Pénitence
« Tes références, garçon ? »
Pour la dixième fois, Paul se heurte à cette demande. Pour la dixième fois, il répond sourdement :
« Je n’en ai pas.
— Quoi ! Tu n’as jamais travaillé, à ton âge ? Quel âge au fait ?
— Vingt ans.
— Et tu n’as pas honte d’être resté à fainéanter jusqu’à ce jour ?
— …
— Ah ! Ah ! Je vois ce que c’est ! Tu as déjà travaillé ! Mais tu n’as pas de références ! Tu n’es qu’un vaurien…
— …
— Allons ouste, je n’ai pas de temps à perdre avec toi. »
Dur et glacé, l’employeur lui claque au nez le portillon du guichet d’embauche. Et pour la dixième fois aussi, Paul se retrouve dans la rue, sous une petite pluie fine et froide qui détrempe tout et laisse des mares sur les pavés glissants.
« Tu n’as pas honte ? »
Les mots du guichetier le poursuivent, le martèlent, l’accablent. Sa grande taille se courbe un peu plus. On dirait un vieillard, ce garçon de vingt ans !
Honte ? Ah ! s’il savait !
Mais ne sait-il pas ce guichetier ? Ne savent-ils pas tous ces gens qui le frôlent, serrés dans un imperméable ou ratatinés sous un parapluie ? La « chose » doit apparaître sur son front rouge et dans sa démarche qui hésite, et même dans ce brutal sursaut qui le redresse comme pour défier le jugement du monde. La pluie le cingle, et la dureté du monde.
Sa bravade ne dure qu’un instant ; ses épaules retombent, lasses de porter sa honte. Et pourtant, il faut la traîner encore. Il le sait bien, il n’est qu’un vaurien. L’autre le lui a jeté au visage comme une gifle, et il n’a pu lui crier : « Tu mens ».