Catégorie : <span>Autres textes</span>

Ouvrage : Autres textes | Auteur : Nesmy, Jean

(Conte d’Épiphanie)

Un che­min qui monte, monte roide entre de hauts talus cou­ron­nĂ©s de genĂȘts et d’a­joncs, un che­min tout au plus bon pour les mules, c’est le che­min de Gré­ne­fol : un vrai che­min du para­dis, qui monte, monte, avec le ciel au bout.

Il va tout d’un Ă©lan de la borde de Gré­ne­fol Ă  l’é­glise de Figue­blanche, tout droit, sans le moindre caprice d’é­cole buis­son­niĂšre, sans le plus inno­cent jeu de cligne-musette Ă  tra­vers champs. C’est tout au plus s’il se per­met de loin en loin un cloche-pied.

La borde est au creux de la combe, petit capu­chon bleu poin­tant dans un man­teau de bois. Le clo­cher de l’é­glise, tout en haut de la cĂŽte, jette Ă  tous vents le son de ses cloches en plein ciel, et du matin au soir sur­veille la ronde de son ombre tour­nante sur la pous­si­nĂ©e de mai­sons qui est autour.

Et donc, mon­tant roide de la borde Ă  l’é­glise Ă  vous rompre l’ha­leine, des­cen­dant fol­le­ment de l’é­glise Ă  la borde Ă  vous rompre le cou, voi­lĂ  le che­min de Gré­ne­fol, oĂč seuls fré­quentent, avec les mules du mou­lin escor­tĂ©es d’un Pier­rot sif­fleur et fan­fa­ron, quelques petits du catĂ©chisme.

Le Pier­rot peut Ă  peine, tant la chaus­sĂ©e en est Ă©troite, y faire cla­quer son fouet Ă  deux mĂšches, et encore Ă  petite volĂ©e ; les gars du caté­chisme, petites jambes et courtes haleines, mĂȘme l’hi­ver si froid qu’il fasse, ne le grimpent qu’en soufflant.

Un vrai che­min du paradis !

*

Une gelée dans la campagne de Limoges

Ouvrage : Autres textes | Auteur : Noël, Marie

La veille de NoĂ«l, la vieille MĂšre Rachel se pré­pa­ra comme tous les ans Ă  conduire tous ses fils Ă  la CrĂšche. Elle appe­la ses trois fils pré­fé­rĂ©s : Simon, celui qui tra­vaillait la terre ; Lazare l’ou­vrier for­ge­ron ; et AndrĂ©, celui qui allait encore Ă  l’école.

Elle avait aus­si un autre fils, nĂ© d’un autre lit. C’é­tait un homme qui avait Ă©nor­mé­ment tra­vaillĂ© et beau­coup Ă©par­gnĂ© pour aider sa mĂšre Rachel Ă  Ă©le­ver ses trois petits frĂšres. Il avait aus­si recons­truit et entre­te­nu de ses deniers la mai­son fami­liale et il conti­nuait tou­jours Ă  don­ner gĂ©né­reu­se­ment. Pour­tant, ses frĂšres ne l’ai­maient pas. Ils lui enviaient ses capa­ci­tĂ©s Ă  faire le bien ; ils en Ă©taient jaloux. Aus­si le tenaient-ils Ă  l’é­cart et n’hĂ©sitaient pas Ă  le railler quand ils le croi­saient en chemin.

* * *

En cette veille de NoĂ«l, Rachel frap­pa Ă  sa porte.

« Jean dit-elle, je pars tout Ă  l’heure ado­rer le Sei­gneur JĂ©sus. Mais la route est un peu longue jus­qu’à Beth­lĂ©em et je n’ai pas assez de vivres. Peux-tu me don­ner des provisions ? Â»

« Voi­ci mes clĂ©s, rĂ©pon­dit Jean, celle du gre­nier, celle du cel­lier, celle de la cave. Prends tout ce qu’il te faut et mĂȘme plus. Mes frĂšres ne doivent man­quer de rien pour ce beau voyage qui sera une grande fĂȘte ! Â»

Récit : générosité à Noël et accueil de Jésus

Sa mùre prit les pro­vi­sions et s’en fut mais aus­si­tît elle revint


« Le man­teau de ton frĂšre Simon est rĂąpĂ©, il aura froid en route, donne-moi un vĂȘte­ment pour lui. Â»

« Prends mon man­teau, ce sera pour moi une grande joie de savoir mon man­teau aller Ă  Beth­lĂ©em sur les Ă©paules de mon frĂšre ! Â»

MÚre Rachel prit le man­teau mais revint encore.

« Les sou­liers de ton frĂšre Lazare ont de bien mau­vaises semelles. Tu ferais bien de m’en don­ner une paire pour lui. Tu en as une de rechange et il fait ta pointure. Â»

Ouvrage : Autres textes | Auteur : Martin, Samuel

Il Ă©tait une fois un homme et une femme qui venaient d’ĂȘtre chas­sĂ©s une fois de plus du seuil d’une hĂŽtel­le­rie. « Il n’y a pas de place pour vous ! » avait dit, har­gneux, l’aubergiste, avant de cla­quer la porte. Avec la rapi­di­tĂ© propre Ă  cet ani­mal, un chat s’était glis­sĂ© hors de l’auberge juste avant que la porte ne se referme. Pour ĂȘtre exact, c’était une chatte de petite taille, avec des reflets roux et un jabot crĂšme. Elle Ă©tait mal nour­rie, mal trai­tĂ©e par l’aubergiste qui ne sem­blait l’avoir recueillie que pour en faire usage de souffre-douleur.

La petite chatte noire au jabot crĂšme sui­vit le couple. Il parais­sait exté­nuĂ©. L’homme dit : « ArrĂȘ­tons-nous sous cet auvent. Il n’a pas l’air si mal. Â» Au bout de trois minutes la femme dit : « Il y a des cou­rants d’air ter­ribles. Ça n’ira pas. Â» Par ma mous­tache et mes reflets roux, se dit la petite chatte, si on me l’avait deman­dĂ©, je vous l’aurais dit, moi, qu’à cet endroit le vent souffle froid.

L’homme, la femme – et la petite chatte que, pré­oc­cu­pĂ©s, ils n’avaient pas remar­quĂ©e – repar­tirent dans les rues. La femme dit : « ArrĂȘ­tons-nous dans ce caba­non. Nous y serons Ă  l’abri du vent. Â» Au bout de deux minutes l’homme dit : « Quelle humi­di­tĂ© ! J’ai l’impression que mes os sont gla­cĂ©s. Ça n’ira pas non plus. Â» Par ma mous­tache et mon jabot, se dit la petite chatte, si vous me l’aviez deman­dĂ©, je vous aurai ren­sei­gnĂ© : ce caba­non est l’endroit le plus humide du quartier.

Ouvrage : Autres textes

Conte de NoĂ«l

Dans son corps dou­lou­reux, l’ñme Ă©tait triste et meurtrie.

Plus que du froid de la nuit, plus que des dou­leurs dans les jambes d’avoir tant mar­chĂ© Ă  tra­vers la ville, elle souf­frait d’un mal sourd et profond.

En cette veille de NoĂ«l, l’ñme en peine avan­çait par les rues, cher­chant Ă  igno­rer la cause de sa souffrance.

Confession de Noël

Il y avait si long­temps qu’elle s’était Ă©ta­blie dans l’indiffĂ©rence ! Quand Ă©tait-elle donc allĂ©e s’agenouiller la der­niĂšre fois dans un confes­sion­nal pour rece­voir le par­don de ses fautes ? Elle ne s’en sou­ve­nait plus, ni de la der­niĂšre fois qu’elle avait prié 

Ne croyez pas que c’était l’ñme d’un grand cri­mi­nel, non, c’était une per­sonne ordi­naire, qui menait sa petite vie, juste oublieuse de la loi de Dieu qu’elle avait sub­sti­tuĂ©e par son bon plai­sir, par son Ă©goĂŻsme et par toutes sortes de bas­sesses qui fai­saient comme un bruit de feuilles mortes pous­sĂ©es par les tour­billons d’un vent mauvais.

— Était-ce un homme, Ă©tait-ce une femme, me deman­de­rez-vous. Peu importe.

C’était une Ăąme plon­gĂ©e dans la tris­tesse, fruit inĂ©vi­table et amer que pro­duit la conscience en voyant, sans mĂȘme vou­loir se l’avouer, tout ce qu’elle a per­du en reje­tant l’amitiĂ© de Dieu.

Il y en a tant de ces ñmes, endur­cies par l’habitude du scep­ti­cisme, dans les villes de notre pauvre France qui rede­vient païenne.

Toute la jour­nĂ©e, elle s’était agi­tĂ©e pour rĂ©unir les der­niers pré­pa­ra­tifs de NoĂ«l. Car l’ñme, mal­grĂ© l’abandon de sa vie spi­ri­tuelle, se sou­ve­nait encore de la joie et de l’innocence de ses pre­miers NoĂ«ls.

Elle avait soif d’un bon­heur qui sem­blait lui Ă©chap­per de plus en plus et, dans la mesure du pos­sible, elle essayait de recrĂ©er autour d’elle l’ambiance des NoĂ«ls de son enfance.

Elle Ă©tait assez douĂ©e pour cela et rĂ©us­sis­sait mal­grĂ© tout Ă  ras­sem­bler encore quelques amis et quelques fami­liers autour d’un sapin bien dĂ©co­rĂ©, d’une petite crĂšche et d’un repas de fĂȘte qui n’était pas trop mĂ©lancolique.

Mal­grĂ© les annĂ©es Ă©cou­lĂ©es, l’ñme immor­telle gar­dait l’empreinte de l’enfant qu’elle avait Ă©tĂ©.

D’ailleurs, si vous prĂȘ­tez un peu d’attention aux Ăąmes des adultes, vous ver­rez qu’en elles l’enfant n’est jamais trĂšs loin, mĂȘme si les pĂ©chĂ©s les ont obscurcies.

Cet enfant fini­ra-t-il un jour par se rĂ©veiller ?

Ouvrage : Autres textes

CONTE

Une aprĂšs-midi, il y a de cela quelque cinq cent ans, le podes­tat de Fie­sole pre­nait le frais autour de sa citĂ©.

Comme il lon­geait en sa pro­me­nade le jar­din des FrĂšres-PrĂȘ­cheurs, qui n’é­tait pas encore sĂ©vÚ­re­ment enclos, il s’a­vi­sa que les Fils de Saint Domi­nique avaient des roses sans pareilles.

Ces mer­veilles de la vĂ©gé­ta­tion Ă©taient dues aux bons soins de FrĂšre Sim­plice, qui, d’a­prĂšs l’ordre de son Prieur, consa­crait son temps Ă  l’ar­ro­sage. Sim­plice n’é­tait pas doc­teur en droit canon : c’é­tait un humble croyant, qui fai­sait son salut en pui­sant de l’eau dans une fon­taine ; c’é­tait une Ăąme can­dide et sans reproche, qui comp­tait les Ave Maria du Rosaire avec les arro­soirs vidĂ©s et rem­plis sans inter­rup­tion. Si un pĂ©chĂ© avait effleu­rĂ© jamais sa robe d’in­no­cence, ç’a­vait Ă©tĂ© le pĂ©chĂ© d’or­gueil, en contem­plant l’é­clat embau­mĂ© de ses fleurs, pré­pa­rĂ©es avec amour pour l’or­ne­ment du sanc­tuaire. À l’of­fice, quand il voyait ses roses dĂ©co­rer le taber­nacle, ou s’ef­feuiller en tapis de pourpre sous les pas du rayon­nant osten­soir, il avait peine Ă  se dĂ©fendre contre une vani­tĂ© d’au­teur, et il lui sem­blait que la Madone du cloĂźtre sou­riait Ă  ses guir­landes avec une com­plai­sance amie. Sans doute, il par­ta­geait sans rĂ©serve l’en­thou­siasme de toute la Tos­cane pour les fresques dĂ©li­cieuses qu’un jeune moine, tout nou­veau, Fra Gio­van­ni, jetait avec pro­fu­sion sur les voĂ»tes et les lam­bris du monas­tĂšre com­men­cĂ© ; mais Sim­plice Ă©tait ten­tĂ© de croire que l’hom­mage de ses roses Ă©tait plus pur, plus suave encore, plus dou­ce­ment agréé par le Roi de la nature. Pauvre Sim­plice ! Quel trouble en son Ăąme lim­pide comme un cris­tal, s’il eĂ»t pu se dou­ter que le suc­cĂšs de son hor­ti­cul­ture allait don­ner aux mĂ©di­ta­tions du podes­tat en pro­me­nade une direc­tion si fĂącheuse !

Celui-ci en effet, s’é­tait arrĂȘ­tĂ© dans le che­min admi­rant les roses Ă  tra­vers le grillage :

— Comme ce coteau s’est amé­lio­rĂ© ! mur­mu­rait-il. Je n’y connais­sais, autre­fois, que des ronces et des cailloux ! La ville n’a point su en tirer par­ti, c’est mĂȘme pour cela que j’ai lais­sĂ© sans crier gare, les RĂ©vé­rends PĂšres s’ins­tal­ler en ce lieu aban­don­nĂ© et s’y tailler un domaine. Si j’a­vais pré­vu qu’ils y feraient un si joli jar­din je leur aurais deman­dĂ© une cen­taine d’é­cus d’or. Ils seraient bien utiles en ce moment dans notre caisse, car, on nous rĂ©clame, Ă  Foli­gno, soixante Ă©cus romains pour nous peindre la Madone qui manque Ă  l’au­tel majeur de notre cathĂ©drale ! .


Au fait, est-il vrai­ment trop tard ? Aucun acte rĂ©gu­lier n’a consa­crĂ© l’a­ban­don de la pro­prié­tĂ© muni­ci­pale ; il serait d’une bonne admi­nis­tra­tion d’exi­ger au moins quelque somme, avant de recon­naĂźtre comme lĂ©gi­time, par devant le pro-notaire com­mu­nal, l’é­ta­blis­se­ment des FrĂšres-PrĂȘ­cheurs en ce lieu !