Des singes encombrants
« Ce matin-là, dit le missionnaire, toujours à bicyclette, je plonge dans la vallée : une vallée toute verte, pleine de grands arbres et de champs de maïs. Je suis seul comme d’habitude. On ne risque pas, il est vrai de se quereller avec son compagnon, mais parfois il est bon d’en avoir un à ses côtés. En pleine descente, une cinquantaine de singes, des gros cynocéphales (cynocéphale veut dire : tête de chien) me barrent la route. Je freine et m’arrête à peine à 10 mètres d’un gros singe, le chef de la troupe, le surveillant général, bien assis, attendant que toute la bande des mâles et des guenons soit passée.
« De loin, c’est joli à voir tous ces petits singes accrochés au ventre de leur mère qui criaillent, peureux comme des enfants en larmes. Je grelotte… je veux dire que j’agite sans arrêt le grelot de ma bicyclette… mais rien à faire. Ils viennent sur ma gauche, alors c’est à moi de passer : j’ai la priorité, pas vrai ?
« Mais le digne patriarche ne s’en soucie guère et reste toujours là, méfiant, l’œil mauvais dans une tête peu sympathique. Allons… ça y est, toute la famille est dans la brousse, grimpée aux arbres. Le vieux chef quitte lentement la route et moi je passe vite… vite.
« Quelques minutes après, en grimpant la côte, j’ai le souffle coupé, les jambes molles et suis obligé de m’arrêter. Je grelotte, mais cette fois-ci pour de bon ; je claque des dents. Quelle peur, Seigneur ! Oui, la peur physique, irraisonnée me terrasse. Pendant un quart d’heure je reste là, sur le bord du fossé, à attendre que mon petit cœur folâtre se remette à battre normalement.