Temps de lecture : 3 minutesBande dessinée : une jeune esclave assiste au martyre de sainte Félicité et sainte Perpétue
Étiquette : <span>Afrique</span>
Dans le pays d’Unamio, entre les terres riveraines de l’Océan Indien, alors sujettes du Sultan de Zanzibar, vivait au siècle dernier la petite Suéma.
Il est beau le pays de Suéma : immenses plaines couvertes d’arbres fruitiers, traversées par de jolis ruisseaux. Les indigènes y récoltent magnoc, ignames, patates, maïs et presque tous les légumes d’Europe.
Au delà des plaines, d’immenses forêts remplies de tigres, d’hyènes, de panthères, de lions, dont les rugissements, répercutés par les échos, semblent la nuit des roulements de tonnerre. Là, paissent d’innombrables éléphants dont les défenses fournissent un bel ivoire, principale ressource et richesse du pays.
Les Africains de cette région vivent en grande partie de la chasse.
« Père, puis-je aller chasser avec toi ? » a demandé souvent la petite Suéma.
— Non. Quand tu seras plus grande ! »
Aujourd’hui, le père a répondu : « viens ! »
La première opération consiste à creuser, dans divers endroits de la forêt, des fosses profondes que l’on recouvre de branchages et de hautes herbes. Ce travail terminé, hommes, femmes et enfants se réunissent pour la battue. Comme Suéma se sent en sécurité entre son père, sa mère et ses sœurs, malgré ses sept ans, elle se montre très brave.
Arrivée à la lisière du bois, la troupe des chasseurs forme la chaîne, puis, au signal donné, s’enfonce dans la forêt, resserrant son cercle à mesure qu’elle marche et poussant des cris aigus afin d’épouvanter et de déloger le gibier. Quelques hommes chargés d’arcs et de sagaies précèdent la bande ; d’autres, dispersés, veillent autour des trappes et pourchassent les animaux qui, par instinct ou par adresse évitent les pièges en sautant par dessus.
Ne soupçonnant aucun danger, Suéma sautille joyeusement entre sa mère et ses sœurs ; elle s’amuse tant qu’elle se croit à une partie de plaisir. Heureux et fier de sa fille, le père marche en avant, tenant une flèche toute prête sur la corde de son arc.
Les chasseurs se rapprochent de la ligne des trappes ; ils n’en sont plus séparés que par un bosquet touffu quand sort de ce bosquet un rugissement si rauque, si prolongé, que tous en restent pétrifiés. Le sang se fige dans les veines ; un silence de mort remplace les cris de la battue, mais laissons Suéma nous raconter elle-même la suite : « Tandis que les échos répétaient ce rugissement du lion, j’aperçus ce terrible animal qui, les yeux flamboyants, la crinière hérissée, battait la terre de sa longue queue. Il approche… sa marche un peu oblique le conduit directement vers nous… Il passe à côté de mon père puis s’arrête, prêt à bondir sur mes sœurs et sur moi. À ce moment même, il rugit d’une façon terrible. Mon père comprend qu’il n’y a pas un moment à perdre ; il s’élance et attaque l’animal ; ses flèches et ses sagaies toujours si sûres, manquent cette fois leur but. Alors, le couteau de chasse à la main, il se jette sur le lion et, avec ses bras crispés, saisit la crinière de l’animal.
« La frayeur m’a tellement glacée que je ne vois plus ce qui se passe ; c’est à peine si j’aperçois, dans un tourbillon de sang, une masse rouge qui roule à terre et disparaît dans la forêt. » Le lion, furieux, blessé, a emporté le père de la petite Suéma.
La battue cesse ; la forêt devient solitaire ; seuls les sanglots de la veuve et de ses filles interrompent le silence. La nuit les trouve au même endroit et les rugissements de l’hyène rappellent à la pauvre mère son dernier-né, resté à la maison.
Ce soir-là, pour la première fois, la case fut sans feu, triste et silencieuse. « Oh ! ajoutait Suéma, comme on souffre quand on ne connaît pas Dieu et qu’on ne sait pas le prier ! »
Les parents de Suéma n’avaient pas reçu comme nous les lumières de la foi ; mais fidèles à la loi naturelle, inscrite par Dieu en tout homme, ils faisaient simplement leur devoir. Comme la jeune Africaine parlait avec bonheur des jours de son enfance ! des bontés de son père, des soins dont l’entourait sa mère, de l’affection mutuelle qui les unissait tous : « J’entendais dire aux enfants des voisins : « Voilà l’heureuse Suéma qui mange tous les jours de la viande et du sel ! » J’étais fière de ces paroles parce qu’elles faisaient l’éloge de mon père. »
« On disait aussi quelquefois, en me voyant passer : « Voilà Suéma la propre, aux cheveux bien tressés. J’étais contente de ces paroles qui étaient l’éloge de ma mère. » Mais revenons aux tristes jours qui suivirent la mort du chef de famille.

Maintenant Suéma a autre chose à faire que de rire et de chanter en gardant les brebis avec les enfants de son âge ; elle cultive la terre avec ses aînées. Hélas, sur les récoltes s’abat un nuage de sauterelles ; ces insectes dévorent les plantes jusqu’à la racine et les arbres jusqu’à l’écorce. Ceux qui ont des réserves de sel ramassent des sauterelles et les mettent au saloir. Chez Suéma, impossible ! Le père est mort sans avoir dit où il prenait les plantes dont il extrayait ce sel si précieux parce que si rare en ce pays. Ces plantes existent-elles encore ? Les sauterelles ont tout dévoré !
Temps de lecture : 7 minutesLe soleil brûle dans le ciel d’Afrique et Jeanne-Marie chante dans la pergola. Elle sait pourtant que le danger rôde, mais une fille de soldat n’a pas peur. Elle monte justement au belvédère pour scruter la forêt où il se terre. Pas un bruit… Pas une fumée… Pas même un mouvement de feuilles alanguies par le soleil… Rien qu’un silence redoutable et une immobilité qui oppresse… La mer infinie des frondaisons tropicales ne livre pas son secret.
Est-il possible — pense la fillette — qu’il y ait des êtres vivants dans cette forêt morte ?
Cependant on n’en saurait douter. Hier encore, la patrouille a remarqué des traces de pas, des arbres abattus, des restes de feu. Les Blolos sont là ! Ils guettent ; d’un instant à l’autre, ils surgiront, criblant le poste de leurs flèches empoisonnées. Dans les blockhaus, les tirailleurs le savent et attendent. Au belvédère, le lieutenant Saint-Foix le sait et veille. Venant à lui, sa fille le sait aussi et sourit.
« Une fois de plus vous serez maître d’eux, Père ! La force française finira bien par les dompter puisque, hélas, l’amitié que nous leur apportions n’a pas touché leur cœur. »
Le front de l’officier demeure soucieux. Il s’inquiète de ce que trame la ruse de ces anthropophages qu’il a mission de soumettre et à l’hostilité desquels il se heurte depuis trois mois.
« Sois prudente, ma Jeannette, avec eux on ne sait jamais. »
Deux jours ont passé sans que rien ne surgisse de la forêt mystérieuse. On commencerait à douter de la présence des Blolos si des traces fraîches n’étaient relevées chaque matin. Le silence oppresse… L’attente use les nerfs… La chaleur accable… et Jeanne-Marie sommeille dans son hamac quand une piqûre soudain la redresse en sursaut. Mais elle a juste le temps d’apercevoir près d’elle une face noire hideuse qui rit, et elle retombe sans un mot, sans un cri, dans une autre pensée, terrassée par une étrange torpeur qui la fait lourde et livrée sans défense à ce noir qui l’emporte à grands pas souples…
Temps de lecture : 15 minutesC’était à Tyr, vers l’année 335 de notre ère. Le grand port phénicien, célèbre depuis des milliers d’années par les expéditions commerciales qu’il envoyait dans toutes les directions, jusqu’au nord des îles que nous appelons britanniques, jusqu’au sud le plus mystérieux de l’Afrique, n’était pas seulement un énorme entrepôt où s’accumulaient les plus précieuses marchandises du monde entier : c’était aussi un centre intellectuel, où les meilleurs maîtres enseignaient, où les bibliothèques abritaient des milliers et des milliers de livres, où les étudiants et les élèves venaient de partout.
Or, ce soir-là, sur une terrasse qui dominait la mer, en regardant tomber le soleil rouge sur les flots verts sombres de la Méditerranée, un homme parlait avec deux enfants. L’homme, c’était Métrodore, un des professeurs les plus connus de la cité, un philosophe éminent, expert aussi en géographie, et très bon chrétien de surcroît. L’aîné des enfants, Frumence, avait une quinzaine d’années à peine, mais son maintien, l’air grave de son visage, son attention à écouter, le faisaient paraître plus âgé ; le plus jeune, Edèse, n’avait guère que douze ans, mais il était vif et prompt au travail. De quoi leur parlait donc leur maître ?
« Vous souvenez-vous de ce qui s’est passé, il y a un peu plus de vingt ans ? Notre grand Empereur Constantin, qui aujourd’hui règne glorieusement dans cette nouvelle Rome qu’il a fondée et qu’on nomme, désormais, ville de Constantin, Constantinople, se trouvait alors en guerre contre son rival Maxence. Déjà dans le fond de son cœur, il avait décidé de se faire baptiser. Et que se passa-t-il au moment où, sur les bords du Tibre, il allait livrer la bataille décisive ?
— Je sais ! cria Frumence. Dans le ciel il vit paraître une croix lumineuse, et une voix retentit à ses oreilles : Par ce signe tu vaincras !
— Bien dit, mon garçon ! Et c’est ainsi, en effet, que Constantin, après sa victoire, se fit le protecteur de la Sainte Église. Depuis lors, le cauchemar des persécutions est terminé. Ce n’est plus dangereux de se proclamer fidèle au Christ. Mais croyez-vous que notre tâche, à nous chrétiens, soit terminée ? Répondez donc ! »
Il les fit rentrer dans la salle où ils travaillaient. Au mur était dessinée une carte de l’Empire romain et de tous les pays d’alentour.
« La couleur rouge, cela représente les endroits où l’Évangile de Notre-Seigneur a été enseigné.
— Il n’y en a pas beaucoup, à côté du reste, murmura Edèse.
— Non, il n’y en a pas assez. Et vous vous souvenez de ce que le Christ a commandé à ses disciples, les Saints Apôtres, avant de remonter dans le Ciel, près du Père ?
— Allez et évangélisez toutes les nations, dit Frumence.
— Oui, Frumence. Allez et évangélisez toutes les nations. Telle est la grande loi… tel est l’ordre du Maître. Il ne suffit point de donner des leçons à des élèves dociles, ni d’écrire des livres. Une autre tâche nous appelle, nous autres qui sommes témoins de Jésus le crucifié : partir vers les pays où son nom est encore inconnu, où son message n’a pas été porté… »
Et, revenu sur la terrasse, tandis que la lune bleuissait les flots de la mer et transformait le ciel en une immense coquille de nacre, Métrodore continua à parler aux deux enfants. Il leur raconta les histoires merveilleuses des apôtres, partant dans toutes les directions, vers les pays les plus dangereux, pour être fidèles au commandement de Jésus. Était-il vrai que, tandis que saint Paul et saint Pierre mouraient martyrs à Rome, saint André se lançait dans l’immense Scythie (la Russie d’aujourd’hui), saint Marc débarquait en Égypte, saint Thomas atteignait jusqu’à l’Inde lointaine, et saint Mathieu pénétrait au cœur de l’Afrique, dans la mystérieuse Éthiopie ? Ainsi, dans un grand nombre de régions, le bon grain de l’Évangile avait été semé. Mais un immense travail était encore à faire. Il fallait retourner là-bas, interroger, enseigner, aider les quelques groupes de baptisés qui s’y trouvaient, gagner à la foi des recrues nouvelles. Magnifique aventure ! Pour le Christ et sa sainte religion, se lancer en des terres inconnues, découvrir des pays, des peuples nouveaux… Il était très tard et la lune était déjà haute dans le ciel, quand Métrodore exposa à ses jeunes élèves son grand projet.
Temps de lecture : 8 minutes
Des singes encombrants
« Ce matin-là, dit le missionnaire, toujours à bicyclette, je plonge dans la vallée : une vallée toute verte, pleine de grands arbres et de champs de maïs. Je suis seul comme d’habitude. On ne risque pas, il est vrai de se quereller avec son compagnon, mais parfois il est bon d’en avoir un à ses côtés. En pleine descente, une cinquantaine de singes, des gros cynocéphales (cynocéphale veut dire : tête de chien) me barrent la route. Je freine et m’arrête à peine à 10 mètres d’un gros singe, le chef de la troupe, le surveillant général, bien assis, attendant que toute la bande des mâles et des guenons soit passée.
« De loin, c’est joli à voir tous ces petits singes accrochés au ventre de leur mère qui criaillent, peureux comme des enfants en larmes. Je grelotte… je veux dire que j’agite sans arrêt le grelot de ma bicyclette… mais rien à faire. Ils viennent sur ma gauche, alors c’est à moi de passer : j’ai la priorité, pas vrai ?
« Mais le digne patriarche ne s’en soucie guère et reste toujours là, méfiant, l’œil mauvais dans une tête peu sympathique. Allons… ça y est, toute la famille est dans la brousse, grimpée aux arbres. Le vieux chef quitte lentement la route et moi je passe vite… vite.
« Quelques minutes après, en grimpant la côte, j’ai le souffle coupé, les jambes molles et suis obligé de m’arrêter. Je grelotte, mais cette fois-ci pour de bon ; je claque des dents. Quelle peur, Seigneur ! Oui, la peur physique, irraisonnée me terrasse. Pendant un quart d’heure je reste là, sur le bord du fossé, à attendre que mon petit cœur folâtre se remette à battre normalement.