Catégorie : <span>Légende dorée de mes filleuls</span>

Auteur : Daniel-Rops | Ouvrage : Légende dorée de mes filleuls .

Temps de lec­ture : 14 minutes

Celui dont il va être main­te­nant ques­tion n’est pas un saint. L’his­toire l’a presque oublié ; rares sont les livres où les éco­liers pour­raient lire sa vie exem­plaire. L’É­glise n’a pas consi­dé­ré que ses ver­tus fussent suf­fi­santes pour le pla­cer sur les autels. Pour­tant, par ses longues souf­frances héroï­que­ment sup­por­tées, par son éner­gie à rem­plir, mal­gré tout, ses devoirs, par sa tran­quilli­té en face de la mort ne méri­te­rait-il pas d’être pla­cé, non loin de saint Louis, dans la belle gale­rie de ces princes du Moyen Age qui sur­ent être de grands rois en demeu­rant de grands chré­tiens ? Et quand vous aurez lu ce que fut sa brève exis­tence tra­gique, sans doute pen­se­rez-vous que Celui qui connaît le plus pro­fond des cœurs et pèse au juste poids les actions des hommes, l’au­ra accueilli dans son amour, au Paradis…

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Baudouin IV sur le champ de bataille CroisadeIl se nom­mait Bau­douin. Il avait treize ans lorsque son père mou­rut, le puis­sant Amau­ry, de , qui tant avait lut­té vaillam­ment contre l’in­fi­dèle, et mené jus­qu’en Égypte l’of­fen­sive des armées franques. C’é­tait un bel , remar­qua­ble­ment doué ; char­mant de corps et de visage, prompt et ouvert, aus­si habile aux exer­cices phy­siques qu’ap­pli­qué à ceux de l’in­tel­li­gence. Son esprit était vif, sa mémoire excel­lente et, dès son plus jeune âge, il avait com­pris com­bien il est utile, pour un prince, d’être très culti­vé. En même temps, cava­lier émé­rite, aus­si habile à mon­ter, sans selle, un fou­gueux petit che­val arabe qu’à mener un lourd des­trier de Bou­logne, capa­ra­çon­né de fer, aus­si expert en la chasse au fau­con qu’à la nage dans les eaux du lac de Tibé­riade. Vrai­ment, un magni­fique garçon.

Depuis son plus jeune âge, son pré­cep­teur, Mes­sire Guillaume de Tyr, qui écri­vait alors un énorme livre sur l’his­toire des Croi­sades, lui en avait racon­té tous les évé­ne­ments ; Bau­douin n’i­gno­rait rien de la gloire de ses ancêtres, ni des condi­tions où était né le royaume dont il héri­te­rait un jour. Et l’en­fant, quand il che­vau­chait à tra­vers la cam­pagne de la Terre Sainte aimait à évo­quer l’é­po­pée de ces hommes admi­rables qu’a­vaient été les pre­miers croisés.

Ce n’é­tait pas à lui qu’il eût fal­lu apprendre com­ment, pour déli­vrer de l’oc­cu­pa­tion des Turcs musul­mans le Saint-Sépulcre où dor­mit, après la cru­ci­fixion, le corps de Notre-Sei­gneur, le grand Pape Urbain II, en 1095, dans la cathé­drale de Cler­mont-Fer­rand en France, avait appe­lé le monde à la et com­ment, aus­si­tôt, des mil­liers d’as­sis­tants avaient fixé sur leur man­teau une croix d’é­toffe rouge en jurant de par­tir pour la Pales­tine ! Ce n’é­tait pas à lui qu’il eût fal­lu apprendre les noms des glo­rieux chefs qui avaient mené à la vic­toire la pre­mière croi­sade ; Gode­froy de Bouillon, le par­fait che­va­lier du Christ ; Hugues de Ver­man­dois, frère du roi de France ; Robert Cour­te­heuse, duc de Nor­man­die ; et les ducs de Sicile et les comtes de Tou­louse, et les évêques, et les légats du Pape, tous éga­le­ment pieux, tous éga­le­ment croyants.

Il se répé­tait sou­vent les phrases que son maître Guillaume lui avait lues, où il racon­tait com­ment les croi­sés, exté­nués, déci­més, presque à bout de cou­rage, étaient arri­vés en juin 1099 devant Jéru­sa­lem, la ville Sainte entre toutes.… « Lors­qu’ils enten­dirent que cette ville était Jéru­sa­lem, lors, ils com­men­cèrent à pleu­rer d’é­mo­tion. Tous se mirent à genoux et ren­dirent grâces à Dieu, parce qu’ils tou­chaient au but de leur pèle­ri­nage, et qu’ils allaient entrer dans cette ville que tant aima Notre-Sei­gneur durant qu’il vivait, homme, pour sau­ver les hommes. C’é­tait grande émo­tion de voir et d’ouïr leurs larmes et leurs san­glots. Et lors­qu’ils furent appro­chés des murailles, en vue des tours de la cité, ils levèrent les mains au ciel dans une fer­vente prière, puis se mirent pieds nus, par humi­li­té de cœur, et bai­sèrent la terre qu’a­vait fou­lée Jésus. »

C’é­tait de leurs efforts, de leurs sacri­fices, qu’é­tait né ce royaume, le beau royaume chré­tien de Pales­tine, dont Bau­douin aurait la charge. Il pen­sait aux puis­sants châ­teaux, qu’on appe­lait les kraks, copiés des châ­teaux forts de France ou de Bel­gique, qui sur­veillaient tous les pas­sages par où le aurait pu atta­quer de nou­veau. Il pen­sait aus­si aux solides milices des Che­va­liers moines, les Tem­pliers, les Hos­pi­ta­liers, qui consa­craient toute leur exis­tence à défendre la Terre Sainte contre les Turcs. Avec de tels hommes, avec de telles for­te­resses, qu’a­vait-on à craindre ? Et lui, Bau­douin, deve­nu à la mort de son père Bau­douin IV, il savait bien que, Dieu aidant, il com­bat­trait de toutes ses forces pour la sau­ve­garde du Sépulcre, la défense de son royaume et la sûre­té de tous les chré­tiens en Orient. Fidèle ! Il serait fidèle ! Et il pen­sait qu’un magni­fique ave­nir s’ou­vrait devant lui.

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Le saint dont je veux vous par­ler aujourd’­hui ne vous paraî­tra peut-être pas très extra­or­di­naire. Il n’y a rien, en effet, de bien sur­pre­nant dans son enfance ; on ne rap­porte pas que, pour lui, Dieu ait accom­pli des miracles, ni que des anges du ciel lui soient appa­rus, ni même que le Diable lui ait fait quelques-uns de ses tours. Tout au plus raconte-t-on, dans les anciennes chro­niques, que sa mère, alors qu’il allait naître, enten­dit en rêve un mes­sa­ger du ciel lui annon­cer que son fils serait un des plus grands saints de l’É­glise et qu’il ser­vi­rait la vraie de Dieu : mais cela s’est pro­duit pour bien des saints… Non, donc, Yves le bre­ton, n’eut rien, — en appa­rence du moins, — de bien extra­or­di­naire ; il fut un sem­blable à ce que cha­cun de vous peut être. Sa sain­te­té naquit tout sim­ple­ment de sa bon­té, de sa sagesse, de son appli­ca­tion quo­ti­dienne à sa tâche et de sa volon­té ferme de suivre en toutes choses les pré­ceptes du Christ : vous voyez que c’est à la por­tée de tout le monde ! En somme, il ne reste plus à cha­cun qu’à suivre son exemple. C’est là sans doute que com­mencent les difficultés !

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Mais vous savez cer­tai­ne­ment que est le patron des avo­cats ; com­ment il eut cette voca­tion, pour­quoi il fut le modèle des gens de robes et com­ment, dès son enfance, il déci­da de défendre les pauvres gens en jus­tice, cela vaut d’être rapporté.

Au châ­teau de Ker-Mar­tin, non loin de Tré­guier, où il vivait dans sa famille, avec ses cinq frères et sœurs, le petit Yves aimait à écou­ter les magni­fiques his­toires que racon­tait son grand-père Tan­crède. C’é­tait alors un vieil homme cas­sé et ridé, blanc de che­veux, boi­tant bas d’une bles­sure, mais, lors­qu’il com­men­çait à évo­quer les prouesses de sa jeu­nesse, sa voix rede­ve­nait vibrante, ses yeux brillaient et, de son bâton manié comme une épée, il sem­blait frap­per encore à grands coups les Infi­dèles. On était alors au milieu du XIIIe siècle et tous les cœurs vaillants bat­taient à la seule idée de la . Ah, lut­ter pour que le saint tom­beau res­tât sous la garde des che­va­liers chré­tiens ! quel idéal sublime et, pour ceux qui avaient la chance de par­ti­ci­per à ces admi­rables expé­di­tions, que de sou­ve­nirs exal­tants ! Mais cepen­dant, à ces pages de gloire se mêlaient par­fois des pages de tris­tesse, et le noble Tan­crède, pour sa part, en avait trop connu…

Vie de Saint Yves pour les enfants : Chevalier participant à la CroisadeLorsque l’ap­pel du Pape à la croi­sade avait été connu en , Tan­crède n’a­vait pas hési­té un ins­tant. Il par­ti­rait ! Mais, se croi­ser, ce n’é­tait pas si facile à faire qu’à dire ! Rien n’é­tait plus simple que de décou­per une croix d’é­toffe rouge et de la coudre sur son grand man­teau blanc ; ce qui parais­sait moins com­mode, quand on vivait en che­va­lier pauvre, père de nom­breux enfants, c’é­tait de ramas­ser la somme d’argent suf­fi­sante pour ache­ter un des­trier vigou­reux, une armure neuve, et pour équi­per de même façon l’es­corte de quinze ou vingt hommes sans laquelle un sei­gneur n’eût pu partir.

À quelques lieues de Ker-Mar­tin vivait un autre sei­gneur, très riche et qu’on disait fort ami de son argent. Tan­crède alla trou­ver ce voi­sin et lui deman­da un prêt, qui lui per­mît de s’ar­mer, lui et ses gens, pour la croi­sade. L’autre flai­ra tout de suite la bonne affaire. Il accep­ta avec empres­se­ment, mais, bien enten­du, il exi­gea quelques garan­ties. Tan­crède aurait l’argent, mais son châ­teau serait tenu en gage par son voi­sin, et le bon che­va­lier, qui ne son­geait qu’à cou­rir au plus vite en Terre Sainte, accep­ta de signer tout ce que l’autre vou­lut, sans même lire les par­che­mins au bas des­quels on le priait de mettre son sceau et sa griffe. Puis il par­tit, lais­sant ses enfants et ses biens à la garde de sa chère femme Yvette, qui avait le cœur gros.

Des années durant, le croi­sé demeu­ra en Orient. Il batailla avec héroïsme, il occit maints et maints cou­ra­geux Sar­ra­sins. Il revint en Bre­tagne. Tant d’ef­forts et de lieues par­cou­rues les avaient pas­sa­ble­ment fati­gués, son bon che­val et lui. Sa grave bles­sure lui fai­sait très mal. Comme il appro­chait de son cher Ker-Mar­tin, une men­diante, sur le bord du che­min, lui fit signe. Il s’ar­rê­ta. Elle lui deman­da l’aumône.

« Eh, ma bonne femme, s’é­cria Tan­crède, je reviens de Terre Sainte et n’ai rap­por­té que grâces et prières, mais d’argent, nen­ni ! Et je n’ai même rien man­gé depuis hier !

— Ah, noble sei­gneur, répon­dit la quê­teuse, je suis plus pauvre que vous encore, mais il me reste un peu de pain, vou­lez-vous le par­ta­ger avec moi ? »

Ému de cette offre géné­reuse, le croi­sé met pied à terre et s’ap­proche de la bonne femme. Celle-ci pous­sa un cri :

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Couvent du mont Saint-Odile - Vie de saint Odile pour les enfantsAccro­ché au rebord des Vosges, domi­nant de très haut la riche plaine où coule le Rhin, quel est ce couvent dont tous les Alsa­ciens parlent avec émo­tion ? Qu’il fasse grand soleil ou qu’il pleuve, que les forêts de sapins soient enve­lop­pées de brume ou qu’une lumière bleu­tée s’é­tende aux flancs des monts, le pay­sage est tou­jours admi­rable. Vingt villes, trois cents vil­lages, voi­là ce qu’on aper­çoit de la mer­veilleuse ter­rasse ; au loin, une flèche rose se dresse comme un cierge : celle de la cathé­drale de Stras­bourg, chef-d’œuvre de l’art gothique. Ce lieu béni, d’où monte vers Dieu, depuis douze cents ans, une prière conti­nuelle, c’est Sainte-Odile, le monas­tère de la patronne de l’, illus­tré par elle et où sur­vit son souvenir.

* * *

C’é­tait au VIIIe siècle de notre ère. Vous rap­pe­lez-vous ce qui s’est pas­sé au VIIIe siècle ? Charles, sur­nom­mé Mar­tel à cause de son ter­rible mar­teau d’armes, venait d’ar­rê­ter les Arabes à Poi­tiers ; son fils Pépin le Bref, — le Bref, c’est-à-dire le cour­taud, le petit de taille, — avait obte­nu du Pape le titre de et, à côté de lui, le jeune prince Charles com­men­çait à faire remar­quer la bra­voure et le génie qui lui vau­dront le sur­nom de « Charles le Grand », Char­le­magne. L’Al­sace, alors, était au pou­voir d’un Duc célèbre par sa valeur au com­bat, mais aus­si par sa bru­ta­li­té : Adal­ric. Rien, jus­qu’a­lors, ne lui avait résis­té ; pas un enne­mi qu’il n’eût vain­cu, pas un ours pour­sui­vi par ses chiens qu’il n’eût tué. Et pour­tant, un grand cha­grin rava­geait sa vie : sa femme Beres­vinde ne lui avait point don­né d’. Déjà il voyait, après sa mort, les belles terres d’Al­sace livrées à la rapine des voi­sins, par­ta­gées entre leurs mains avides. Et il se désolait…

Ils se déso­laient tant, Adal­ric et Beres­vinde, qu’ils déci­dèrent de se reti­rer du monde et de s’ins­tal­ler sur un haut som­met des Vosges pour y médi­ter sur leur cha­grin. Ils choi­sirent la butte la plus escar­pée, pro­té­gée d’un côté par l’à-pic et de l’autre par une muraille de rochers infran­chis­sables, et ils y firent bâtir leur nou­veau châ­teau, le « châ­teau haut », le Hohen­burg. Près de sa demeure, Beres­vinde, qui était fort pieuse et ins­truite dans l’É­cri­ture Sainte, ordon­na d’é­le­ver un couvent où des reli­gieuses prie­raient avec elle pour qu’en­fin elle eût un enfant.

Et voi­ci que Dieu enten­dit ses prières. La duchesse put annon­cer à son mari que bien­tôt il aurait une grande joie. Hélas ! courte joie… car la petite fille qui vint au monde, si jolie, si rose et blonde qu’elle fût, avait une infir­mi­té bien pénible : ses yeux res­taient fer­més. Elle serait toute sa vie… Quand il apprit cela, le Duc Alda­ric entra dans une colère ter­rible. Ain­si Dieu n’a­vait exau­cé son sou­hait que pour le déce­voir de façon pire encore ! Mieux valait n’a­voir pas d’en­fant du tout que cette misé­rable petite aveugle ! Le pays entier n’al­lait-il pas mur­mu­rer qu’une malé­dic­tion pesait sur son sei­gneur ? Aus­si quand Beres­vinde deman­da quel nom por­te­rait sa fille au bap­tême : « Aucun ! répon­dit le sou­dard. Aucun ! J’in­ter­dis qu’on bap­tise cet avor­ton aveugle qui me fait honte ! Qu’on la tue aus­si­tôt et qu’on aban­donne son corps aux cochons ! »

Beresvinde emmène sainte Odile - Catéchisme et scoutismeLa mal­heu­reuse mère eut beau se jeter à genoux, sup­plier son mari de lais­ser vivre la fillette… En vain ! En vain, elle pro­po­sa de l’emporter, très loin, de la faire éle­ver en cachette, sans jamais révé­ler à qui­conque qui étaient les parents de cette mal­heu­reuse enfant. Alda­ric demeu­ra impla­cable ! Cette fille était sa honte ; qu’elle dis­pa­rût ! Alors, de nuit, Beres­vinde prit le bébé, l’en­ve­lop­pa chau­de­ment, l’ins­tal­la dans une cais­sette, et, sor­tant en secret du châ­teau, lan­ça le fra­gile esquif sur la rivière de l’Ehn, dont les eaux lim­pides font tour­ner le mou­lin d’O­ber­nai. Puis, ren­trant dans sa chambre, elle se mit en prière. Dieu, le Dieu Tout-Puis­sant, qui sau­va le petit Moïse aban­don­né au fil du Nil, comme il est rap­por­té dans la Sainte Écri­ture, n’au­rait-il pas pitié de cette inno­cente créature ?…

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— Imal­da ! Imalda !

Fresque de la Vierge - Vital des madones - BologneLa mère de l’, qui l’ap­pe­lait, se diri­gea sans hési­ter vers le fond du jar­din. Quand on ne voyait pas la fillette, on pou­vait être sûr qu’elle était là, dans ce coin tran­quille où l’on n’en­ten­dait que le souffle du vent sur la cime des cyprès et le gazouille­ment de la fon­taine. Contre le mur se dres­sait un petit ora­toire, fait tout sim­ple­ment d’un toit en auvent, abri­tant une fresque : cette pein­ture repré­sen­tait une Sainte Vierge tenant l’En­fant Jésus sur ses genoux, comme en avait tant peint le meilleur artiste de la ville, celui qu’on appe­lait « Vital des Madones », une Sainte Vierge d’une mer­veilleuse dou­ceur. Imal­da aimait cette belle image. De longues heures, bien qu’elle eût seule­ment neuf ans, elle demeu­rait age­nouillée sur les dalles de l’al­lée, priant, médi­tant, réci­tant les Psaumes qu’elle savait par cœur comme un moine ou une . Et ses parents s’en étonnaient.

Son père, le comte Lam­ber­ti­ni, un des plus riches sei­gneurs de la ville, plus accou­tu­mé, comme beau­coup d’hommes de son temps, à faire des affaires et à se battre qu’à prier hum­ble­ment le Sei­gneur, trou­vait exa­gé­rée cette pié­té. « Va-t-elle donc se faire nonne ? » criait-il quand il appre­nait que sa fille était encore à genoux devant la Madone du jar­din. Mais sa femme, émer­veillée de trou­ver dans son enfant cette âme si pure et si chré­tienne, lui répon­dait qu’elle ne pou­vait cer­tai­ne­ment sou­hai­ter mieux que de voir sa petite conti­nuer à gran­dir dans l’a­mour du Christ.

— Qu’a­vons-nous à lui repro­cher ? Jamais une déso­béis­sance, jamais un men­songe, jamais un mou­ve­ment de mau­vaise humeur. Nous avons peut-être don­né le jour à une petite Sainte. Lais­sons-la répondre à la voix qui l’appelle…

Et l’a­ma­bi­li­té, la gen­tillesse de cette enfant étaient si exem­plaires que, dans toute la famille, on lui avait chan­gé son nom de Made­leine en celui d’I­mal­da, qui vou­lait dire : « aus­si douce que le miel ».

* * *

Cela se pas­sait dans la ville de Bologne, au début du XIVe siècle, vers l’an­née 1330. A cette époque, l’I­ta­lie toute entière était dans une très dou­lou­reuse situa­tion. Depuis déjà long­temps, les guerres civiles suc­cé­daient aux guerres étran­gères, les unes et les autres fai­sant beau­coup de mal au pays. Le Pape et l’Em­pe­reur ne s’en­ten­daient pas ; leurs par­ti­sans se livraient des com­bats ter­ribles, où des vil­lages flam­baient, des villes étaient assié­gées, prises et pillées. Très peu de temps avant, Bologne avait été ain­si champ de bataille et avait énor­mé­ment souf­fert. Ce n’é­tait pas encore assez ! Dans la cité même les clans s’op­po­saient aux clans. On lut­tait famille contre famille, et chaque mai­son sei­gneu­riale se trans­for­mait en véri­table for­te­resse, capable de sup­por­ter des sièges : cer­taines avaient même dres­sé de très hautes tours, — l’une n’a­vait pas moins de cent mètres, — sem­blables à des don­jons, pour y ins­tal­ler leurs guet­teurs et leurs sol­dats ; deux de ces tours se voient encore. Dou­lou­reuse situa­tion, et dont une petite fille sen­sible se ren­dait par­fai­te­ment compte.

D’ailleurs, tant de choses étaient tristes en cette époque ! Ne disait-on pas que le Pape avait été obli­gé de fuir Rome où sa per­sonne sacrée n’é­tait plus en sûre­té, et qu’il s’é­tait réfu­gié, bien loin de là, au royaume de France, dans une ville nom­mée Avi­gnon où il construi­sait un grand palais : preuve qu’il vou­lait y demeu­rer bien long­temps. Dans l’É­glise entière, cette absence du Saint Père hors de la Ville Éter­nelle était consi­dé­rée comme un mau­vais pré­sage : depuis treize siècles, depuis que saint Pierre est 

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— Non, je ne tra­hi­rai pas le ser­ment de mon bap­tême ! Non, je n’ac­cep­te­rai pas de reve­nir aux idoles, aux fétiches ! Non, non… je pré­fère mourir !

À quel moment de l’his­toire sommes-nous donc ? À Rome, à l’é­poque des grandes per­sé­cu­tions, et cette jeune voix qui pro­clame ain­si sa foi, est-ce celle d’un frère de sainte Agnès, de sainte Blan­dine ; celle d’un du IIIe ou du IVe siècle ? Nul­le­ment, nous sommes en plein XIXe siècle. Il y a envi­ron soixante-cinq ans. Et où donc ? Regardez.

Les martyrs OugandaisLes jeunes enfants sont noirs, abso­lu­ment noirs, oui de jeunes nègres de qua­torze ou quinze ans. Ali­gnés les uns à côté des autres, une qua­ran­taine, ils sont enfer­més dans des cages en bam­bous ; leur cou est pris dans une fourche et de lourdes pièces de bois leur empri­sonnent un pied et un poi­gnet. Devant eux s’a­gitent des sortes de monstres gro­tesques et hor­ribles en grand nombre ; le visage enduit d’ar­gile rouge, zébré de traî­nées de suie, la tête héris­sée de plumes, des peaux de bêtes atta­chées autour des reins, un col­lier d’os­se­ments bat­tant sur la poi­trine et des gre­lots tin­tant à leurs che­villes, ce sont des sor­ciers. Mais leurs ges­ti­cu­la­tions menaçantes,leurs cris, leurs chants sau­vages, pas plus que les pré­pa­ra­tifs du grand bûcher qu’on élève non loin de là, rien ne peut faire flé­chir le cou­rage de ces jeunes héros du Christ.

Ils mour­ront tous, sans un moment de fai­blesse, sans qu’un seul aban­donne la foi et tra­hisse. Cette his­toire des petits est un des plus beaux cha­pitres de toute la grande his­toire de l’É­glise… Écoutez-la !

* * *

L’im­mense conti­nent noir, l’A­frique, a été péné­tré par le Chris­tia­nisme sur­tout depuis un siècle… Et cette péné­tra­tion a été l’œuvre d’hommes admi­rables, les Mis­sion­naires, prêtres et moines d’un dévoue­ment sans trêve, d’un cou­rage à toute épreuve, d’une mer­veilleuse bon­té. Aus­si braves quand il s’a­git d’al­ler, en des pays hos­tiles, par­mi des peuples encore sau­vages, pour y semer la bonne parole du Christ, l’É­van­gile, que patients et bons orga­ni­sa­teurs quand il s’a­git ensuite de vivre au milieu des noirs, pour leur appor­ter non seule­ment l’en­sei­gne­ment chré­tien, mais toutes sortes de secours, les mis­sion­naires ont été, dans toute l’A­frique, de véri­tables conqué­rants paci­fiques qui, sans armes, ont gagné à la civi­li­sa­tion des espaces géants. Aujourd’­hui, il n’est contrée si loin­taine, si per­due, qui n’ait ses Mis­sion­naires. Au Père, les indi­gènes viennent deman­der tout : un conseil, un médi­ca­ment, une pro­tec­tion. Si l’É­glise a désor­mais des mil­liers de fidèles dans le conti­nent noir, c’est aux Mis­sion­naires que ce grand suc­cès est dû.

Cardinal Lavigerie fondateur des Pères Blancs, missionnairesPar­mi ceux qui ont par­ti­ci­pé le mieux à cette grande tâche se trouvent au pre­mier rang les Pères Blancs. Ils ont été fon­dés par un homme de génie, le Car­di­nal Lavi­ge­rie, tout exprès pour vivre la même vie que les indi­gènes, s’ha­billant comme eux, par­lant leur langue, aidés aus­si par les Sœurs Blanches qui, vivant de la même façon, s’oc­cupent spé­cia­le­ment des femmes et des enfants. « II y a là-bas cent mil­lions d’êtres humains qui attendent le Christ ; je veux les don­ner à Lui ! » s’é­tait écrié un jour Lavi­ge­rie devant le Pape Pie IX. Et, fidèles à cette pro­messe, Pères blancs et Sœurs blanches n’ont pas ces­sé, depuis lors, de tra­vailler à sa réalisation.

Vers 1880, les Pères blancs avaient péné­tré dans l’. Savez-vous où se trouve, sur la carte d’A­frique, ce pays ? Regar­dez au sud du Sou­dan et de l’É­thio­pie, c’est-à-dire à l’est du conti­nent. Là s’é­tend un immense pla­teau, grand à peu près comme la France, que domine la puis­sante masse du vol­can Elgon. Une magni­fique nappe d’eau, le lac Vic­to­ria, — si vaste qu’il s’y pro­duit de petites marées,— en occupe le sud, et c’est de ce lac que sort une des deux rivières qui, en s’u­nis­sant, vont for­mer le Nil. Ce haut pla­teau, où le cli­mat est frais, où les pluies sont suf­fi­santes sans être exces­sives, ne manque pas de richesses : bana­niers, épices, café, maïs, sor­gho, bœufs et mou­tons y font vivre à l’aise une popu­la­tion qui se déve­loppe. Cette popu­la­tion est for­mée de nègres ; des nègres intel­li­gents, tra­vailleurs, qu’on appelle « bantous ».

Comme la presque tota­li­té des nègres d’A­frique, les ban­tous de l’Ou­gan­da étaient