Catégorie : <span>Autres textes</span>

Auteur : Nesmy, Jean | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 11 minutes

(Conte d’Épiphanie)

Un che­min qui monte, monte roide entre de hauts talus cou­ron­nés de genêts et d’a­joncs, un che­min tout au plus bon pour les mules, c’est le che­min de Gré­ne­fol : un vrai che­min du para­dis, qui monte, monte, avec le ciel au bout.

Il va tout d’un élan de la borde de Gré­ne­fol à l’é­glise de Figue­blanche, tout droit, sans le moindre caprice d’é­cole buis­son­nière, sans le plus inno­cent jeu de cligne-musette à tra­vers champs. C’est tout au plus s’il se per­met de loin en loin un cloche-pied.

La borde est au creux de la combe, petit capu­chon bleu poin­tant dans un man­teau de bois. Le clo­cher de l’é­glise, tout en haut de la côte, jette à tous vents le son de ses cloches en plein ciel, et du matin au soir sur­veille la ronde de son ombre tour­nante sur la pous­si­née de mai­sons qui est autour.

Et donc, mon­tant roide de la borde à l’é­glise à vous rompre l’ha­leine, des­cen­dant fol­le­ment de l’é­glise à la borde à vous rompre le cou, voi­là le che­min de Gré­ne­fol, où seuls fré­quentent, avec les mules du mou­lin escor­tées d’un Pier­rot sif­fleur et fan­fa­ron, quelques petits du catéchisme.

Le Pier­rot peut à peine, tant la chaus­sée en est étroite, y faire cla­quer son fouet à deux mèches, et encore à petite volée ; les gars du caté­chisme, petites jambes et courtes haleines, même l’hi­ver si froid qu’il fasse, ne le grimpent qu’en soufflant.

Un vrai che­min du paradis !

*

Une gelée dans la campagne de Limoges

Auteur : Noël, Marie | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 6 minutes

La veille de Noël, la vieille Mère Rachel se pré­pa­ra comme tous les ans à conduire tous ses fils à la Crèche. Elle appe­la ses trois fils pré­fé­rés : Simon, celui qui tra­vaillait la terre ; Lazare l’ou­vrier for­ge­ron ; et André, celui qui allait encore à l’école.

Elle avait aus­si un autre fils, né d’un autre lit. C’é­tait un homme qui avait énor­mé­ment tra­vaillé et beau­coup épar­gné pour aider sa mère Rachel à éle­ver ses trois petits frères. Il avait aus­si recons­truit et entre­te­nu de ses deniers la mai­son fami­liale et il conti­nuait tou­jours à don­ner géné­reu­se­ment. Pour­tant, ses frères ne l’ai­maient pas. Ils lui enviaient ses capa­ci­tés à faire le bien ; ils en étaient jaloux. Aus­si le tenaient-ils à l’é­cart et n’hésitaient pas à le railler quand ils le croi­saient en chemin.

* * *

En cette veille de Noël, Rachel frap­pa à sa porte.

« Jean dit-elle, je pars tout à l’heure ado­rer le Sei­gneur Jésus. Mais la route est un peu longue jus­qu’à Beth­léem et je n’ai pas assez de vivres. Peux-tu me don­ner des provisions ? »

« Voi­ci mes clés, répon­dit Jean, celle du gre­nier, celle du cel­lier, celle de la cave. Prends tout ce qu’il te faut et même plus. Mes frères ne doivent man­quer de rien pour ce beau voyage qui sera une grande fête ! »

Récit : générosité à Noël et accueil de Jésus

Sa mère prit les pro­vi­sions et s’en fut mais aus­si­tôt elle revint…

« Le man­teau de ton frère Simon est râpé, il aura froid en route, donne-moi un vête­ment pour lui. »

« Prends mon man­teau, ce sera pour moi une grande joie de savoir mon man­teau aller à Beth­léem sur les épaules de mon frère ! »

Mère Rachel prit le man­teau mais revint encore.

« Les sou­liers de ton frère Lazare ont de bien mau­vaises semelles. Tu ferais bien de m’en don­ner une paire pour lui. Tu en as une de rechange et il fait ta pointure. »

Auteur : Martin, Samuel | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 5 minutes

Il était une fois un homme et une femme qui venaient d’être chas­sés une fois de plus du seuil d’une hôtel­le­rie. « Il n’y a pas de place pour vous ! » avait dit, har­gneux, l’aubergiste, avant de cla­quer la porte. Avec la rapi­di­té propre à cet ani­mal, un chat s’était glis­sé hors de l’auberge juste avant que la porte ne se referme. Pour être exact, c’était une chatte de petite taille, avec des reflets roux et un jabot crème. Elle était mal nour­rie, mal trai­tée par l’aubergiste qui ne sem­blait l’avoir recueillie que pour en faire usage de souffre-douleur.

La petite chatte noire au jabot crème sui­vit le couple. Il parais­sait exté­nué. L’homme dit : « Arrê­tons-nous sous cet auvent. Il n’a pas l’air si mal. » Au bout de trois minutes la femme dit : « Il y a des cou­rants d’air ter­ribles. Ça n’ira pas. » Par ma mous­tache et mes reflets roux, se dit la petite chatte, si on me l’avait deman­dé, je vous l’aurais dit, moi, qu’à cet endroit le vent souffle froid.

L’homme, la femme – et la petite chatte que, pré­oc­cu­pés, ils n’avaient pas remar­quée – repar­tirent dans les rues. La femme dit : « Arrê­tons-nous dans ce caba­non. Nous y serons à l’abri du vent. » Au bout de deux minutes l’homme dit : « Quelle humi­di­té ! J’ai l’impression que mes os sont gla­cés. Ça n’ira pas non plus. » Par ma mous­tache et mon jabot, se dit la petite chatte, si vous me l’aviez deman­dé, je vous aurai ren­sei­gné : ce caba­non est l’endroit le plus humide du quartier.

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Temps de lec­ture : 8 minutes

Conte de Noël

Dans son corps dou­lou­reux, l’âme était triste et meurtrie.

Plus que du froid de la nuit, plus que des dou­leurs dans les jambes d’avoir tant mar­ché à tra­vers la ville, elle souf­frait d’un mal sourd et profond.

En cette veille de Noël, l’âme en peine avan­çait par les rues, cher­chant à igno­rer la cause de sa souffrance.

Confession de Noël

Il y avait si long­temps qu’elle s’était éta­blie dans l’indifférence ! Quand était-elle donc allée s’agenouiller la der­nière fois dans un confes­sion­nal pour rece­voir le par­don de ses fautes ? Elle ne s’en sou­ve­nait plus, ni de la der­nière fois qu’elle avait prié…

Ne croyez pas que c’était l’âme d’un grand cri­mi­nel, non, c’était une per­sonne ordi­naire, qui menait sa petite vie, juste oublieuse de la loi de Dieu qu’elle avait sub­sti­tuée par son bon plai­sir, par son égoïsme et par toutes sortes de bas­sesses qui fai­saient comme un bruit de feuilles mortes pous­sées par les tour­billons d’un vent mauvais.

— Était-ce un homme, était-ce une femme, me deman­de­rez-vous. Peu importe.

C’était une âme plon­gée dans la tris­tesse, fruit inévi­table et amer que pro­duit la conscience en voyant, sans même vou­loir se l’avouer, tout ce qu’elle a per­du en reje­tant l’amitié de Dieu.

Il y en a tant de ces âmes, endur­cies par l’habitude du scep­ti­cisme, dans les villes de notre pauvre France qui rede­vient païenne.

Toute la jour­née, elle s’était agi­tée pour réunir les der­niers pré­pa­ra­tifs de Noël. Car l’âme, mal­gré l’abandon de sa vie spi­ri­tuelle, se sou­ve­nait encore de la joie et de l’innocence de ses pre­miers Noëls.

Elle avait soif d’un bon­heur qui sem­blait lui échap­per de plus en plus et, dans la mesure du pos­sible, elle essayait de recréer autour d’elle l’ambiance des Noëls de son enfance.

Elle était assez douée pour cela et réus­sis­sait mal­gré tout à ras­sem­bler encore quelques amis et quelques fami­liers autour d’un sapin bien déco­ré, d’une petite crèche et d’un repas de fête qui n’était pas trop mélancolique.

Mal­gré les années écou­lées, l’âme immor­telle gar­dait l’empreinte de l’enfant qu’elle avait été.

D’ailleurs, si vous prê­tez un peu d’attention aux âmes des adultes, vous ver­rez qu’en elles l’enfant n’est jamais très loin, même si les péchés les ont obscurcies.

Cet enfant fini­ra-t-il un jour par se réveiller ?

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Temps de lec­ture : 9 minutes

CONTE

Une après-midi, il y a de cela quelque cinq cent ans, le podes­tat de Fie­sole pre­nait le frais autour de sa cité.

Comme il lon­geait en sa pro­me­nade le jar­din des Frères-Prê­cheurs, qui n’é­tait pas encore sévè­re­ment enclos, il s’a­vi­sa que les Fils de Saint Domi­nique avaient des roses sans pareilles.

Ces mer­veilles de la végé­ta­tion étaient dues aux bons soins de Frère Sim­plice, qui, d’a­près l’ordre de son Prieur, consa­crait son temps à l’ar­ro­sage. Sim­plice n’é­tait pas doc­teur en droit canon : c’é­tait un humble croyant, qui fai­sait son salut en pui­sant de l’eau dans une fon­taine ; c’é­tait une âme can­dide et sans reproche, qui comp­tait les Ave Maria du Rosaire avec les arro­soirs vidés et rem­plis sans inter­rup­tion. Si un péché avait effleu­ré jamais sa robe d’in­no­cence, ç’a­vait été le péché d’or­gueil, en contem­plant l’é­clat embau­mé de ses fleurs, pré­pa­rées avec amour pour l’or­ne­ment du sanc­tuaire. À l’of­fice, quand il voyait ses roses déco­rer le taber­nacle, ou s’ef­feuiller en tapis de pourpre sous les pas du rayon­nant osten­soir, il avait peine à se défendre contre une vani­té d’au­teur, et il lui sem­blait que la Madone du cloître sou­riait à ses guir­landes avec une com­plai­sance amie. Sans doute, il par­ta­geait sans réserve l’en­thou­siasme de toute la Tos­cane pour les fresques déli­cieuses qu’un jeune moine, tout nou­veau, Fra Gio­van­ni, jetait avec pro­fu­sion sur les voûtes et les lam­bris du monas­tère com­men­cé ; mais Sim­plice était ten­té de croire que l’hom­mage de ses roses était plus pur, plus suave encore, plus dou­ce­ment agréé par le Roi de la nature. Pauvre Sim­plice ! Quel trouble en son âme lim­pide comme un cris­tal, s’il eût pu se dou­ter que le suc­cès de son hor­ti­cul­ture allait don­ner aux médi­ta­tions du podes­tat en pro­me­nade une direc­tion si fâcheuse !

Celui-ci en effet, s’é­tait arrê­té dans le che­min admi­rant les roses à tra­vers le grillage :

— Comme ce coteau s’est amé­lio­ré ! mur­mu­rait-il. Je n’y connais­sais, autre­fois, que des ronces et des cailloux ! La ville n’a point su en tirer par­ti, c’est même pour cela que j’ai lais­sé sans crier gare, les Révé­rends Pères s’ins­tal­ler en ce lieu aban­don­né et s’y tailler un domaine. Si j’a­vais pré­vu qu’ils y feraient un si joli jar­din je leur aurais deman­dé une cen­taine d’é­cus d’or. Ils seraient bien utiles en ce moment dans notre caisse, car, on nous réclame, à Foli­gno, soixante écus romains pour nous peindre la Madone qui manque à l’au­tel majeur de notre cathédrale ! .…

Au fait, est-il vrai­ment trop tard ? Aucun acte régu­lier n’a consa­cré l’a­ban­don de la pro­prié­té muni­ci­pale ; il serait d’une bonne admi­nis­tra­tion d’exi­ger au moins quelque somme, avant de recon­naître comme légi­time, par devant le pro-notaire com­mu­nal, l’é­ta­blis­se­ment des Frères-Prê­cheurs en ce lieu !