II
Saint Paul
Le Christ mourut, le Christ ressuscita, et voici l’ordre qu’en Galilée, apparaissant aux onze disciples, il leur donna, pour eux et pour les autres : « Allez, enseignez toutes les nations, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. » Quelques années plus tôt, ces pêcheurs, ces artisans, qu’étaient les douze apôtres et les soixante-douze disciples du Christ, heureux d’être le peuple élu du vrai Dieu, heureux de connaître ce Dieu que les païens ne connaissaient pas, étaient loin de penser que ce serait un jour leur rôle, à eux, d’aller annoncer aux païens que ce Dieu était venu sur terre, qu’ils l’avaient entendu prêcher, vu mourir, et de nouveau, après sa mort, entendu prêcher, et qu’il voulait désormais être connu de tous les hommes. Rien ne les préparait à ce rôle. Saint Pierre, qui par la volonté du Christ était le plus élevé en dignité, avait, hélas ! mal débuté dans la carrière d’apôtres ; il avait renié trois fois son maître divin devant les valets du magistrat Ponce Pilate. Mais ce maître lui avait par-donné. Et tout ce qu’il leur fallait à tous pour remplir leur fonction, tout ce qu’elle exigeait de savoir, et de compétence, et de vaillance, et de grâces, leur fut donné, le jour de la Pentecôte, lorsque tombèrent sur eux des langues de feu, et lorsqu’ils furent ainsi « remplis du Saint-Esprit ». Sur l’heure ils parlèrent toutes les langues de tous les peuples auxquels ils auraient à prêcher le Christ ; et sur l’heure, déjà, ils commençaient à le prêcher dans ces diverses langues.
Il y avait dans toutes les nations de petites colonies de Juifs ; ces apôtres venus de Judée allaient y chercher une hospitalité. Ils racontaient le crime commis par les Juifs, Jésus crucifié sur le Calvaire ; ils racontaient la revanche divine, cette revanche que de leurs propres yeux ils avaient vue : Jésus sorti du tombeau. Ainsi, les apôtres commençaient-ils, dans ces humbles communautés juives, leur métier de pécheurs d’hommes ; et puis, se glissant hors de ces petits cercles, ils s’en allaient dans les grandes villes païennes, colporter cet étonnant message aux oreilles qui voulaient l’entendre.
Durant les quatre ou cinq premières années qui suivirent la mort du Christ, un Juif du nom de Saul se montrait acharné contre les premières communautés chrétiennes. Un jour, il cheminait vers la grande ville syrienne de Damas, se proposant de ramener enchaînés à Jérusalem les chrétiens qu’il y trouverait. Tout à coup, autour de lui, une lumière du ciel brillait, Saul tombait à terre, et d’en haut une voix lui disait : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? Je suis Jésus que tu persécutes ; il est dur de regimber contre l’aiguillon. » Saul, stupéfait, tremblait. « Seigneur, disait-il, que voulez-vous que je fasse ? » Et le Seigneur répondait : « Lève-toi et entre dans la ville : là on te dira ce qu’il faut que tu fasses. » Saul avait les yeux ouverts, mais ne voyait plus rien : les hommes qui l’accompagnaient le prirent par la main, le firent entrer à Damas.
Trois jours après, Ananie, l’un des disciples du Christ, apprit dans une vision que ce Saul, cet ennemi de Dieu, avait été choisi par Dieu pour porter son nom devant les nations. Ananie s’en fut trouver Saul, lui rendit la vue, en lui imposant les mains, le baptisa. Quelques jours plus tard, dans les synagogues de Damas, une voix s’élevait, proclamant que Jésus était le Fils de Dieu ; quelques mois plus tard, sous le nom de Paul, ce persécuteur de la veille, devancier de tous les missionnaires des siècles futurs, s’en allait parler du Christ aux païens.
Rome régnait sur tous les peuples qui entouraient la Méditerranée ; les communications étaient faciles ; pour prêcher le Christ, les routes étaient largement ouvertes, routes de terre, routes de mer. Saint Paul voulut porter son nom partout où régnait la « paix romaine » ; il décidait qu’il irait de ville en ville, fondant des Églises, y séjournant plus ou moins longtemps suivant l’importance de la cité, les laissant ensuite entre les mains des prêtres qu’il faisait évêques, et s’en allant, lui, faire d’autres fondations. De l’année 45 à l’année 49, il parcourait toute l’Asie Mineure, et la Phrygie, et la Syrie. Il traversait la mer, et, de l’an 50 à l’an 52, il était en Macédoine, en Grèce : il constatait qu’Athènes attendait un « Dieu inconnu », et il venait faire connaître ce Dieu ; il consacrait dix-huit mois à fonder la grande Église de Corinthe. Un troisième voyage le ramenait en Asie durant les années 53 à 57 ; il séjournait près de deux ans et demi dans Éphèse, pour y installer solidement le christianisme. C’était une joie pour lui, en l’année 57, de grouper à Jérusalem, en une grande réunion, des délégués de toutes les Églises qu’il avait créées : on eût dit qu’à l’ombre du Calvaire il passait en revue toutes les forces spirituelles du christianisme oriental, filles de son zèle.
L’heure était venue maintenant de naviguer vers l’Occident ; saint Paul, en 58, annonçait aux Romains, par une lettre, son dessein d’aller les voir. Mais à Jérusalem, au cours d’une émeute, la police romaine l’arrêtait ; il était emprisonné ; citoyen romain, il avait le droit de n’être jugé que par César. On le menait à Rome. Prisonnier durant deux ans, on lui laissait beaucoup de liberté pour être apôtre : il en profitait. Le tribunal impérial l’acquittait. Saint Paul alors reprenait sa vie de voyages. On dit qu’il alla jusqu’en Espagne ; la Macédoine le revit, l’Asie Mineure aussi. Arrêté de nouveau, il avait la tête tranchée, à Rome, en 67, au temps même où saint Pierre était crucifié.
Sa vie avait été une vie d’épreuves : huit fois on l’avait flagellé ; une fois on avait voulu le tuer à coups de pierre ; trois fois il avait fait naufrage ; et son « inquiétude » continuelle au sujet des Églises qu’il avait fondées était peut-être la plus lourde de ses épreuves. Elles étaient couronnées par le coup de glaive qui le décapitait, au moment même où saint Pierre était crucifié : l’empereur Néron croyait en finir avec le christianisme, il se trompait. Pendant près de deux siècles et demi encore, d’autres empereurs caresseront la même illusion : les persécutions succéderont aux persécutions, et le christianisme se répandra, malgré les édits et malgré les supplices, jusqu’à ce qu’en 312 Constantin, premier empereur chrétien, accorde à la jeune Église du Christ le droit de vivre au soleil, et de prêcher librement, et d’aborder toutes les âmes, et de mettre son empreinte sur les lois.
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