« Comment, Oscar ! Tu ne manques pas seulement la messe, tu dis encore des mensonges ? … Tu m’as menti quatre fois maintenant, avant d’avouer que tu es allé jouer au football au lieu d’aller à l’église ! » M. le Curé avait l’air fâché. Il ne peut pas souffrir les mensonges.
Oscar, le menteur attrapé, se serait volontiers caché derrière un banc ou aurait préféré disparaître complètement. En effet, c’est très désagréable d’être grondé devant toute la classe.
« Va à ta place, dit enfin M. te Curé, tu devrais avoir honte ! Mentir, c’est vilain ! et pour un garçon qui se prépare à la première communion c’est doublement vilain ! Écoutez, mes chers enfants, je vais vous raconter une histoire afin que vous sachiez pourquoi un premier communiant ne doit pas tromper, ni tricher, ni mentir.
L’histoire est bien vieille ; il y a 1500 ans qu’elle est arrivée. Je l’ai lue quand j’étais enfant, et je ne l’ai jamais oubliée. Pour mieux comprendre cette histoire, il faut savoir qu’en ce temps-là, le prêtre ne plaçait pas tout de suite la sainte hostie sur la langue du communiant, mais sur sa main droite ; chacun, se donnait la sainte communion lui-même. Voici ce qui arriva.
Un jour, un pauvre homme vint demander l’aumône au saint évêque Paulin. Le bon évêque lui donna volontiers quelque chose ; le mendiant avait l’air tellement misérable. Mais quelle terreur le saisit quand l’homme tendit sa main pour recevoir l’aumône ! Elle était toute desséchée, comme une branche morte. Plein de compassion, le saint lui demanda : « Pauvre homme, quelle maladie avez-vous eue ? Pourquoi votre bras est-il mort ? »
Le mendiant était embarrassé. Il regarda à droite, à gauche, avant de répondre.
« Bon Père, commença-t-il à raconter à mi-voix, vous êtes évêques, vous comprendrez ce que je vais vous confier. Dans ma jeunesse, je désobéissais souvent à ma mère, je gaspillais, par une vie vicieuse, ce qu’elle gagnait par son dur labeur. Et il m’en fallait toujours plus. Un jour, je voulus prendre de force le dernier argent qu’elle avait, mais elle me le refusa, parce qu’elle me connaissait. Elle savait que je m’en servirais pour mal faire. Alors une colère folle me saisit. Je ne savais plus ce que je faisais. Avec cette main, je n’ai pas seulement battu ma mère, mais je l’ai tuée. Le lendemain, c’était le Jeudi Saint, une fête où toute la paroisse s’approchait de la table sainte. J’y allais aussi, par crainte qu’on ne remarquât mon absence et qu’on ne devinât en moi le malfaiteur. Cette main, avec laquelle j’avais tué ma mère, je la tendis pour recevoir les saintes espèces. A peine avais-je touché la sainte hostie que ma main se raidit et se dessécha après d’horribles souffrances. J’eus juste le temps de cacher cette main sous mes habits, pour que personne ne la vît et je me sauvai en criant de douleur et de frayeur. Depuis, je suis sans asile et je porte cette main comme punition du ciel. »
L’évêque écouta cette histoire effrayante. Bien qu’il eût le péché en horreur, il fut touché de pitié quand il apprît la punition du mendiant
Que Dieu l’avait durement affligé pour sa faute !
« Faites pénitence, dit l’évêque au pauvre homme et votre faute sera remise. Ayez confiance dans la grâce et la miséricorde du Seigneur, et votre main sera guérie ! »
Le mendiant accepta cette exhortation avec reconnaissance. Que d’années il avait souffert du poids de ce péché ! Il était prêt à accomplir la plus grande pénitence pour obtenir la paix de l’âme.
« Que ma main reste comme elle est ; j’ai mérité cette punition pour toute ma vie, car j’ai reçu indignement le corps du Seigneur et j’ai péché contre ma mère. Mais admettez-moi parmi les pénitents. »
L’évêque lui accorda volontiers ce qu’il demandait. Le jour convenu, le mendiant vint à l’église, vêtu d’une robe de pénitence. L’évêque lui mit des cendres sur la tête en signe de pénitence, comme on fait chez nous le mercredi des Cendres. Ensuite, publiquement, il imposa la pénitence au mendiant. Elle était très dure en ce temps-là. Imaginez-vous : il devait prier et jeûner pendant sept ans avant de recevoir l’absolution et il ne lui était même pas permis de prendre part au service religieux.
Le mendiant, contrit, accepta et fit généreusement la dure pénitence. Avec les années, son zèle augmenta encore, et toute la paroisse s’en édifiait.
Quand les sept années furent passées, le pénitent reçut l’absolution. C’était un jeudi saint, donc le même jour que celui où il avait commis son crime.
Tous ceux qui étaient présents avaient les larmes aux yeux quand ils purent embrasser comme un frère le pécheur repentant et pardonné.
Après l’absolution, on célébra la messe. La promesse de l’évêque se réalisa au moment de la sainte communion. Dès que le pénitent tint l’hostie sur sa main desséchée, la vie et la force y coulèrent de nouveau. Elle fut complètement guérie.
« Eh bien, mes enfants, continua M. le Curé, devinez-vous peut-être ce que signifie pour vous cette histoire du mendiant à la main desséchée ?
« Aujourd’hui, quand vous communiez, on ne dépose plus l’hostie sur votre main, mais sur votre langue. Cette langue est comme une patène sur laquelle Jésus repose avant d’entrer dans votre cœur. Imaginez-vous maintenant cette patène, quand la langue ment et que les lèvres trompent ! Comme elle doit être sale ! Combien elle doit être repoussante pour l’hôte divin, qui voit tout et qui sait tout. II préférerait ne pas se reposer sur cette patène, car, il se rend bien compte que cette âme n’est pas prête à le recevoir. Je vous ai raconté l’histoire du mendiant à la main desséchée pour que vous preniez cette résolution : la patène qui porte Jésus, avant qu’il entre chez moi, ne doit pas être profanée par le mensonge ni par aucun péché. »
M. le Curé se tut. Les enfants avaient écouté sans respirer. Dans leurs yeux, on avait pu lire l’horreur que causent la communion sacrilège et le meurtre ; puis, la pitié pour le pécheur repentant. Et à la fin, quand vint l’application pour eux-mêmes, l’un ou l’autre enfant approuva d’un signe de tête. Oscar était du nombre. M. le Curé à son tour fit un petit signe lui aussi, comme pour dire : « Je suis content de vous. »
Quelques années plus tard, j’ai moi-même enseigné le catéchisme à ces enfants. Les petits avaient grandi, ils étaient en sixième classe. Je ne sais plus exactement comment cela s’est passé, mais un jour je posai la question : « Qui n’a rien appris pour aujourd’hui ? »
Je fus étonné d’en voir douze lever la main sans autre. Déjà, j’allais gronder. C’est tout de même un peu fort : un tiers de la classe qui n’a rien appris ! Mais tout de suite, je ressentis quelque chose, comme de la joie. N’est-ce pas beau que garçons et filles n’hésitent pas à avouer leur faute, bien qu’ils sachent qu’ils seront retenus à l’école pour apprendre leur leçon ?
Au dîner, j’ai parlé de cet événement à M. le Curé. Alors il m’a raconté la leçon de catéchisme d’autre fois et cette histoire de la main desséchée. Les enfants l’avaient tellement prise à cœur, que cinq ans après, aucun n’avait voulu mentir !
Le dimanche suivant, ces élèves de sixième classe faisaient la communion générale. J’eus la joie de les communier. Pendant que je portais Jésus de l’autel à la table de communion où les enfants attendaient, je dis au Bon Maître : « Jésus, prenez plaisir à l’âme de ces enfants, bien que tout ne soit peut-être pas parfaitement propre et orné pour votre visite. Ces enfants sont peut-être encore un peu paresseux, peut-être ont-ils encore d’autres défauts, cependant leur patène est d’or pur, prenez plaisir en leur cœur. »
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