L’Office divin

Auteur : Par un groupe de pères et de mères de familles | Ouvrage : À la découverte de la liturgie avec Bernard et Colette .

Temps de lec­ture : 12 minutes

Chapitre III

Jeu­di ! Jour de congé !

Voi­là qui met­trait en liesse l’hu­meur non­cha­lante de Pier­rot, s’il ne contem­plait, le nez col­lé à la fenêtre, les feuilles mortes qui tourbillonnent.

À les voir dan­ser, voler, retom­ber, sous les rafales du vent du nord, Pier­rot devient mélan­co­lique. Il monologue :
 — Par ce froid de canard, maman me per­met­tra-t-elle d’al­ler jus­qu’au vil­lage ? C’est assom­mant de n’a­voir plus ici ni frère ni cou­sin. Colette est bonne fille, mais ce n’est jamais qu’une fille et ça ne peut pas valoir la moi­tié d’un garçon.

Cette consta­ta­tion eût sans doute plon­gé petit Pierre dans un monde de pen­sées toutes plus déso­lantes les unes que les autres, quand un magis­tral coup de son­nette lui fait pous­ser un hour­rah « for­mi­dable », selon le lan­gage de son temps.

Adieu le vent du nord, les feuilles mortes et l’in­suf­fi­sance des filles ! Voi­ci paraître, à la grille du jar­din, M. le curé avec le petit André. Du coup, la vie est belle, et Pier­rot se sent l’en­fant le plus heu­reux du monde.

Maman, en revanche, est fort inquiète de l’im­pru­dence de son vieil ami :
 — Oh ! mon­sieur le curé, quelle folie ! Com­ment êtes-vous venu par un temps pareil ?

— Bah ! j’en ai vu bien d’autres, et je ne m’en porte pas plus mal. Et puis, c’est jeu­di ; André a de bonnes notes ; je pense que celles de Pier­rot sont bonnes aus­si : il faut récom­pen­ser ces enfants-là.

Hum ! Pier­rot se sent tout à coup rede­ve­nir malheureux.

— Regar­dez cette tête, mon­sieur le curé, et dites-moi si vous croyez que ce jeune homme a de bonnes notes ?

Le vieux prêtre passe la main en sou­riant sur les che­veux frais coupés :
 — Tu n’as pour­tant plus tes boucles de bébé, mon bon­homme, et il fau­drait son­ger à tra­vailler, comme un grand. Que dira papa quand il revien­dra pour Noël ?

Papa ! La pen­sée du reproche pater­nel met une larme contrite au coin des yeux de Pier­rot, et son vieil ami s’en contente.

— Va, si maman per­met, emmène André ramas­ser du bois mort au bord du petit bois. Cou­vrez-vous bien, et rap­por­tez-m’en deux gros fagots pour mes pauvres.

Un coup d’œil à maman pour voir si elle approuve, et puis les deux petits s’en­volent, tout trace de sou­ci de nou­veau disparue.

— Cette paresse de Pier­rot m’in­quiète, mon­sieur le curé, je vous assure, dit maman en repre­nant son tricot.

— Il a du cœur et c’est un bon petit. Il faut seule­ment sti­mu­ler sa volon­té. Le bon Dieu vous y aide­ra. Voyez Yvon : il était bien un peu « flemme » aus­si jadis, comme ils disent.

— Tiens, au fait, c’est vrai ! Je l’a­vais bien oublié. Il s’est tel­le­ment trans­for­mé ! À pro­pos d’Y­von, mon­sieur le curé, Colette m’a témoi­gné le désir de s’as­so­cier davan­tage à la voca­tion de son cou­sin par une étude, abré­gée évi­dem­ment, mais pour­tant sérieuse, de la litur­gie. Nous avons com­men­cé un peu ces soirs der­niers. Colette met l’en­train que vous devi­nez, mais Pier­rot nous a fait une tête impos­sible, à laquelle d’ailleurs j’ai sem­blé ne prê­ter aucune atten­tion. Mon bon­homme en a pro­fi­té pour se dra­per dans une atti­tude d’in­dif­fé­rence, et puis il s’est lais­sé prendre au jeu, il m’a ques­tion­né. Fina­le­ment, je le sens déjà inté­res­sé. Reste à savoir si cela dure­ra, car évi­dem­ment c’est un peu aus­tère pour son âge.

— Pas tant que cela. Vous ver­rez qu’il y pren­dra goût, sur­tout quand vous lui aurez annon­cé que, s’il bataille avec sa paresse, nous le pré­pa­re­rons à sa pre­mière com­mu­nion, de manière à ce qu’il la fasse le jour où Yvon dira sa pre­mière messe ici.
En atten­dant, si vous appe­liez Colette, je répon­drais à ses ques­tions, tan­dis que notre pauvre pares­seux court les bois.

Dix minutes après, Colette avait repris sa place sur le petit tabou­ret et la leçon bat­tait son plein.

— Mon­sieur le curé, maman m’a dit que la langue de l’É­glise était le latin. Pour­quoi ?

Chants liturgiques au lutrin par un choriste de la Maîtrise
C’est le qui donne à la langue litur­gique sa forme la plus expressive.

— Parce que chez nous en Ita­lie comme en Gaule, au com­men­ce­ment de l’É­glise, on par­lait latin. À mesure que les peuples se sont conver­tis, ils ont adop­té la langue latine pour le culte reli­gieux. Cela per­met­tait une grande uni­té dans la liturgie.
Remarque, en pas­sant, com­bien le chant donne à la langue litur­gique une beau­té, une expres­sion qui nous aident à la mieux comprendre.

— Le chant ? Tiens ! mais c’est très vrai ; seule­ment je n’y avais jamais pensé.

— Allons donc ! Qu’est-ce que tu me racontes ? Alors que tu mets tout le monde en branle pour assis­ter aux offices de la cathé­drale, quand les enfants de la Maî­trise chantent aux grandes fêtes ?

— Vous avez rai­son, mon­sieur le curé. Ils ont des gosiers de ros­si­gnols et moi, j’ai une tête de linotte ! Seule­ment, les enfants de la Maî­trise font prier quand ils chantent. Autre­fois, est-ce qu’on chan­tait aus­si bien que ça ? Est-ce que les prières étaient déjà chan­tées, tout au début de l’Église ?

— Mais, ma petite fille, bien avant la venue de Notre-Sei­gneur. Tu oublies les can­tiques des Patriarches, de David qui s’ac­com­pa­gnait sur la harpe, des lévites dans le temple de Jéru­sa­lem ! Plus tard, saint Paul recom­man­dait aux Éphé­siens de chan­ter les louanges de Dieu. Bien des mar­tyrs sont morts en chan­tant leur amour et leur Foi.

— Mais qui est-ce qui a déci­dé qu’on chan­te­rait les hymnes, la grand’­messe, les comme maintenant ?

— Dès le com­men­ce­ment, l’É­glise a divi­sé les heures de manière à louer Dieu jour et nuit. Des génies, des saints ont per­fec­tion­né ensuite ce chant litur­gique. Au IVe siècle, saint Ambroise régla le chant des psaumes et com­po­sa un grand nombre d’hymnes.

— Au IVe siècle, pré­cise Colette, cela veut dire un peu plus de 300 ans après Notre-Seigneur ?

— Par­fai­te­ment et en cela il ne fai­sait que conti­nuer ce que fai­saient déjà les pre­miers chré­tiens comme nous le disent les Actes des Apôtres. Et ensuite c’est au VIe siècle qu’on attri­bue à saint Gré­goire-le-Grand l’ad­mi­rable chant (son nom l’in­dique) remis en hon­neur depuis un siècle par tous nos papes. On arrive main­te­nant à l’exé­cu­ter mer­veilleu­se­ment dans beau­coup d’é­glises, et sur­tout dans les abbayes bénédictines.

— Tiens ! Pour­quoi mieux encore dans les abbayes ?

— C’est toute une expli­ca­tion. Te sens-tu de force à l’écouter ?

Colette a un coup d’œil plein de malice qui signifie :
 — Vous n’en dou­tez pas, mon­sieur le curé.

— Eh bien ! alors, tâche de me suivre : l’É­glise entend rendre à Dieu l’hon­neur et la gloire qui lui sont dus, par un ensemble de prières qui s’ap­pelle l’Office divin, et cet office est la prière uni­ver­selle et offi­cielle de l’Église.
Nous autres, prêtres sécu­liers, nous en avons notre part. L’É­glise nous confie la réci­ta­tion du , ce qui est pour nous un grand hon­neur. Mais les cha­noines dans leurs cathé­drales, les moines dans leurs abbayes et dans leurs monas­tères, en s’u­nis­sant pour chan­ter l’of­fice divin, y mettent une solen­ni­té et une per­fec­tion qui répondent plus com­plè­te­ment encore aux dési­rs de l’É­glise. Parce que, vois-tu, la vie monas­tique est entiè­re­ment consa­crée à cette louange de Dieu. Tel­le­ment qu’elle suit de près le cadran solaire et offre au Créa­teur et au Sou­ve­rain de toutes choses les prin­ci­pales heures du temps.

— Dites vite com­ment, mon­sieur le curé.

— Vite, vite ! Avec toi, comme dit Maria­nick, il faut aller plus vite que le vent ! Ces choses-là ne s’ex­pliquent pas vite, ma petite fille. Regarde d’a­bord cette page de mon bréviaire.

— Je vois. C’est un cadran. Qu’est-ce qu’il signifie ?

— Il cor­res­pond à la manière dont l’É­glise divise l’of­fice divin. Il y a d’a­bord . C’est le nom que l’on donne aux prières qui se chantent la nuit dans les monas­tères, selon cette parole de David : « La nuit, je me levais pour chan­ter vos louanges. »

— Ce n’est pas drôle de se lever la nuit, constate Colette. L’hi­ver, il doit faire un froid !

— Certes ! Com­ment ne pas admi­rer le cou­rage de ceux qui prient ain­si, tan­dis que les autres hommes se reposent ? Quand vient le jour, ils récitent les , expres­sion qui signi­fie louanges. Songe, ma petite, au temps des Apôtres. Dès ces pre­mières années du Chris­tia­nisme, l’É­glise nais­sante vou­lut sanc­ti­fier, de trois heures en trois heures, les moments de la jour­née, afin de gar­der la trace des sou­ve­nirs de l’É­van­gile et de la Pas­sion de Notre-Seigneur.

— Com­ment est-ce pos­sible, mon­sieur le curé ?

— Les Laudes, réci­tées à l’aube du jour, rap­pellent la Résur­rec­tion de Notre-Sei­gneur qui eut lieu avant le lever du soleil. L’heure de cor­res­pond à 9 heures du matin, heure à laquelle Notre-Sei­gneur fut condam­né à mort. , à midi, heure à laquelle Jésus fut mis en Croix. , à 3 heures, moment où Notre-Sei­gneur mou­rut sur la Croix.

— Oh ! dit Colette atten­tive, c’est tout ce qu’il y a de plus inté­res­sant. Et les Vêpres, mon­sieur le curé ?

— Beau­coup de sym­boles y sont atta­chés, qu’il serait trop long de t’ex­pli­quer. Mais les vêpres sont par­ti­cu­liè­re­ment une louange à Jésus Eucha­ris­tie. Quel dom­mage que si peu de chré­tiens le sachent, et délaissent les vêpres du dimanche ! Enfin, il y a les . C’est une incom­pa­rable prière du soir, qui demande à Dieu la grâce d’une nuit tran­quille et d’une sainte mort. Elle se ter­mine par ces mots déli­cieux de confiance et d’a­ban­don, qui furent ceux de Notre-Sei­gneur mou­rant sur la croix : « Père, je remets mon âme entre vos mains. »

— Mais, mon­sieur le curé, c’est ravis­sant. Pour­quoi est-ce qu’on n’ap­prend pas tout cela au catéchisme ?

— Eh ! ma pau­vrette, tu oublies la peine qu’il faut prendre pour faire entrer dans la tête de petits étour­neaux l’es­sen­tiel de la reli­gion. Puisque tu sai­sis la beau­té de cet office divin, com­prend bien que la célé­bra­tion du saint Sacri­fice de la Messe en est le centre. C’est pour­quoi elle est chan­tée tous les matins dans les églises cathé­drales et dans les monastères.

— Elle n’est pas chan­tée régu­liè­re­ment dans notre cathé­drale ! J’ai assis­té bien sou­vent, avec maman, aux messes basses le matin.

— Tu n’é­tais pas à celle que chantent les cha­noines, plus tar­di­ve­ment, vers 10 heures, et qu’on appelle la Messe capi­tu­laire.

— Elle est réser­vée aux cha­noines ? Pourquoi ?

— Eh ! tout bon­ne­ment parce que les cha­noines consti­tuent ce qu’il est conve­nu d’ap­pe­ler le « Cha­pitre » et que ce Cha­pitre est char­gé de chan­ter la messe chaque jour et de réci­ter l’Of­fice divin.

— Mon­sieur le curé, c’est à n’y pas croire. Je ne savais pas un mot de tout ceci.

— Et ce n’est pas tout. Crois-tu que seuls les prêtres sécu­liers, les cha­noines et les moines, soient appe­lés à chan­ter la louange de Dieu ?

Colette réflé­chit :
 — Les reli­gieuses aus­si, peut-être ?

— Bien enten­du. Il y a des ordres de femmes qui y sont com­plè­te­ment consa­crés. Mais tout le monde, ma petite fille, toi comme les autres, est convié à s’u­nir à la prière de l’É­glise. C’est un devoir, c’est aus­si un hon­neur très grand, et, si cha­cun le com­pre­nait, l’as­sis­tance à la messe du dimanche, qui est la par­ti­ci­pa­tion obli­ga­toire pour tous à l’Of­fice divin, serait autre­ment fervente.

Coloriage religieuses - Ordres de femmes qui sont consacrées à chanter la louange de Dieu
Il y a des ordres de femmes qui y sont com­plè­te­ment consacrés.

Colette ne répond pas, elle songe. Tout cela est grand et beau et aus­si très nou­veau pour elle.

* * *

Mais voi­là qu’au milieu de ce silence, on entend sous la fenêtre la voix éplo­rée de Marianick :
 — Oh ! ma Doué ! quels gar­ne­ments ! ma les­sive !… Pier­rot, vas-tu pour­tant t’ar­rê­ter ! Les plus belles che­mises ! Ces enfants ont le diable au corps !

D’un seul mou­ve­ment, cha­cun se pré­ci­pite à la fenêtre, et le spec­tacle est tel que le fou rire met les larmes der­rière les lunettes de M. le curé.

Sur la corde pend un reste de linge raide et gelé. À côté, Maria­nick, les bras au ciel, invec­tive les deux gar­çons. Ceux-ci, ren­trant avec un pre­mier fagot de bois mort et ayant aper­çu les che­mises de nuit rai­dies comme des man­ne­quins, se sont glis­sés dedans, des chaus­settes nouées bout à bout servent de cein­tures ; au haut d’une vieille branche cas­sée, une magni­fique ser­viette, empe­sée par la gelée, branle en guise de ban­nière. André la pro­mène, sérieux comme le sacris­tain, et, der­rière lui, sin­geant le chantre du vil­lage dont il imite les into­na­tions à s’y méprendre, Pier­rot hurle le vieux can­tique : « Chan­tons les com­bats et la gloire. »

M. le curé prend son mou­choir pour s’es­suyer les yeux, puis, encore secoué du fou rire, il déclare :

— Pauvre les­sive ! Ouvrons la fenêtre et gron­dons ces enra­gés. Mais il est sûr qu’ils ne sont pas encore tout à fait mûrs pour la liturgie !


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