Des missionnaires dans la brousse

| Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 8 minutes

Des singes encombrants

« Ce matin-là, dit le mis­sion­naire, tou­jours à bicy­clette, je plonge dans la val­lée : une val­lée toute verte, pleine de grands arbres et de champs de maïs. Je suis seul comme d’ha­bi­tude. On ne risque pas, il est vrai de se que­rel­ler avec son com­pa­gnon, mais par­fois il est bon d’en avoir un à ses côtés. En pleine des­cente, une cin­quan­taine de singes, des gros cyno­cé­phales (cyno­cé­phale veut dire : tête de chien) me barrent la route. Je freine et m’ar­rête à peine à 10 mètres d’un gros , le chef de la troupe, le sur­veillant géné­ral, bien assis, atten­dant que toute la bande des mâles et des gue­nons soit passée.

« De loin, c’est joli à voir tous ces petits singes accro­chés au ventre de leur mère qui criaillent, peu­reux comme des enfants en larmes. Je gre­lotte… je veux dire que j’a­gite sans arrêt le gre­lot de ma bicy­clette… mais rien à faire. Ils viennent sur ma gauche, alors c’est à moi de pas­ser : j’ai la prio­ri­té, pas vrai ?

« Mais le digne patriarche ne s’en sou­cie guère et reste tou­jours là, méfiant, l’œil mau­vais dans une tête peu sym­pa­thique. Allons… ça y est, toute la famille est dans la brousse, grim­pée aux arbres. Le vieux chef quitte len­te­ment la route et moi je passe vite… vite.

Récit de missionnaires pour le enfants en Afrique

« Quelques minutes après, en grim­pant la côte, j’ai le souffle cou­pé, les jambes molles et suis obli­gé de m’ar­rê­ter. Je gre­lotte, mais cette fois-ci pour de bon ; je claque des dents. Quelle peur, Sei­gneur ! Oui, la peur phy­sique, irrai­son­née me ter­rasse. Pen­dant un quart d’heure je reste là, sur le bord du fos­sé, à attendre que mon petit cœur folâtre se remette à battre normalement.

« Depuis ce jour, quand j’a­per­çois des singes j’at­tends de loin qu’ils aient tra­ver­sé la route… et je repars en sif­flo­tant comme quel­qu’un qui n’a jamais eu peur.

D’a­près un récit tiré de l’Al­ma­nach Noir.
(Mis­sions Afri­caines, Lyon)


Le lion

Cette his­toire est arri­vée à un Père que je connais bien et qui trem­blait encore en me la racontant.

— Le Père S… se ren­dait à bicy­clette dans l’une de ses sta­tions. C’é­tait le soir… pas encore la nuit. Au détour d’un sen­tier, à 20 mètres de lui… un… Devine, Pierre ?

— Un boa…

— Non… Un , s’il vous plaît… et un gros !

— Oh !… Oh !…

— Encore quelques coups de pédales, et il lui mon­tait sur le bout de la queue. Oui, un lion de grande taille, à forte cri­nière. Vous sau­rez qu’il existe une race de petits lions, sans cri­nière, qui sont fort dan­ge­reux. Il était là, le maître de la brousse, qui bar­rait la piste. Que faire ? Retour­ner en arrière ? Les savent si vous avez peur, ils le sentent et c’est à ce moment qu’ils vous bon­dissent dessus.

Eh bien ! Le Père S… a pous­sé un cri énorme, un hur­le­ment effrayant qui a reten­ti bien loin dans la val­lée. « Si je pous­sais un tel cri, me dit le Père, j’a­meu­te­rais tout le vil­lage. » Sa majes­té s’est levée, a secoué sa cri­nière aux poils rudes et, petit à petit, s’est éloi­gnée confon­dant sa robe fauve avec les herbes rousses de la savane. Il s’en est allé le grand sei­gneur, dédai­gneux de ce maigre gibier que doit être un pauvre mis­sion­naire déla­vé par les tor­nades de la sai­son des pluies et des­sé­ché comme un hareng-saur par l’har­mat­tan, ce vent brû­lant de la sai­son sèche…

D’a­près un récit tiré de l’Al­ma­nach Noir.
(Mis­sions Afri­caines, Lyon)


Le serpent

« J’en arrive dit le mis­sion­naire, à cette petite his­toire de dont je garde un mau­vais sou­ve­nir ; car j’ai fui devant lui au lieu de lui faire face. Et me voyant fuir, il m’a attaqué…

« Je me pro­me­nais dans mon jar­din, sur­veillant l’ar­ro­sage… J’a­per­çus dans un citron­nier, à la hau­teur de ma tête, une autre petite tête aux yeux brillants, avec une fine bouche bor­dée de rouge… On aurait dit qu’il s’é­tait mis du fard… cette espèce de ten­ta­teur, d’hyp­no­ti­seur[1]… Non, mais se croit-il dans le para­dis ter­restre ? Il n’est que dans mon jardin.

« Je vois la tête, mais guère le reste du corps enrou­lé aux branches feuillues. Je demande un bâton à mon jar­di­nier qui accourt et me tend un bout de branche quelque peu ter­mi­tée[2]. Je frappe mon ser­pent. Le bois se casse. Le ser­pent se déroule. Il a plus de 2 mètres de long… Et le voi­là qu’il nous attaque tous les deux. Heu­reu­se­ment, nous sommes sur le bord d’un ruis­seau que nous avons vite fait de tra­ver­ser… Nous voi­ci sur l’autre bord… Plus de ser­pent, Dieu mer­ci ! Je suis un peu essou­flé… Méfiez-vous donc des bois ver­mou­lus. Depuis ce moment, je vais tou­jours au jar­din, armé d’une forte canne qui a déjà fait ses preuves et avec laquelle j’ai tué une dizaine de ser­pents et de vipères.

D’a­près un récit tiré de l’Al­ma­nach Noir.
(Mis­sions Afri­caines, Lyon)


Le caïman

Un mis­sion­naire raconte à des enfants :

Je venais de faire une longue ran­don­née à bicy­clette dans le bled[3] ; j’é­tais cou­vert de pous­sière rou­geâtre. J’a­vais l’air d’un Indien de la Pam­pa[4]. On m’au­rait pas­sé au badi­geon d’ocre que je n’au­rais pas été plus sale ; mais la Pro­vi­dence est bonne. En grim­pant un sen­tier, j’en­tends un mur­mure, j’a­vise une petite cas­cade d’une dizaine de mètres de haut. L’en­droit est clair et déga­gé et le soleil joue avec les gouttes d’eau comme vous avec les bulles de savon. J’en vois de toutes les cou­leurs, les cou­leurs de l’arc-en-ciel… De larges pans de roches brunes s’é­talent à droite et à gauche. En sai­son de pluies, la cas­cade doit être gran­diose et magnifique.

« Quelle bonne douche je vais prendre ! Me voi­ci sous le mince filet d’eau. Quel bien-être. Vive ma sœur l’eau, si fraîche et si pure ! Puis tout d’un coup je suis inquiet : une étrange odeur me pour­suit, une drôle d’im­pres­sion m’en­va­hit. Il me semble qu’un dan­ger est là sus­pen­du au-des­sus de ma tête. Je regarde devant moi, puis à droite et à gauche : rien. Comme on est sot quand on est seul dans la brousse ! D’ailleurs mon fusil, aux deux canons char­gés, est là, debout le long d’un arbre ; il veille sur moi comme une sen­ti­nelle, donc rien à craindre. C’est alors que je me retourne ; devine, Yves, ce que je vois…

— Ah ! je sais, une panthère…

Pour les jeunes du caté : Missionnaire et le caïman

— Non, pas du tout… pas de pan­thère qui soit venue « se désal­té­rer dans le cou­rant d’une onde pure ». À 20 cen­ti­mètres de mes épaules, j’a­per­çois un de 2,50 m à 3 mètres. (Je ne l’ai pas mesu­ré… vous com­pre­nez.) Il est pares­seu­se­ment éten­du sur la roche bru­nâtre, som­nolent, l’œil mi-clos. Je l’a­vais échap­pé belle. Ils ont la peau dure, ces ani­maux-là. Il aurait pu m’as­som­mer d’un coup de queue ou m’en­le­ver d’un coup de dent deux ou trois côte­lettes pour son déjeu­ner. En somme, il ne m’a­vait rien fait, je le lais­sai donc tran­quille, moi aus­si et m’é­loi­gnai rapi­de­ment, le nez tou­jours impré­gné de sa désa­gréable odeur. Cent mètres plus loin, je suais à grosses gouttes. Je suais et pour­tant j’a­vais des fris­sons dans le dos.

D’a­près un récit tiré de l’Al­ma­nach Noir.
(Mis­sions Afri­caines, Lyon)

His­toires extraites de D’un pas alerte par Berier-Gil­bert, ed. de l’É­cole, 1965

  1. [1] Qui cherche à endor­mir par le regard
  2. [2] Ron­gée par des insectes appe­lés ter­mites.
  3. [3] Le bled désigne un endroit désert.
  4. [4] La Pam­pa est la vaste plaine de l’A­mé­rique du Sud.

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