Depuis quelque temps déjà, M. le Vicaire trouvait que Jean avait changé ; il semblait que quelque chose n’allait pas. Lui, si gai autrefois, presque trop, il devenait morose, triste.
Un jour, que M. le Vicaire expliquait le malheur qu’il y a à commettre le péché mortel, qui nous conduit en enfer pour toujours, Jean s’était mis à pleurer à chaudes larmes. Il avait essayé de se cacher derrière un camarade, mais les yeux de M. le Vicaire l’eurent bientôt découvert.
« Qu’est-ce qui peut bien lui faire tant de peine ? » se demanda M. l’Abbé.
Après la leçon, les enfants se disputaient l’honneur de porter la serviette du prêtre. Ce jour là, Jean lui rendit ce service et l’accompagna jusqu’à la maison. Arrivé à la cure, Jean ne fut pas étonné d’entendre M. le Vicaire l’inviter à entrer chez lui ; c’était l’habitude.
« Eh bien, mon petit Jean, assieds-toi un instant, dit M. le Vicaire en avançant une chaise. Et maintenant, dis-moi ce qui te fait tant de peine ! » lui demanda-t-il gentiment.
Le petit rougit comme un coquelicot et se rendit compte du pourquoi de l’aimable invitation. Il hésitait. Comment expliquer son chagrin, ce chagrin qui le faisait pleurer souvent le soir dans son lit ?
Non, il ne pouvait parler ; il avait honte de dire ce qu’il aurait dû raconter. Mais le prêtre ne le pressa pas ; il attendit tranquillement. Jean comprit que le prêtre lui voulait du bien ; alors, il surmonta sa crainte et raconta quelle était sa grande croix.
Oui, il avait une croix, le petit Jean ! Et cette croix, c’était son père, qu’il aimait pourtant beaucoup. Peu à peu, Jean confia à M. le Vicaire que son papa n’allait jamais à l’église, qu’il se moquait de maman quand elle priait avec les enfants. Il se moquait même du bon Dieu. « Il est seulement pour les riches, ton bon Dieu », disait-il. Et depuis que lui, Jean, se préparait à la première communion, son père ne le laissait plus tranquille. Le soir, quand il rentrait de la fabrique, il commençait à le chicaner. « Aucun homme raisonnable ne peut croire que Jésus habite dans un peu de pain, avait-il dit hier. Si vraiment il y avait un Dieu, il aurait autre chose à faire que de s’occuper des hommes. »
« Voilà comment parle mon papa, sanglota le petit Jean. Il commet sans doute un péché mortel, quand il parle ainsi, n’est-ce pas ? Et vous avez dit, que si on mourait avec un péché grave, on perdait le ciel à jamais, j’ai essayé de lui parler des leçons de catéchisme, à mon papa ; mais il ne veut pas m’écouter. Il se fâche encore plus, il est même arrivé qu’il m’ait battu. »
Jean avait dit ces derniers mots tout bas. On voyait combien cela lui coûtait de raconter ces choses. Il aimait beaucoup son papa et ne voulait l’accuser auprès de personne. Si M. le Vicaire ne l’avait pas questionné, Jean serait resté un petit héros caché, qui aurait continué à porter sa croix sans se plaindre.
Oui, Jean est un héros, car il reste fidèle à Jésus, bien qu’il soit battu à cause de sa foi.
M. le Vicaire se mit à consoler le garçon : « Mon petit Jean, je ne connais pas ton père, je ne peux et ne veux pas le juger, ni le critiquer. Tu ne l’as pas fait non plus, et c’est beau de ta part. Espérons que Dieu ne compte pas tout comme péché mortel. Peut-être ton père n’a-t-il pas eu l’occasion d’aller au catéchisme quand il avait ton âge. Il agît sans comprendre, certainement ; peut-être n’a-t-il pas eu une maman aussi pieuse que celle que le bon Dieu t’a donnée. Cependant, il veut lui donner une grande grâce par toi. Un premier communiant, dans une maison, attire de grandes bénédictions. Pendant ces semaines de préparation tu prieras beaucoup pour ton papa. Si jamais il te bat, tu diras à Jésus : « Je vous offre cela pour mon papa, pour qu’il se convertisse ! » Et tu seras pieux et joyeux, malgré ses moqueries. Tu aimeras quand même ton papa et le jour de ta première communion, tu prieras encore davantage pour lui. » Ces bonnes paroles calmèrent le petit garçon en pleurs. Peu à peu, les larmes s’arrêtèrent et le petit Jean, encouragé et consolé remercia gentiment le prêtre et rentra à la maison en courant.
Depuis cette discussion avec M. le Vicaire, Jean semblait avoir repris son entrain : le jour de la première communion se passa sans incident. Mais quelques semaines après la première communion, M. le Vicaire était appelé auprès de Jean, gravement malade. Sa maman pensait qu’il fallait même l’administrer ; l’enfant n’allait vraiment pas bien.
« Que peut-il avoir, ce petit Jean ? » se demanda M. le Vicaire pendant qu’il était en route pour aller le voir. Il apprit bientôt que le pauvre garçon avait une méningite, maladie qui fait beaucoup souffrir, et qui est souvent mortelle.
M. le Vicaire trouva la maman auprès de son petit Jean, lui faisant des compresses de glace sur le front, pour calmer un peu les souffrances. Elle salua le prêtre d’un petit signe de tête. Pauvre maman, elle avait tant de chagrin qu’elle ne pouvait pas parler ; et elle était si fatiguée. Bientôt, elle quitta la chambre pour laisser M. le Vicaire seul avec le petit malade, car Jean voulait se confesser.
Après la confession, Jean confia son secret au prêtre qui l’encouragea. Son secret le voici. Il avait dit à Jésus, le jour de sa première communion : « Mon Jésus, j’ai un bon papa, il travaille toute la journée pour nous, je l’aime beaucoup ; mais malheureusement il ne veut rien savoir de vous, et il ne va jamais à l’église. Cela me fait de la peine. Jésus, faites que mon papa croie et prie de nouveau. Je vous offre ma vie pour lui. Prenez-la, si vous voulez, mais faites que nous nous retrouvions tous au ciel un jour. »
Cette offrande, il semblait que Jésus l’avait acceptée : Jean était sur son lit de mort. Sa nature robuste se défendait encore, mais elle ne tiendrait plus longtemps, on le voyait.
M. le Vicaire encourage le petit héros. Il met un crucifix entre ses mains, pour qu’il ait toujours devant lui Jésus mourant et qu’il lui offre toutes ses souffrances. Il promet de lui apporter Jésus le lendemain matin, pour le fortifier. Et ce sera le viatique, si c’est la volonté de Dieu qu’il meure.
Le soir même, très tard, une visite s’annonça à la cure. C’était le papa de Jean. Lui, qui depuis des années n’était jamais entré dans une église, ni dans une cure ! Le chagrin de savoir son enfant malade l’avait amené. Il paraissait tout confus, quand il demanda le prêtre qui enseignait le catéchisme à Jean.
Mis en confiance par l’amabilité de M. le Vicaire, le papa de Jean avoua sa faute envers son petit garçon et fit sa louange.
« M. le Vicaire, dit-il, vous ne savez pas quel gentil garçon j’ai ; il ne nous a jamais été une cause de mécontentement. Il est malade maintenant, et il va mourir, c’est le premier chagrin qu’il nous fait. Et ce n’est pas sa faute, il n’y peut rien. Oh ! j’ai honte de le dire : je l’ai souvent contrarié. Je me suis moqué de lui à cause du catéchisme, je voulais lui gâter la joie de sa première communion. Je l’ai même battu, car sa patience m’enrageait et je n’étais plus maître de moi. Et que faisait-il alors ? Il me regardait avec tendresse, un peu ému, et je crois même qu’il priait. Vous voyez, au fond. Dieu à raison de me prendre cet enfant ; je ne suis pas digne de posséder ce petit ange. Je vous promets une chose, si notre garçon guérit, je veux de nouveau croire en Dieu, aller à la messe et recevoir les sacrements. »
Ce n’était pas facile pour M. le Vicaire de consoler le papa du petit Jean ; il était bien embarrassé et surpris. Il pria pour demander conseil à Dieu, Quels sont vos desseins, mon Dieu ?
Les plans du bon Dieu ? qui les connaîtra ?… Jean, qui s’était offert en sacrifice pour son père, mourut quelques jours après. Pour l’enfant, c’était plutôt un bonheur, car c’était la délivrance de ses grandes souffrances supportées avec tant de patience. Et puis, il était mort dans l’innocence baptismale ! Quel plus grand bonheur souhaiter que de quitter la terre en pleine pureté et innocence pour aller tout droit au ciel ?
Mais le papa de Jean était inconsolable. Jusqu’au dernier moment il avait espéré que son petit garçon guérirait, que Dieu accepterait sa promesse.
Quand il vît son fils mort, il lança à Dieu un terrible défi. Dieu n’a pas voulu ! Eh bien, moi non plus, je ne veux plus de lui !
Cependant, plus le pauvre papa regardait son enfant, plus le calme pénétrait son cœur. Tout à coup, il ne put pas faire autrement, il tomba à genoux, pleurant et… priant. Il était comme forcé de parler de nouveau au bon Dieu. Il sentait que son petit Jean était en paradis, qu’il était mieux auprès de Dieu que sur la terre.
Le petit Jean sans doute remerciait le Bon Dieu d’avoir touché l’âme de son cher papa.
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