Les missionnaires, ouvrant l’Évangile, y lisent leur consigne ; ils y lisent aussi l’annonce de ce qui sera peut-être leur destinée.
Jésus-Christ ordonna lui-même la première « mission ». Il envoya les douze apôtres, — c’est l’Évangéliste saint Luc qui nous le dit, — « prêcher le royaume de Dieu et guérir les malades. » Il voulut qu’ils partissent avec leur besace, sans provision : au pays d’Israël on était accueillant, c’est un trait des mœurs orientales. Mais devant leurs yeux il entr’ouvrit, pour un avenir plus lointain, des horizons plus vastes ; il les prévint qu’ils seraient comme des brebis au milieu des loups. D’après une tradition que rapporte saint Clément, saint Pierre, anxieux, aurait alors interrompu son maître : « Et si les loups mangent les brebis ? » aurait-il-demandé. Le Christ de répondre : « Si la brebis est morte, elle n’a plus à craindre le loup. »
Des missionnaires du Christ pouvaient donc être appelés à mourir. Le Christ leur parla des tribunaux où ils seraient traînés, des supplices qu’ils auraient à subir ; il leur promit que le Saint-Esprit lui-même, lorsqu’ils seraient accusés, interrogés, leur inspirerait les réponses qu’ils devraient faire. Il leur montrait les récompenses assurées, dans le ciel, à ceux qui auraient fait s’agenouiller les hommes devant lui. Il ajoutait qu’au cours de leurs voyages les hôtes qui les recevraient seraient, eux aussi, récompensés, ne leur eussent-ils donné qu’un verre d’eau fraîche.
Le Christ mourut, le Christ ressuscita, et voici l’ordre qu’en Galilée, apparaissant aux onze disciples, il leur donna, pour eux et pour les autres : « Allez, enseignez toutes les nations, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. » Quelques années plus tôt, ces pêcheurs, ces artisans, qu’étaient les douze apôtres et les soixante-douze disciples du Christ, heureux d’être le peuple élu du vrai Dieu, heureux de connaître ce Dieu que les païens ne connaissaient pas, étaient loin de penser que ce serait un jour leur rôle, à eux, d’aller annoncer aux païens que ce Dieu était venu sur terre, qu’ils l’avaient entendu prêcher, vu mourir, et de nouveau, après sa mort, entendu prêcher, et qu’il voulait désormais être connu de tous les hommes. Rien ne les préparait à ce rôle. Saint Pierre, qui par la volonté du Christ était le plus élevé en dignité, avait, hélas ! mal débuté dans la carrière d’apôtres ; il avait renié trois fois son maître divin devant les valets du magistrat Ponce Pilate. Mais ce maître lui avait par-donné. Et tout ce qu’il leur fallait à tous pour remplir leur fonction, tout ce qu’elle exigeait de savoir, et de compétence, et de vaillance, et de grâces, leur fut donné, le jour de la Pentecôte, lorsque tombèrent sur eux des langues de feu, et lorsqu’ils furent ainsi « remplis du Saint-Esprit ». Sur l’heure ils parlèrent toutes les langues de tous les peuples auxquels ils auraient à prêcher le Christ ; et sur l’heure, déjà, ils commençaient à le prêcher dans ces diverses langues.
Il y avait dans toutes les nations de petites colonies de Juifs ; ces apôtres venus de Judée allaient y chercher une hospitalité. Ils racontaient le crime commis par les Juifs, Jésus crucifié sur le Calvaire ; ils racontaient la revanche divine, cette revanche que de leurs propres yeux ils avaient vue : Jésus sorti du tombeau. Ainsi, les apôtres commençaient-ils, dans ces humbles communautés juives, leur métier de pécheurs d’hommes ; et puis, se glissant hors de ces petits cercles, ils s’en allaient dans les grandes villes païennes, colporter cet étonnant message aux oreilles qui voulaient l’entendre.
Un ouvroir missionnaire en Syrie musulmane : Fabrication de tapis.
Durant les quatre ou cinq premières années qui suivirent la mort du Christ, un Juif du nom de Saul se montrait acharné contre les premières communautés chrétiennes. Un jour, il cheminait vers la grande ville syrienne de Damas, se proposant de ramener enchaînés à Jérusalem les chrétiens qu’il y trouverait. Tout à coup, autour de lui, une lumière du ciel brillait, Saul tombait à terre, et d’en haut une voix lui disait : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? Je suis Jésus que tu persécutes ; il est dur de regimber contre l’aiguillon. » Saul, stupéfait, tremblait. « Seigneur, disait-il, que voulez-vous que je fasse ? » Et le Seigneur répondait : « Lève-toi et entre dans la ville : là on te dira ce qu’il faut que tu fasses. » Saul avait les yeux ouverts, mais ne voyait plus rien : les hommes qui l’accompagnaient le prirent par la main, le firent entrer à Damas.
Trois jours après, Ananie, l’un des disciples du Christ, apprit dans une vision que ce Saul, cet ennemi de Dieu, avait été choisi par Dieu pour porter son nom devant les nations. Ananie s’en fut trouver Saul, lui rendit la vue, en lui imposant les mains, le baptisa. Quelques jours plus tard, dans les synagogues de Damas, une voix s’élevait, proclamant que Jésus était le Fils de Dieu ; quelques mois plus tard, sous le nom de Paul, ce persécuteur de la veille, devancier de tous les missionnaires des siècles futurs, s’en allait parler du Christ aux païens.
Saint Martin fut, au IVe siècle, le grand missionnaire du pays qui s’appelle aujourd’hui la France. En ce temps-là, la Gaule, province romaine, possédait des grandes villes, comme Lyon, Toulouse, Bordeaux, Tours, Paris ; mais elles étaient rares, et d’immenses forêts couvraient le sol de France ; les terres cultivées, les terres des paysans, se trouvaient ainsi séparées les unes des autres, et très isolées. Tandis que les villes étaient en grande partie converties au christianisme, la foi n’avait pas pénétré assez avant dans les campagnes ; elles étaient restées païennes pour la plupart ; d’ailleurs, le nom de païen vient du latin paganus, paysan ; cette étymologie prouve la lenteur que les habitants des campagnes mettaient à devenir chrétiens.
Franciscaines Missionnaires de Marie. Les Chatelets : Novices en récréation.
En Gaule, il ne restait plus guère de la religion des Druides que la croyance aux divinités des fontaines, aux arbres-fées ; les Romains avaient apporté avec eux leurs faux dieux, leurs idoles ; les paysans les avaient adoptés, mélangés avec leurs divinités gauloises ; le tout était confus, et c’étaient surtout des superstitions qui faisaient le fond de la religion populaire.
Franciscaines Missionnaires de Marie. La Chatelets : Le Vieux Manoir.
Saint Martin naquit de parents païens, en Pannonie, province romaine des bords du Danube. Son père était officier. Sa famille, un jour, quitta la Pannonie pour s’établir en Italie : Martin fut élevé à Pavie. C’est là qu’il apprit à connaître et à aimer la religion du Christ ; et, à dix ans, malgré l’opposition de ses parents, il alla trouver des prêtres chrétiens et leur demanda de le préparer au baptême. Ceux qui dans la primitive Église s’instruisaient en vue de ce sacrement portaient le titre de chrétiens, bien que le baptême ne leur fût donné parfois qu’après plusieurs années d’attente : tel fut le cas de saint Martin, qui ne le reçut qu’à vingt-deux ans.
Mais dès l’âge de douze ans, il sentait en lui un attrait irrésistible pour la vie que menaient dans le désert les moines d’Orient. Prier Dieu, vivre dans la pauvreté, même dans la privation des choses les plus nécessaires à la vie, tel était son désir. Ses père et mère, scandalisés par de semblables goûts, le forcèrent à entrer dans la carrière militaire à l’âge de quinze ans. Il devait rester dans l’armée durant huit années, consciencieux, faisant son devoir de soldat, mais menant dans les garnisons, dans les camps, une vie qui n’était qu’un exemple constant de vertu et de charité : il n’était pas de ceux qui rougissent de leur Dieu devant les hommes, qui craignent les moqueries et les ricanements lorsqu’ils pratiquent ouvertement leur religion. Martin était avant tout un bon soldat du Christ.
Saint Patrice en Irlande, Saint Augustin en Angleterre
En ce Ve siècle où l’invasion des barbares menaçait de submerger, sur le continent européen, les premières assises de la civilisation chrétienne, un certain Patrice, issu d’une famille romaine domiciliée en Angleterre, s’assignait comme programme de porter le Credo du Christ à tout un peuple insulaire qui devait, lui-même, être bientôt un peuple d’apôtres, le peuple irlandais, et de porter le nom de Rome, — la Rome chrétienne, — là où la Rome païenne n’avait pu trouver accès.
L’Irlande, il la connaissait déjà : il y avait un jour, jadis, débarqué malgré lui aux environs de sa quinzième année : une razzia faite par des Irlandais sur la côte anglaise l’avait emmené captif. Six ans durant, en Irlande, il avait été berger, un berger qui sans cesse priait, sentant l’Esprit bouillonner en lui. Il avait pu s’enfuir à bord d’un bateau qui transportait sur le continent toute une cargaison de chiens-loups ; du nord au sud, il avait traversé la Gaule, et les portes de l’abbaye de Lérins s’étaient ouvertes devant lui pour que sa jeunesse y fit quelque apprentissage de la vie monastique. À peine avait- il regagné son Angleterre natale, qu’il lui avait paru que la « voix d’Irlande » l’appelait, et que, sur cette terre où son adolescence avait été esclave, un rôle spirituel l’attendait. Repassant la Manche, il s’en était allé près de saint Germain d’Auxerre, qu’il savait soucieux de l’apostolat de l’Irlande ; il avait recueilli ses leçons, puis s’était agenouillé pour être sacré ; et c’est avec la dignité d’évêque qu’un jour de l’année 432 Patrice s’en allait enfin disputer aux druides les âmes irlandaises.
Défense, sous peine de mort, avaient dit les druides, d’allumer un feu dans la plaine, avant que le palais du roi ne soit illuminé par nos cérémonies. C’était la nuit de Pâques ; Patrice passait outre ; il faisait briller « le feu béni et clair », qui de partout s’apercevait ; et les mages, défiés par lui, sentaient que Patrice avait pour lui une force qui leur manquait, celle du miracle. En face de Patrice, aucune religion organisée, aucun enseignement religieux officiel. Ces druides irlandais, des magiciens plutôt que des prêtres, n’étaient, pour l’Irlande, ni des précepteurs de prière, ni des maîtres de morale, ni des directeurs de vie. Leur indigente religion ne laissait au commun des âmes aucune espérance ; la béatitude éternelle était le privilège de quelques hommes élus, que les fées choisissaient et choyaient, et qu’elles emmèneraient un jour vers quelque paradis terrestre ; le reste des mortels devait se contenter d’en rêver. Mais Patrice ayant longuement prié, ayant jeûné quarante jours dans la forêt de Foclut, entendit un appel de Dieu « aux saints du temps passé, à ceux du temps présent, à ceux de l’avenir » : Dieu les convoquait sur une cime qui dominait l’horizon ; et la voix divine bénissait le peuple de l’Irlande. Vers la cime, alors, Patrice voyait s’envoler, sous la forme de grands oiseaux, d’innombrables âmes ; et leurs essaims étaient si denses que la lumière du jour en était obscurcie. Ainsi Patrice put-il prévoir le fruit de ses prochains labeurs.
Ethnac la blanche et Fidelun la rousse, filles du roi Loegaire, se baignaient en une fontaine. Patrice et les évêques qui l’accompagnaient leur apparaissaient comme des esprits d’en haut. « Montrez-nous la face du Christ, » demandaient-elles à Patrice. Et tout de suite le Christ les prenait pour épouses, en son royaume.
Aucun saint du VIIe siècle ne fut un plus grand voyageur que saint Amand : il portait le Christ aux Slaves, jusqu’au sud du Danube ; il le portait aux Basques des Pyrénées ; mais il fut surtout l’apôtre de la Belgique.
Fils d’une noble famille d’Aquitaine, on l’avait vu, tout jeune, mener à Tours, auprès de la Basilique, une vie de moine, et puis, à Bourges, une vie de reclus. Sa piété, aux alentours de 620, — il avait alors une trentaine d’années, — le poussa vers la Ville Éternelle : il voulait voir la tombe de l’apôtre Pierre, et ce fut là qu’il se sentit la vocation de missionnaire.
La bourgade d’Elnone, sur la Scarpe, actuellement Saint-Amand-les-Eaux, fut le siège du monastère qui devint son quartier général. De là, par la Scarpe et l’Escaut, ses moines pouvaient descendre en barque jusqu’à la mer ; à proximité, passaient les grandes routes romaines. À pied, en barque, la prédication du Christ dans les vallées de l’Escaut et de la Lys voyait s’ouvrir devant elle des voies faciles ; et le pays de Gand, dix années avant que saint Éloi ne s’en occupât, entendait la parole de saint Amand. Il recrutait des moines comme il pouvait ; il en trouvait parmi les captifs de guerre, ou parmi les esclaves que des marchands amenaient en Gaule. Ces moines visaient surtout à faire des baptêmes par grandes masses ; l’éducation chrétienne viendrait ensuite. Dès qu’on obtenait d’une population qu’elle renversât elle-même ses idoles, on sentait que le Christ avait déjà fait un grand pas, le terrain pour lui était devenu libre.
Les bords de la Meuse, après ceux de l’Escaut, entendaient la parole de saint Amand ; trois ans durant, il parcourait le diocèse de Maestricht, et en devint évêque.