de son peuple, bras levés, non en signe de reddition, mais de bienvenue. Suivent des inclinaisons de tête à droite, à gauche, une inclination jusqu’au sol,… et cela recommence. On ne peut être plus poli ! Les deux Français imitent de leur mieux. Une vraie pantomime.
L’homme se retourne alors vers le groupe qui le suit : « Kra-bouma ! clame-t-il, ce sont des Blancs ! » Et il court vers eux, mains tendues. Hommes, femmes, vieillards, enfants imitent le geste ; c’est à qui tendra ses deux mains garnies d’épaisses moufles de fourrure et tous rient de contentement. Les Blancs, ils les connaissent un peu pour les rencontrer à Fort-Norman quand ils vont y échanger fourrures et ivoires contre thé, sucre et tabac.
Le P. Rouvière n’est point un agent de commerce et il tient à leur dire, tout clair, le but de sa visite : « Nous sommes venus de très loin (de la France, par delà la mission) pour vous parler de Dieu qui a créé les poissons, les phoques et les hommes. Son fils Jésus, descendu du ciel sur la terre est mort pour ouvrir le ciel à ceux qui l’auront aimé ! »
Peut-être avez-vous entendu raconter l’histoire de ces Esquimaux ou de ces Indiens qui, à semblables paroles, ne s’étonnèrent pas : le Créateur, ils l’avaient deviné, découvert, par la beauté de sa création et ils l’avaient nommé le Grand Esprit. Ceux-ci ne comprennent pas ; ils se regardent surpris, puis, ne sachant que répondre, ils éclatent de rire.
Dans le pays d’Unamio, entre les terres riveraines de l’Océan Indien, alors sujettes du Sultan de Zanzibar, vivait au siècle dernier la petite Suéma.
Il est beau le pays de Suéma : immenses plaines couvertes d’arbres fruitiers, traversées par de jolis ruisseaux. Les indigènes y récoltent magnoc, ignames, patates, maïs et presque tous les légumes d’Europe.
Au delà des plaines, d’immenses forêts remplies de tigres, d’hyènes, de panthères, de lions, dont les rugissements, répercutés par les échos, semblent la nuit des roulements de tonnerre. Là, paissent d’innombrables éléphants dont les défenses fournissent un bel ivoire, principale ressource et richesse du pays.
Les Africains de cette région vivent en grande partie de la chasse.
« Père, puis-je aller chasser avec toi ? » a demandé souvent la petite Suéma.
— Non. Quand tu seras plus grande ! »
Aujourd’hui, le père a répondu : « viens ! »
La première opération consiste à creuser, dans divers endroits de la forêt, des fosses profondes que l’on recouvre de branchages et de hautes herbes. Ce travail terminé, hommes, femmes et enfants se réunissent pour la battue. Comme Suéma se sent en sécurité entre son père, sa mère et ses sœurs, malgré ses sept ans, elle se montre très brave.
Arrivée à la lisière du bois, la troupe des chasseurs forme la chaîne, puis, au signal donné, s’enfonce dans la forêt, resserrant son cercle à mesure qu’elle marche et poussant des cris aigus afin d’épouvanter et de déloger le gibier. Quelques hommes chargés d’arcs et de sagaies précèdent la bande ; d’autres, dispersés, veillent autour des trappes et pourchassent les animaux qui, par instinct ou par adresse évitent les pièges en sautant par dessus.
Ne soupçonnant aucun danger, Suéma sautille joyeusement entre sa mère et ses sœurs ; elle s’amuse tant qu’elle se croit à une partie de plaisir. Heureux et fier de sa fille, le père marche en avant, tenant une flèche toute prête sur la corde de son arc.
Les chasseurs se rapprochent de la ligne des trappes ; ils n’en sont plus séparés que par un bosquet touffu quand sort de ce bosquet un rugissement si rauque, si prolongé, que tous en restent pétrifiés. Le sang se fige dans les veines ; un silence de mort remplace les cris de la battue, mais laissons Suéma nous raconter elle-même la suite : « Tandis que les échos répétaient ce rugissement du lion, j’aperçus ce terrible animal qui, les yeux flamboyants, la crinière hérissée, battait la terre de sa longue queue. Il approche… sa marche un peu oblique le conduit directement vers nous… Il passe à côté de mon père puis s’arrête, prêt à bondir sur mes sœurs et sur moi. À ce moment même, il rugit d’une façon terrible. Mon père comprend qu’il n’y a pas un moment à perdre ; il s’élance et attaque l’animal ; ses flèches et ses sagaies toujours si sûres, manquent cette fois leur but. Alors, le couteau de chasse à la main, il se jette sur le lion et, avec ses bras crispés, saisit la crinière de l’animal.
« La frayeur m’a tellement glacée que je ne vois plus ce qui se passe ; c’est à peine si j’aperçois, dans un tourbillon de sang, une masse rouge qui roule à terre et disparaît dans la forêt. » Le lion, furieux, blessé, a emporté le père de la petite Suéma.
La battue cesse ; la forêt devient solitaire ; seuls les sanglots de la veuve et de ses filles interrompent le silence. La nuit les trouve au même endroit et les rugissements de l’hyène rappellent à la pauvre mère son dernier-né, resté à la maison.
Ce soir-là, pour la première fois, la case fut sans feu, triste et silencieuse. « Oh ! ajoutait Suéma, comme on souffre quand on ne connaît pas Dieu et qu’on ne sait pas le prier ! »
Les parents de Suéma n’avaient pas reçu comme nous les lumières de la foi ; mais fidèles à la loi naturelle, inscrite par Dieu en tout homme, ils faisaient simplement leur devoir. Comme la jeune Africaine parlait avec bonheur des jours de son enfance ! des bontés de son père, des soins dont l’entourait sa mère, de l’affection mutuelle qui les unissait tous : « J’entendais dire aux enfants des voisins : « Voilà l’heureuse Suéma qui mange tous les jours de la viande et du sel ! » J’étais fière de ces paroles parce qu’elles faisaient l’éloge de mon père. »
« On disait aussi quelquefois, en me voyant passer : « Voilà Suéma la propre, aux cheveux bien tressés. J’étais contente de ces paroles qui étaient l’éloge de ma mère. » Mais revenons aux tristes jours qui suivirent la mort du chef de famille.

Maintenant Suéma a autre chose à faire que de rire et de chanter en gardant les brebis avec les enfants de son âge ; elle cultive la terre avec ses aînées. Hélas, sur les récoltes s’abat un nuage de sauterelles ; ces insectes dévorent les plantes jusqu’à la racine et les arbres jusqu’à l’écorce. Ceux qui ont des réserves de sel ramassent des sauterelles et les mettent au saloir. Chez Suéma, impossible ! Le père est mort sans avoir dit où il prenait les plantes dont il extrayait ce sel si précieux parce que si rare en ce pays. Ces plantes existent-elles encore ? Les sauterelles ont tout dévoré !
Au dehors, la tempête faisait rage. Et quelle tempête ! Hurlements de fureur, vagues démesurées, coups de bélier à jeter bas les falaises de la côte. La nuit semblait au pouvoir de bêtes monstrueuses prêtes à dévorer l’humanité entière. Il n’eût pas fait bon être en mer à cette heure.
Dans le couvent, les moines priaient. Derrière les murs énormes, faits de granit inébranlable, très peu ouverts par d’étroites meurtrières, c’était à peine si le tumulte de l’océan déchaîné parvenait à leurs oreilles comme un grondement. Les psaumes succédaient aux psaumes, chaque moitié du chœur chantant à son tour les versets. L’église basse, trapue, n’était guère éclairée que par les cierges de l’autel et, de loin en loin, au bord des stalles, quelques lampes à huile dont la lueur jaune dansait sur les poutres et les solives de la toiture. On distinguait mal les formes agenouillées des moines, vêtus de bure brune ; seule la large tonsure blanche en couronne permettait de discerner leurs têtes inclinées.
Sans que nul n’eût entendu s’ouvrir une porte, une silhouette sombre apparut au milieu du chœur, se dirigeant vers la stalle du Révérendissime Père Abbé, reconnaissable à la haute crosse qui était dressée à côté de lui. Chaque nuit, tour à tour, pendant que la communauté célébrait l’office, un des frères demeurait en faction dans la tourelle de guet, à la pointe du monastère qui donnait droit au-dessus de la mer ; les naufrages n’étaient pas rares sur cette côte bretonne toute déchiquetée par les grands vents. Le moine guetteur se tenait là pour scruter l’océan immense et, s’il apercevait un navire en détresse, alerter tout le couvent.
Justement, cette nuit-là, les moines qui n’avaient pas interrompu leur chant liturgique, le virent, après s’être prosterné devant le Père Abbé, faire le signe de détresse : les bras levés au ciel, puis trois génuflexions. Saint Brendan frappa le sol de sa crosse. Le silence se fit instantanément et il sembla que le grondement de l’océan devînt plus fort, plus menaçant.

« Sauver la vie de nos frères est encore plus agréable à Dieu que chanter nos prières. Allons ! Le Seigneur nous appelle au devoir !… »
Un instant après, ils étaient tous dehors : les uns sur le chemin de ronde scrutèrent la nuit, où se distinguait, sous la clarté intermittente d’une lune blême, un navire ballotté par les vagues, plus qu’à demi renversé par elles ; les autres avaient déjà gagné le petit port et commençaient à mettre à l’eau le canot de sauvetage qui, bien souvent, dans des conditions semblables, avait arraché à la mort des naufragés. Et, une fois de plus, n’écoutant que la voix de leur conscience chrétienne, au péril de leur vie, sur l’océan démonté, les fils de saint Brendan s’élancèrent…
* * *
« Il vit ! » dit Frère Cadoc, qui était un peu médecin. La mince forme, en effet, remuait tout doucement, et le visage, livide, sous les pâles cheveux blonds plaqués par l’eau de mer, semblait reprendre quelques couleurs. Étrange histoire… Sur le bateau en perdition, les moines sauveteurs n’avaient plus trouvé de vivant que ce petit garçon de dix ou onze ans, attaché, par précaution, à un des bancs de rames pour qu’une vague ne l’enlevât point. Où était donc l’équipage ? Dans un coin, le cadavre d’un des marins, tué sans doute par une chute. Les autres avaient dû être emportés par une de ces énormes lames qui balayaient le pont.
— Oui, il vit, louange à Dieu ! répondit le Père Abbé, qui s’était penché sur la poitrine de l’enfant. Et d’une voix forte, il entonna un cantique d’action de grâces auquel tous les présents répondirent. À ce moment, réveillé, le petit garçon ouvrit les yeux…
C’est ainsi que celui qui devait devenir Edwin d’Islande fut recueilli, sur les côtes de Bretagne, par la charité et le courage des moines de saint Brendan. Car, lorsqu’on l’eut bien réchauffé, bien nourri, bien installé dans le meilleur lit qu’on pût trouver, il ne fut plus question de se séparer de lui. Dieu lui-même, dans sa Sainte Providence, n’avait-il pas clairement marqué qu’il désirait le voir vivre au monastère ; et puis, il faut bien l’avouer tous ces rudes hommes éprouvaient une secrète tendresse pour ce bel enfant frais et rosé, aux cheveux de lin… Il fut donc décidé qu’il serait élevé au couvent, que le cher Frère Gildas, le plus doux et le plus jeune de tous, serait spécialement chargé de veiller sur lui et de l’éduquer. Ce serait, plus tard, un frère de plus dans la communauté…
Au R. P. A. D., missionnaire au Cameroun.
Il était le dernier de la première table du côté du jardin. Et je le revois très bien malgré les années… Oh ! mon Dieu, des années qui ne sont pas tellement nombreuses, c’était tout aussitôt après la guerre, en 1919 – 1920. Je le revois très bien : un petit homme, peu poussé en chair, musclé, nerveux et racé à plaisir. Ne croyez pas que j’emploie ce mot pour faire du genre, par mode ; oh ! non, mais bien parce que je me plaisais à reconnaître en lui un descendant authentique de cette race de Gaulois mâtinés de Latins, conservés sans mélange, malgré les flux et les reflux des peuples. Un bon enfant, au demeurant, franc, loyal, sincère, si vous le voulez, en donnant à ce mot son sens premier de candeur et de simplicité. Fort en thème ? À dire vrai je le retrouve peu souvent nommé aux palmarès de cette époque. Peut-être ne prenait-il qu’un intérêt secondaire aux savantes explications que la pédante abondance des programmes universitaires nous oblige de verser à des moutards de quinze ans : « Et remarquez bien, s’il vous plaît, que la peukên qu’Agamemnon tient en main d’abord, et qu’il jette à terre ensuite, n’est pas sa tablette, comme le dit la note de votre texte, mais sa torche, une torche de résine, c’est la nuit et… Suivez Jean Demaison ! » — « Mon Père, il y a un nid de chardonnerets dans le pommier », et, Dieu nous pardonne, maître et élèves laissaient, quelques minutes, Euripide et Klutaimnestra pour suivre les jeux rapides du couple de chardonnerets.

Et la vie vous emporta chacun de notre bord, mon pauvre Jean Demaison, vous près de Paris pour de plus hautes études, et votre professeur loin de la France. Mais pour loin que vous fussiez de mes yeux, jamais je ne vous chassai de la pensée de mon esprit. Chaque fois que, dans ma vie, je rencontrai ces si jolis petits oiseaux qui nichent dans un rideau de vigne vierge, dans une fourche de pommier feuillu, ou qui, aux jours où l’automne tend sur les champs humides le réseau d’argent de ses fils de la vierge, font courber à peine sous le poids de leurs ailes de bure et d’or la tige des chardons qu’ils becquètent, je ne sais par quelle gracieuse alliance d’idées, j’ai songé à ce passage d’Euripide et à Jean Demaison, mon élève de Seconde.
J’appris votre élévation au sacerdoce. Votre bonheur fut le mien, votre joie la mienne. Je m’agenouillai sous votre bénédiction et j’assistai, plus ému que je ne voulais le laisser paraître, à votre première, grand’messe.
Et je vous vis partir.
Partir pour des pays où ma pensée ne pouvait vous suivre, car la terre est vaste, quoique petite, et, si nombreux que soient les pays que j’ai visités, ils sont bien plus nombreux encore ceux que je ne connais pas. De temps en temps vous nous donniez de vos nouvelles. Elles étaient bonnes. Vous abattiez de la besogne et vous étiez heureux. Que désirer de plus pour les prêtres qu’on aime ? Vous construisiez des églises, où les chrétiens se pressaient de jour en jour plus nombreux. Sur des pistes à peine tracées, vous faisiez de la motocyclette, moderne moyen dont se sert le Bon Pasteur pour courir après la brebis perdue ou captiver la sauvage. Et quand les lettres se faisaient rares, un chardonneret de passage vous replaçait dans mon souvenir.
Un jour l’on frappa à ma porte trois coups espacés que je n’avais pas accoutumé d’entendre : « Entrez ! » C’était vous !