Dans les pages d’un vieux livre
Henri. — Comme c’est amusant, toutes ces petites maisons, perchées sur la pente de la montagne !
— Cette montagne, c’est la montagne amie de Grenoble, celle qu’on voit au bout de chaque rue : le Saint-Eynard. Je sais à son sujet une bien jolie légende, cueillie dans un vieux livre qui garde encore le parfum des œillets roses conservés entre ses pages jaunies.
« Sachez [1] d’abord que jadis, Dieu, la Vierge et les saints faisaient sur la voûte céleste de longues promenades. Quand ils arrivaient au-dessus de cette vallée, c’était pour leurs yeux un émerveillement.
« Ils apercevaient les Sept-Laux, les crêtes du Belledonne toutes blanches de neige… Au soleil levant, le massif de la Chartreuse et le glacier lilial du Mont-Blanc.
« A leurs pieds, l’Isère coulait avec ses flots argentés à travers des clairières bordées de chênes, de châtaigniers et de peupliers… Saint Pierre s’asseyait pour mieux voir ; la Vierge Marie joignait les mains d’admiration… Dieu souriait…
« Mon Dieu ! dit un jour la Vierge Marie, pourquoi les bords de cette rivière, ces forêts et ces pâturages sont-ils inhabités ! Les hommes y seraient si heureux !
— Il n’y a pas de maisons, dit saint Pierre, un peu bourru. Et comment diable ! voulez-vous que les pauvres humains transportent des matériaux dans ces montagnes ?…
— Eh bien ! saint Pierre, dit le Père Éternel, tu vas tout de suite en apporter.
— Oh ! dit saint Pierre, des chantiers du Paradis à cette vallée, le trajet est long. Des maisons, c’est lourd. Je ne suis plus jeune… Que saint Eynard s’en charge !…
- [1] Cette légende est tirée de Sous le signe des Dauphins (de Paul Berret), éditions Didier et Richard, à Grenoble. ↩