Onze gars du village de Rivouard, blotti au fond de la vallée, sont partis avec leur vicaire par une belle soirée de décembre pour escalader la Roche Brune. C’est la courte ascension classique des débutants et, malgré le petit vent nord-est qui soulève parfois la neige dans un impalpable poudroiement argenté, ils ont atteint avant la nuit le refuge de La Placette situé à 2.000 mètres.
A la lueur clignotante des bougies, on s’installe parmi les rires et les chansons. Mais chut ! il faut dormir bien vite afin d’être en forme pour l’escalade du lendemain.
Au réveil, Monsieur le Vicaire a déjà préparé son autel portatif sur l’unique table du refuge. Dehors, le ciel est toujours clair, et la température s’est même radoucie. Un peu de gymnastique pour éprouver les muscles… quelques bonnes blagues… et les gars ayant sorti des sacs leurs missels, se groupent autour du prêtre qui a revêtu les ornements sacerdotaux.
La messe commence ; voici l’Évangile, l’Offertoire. Dans quelques instants, l’Hostie consacrée rayonnera dans le refuge. C’est alors que se produisit l’imprévisible. Un grondement, d’abord lointain et sourd, mais qui s’amplifie comme un tonnerre, fit brusquement lever toutes les têtes. Pas un cri, pas une parole, mais une pensée commune vient de jaillir : l’avalanche !
Brigitte est partie. Sa mort, si paisible, si douce, a laissé une empreinte qui ne s’effacera plus, ni dans l’âme de Bernard, ni dans celle d’André. Le pauvre petit, surtout, ne peut oublier qu’il a causé, indirectement et bien involontairement, cette mort, et, désormais, il entre dans la voie droite, avec l’intention très nette de ne plus en sortir. M. le curé et Yvon reçoivent à ce sujet des confidences qui doivent réjouir Brigitte au Ciel.
Puis le temps passe, et sur la tristesse des souvenirs, la joie filtre de nouveau, comme un rayon de soleil, au printemps, court sur les neiges d’hiver. L’Ordination approche.
Les garçons et leur bataillon lavent, frottent, astiquent les dalles, les bancs, les stalles de l’église ; on fait un trône pour Monseigneur l’évêque. Les ainés préparent une cavalcade. Tous les chevaux seront réquisitionnés, les vélos aussi. On se prépare à tresser les crinières, à orner les selles ; on fait des flots de rubans pour les brides, et des fleurs de papier pour les guidons.
Jean-Louis organise un groupe de gardes-chasse et de piqueurs, qui prendront la tête du mouvement et feront un concert de fanfares.
Colette, Annie, toutes les petites filles ajoutent des mètres et des mètres aux guirlandes de buis et même de houx, sans souci des piqûres. Légères, les guirlandes devront courir d’un toit à l’autre, car toute la paroisse est en émoi, et les gros pots de géranium ou d’amaryllis s’ornent de magnifiques cache-pots dorés, qui feront ressortir leurs touffes écarlates, au bord des fenêtres des plus humbles demeures.
Un peu avant de commencer la retraite qui le sépare des fêtes du Sacerdoce, Yvon, un soir, a appelé les enfants.
Voilà qui mettrait en liesse l’humeur nonchalante de Pierrot, s’il ne contemplait, le nez collé à la fenêtre, les feuilles mortes qui tourbillonnent.
À les voir danser, voler, retomber, sous les rafales du vent du nord, Pierrot devient mélancolique. Il monologue : — Par ce froid de canard, maman me permettra-t-elle d’aller jusqu’au village ? C’est assommant de n’avoir plus ici ni frère ni cousin. Colette est bonne fille, mais ce n’est jamais qu’une fille et ça ne peut pas valoir la moitié d’un garçon.
Cette constatation eût sans doute plongé petit Pierre dans un monde de pensées toutes plus désolantes les unes que les autres, quand un magistral coup de sonnette lui fait pousser un hourrah « formidable », selon le langage de son temps.
Adieu le vent du nord, les feuilles mortes et l’insuffisance des filles ! Voici paraître, à la grille du jardin, M. le curé avec le petit André. Du coup, la vie est belle, et Pierrot se sent l’enfant le plus heureux du monde.
Maman, en revanche, est fort inquiète de l’imprudence de son vieil ami : — Oh ! monsieur le curé, quelle folie ! Comment êtes-vous venu par un temps pareil ?
— Bah ! j’en ai vu bien d’autres, et je ne m’en porte pas plus mal. Et puis, c’est jeudi ; André a de bonnes notes ; je pense que celles de Pierrot sont bonnes aussi : il faut récompenser ces enfants-là.
Hum ! Pierrot se sent tout à coup redevenir malheureux.
— Regardez cette tête, monsieur le curé, et dites-moi si vous croyez que ce jeune homme a de bonnes notes ?
Le vieux prêtre passe la main en souriant sur les cheveux frais coupés : — Tu n’as pourtant plus tes boucles de bébé, mon bonhomme, et il faudrait songer à travailler, comme un grand. Que dira papa quand il reviendra pour Noël ?
Papa ! La pensée du reproche paternel met une larme contrite au coin des yeux de Pierrot, et son vieil ami s’en contente.
— Va, si maman permet, emmène André ramasser du bois mort au bord du petit bois. Couvrez-vous bien, et rapportez-m’en deux gros fagots pour mes pauvres.
Un coup d’œil à maman pour voir si elle approuve, et puis les deux petits s’envolent, tout trace de souci de nouveau disparue.
— Cette paresse de Pierrot m’inquiète, monsieur le curé, je vous assure, dit maman en reprenant son tricot.
— Il a du cœur et c’est un bon petit. Il faut seulement stimuler sa volonté. Le bon Dieu vous y aidera. Voyez Yvon : il était bien un peu « flemme » aussi jadis, comme ils disent.
— Tiens, au fait, c’est vrai ! Je l’avais bien oublié. Il s’est tellement transformé ! À propos d’Yvon, monsieur le curé, Colette m’a témoigné le désir de s’associer davantage à la vocation de son cousin par une étude, abrégée évidemment, mais pourtant sérieuse, de la liturgie. Nous avons commencé un peu ces soirs derniers. Colette met l’entrain que vous devinez, mais Pierrot nous a fait une tête impossible, à laquelle d’ailleurs j’ai semblé ne prêter aucune attention. Mon bonhomme en a profité pour se draper dans une attitude d’indifférence, et puis il s’est laissé prendre au jeu, il m’a questionné. Finalement, je le sens déjà intéressé. Reste à savoir si cela durera, car évidemment c’est un peu austère pour son âge.
— Pas tant que cela. Vous verrez qu’il y prendra goût, surtout quand vous lui aurez annoncé que, s’il bataille avec sa paresse, nous le préparerons à sa première communion, de manière à ce qu’il la fasse le jour où Yvon dira sa première messe ici. En attendant, si vous appeliez Colette, je répondrais à ses questions, tandis que notre pauvre paresseux court les bois.
Dix minutes après, Colette avait repris sa place sur le petit tabouret et la leçon battait son plein.
— Monsieur le curé, maman m’a dit que la langue de l’Église était le latin. Pourquoi ?
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C’était le soir de Noël. L’horloge du clocher venait de sonner 23 heures. Peu après, les cloches appelaient les fidèles. Le vent froid de la nuit renvoyait la joyeuse invitation à la messe, minuit à travers les ruelles du village de Moncada, par-delà les rizières et les orangeraies au loin jusqu’à la ville de Valences. Quittant, les riches, leurs châteaux et les pauvres, leurs chaumières, ces Espagnols habitués au soleil sous la bise glacée se mire en route. Rien au monde n’aurait pu les chasser de leurs logis douillets ; mais par amour de l’Enfant-Jésus, ils marchaient sans hésitation, frissonnants dans le noir. Même de petits enfants, force de volonté, bien emmitouflés dans leurs lainages, marchaient un peu somnolents, mais avec d’autant plus de mérite côté des parents, vers l’église.
Voici déjà que dans le premier banc s’agenouillait une jolie petite paysanne de cinq ans, avec sa maman. Toute animée du désir d’admirer l’Enfant-Jésus avec Marie, Joseph, les anges, crèche, les bergers, et toutes les petites lumières, elle avait pressé la famille à partir vers l’église. Brillants de bonheur, ses yeux noirs et vifs allaient d’un berger à l’autre, admiraient Marie et Joseph dans la pauvre étable installée sur l’autel latéral de gauche. Tout à coup la petite poussa sa maman et demanda :
« La crèche est vide, où est donc l’Enfant-Jésus ?
– Après la messe, monsieur le Curé l’y mettra. Alors
Elle n’était point riche, la vieille Maria… Durant de longues années, ses mains s’étaient durcies au labeur de la terre, et maintenant elle pouvait faire le bilan d’une rude vie de travail, mais non pas celui d’un bas de laine gonflé d’écus. Pourtant, dame Maria n’était pas dépensière. Elle savait se contenter de peu : le lait de sa chèvre, les œufs de ses poules et les légumes de ses champs avaient bien suffi durant de longues années à la subsistance de sa vie courageuse.
Restée veuve, sans enfant, elle n’avait pas voulu fermer son cœur à l’affection. Elle avait adopté François, un petit voisin resté, lui aussi, tout seul sur la terre au soir d’un terrible orage qui avait laissé son papa et sa maman foudroyés dans les champs à côté d’un chariot de foin.
Le petit était gentillet, bouclé comme un chérubin, avec de grands yeux qui reflétaient la pureté du Bon Dieu.
Maria l’avait pris en disant simplement : « Mon petit gars, c’est moi qui serai ta maman ! »
***
La vie est pénible pour une femme seule à la campagne ; que de durs travaux il lui avait fallu exécuter !