Non, il ne voulait pas quitter la maison pour aller là-bas, dans cette ferme comme petit berger. Depuis huit jours on ne parlait que de cela.
Georges n’avait plus que sa maman et sa grande sœur qui était repasseuse.
Cette année, la vie devenant plus difficile, la maman de Georges s’inquiétait pour son fils, assez délicat de santé ; le docteur du dispensaire et les infirmières consultés avaient répondu :
« Il faut envoyer cet enfant à la campagne. Mettez-le petit berger dans une bonne famille de cultivateurs, vous verrez comme cela lui fera du bien ; l’âme et le corps y gagneront.
Quand sa maman lui avait rapporté ces paroles, en venant l’attendre avec sa sœur à la sortie du patro (on était un jeudi), Georges s’était mis à pleurer :
« Non, je ne veux pas partir ! Tant pis si je suis malade, je ne veux pas être berger !
— Tu n’es pas raisonnable, mon petit Georges, avait dit sa sœur Marcelle ; pense au soulagement que nous aurons, maman et moi, de te savoir bien nourri et au bon air ; tu devrais être fier de penser que tu vas pouvoir nous décharger et gagner ta nourriture. Tiens, voilà justement Monsieur l’Abbé qui passe, nous allons lui demander son avis.
Jacinte, la plus jeune des trois voyants de Fatima, était une jolie enfant, brune, les traits réguliers, avec des yeux vifs et profonds. Intelligente et fine, son bon cœur, son caractère tendre et doux la rendaient aimable à tous.
Onzième enfant de la famille Marto, ses grandes sœurs et ses frères la choyaient à l’envi. Parfois, Olimpia, la mère, grondait ses aînés parce qu’ils gâtaient trop la petite. Mais au fond, les succès de sa benjamine flattaient et réjouissaient son cœur.
Cette fervente chrétienne avait toujours hâte de voir grandir ses enfants pour leur enseigner les prières et les premières vérités de la religion. Jacinte et son frère François, de deux ans plus âgé, apprirent de leur maman à aimer Jésus et Marie.
De temps en temps, la mère réunissait autour d’elle tous ses enfants pour une sorte de catéchisme familial. Le foyer d’Olimpia était profondément religieux, comme celui de sa belle-sœur, Maria-Rosa, mariée à Antonio dos Santos.
Deux maisons basses et modestes, situées à quelques minutes du bourg de Fatima, abritaient ces familles nombreuses. À côté du logis, la bergerie, l’aire, puis le jardin où le puits creusé dans le roc se cachait sous l’ombre épaisse des figuiers.
Dans chaque demeure, sur la muraille blanchie à la chaux, le crucifix s’entourait d’images pieuses devant lesquelles, chaque soir, parents et enfants s’agenouillaient pour la prière.
En cette contrée montagneuse du Portugal, la population restait simple, chrétienne, laborieuse. Le travail était dur pour cultiver la vigne et le blé dans les étroites bandes de terre enclavées dans les rochers. Les troupeaux qui broutaient le long des collines constituaient la richesse du pays. Pour les garder, beaucoup d’enfants manquaient l’école et ne savaient ni lire, ni écrire.
Cette vie monotone n’était coupée que par le repos du dimanche, vrai jour du Seigneur. Tous venaient à la messe, même les habitants des hameaux les plus écartés.
Fatima, loin des villes, avec des chemins rocailleux, impraticables, restait comme un îlot préservé au milieu du Portugal, sur lequel passait une terrible vague d’impiété et d’anarchie.
Cette nation, jadis très prospère, alors ruinée, déchirée par les haines, le communisme, les persécutions religieuses, semblait courir à l’abîme.
Certes, nul ne se doutait que des montagnes obscures de Fatima, viendrait, au Portugal, un message de paix et de résurrection !
Les bergers
Jacinte et son frère François ne jouent qu’avec leur cousine Lucie dos Santos, élevée comme eux par une maman qui veille sur la pureté de son âme et place avant tout la franchise, la probité, les vertus chrétiennes. Lucie, née en 1907, est l’aînée de ses cousins.
Temps de lecture :10minutesIl y avait trois cent vingt-neuf ans, le roi Louis XIII, depuis le 10 août, assiégeait La Rochelle. Les protestants s’étaient adressés à l’Angleterre pour obtenir du secours, de sorte qu’une rébellion étroite et d’origine religieuse était devenue un acte de haute trahison. Le Roi, le cardinal de Richelieu, le duc d’Angoulême, le maréchal de Bassompierre commandaient et tenaient des quartiers séparés, mais en cette soirée, et pour la veille de Noël, ils s’étaient réunis. Le Roi qui, tout le jour, avait tenu à la batterie du Chef du Bois, allait recevoir après les messes de minuit. Dans la journée, plus de deux cents boulets lui avaient passé au-dessus de la tête, mais l’artillerie s’était arrêtée brusquement quand l’Angélus avait sonné chez les royaux. Les calvinistes paraissaient avoir obéi à un signal et les canons du Roi eux-mêmes s’étaient tus. Louis XIII ne quitterait pas La Rochelle jusqu’au 17 février.
Il gelait, sous un ciel de pleine lune. Tout le cantonnement était silencieux d’un bizarre silence, autour d’une ville muette. Au clair de lune, les hautes tours et les courtines s’élevaient bleuâtres et, par places, avec d’étroites meurtrières qui brasillaient comme des trous de feu.
Le siège de La Rochelle fut triste. Cette guerre fratricide n’était point populaire. Pas un mousquetaire, ni même un goujat, qui ne la jugeât nécessaire, car les huguenots, par leur agressivité, leur acharnement, leur malice, avaient signé leur condamnation, mais il est terriblement cruel, pour un homme de cœur, d’entendre les blessés ennemis se plaindre dans la langue maternelle…
Demain, ce serait la Noël ; il y aurait donc, en effet, des fêtes et des réjouissances et le quartier royal serait en liesse, mais ce soir, c’était encore la vigile. Presque tous les catholiques, fouettés par l’abandon et les provocations calvinistes, allaient faire leurs dévotions. Cette nuit, qui se terminerait par les réveillons et les médianoches, aurait commencé par la ferveur. Un répit certain s’élargissait. Le bruit sourd et répété du « mouton », du formidable marteau qui enfonçait jour et nuit les pieux de la digue, de l’ouvrage de Metezeau, terminé par Pompeo Targone, ce choc de chaque minute avait cessé, mais on l’attendait, on l’entendait encore.
Lorsque Tony, le vieux berger, partait pour la saison d’été vers l’alpage où il menait paître toutes les chèvres du hameau, il emmenait avec lui son chien « Patou » et « Canzonet », le petit sansonnet qu’il avait apprivoisé.
Tony l’avait recueilli avec ses frères, alors qu’ils n’étaient que de pauvres oiselets, que des gamins avaient jetés hors du nid maternel. Canzonet, le plus robuste, avait vécu, grâce aux bons soins du berger et aux miettes de pain trempées dans du lait dont celui-ci le gavait à l’aide d’un petit bâton. Il était devenu un joli sansonnet apprivoisé, très attaché à son maître et très doué pour le chant.
Durant ses longues heures de liberté, Tony, avec une patience inlassable, lui avait appris, à l’aide de son pipeau, toutes sortes d’airs montagnards et de cantiques. Mais celui que Canzonet sifflait le mieux et avec le plus de plaisir, tout comme son maître d’ailleurs, c’était :
En l’année 1917, le Portugal traversait une triste période. Dirigé par un gouvernement qui persécutait la religion, ce pays, divisé, ruiné, envahi par le communisme, semblait aller à sa perte.
En même temps, les armées portugaises participaient à la grande guerre, et, dans plus d’un foyer, on pleurait les soldats tombés bien loin, là-bas, sur une terre étrangère.
À cette époque, le village de Fatima restait encore à peu près inconnu. Situé à une centaine de kilomètres de Lisbonne, ses modestes maisons se dressaient sur les pentes de la montagne d’Aire, dans une contrée particulièrement aride et rocailleuse. Pourtant, cette région gardait le souvenir d’une éclatante victoire, remportée en 1385, par le roi Jean 1er de Portugal, avec une poignée de braves. Le roi, en reconnaissance, fit construire à cet endroit un beau couvent en l’honneur de Notre-Dame de la Victoire. Il en confia la garde aux Dominicains. Ceux-ci répandirent autour d’eux la dévotion du saint rosaire. L’usage s’en était si bien conservé à travers les siècles que, dans cette partie du pays, beaucoup de familles récitaient encore fidèlement le chapelet. Les petits enfants eux-mêmes, élevés dans cette habitude, aimaient à le dire.
* * *
Par une belle journée du printemps de 1917, trois bergers de Fatima gardaient leurs moutons dans un champ nommé la Cova da Iria, qui appartenait aux parents de l’un d’eux.