Tandis que M. le Régent est en conversation avec le nouveau Vicaire, les garçons de la deuxième classe se demandent s’il sera sévère ou indulgent, s’il donnera beaucoup ou peu de devoirs, et surtout, s’il racontera des histoires ?
Tout en lui remettant la liste des élèves, M. le Régent explique : « Il y en a 43. C’est beaucoup ! Mais je suis persuadé que tous vous feront plaisir, car ils travaillent bien, et ne sont pas méchants. Il y a Léon, avec qui il faudra de la patience, car il est très lent à comprendre, encore plus lent à apprendre. Parfois, malgré sa bonne volonté, il n’arrive pas à savoir sa leçon. Le pauvre garçon souffre des suites d’une chute très grave alors que tout petit, sa maman travaillant à la fabrique, il restait seul à la maison. »
Après cette explication, M. le Régent introduit le nouveau vicaire. 43 garçons se lèvent et saluent joyeusement : « Bonjour M. le Vicaire », tout en inspectant de haut en bas le nouvel Abbé.
Celui-ci, de son côté, examine rapidement les visages de ses nouveaux élèves, puis il s’installe au pupitre et la leçon commence.
* * *
Pendant la leçon, M. le Vicaire reconnut bientôt Léon à sa taille qui dépassait les autres de la hauteur de la tête. A partir des leçons suivantes, il le distingua surtout à son application ; car pour se préparer à la première communion, Léon suivait les leçons de catéchisme avec ardeur. Vraiment on ne peut lui en vouloir d’avoir mauvaise mémoire. De plus, Léon est profondément pieux ; lors de visites au Saint Sacrement, M. le Vicaire peut constater son recueillement En chemin déjà, il semble prier, méditer en silence, alors que ses camarades bavardent, se disputent même. En un mot, tout dans sa conduite prouve combien Léon se réjouit de pouvoir faire sa première communion. Le pauvre garçon a dû attendre si longtemps le bonheur de recevoir Jésus, Quelques jours avant la première communion, tout à coup, Léon tombe malade. Des douleurs le tourmentaient depuis plusieurs jours. Mais il n’en laissait rien voir ; personne ne remarquait avec quelle peine il se traînait aux leçons de catéchisme et aux exercices préparatoires à la première communion. Être malade tout juste avant le jour de la première communion ? Ah non ! Cela ne pouvait être, maintenant qu’il allait enfin recevoir Jésus ! Ainsi raisonnait le vaillant garçon.
Pendant deux, trois jours, Léon réussit à cacher son mal. Bientôt il n’y tint plus. Une nuit, il gémissait si fort, que sa maman l’entendit. Vite elle se leva et alla voir ce qui se passait. Quelle ne fut pas sa frayeur en voyant que son cher Léon avait si mal ! S’inquiétant, elle appelle tout de suite le docteur qui constate une appendicite, et ordonne l’opération, si ce n’est pas déjà trop tard !
Léon proteste, naturellement, mais en vain. En toute hâte, on le conduit à l’hôpital, pendant la nuit.
* * *
L’opération a lieu, mais hélas, les médecins se rendent compte immédiatement qu’on ne peut plus le sauver. Léon, il est vrai, ne sent rien et n’a pas conscience de cet état si grave. Quand une heure plus tard, il se réveille, sa première question est : « Pourrai-je me lever pour le jour de la première communion ?» Le cher enfant n’avait pas oublié sa première communion ! La garde malade raconta plus tard que, pendant l’opération, quand il était endormi, il avait toujours parlé du jour de sa première communion.
Heureusement sa maman répondit à sa question et le consola : « Non, mon petit Léon, je ne crois pas que tu seras assez bien jusqu’à ce jour-là, mais ne pleure pas, mon pauvre petit ! car si tu ne peux pas aller à Jésus, Jésus viendra à toi. Si tu le veux, tu peux déjà faire ta première Communion aujourd’hui même ! Jésus ne veut pas te faire attendre plus longtemps ; il a vu que tu désirais si fort le recevoir. Et il est si content de toi que peut-être il te prendra tout de suite avec lui au ciel. Cela ne te fait-il pas plaisir, mon cher petit ? »
Un autre enfant aurait peut-être été effrayé de ces paroles, mais Léon en fut enchanté. Recevoir Jésus déjà aujourd’hui, et même aller au ciel avec lui ! Y avait-il quelque chose de plus beau à souhaiter ?
Léon sourit malgré ses souffrances, joignit les mains et dit à sa maman : « Oh ! oui, si je peux, j’aimerais bien recevoir Jésus déjà aujourd’hui. »
Personne ne sachant combien de temps l’enfant avait encore à vivre, la maman avertit M, le Vicaire qui mieux que tout autre prêtre connaissait Léon, car l’enfant s’était confessé à lui pour la première fois, voilà deux semaines. Le prêtre arrive en toute hâte ; Léon se confesse encore une fois, comme le fait un bon premier communiant, qui veut avoir le cœur bien pur pour la visite de Jésus.
Puis Léon a le bonheur de faire sa première communion. Les cloches de l’église ne sonnent pas ; il ne porte pas ses beaux habits neufs, mais il a l’âme en fête. Les sœurs infirmières ont pour la circonstance transformé sa chambre en une petite chapelle ; des gerbes de fleurs blanches ornent le petit autel, tout comme à l’église le jour d’une première communion.
Le papa et la maman de Léon sont à genoux près du lit, quand M. le Vicaire apporte Jésus. Le pauvre enfant, trop faible pour se soulever, fait tout son possible pour répéter les prières dites par le prêtre. Il s’était donné tant de peine pour les apprendre par cœur, mais il n’y était jamais arrivé ; maintenant il les dit de tout son cœur n’ayant qu’à les répéter mot à mot.
Avec une grande ferveur Léon reçoit Jésus pour la première et… pour la dernière fois de sa vie.
Dans sa chambre de malade tout est silencieux comme à l’église ; comme à l’église aussi, Jésus parle doucement à son âme.
Quand M. le Vicaire quitta Léon, celui-ci lui dit : « J’ai pu communier avant mes compagnons ; j’ai demandé à Jésus de les bénir. » II ne sait comment montrer sa joie ; et pourtant il sait qu’il va bientôt mourir. Savoir qu’il peut aller tout de suite auprès de Jésus, c’est pour lui un grand bonheur.
La sœur garde-malade raconta à M. le Vicaire comment, le lendemain, Jésus vint chercher son cher Léon. N’ayant plus toute sa connaissance, dans son délire, il chantait et priait. Ses paroles révélaient bien les pensées des derniers temps de sa vie ; on le sentait mûr pour le ciel.
C’est en chantant : « Jésus, doux et humble de cœur, prenez mon cœur, qu’il soit bien vôtre », que Léon a terminé sa vie et qu’il est allé voir Jésus. Son ardent désir était enfin réalisé.
* * *
L’enterrement a eu lieu la veille de la première communion paroissiale. Léon reposait dans un cercueil tout blanc, entouré de fleurs blanches. Et quand le cercueil fut descendu dans la tombe, chacun de ses compagnons lança encore un petit bouquet blanc. Toute cette blancheur symbolisait à merveille l’innocence et la pureté de l’âme du cher enfant. Rien d’étonnant que Jésus l’ait choisi pour son ciel dès sa première visite.
Ce départ si rapide pour le ciel d’un des premiers communiants mit dans le cœur des enfants tant de recueillement que la fête de la première communion fut plus belle que les autres années.
Léon, qui n’avait été qu’un pauvre garçon, le dernier à l’école et partout, devenait la bénédiction de ses compagnons, car il avait été grand devant le Bon Dieu, grand par sa bonne volonté, sa piété sincère et son désir de recevoir Jésus. Maintenant qu’il voyait Jésus dans toute sa gloire, il n’oubliait pas ceux qui, pour la première fois, le recevaient dans leur cœur.
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