∼∼ XXV ∼∼
Le train file à une allure vertigineuse. Voici Lyon, que domine la Vierge de Fourvière ; on la salue sans pouvoir s’arrêter. Il faut rouler longtemps encore, puis c’est Paray. Huit heures du soir. C’est ici que l’on passera la nuit, dans un petit hôtel, juste en face de la Visitation.
Après dîner, Jean réclame toute l’histoire des apparitions du Sacré-Cœur.
— Oui, dit son père, mais avant, réfléchissez avec moi. Dans quelques jours, nous aurons repris notre vie familiale, qui se trouvera très chargée pour votre mère comme pour moi, pendant ce rapide séjour en France. Nous n’aurons plus le temps de causer ainsi, indéfiniment.
Il faut donc que je trace à grands traits devant vous l’histoire religieuse des derniers siècles, si vous voulez avoir une vue d’ensemble. Ce coup d’œil sera, j’y insiste, absolument insuffisant. L’an prochain, nous en reprendrons l’étude à fond, sous une autre forme.
— Quel bonheur, papa. Comment ferons-nous ?
— Ça c’est mon secret, Colette. En attendant, suivez-moi bien.
En 1643, le roi de France, Louis XIII, après un règne glorieux, est mort entre les bras de saint Vincent de Paul ; quelques années plus tôt, il avait consacré la France à la Sainte Vierge.
— Ce qui nous vaut encore, n’est-ce pas, mon oncle, les jolies processions du 15 août ?
— Parfaitement, Bernard.
À Louis XIII succède Louis XIV. L’époque où nous sommes prend dans l’histoire le nom de « grand siècle », avec raison du reste, car ce siècle est vraiment grand. L’élite de la société française est encore foncièrement et puissamment chrétienne. Les esprits ont acquis une formation morale, une clarté littéraire, dont Bossuet, Bourdaloue, Fénelon, Corneille, Racine et tant d’autres, demeurent les témoins.
En même temps, c’est une admirable floraison d’œuvres. Saint Jean-Baptiste de La Salle fonde les Frères des Écoles chrétiennes ; saint Jean Eudes, la congrégation de Jésus et de Marie, qu’on appelle congrégation des Eudistes. Saint Pierre Fourier devient l’apôtre de la Lorraine, saint François Régis celui des Cévennes, le vénérable Père Maunoir, de la Bretagne ; saint Pierre Claver quitte l’Espagne, pour évangéliser les nègres, se fait leur esclave pour les sauver ; et, c’est à Grenade, en Espagne aussi, qu’ont été fondés les Frères de Saint-Jean de Dieu.
Mais il est dans les destinées de l’Église de ne pouvoir jouir de la paix. Depuis que les protestants ont jeté sur l’Europe une semence de révolte, on la voit sans cesse réapparaître sous des formes différentes. Elle donne une vigueur nouvelle au Gallicanisme, vieille erreur qui prétend mettre l’autorité du Concile au-dessus de celle du Pape.
Louis XIV et même plusieurs évêques eurent le tort de la soutenir, et ce n’est qu’après bien des luttes regrettables qu’ils se sont complètement soumis au Pape Innocent XII.
En même temps, l’hérésie va se cacher sous une autre sombre et froide erreur : le Jansénisme, qui en arrive à nier : 1° que Notre-Seigneur Jésus-Christ soit mort pour tous les hommes ; et 2° qu’on puisse toujours, avec la grâce, observer la loi de Dieu.
Bernard hausse les épaules.
— Ce Jansénisme, l’abbé G… le détestait ; quand il nous en parlait, c’était avec un tel mépris, qu’il nous en a donné l’horreur.
— Et il a bien fait. Malheureusement, au XVIIe siècle, beaucoup d’âmes de bonne volonté se sont laissé entraîner dans cette lamentable voie. L’erreur avait son siège au monastère de Port-Royal, tout près de Paris. L’abbé de Saint-Cyran, complètement empoisonné par ces doctrines jansénistes, obligeait les religieuses de Port-Royal et leur supérieure Angélique Arnauld à des pratiques incroyables ; par un prétendu respect , de Notre-Seigneur, elles en arrivaient à ne plus communier. Mais en revanche, elles trouvaient tout naturel de résister au Pape ; ce qui a fait dire qu’elles étaient pures comme des anges et orgueilleuses comme des démons. Les jansénistes ont prétendu plusieurs fois se soumettre aux condamnations de l’Église, en réalité leur soumission n’était pas sincère ; leur propagande sournoise et cachée continuait à tromper un grand nombre de catholiques.
C’est alors que se produisirent les révélations du Sacré-Cœur.
Bernadette cherche du regard la chapelle, dont la porte est à deux pas, de l’autre côté de la rue.
— Quand on pense que c’est là, dit-elle, songeuse.
— Oui, reprend son père. C’est bien émouvant. Ici même, au monastère de la Visitation, vivait, vous vous en souvenez, une très humble religieuse du nom de Marguerite-Marie. Notre-Seigneur l’avait choisie pour une grande mission. Elle devait rappeler au monde l’amour infini du Cœur de Jésus pour tous les hommes, et surtout pour les pauvres pécheurs. Voici comment elle raconte elle-même la deuxième grande révélation : « Une fois, entre les autres, que le Saint-Sacrement était exposé,… Jésus-Christ, mon doux Maître, se présenta à moi tout éclatant de gloire, avec ses cinq Plaies brillantes comme cinq soleils. Il me découvrit son tout aimant et tout aimable Cœur. »
Notre-Seigneur lui parla, se plaignit douloureusement de l’ingratitude des hommes et ajouta : « S’ils me rendaient quelques retours d’amour, j’estimerais peu tout ce que j’ai fait pour eux et voudrais, s’il se pouvait, en faire davantage. Toi, du moins, donne-moi ce plaisir de suppléer à leur ingratitude autant que tu en pourras être capable. »
Il y a là, voyez-vous, mes enfants, toute l’essence, les bases mêmes de la dévotion au Sacré-Cœur. Jésus répond au sombre Jansénisme, qui doute de Lui. Il proteste qu’Il aime de toute la tendresse de son Cœur les âmes de tous les hommes et qu’Il n’attend que la confiance filiale et le repentir des pauvres pécheurs, pour leur pardonner. Par ailleurs Il fait appel à la générosité des âmes fidèles, afin qu’elles réparent les péchés des autres, et consolent le Cœur Divin, si aimant et si peu aimé.
Sainte Marguerite-Marie a été dirigée dans sa mission par un Jésuite, le Père de La Colombière. Il a été récemment béatifié.
Pour le moment, assez causé, il est temps de monter se coucher, mes petits.
— Oh ! non, pas encore, supplie la jeunesse. Et Colette questionne :
— Est-ce que tout le monde a compris ce que demandait le Sacré-Cœur ?
— Non. Il a fallu près de deux siècles, et quels siècles !… Ah ! mes enfants, désormais, ce sont de tristes pages d’histoire.
— Dites-les tout de même, papa.
— Vous êtes insatiables… Puis, regardant malicieusement Colette : Tu dors debout.
Devant une explosion de protestations indignées, le narrateur est obligé de reprendre son récit.
— Tant pis pour vous, dit-il en riant, si maintenant ma conférence dure jusqu’à minuit ! Car nous devons encore, avant d’étudier cette douloureuse époque, remonter à Luther, pour en chercher les causes. Les raisonnements faux, ce qu’il est convenu d’appeler la philosophie » du XVIIIe siècle, dérivent plus ou moins du protestantisme.
On a bâti, avec ces doctrines lamentables, un tas de systèmes d’incrédulité, qui, d’Allemagne et de Hollande, sont passés en France. Jusqu’ici, depuis la fondation de l’Église, malgré les fautes et les erreurs des hommes, le Christ restait au centre de l’humanité. On était pour ou contre Lui, mais Il était là, dominant le monde. Maintenant on va nier jusqu’à son existence et remplacer Dieu et le Christ par l’homme lui-même. Tout tournera autour de l’homme, de sa nature, de sa raison, de ses prétendus droits, ainsi opposés aux droits de Dieu.
— C’est du joli ! grogne Bernard.
— Et il faut voir où cela va nous mener !
De saintes âmes le prévoient et voudraient, par leur immolation, arrêter la marée qui monte. Ainsi la fille de Louis XV, Madame Louise de France, qui quitte le palais de Versailles, pour s’ensevelir, avec d’autres femmes au grand cœur, dans le carmel de Saint-Denis.
Saint Alphonse de Ligori, fondateur des Rédemptoristes, saint Benoît Labre, l’héroïque pénitent, prient, souffrent, luttent.
Mais, hélas ! pendant ce temps, les philosophes continuent leur œuvre diabolique. Voltaire et Jean-Jacques Rousseau sont les pires, parmi ces prétendus réformateurs. Ils mettent leur talent au service de cette philosophie aussi impie que folle. Voltaire s’en allait répétant : « Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose. » — Pour une fois, il disait vrai, car la société française se laissait en effet imprégner de ces mensonges. Sous couvert de charité humaine, une secte se forme : c’est la Franc-Maçonnerie. En réalité, elle est au service du démon et incarne la haine de Dieu. Nombreux sont ceux qui se laissent prendre à ses fausses apparences ; par mode, par snobisme, une grande partie de l’élite intellectuelle française se dit libre-penseuse. Elle prépare sa propre ruine. Encore quelques années et, pour arrêter la Révolution qui va tout envahir dans un torrent de sang, il ne restera plus que les admirables familles chrétiennes des provinces de France, fidèles à leurs traditions, fortes aussi de cette dévotion au Sacré-Cœur « envoyée par Dieu comme un remède, qui devait sauver la France, au jour de la grande tribulation » !
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C’est encore sous l’impression de ces graves pensées, que chacun assiste à la messe, de bonne heure, le lendemain. La chapelle est enveloppée d’ombre. Toutes les petites lampes, qui brûlent dans leurs verres rouges, jettent une lueur très douce sur le chœur et la grille des religieuses. C’est là, contre cette grille, que sainte Marguerite-Marie a vu Notre-Seigneur. Là qu’elle a communié, aimé, souffert.
Un recueillement silencieux s’empare des âmes. Il fait bon prier ici. Les messes se succèdent ; cependant il faut partir.
Vite une visite au tombeau du bienheureux Père de La Colombière, et puis on saute dans l’omnibus qui mène à la gare.
Quand le train s’ébranle, une petite tête blonde se penche et deux grands yeux bleus cherchent à revoir le toit et la chapelle de la Visitation. Impossible ! Colette ne s’en trouble pas. Elle dit à Annie : Après tout, le Jésus de sainte Marguerite-Marie, nous l’emportons dans notre cœur !
Bonsoir Messieurs,
Oui, Notre-Seigneur parlait à Ste Marguerite-Marie du « Fils Aîné de Mon Sacré-Coeur » en parlant de Louis XIV et en faisant les demandes qui, hélas, n’ont pas été concrétisées, ce qui nous a valu, exactement 100 ans plus tard, la sinistre révolution !!!
Cette citation Divine « clôt le bec » de ceux qui voudraient, dans les mouvements royalistes, mettre en doute la légitimité, donc l’aînesse de Louis XIV !!! oui, hélas, ça existe !!! Louis XVI procéda bien à cette Consécration de la France, mais c’était quand il était déjà au Temple, donc trop tard. Ensuite, les princes de la Survivance de Louis XVII ont, eux aussi, procédé à cette Consécration.
Je vous présente mes amitiés. En union de prières.
P.S. : ATTENTION : c’est Henri IV qui est mort en 1610 et non son fils Louis XIII, décédé, lui, en 1643. Veillez à ce genre d’erreur qui dénotent sur vos remarquables textes. Amitiés.
Merci de m’avoir signaler l’erreur sur la date de la fin du règne de Louis XIII. C’est une coquille qui se trouve dans l’édition de 1935. C’est bien entendu une simple inattention des auteurs car l’ensemble de l’ouvrage est remarquable du point de vue historique.
Et merci aussi pour les éléments que vous nous donnez et qui complètent ce chapitre.