Elle avait quatorze ans, elle était brune, très brune avec de longs cheveux ; elle vivait très heureuse chez elle, entre son papa et sa maman, dans une petite ville toute blanche, plantée au bord d’un grand lac transparent sous un ciel très bleu.
Cela se passait il y a très, très longtemps, dans un pays d’Orient.
Les bourgeons commençaient à éclater un peu partout et, de maison en maison, on s’aidait, on s’activait pour préparer le grand voyage que faisaient chaque année tous les habitants du pays vers la Grande Ville… Depuis deux ans déjà, la petite fille était de la partie.
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Enfin, le départ arrive. Ce matin-là, tous les enfants sont dans la rue : les aînés, leur baluchon sous le bras, courent partout. Les papas remplissent les sacs de provisions, les mamans confient une fois encore les petits, qui sont accrochés à leurs jupes, aux grand-mères et aux grands-pères trop âgés pour faire la route…
Toute la journée, on marche sous le soleil. À midi, on s’est seulement arrêté deux heures pour « casser la croûte » à l’ombre de grands palmiers, sous lesquels on a dormi pour reprendre des forces. Puis la caravane s’est remise à marcher…
Le soir tombe. Dans un endroit très calme, on a décidé de passer la nuit. Les enfants, fatigués, se serrent contre leurs parents. Tout le monde s’assied ; on déballe les provisions, on partage, on échange. Puis les hommes allument de grands feux, et, autour de la flamme, on écoute le récit de belles histoires que le plus âgés des hommes, un vieillard à barbe blanche, raconte longuement.
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Au soir de sa troisième journée de voyage, la petite fille s’arrête brusquement au détour du chemin et désigne l’horizon : la grande ville, toute blanche, se détache sur le ciel rouge du soleil couchant…
Et c’est là que la nuit se passe… Au petit matin, la caravane se remet en route au rythme des traditionnels chants de marche.
Tout à coup, un arrêt : au loin, à la porte de la ville, on entend crier… C’est un bruit de foule, comme une manifestation. À mesure qu’on approche, on distingue en effet toute une masse de gens brandissant de grandes branches de palmiers, et hurlant : « Vivat ! » Cela augmente de plus en plus, et la petite fille, se faufilant à travers les hommes et les femmes qui encombrent la route, arrive à voir, assis sur un petit âne gris, un homme… Douze de ses amis l’entourent, essayant de faire la police, d’empêcher la foule en délire de l’étouffer…
Lui est très beau, très calme ; dans ses yeux, on lit une immense paix et aussi une ombre de tristesse. La petite fille s’arrête : elle L’a reconnu, c’est Lui qui est venu, il y a deux ans, à la maison… Elle se rappelle comme déjà alors elle avait senti la même force qui s’échappait de Lui pour la pénétrer, et comme elle avait désiré, à ce moment-là, être meilleure ! Depuis, bien sûr, elle avait encore fait bien des bêtises, qui lui avaient valu quelques taloches, mais tout de même, elle n’avait jamais oublié la visite reçue à la maison, au printemps, quand elle avait douze ans : c’était justement un tout petit peu avant son premier voyage vers la grande ville.
Pendant qu’elle revivait en souvenir tout cela, la foule l’a bousculée, sans qu’elle s’en aperçoive, puis s’est éloignée, et, quand la petite fille sort de sa rêverie, elle se trouve seule au bord du chemin… Vite, elle cueille, elle aussi, une immense palme à un arbre voisin, et elle s’élance dans la direction où les cris s’entendent encore… Essoufflée, mais rayonnante de joie, elle se mêle à la foule, elle se faufile le plus près possible du petit âne, et elle joint ses louanges à celles de tout le monde, jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus crier. Pendant trois jours, il y a dans la ville un vaste remue-ménage.
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Mais, à partir du mercredi, les gens circulent plus vite. Dans les embrasures des portes, on chuchote tout bas des choses mystérieuses :
« Vous ne le répéterez pas, mais j’ai vu mon cousin qui m’a dit…
— Je vous le dis à vous, mais surtout ne le répétez à personne. »
Et, quand elle s’approche pour essayer de savoir, elle reçoit une taloche. Une ou deux fois, elle comprend qu’il s’agit de cet homme que tous acclamaient dimanche…
Alors, la petite fille veut savoir à tout prix… La nuit, des ombres passent devant les portes, longeant les murs. Les yeux grands ouverts dans le noir, elle regarde, elle cherche à entendre, à comprendre. Cela dure depuis deux jours… N’y tenant plus, elle se lève, le cœur serré par une peur terrible ; sans bruit, pour ne pas réveiller Papa et Maman, elle entr’ouvre la porte et sort. Rasant les murs, se cachant dans les recoins des ruelles, pieds nus pour ne pas faire de bruit, elle regarde. De rue en rue, elle arrive à un grand mur clôturant un jardin public, à l’extrémité de la ville…
Du bruit… Prise de panique, elle se tapit dans un buisson. De là, elle distinguera sans qu’on la voie. Mais qu’arrive-t-il ? Des torches brillent, et un groupe d’homme, l’air mauvais, sort du jardin. À la lueur des torches, elle reconnaît, enchaîné, Celui qui était l’objet d’une si grande fête, il y a quatre jours… Il a le même air de paix : Il rayonne de calme au milieu des hommes, qui L’entourent, pleins de haine.
La petite fille ne peut plus bouger… Oui ! ils L’ont arrêté ? Mais pourquoi ? Partout où Il est allé, Il a rendu service. Il a été bon pour tous, et Il aimait tant les petits enfants qu’Il leur racontait de belles histoires… Glacée d’épouvante, elle reste là jusqu’au jour. Puis elle va retrouver ses parents et, de grosses larmes roulant sur ses joues, leur annonce : « Ils L’ont arrêté… »
***
Toute la journée, une agitation fébrile a secoué la ville. La petite fille a cherché à savoir… Les uns disent : « Il faut qu’il meure ! » Les autres ne disent rien.
Et tout d’un coup, la nouvelle se répand partout que le gouverneur de la ville va Le faire battre avec des fouets et des verges, comme on battait les esclaves à ce moment-là.
Pendant plus d’une heure, on ne sait rien de nouveau. Une heure d’angoisse durant laquelle elle pense à la souffrance de cet homme dont personne n’a pitié.
Elle va ici et là, de rue en rue, essayant de savoir si c’est bientôt fini, si on va enfin Le délivrer. Elle voudrait Le voir, Lui dire que, si tous les autres Lui veulent du mal, elle au moins L’aime de tout son cœur.
Mais rien, la foule est accrochée aux grilles et hurle pour obtenir sa mort. On ne peut même pas approcher…
La petite fille n’en peut plus ; elle s’est effondrée sur la marche d’une maison, comme évanouie.
Tout à coup, elle se redresse… Des cris horribles se font entendre : « À mort ! À mort ! »
Elle n’y tient plus, et s’enfuit. Elle marche, longtemps, partout, comme une folle ; et au détour d’une rue, elle voit un groupe de femmes : sa maman à Lui est là. Elle ne pleure pas ; elle est seulement très pâle. Son visage est creusé d’angoisse à la pensée de tout ce que souffre « son petit ». La petite fille la reconnaît bien : elle l’a vue, elle aussi, il y a deux ans. Alors, n’y tenant plus, elle se jette à son cou et l’embrasse très fort.
À ce moment-là, la foule s’écarte, des pierres volent, et l’on reconnaît, conduisant au supplice Celui qui était le triomphateur du dimanche précédent, ceux qui L’acclamaient. Lui est couvert de sang et de crachats. Il porte deux énormes poutres de bois.
Sa maman est devenue plus pâle encore. Leurs yeux se sont croisés, une minute. Mais Lui a été obligé de continuer sa route, sans s’arrêter. Sa maman n’est pas tombée, mais la fillette s’est évanouie : c’était trop horrible.
Quand elle s’est réveillée, la maman et le papa de la petite fille étaient près d’elle et, à leur regard, elle a compris qu’il était mort. Plus personne n’en parlait. Si elle allait mieux, on allait repartir. La petite fille a dormi longtemps, longtemps… elle a encore un peu mal à la tête, mais l’air lui fera du bien.
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Le retour vers sa petite ville est triste ; elle ne peut plus rire, ni manger, ni dormir : sans cesse, elle pense à tout ce qu’elle a vu.
Le temps lui semble long. Elle aide sa maman, cuit le pain, va chercher l’eau à la fontaine, balaie la maison et nettoie la vaisselle. Mais elle n’a plus le courage d’aller faire de grandes parties avec ses camarades, comme avant. Son cœur est lourd ; elle a peur, elle espère… elle ne sait pas quoi, mais elle voudrait qu’il se passe quelque chose… quelque chose qui change ce qui est arrivé…
Un jour, alors qu’elle est à la fontaine, un homme arrive en courant, criant partout : « Celui qu’on a exécuté vendredi, à la grande ville, et bien ! ses amis L’ont revu… Oui, ils étaient tous ensemble, et Il est venu les trouver !… »
Bientôt tout le village est là, discutant la chose…
« C’est de la blague !…
— Mais non, puisqu’on L’a vu… » Les langues vont bon train…
La petite fille écoute, de toutes ses oreilles. Un immense espoir gonfle son cœur… Si c’était vrai !… Elle a envie de crier, de chanter, de pleurer ! Elle voudrait Le revoir !
La journée s’achève sans qu’on puisse en savoir plus long. Et le lendemain, c’est à qui la découragera :
« Voyons, ma petite fille, il faut être raisonnable : tu sais bien que c’est impossible !… »
Seuls, son papa et sa maman croient que c’est peut-être vrai.
Un soir, la petite fille est rentrée très triste : sa meilleure petite amie elle-même lui a dit que ce n’était sûrement pas vrai. Elle n’a pas mangé ce soir-là. Et après le dîner, elle est allée s’asseoir devant la maison, toute seule ; et puis, elle a réfléchi. Elle a repensé à tout ce qui était arrivé. Et tout à coup elle a revu le visage de sa maman à Lui, de sa maman qu’elle avait embrassée… « Si c’est vrai, qu’il est vivant de nouveau, elle doit sûrement le savoir !.. Je veux la voir… »
Et la petite fille attend que Papa et Maman dorment. Elle prend un petit sac avec des provisions, et elle part. La lune éclaire la route. Elle a peur, mais elle veut arriver à tout prix…
***
Les kilomètres s’ajoutent aux kilomètres. Elle ne veut pas s’arrêter cette nuit de peur qu’on la retrouve avant qu’elle ait découvert la vérité…
Le lendemain, après quelques heures de repos, elle reprend la route. Pour ne pas se perdre, elle suit un fleuve dans lequel, quand elle a trop mal aux pieds, elle barbote un moment…
La nuit, elle s’enveloppe dans son manteau et dort dans un buisson. Elle est si fatiguée qu’elle n’a même plus le temps d’avoir peur.
Un beau matin, elle se trouve au tournant du chemin d’où l’on distingue la Grande Ville.
Plus que quelques kilomètres. Elle les fait en courant…
De porte en porte, elle frappe, demandant… Elle n’est pas bien reçue, mais ne se décourage pas…
Le soir, enfin, un homme, en qui elle reconnaît celui qui avait conduit le petit âne, lui ouvre…
Une femme est là, au fond de la pièce…
« Jean, qui est-ce ? » demande-t-elle.
La fillette est entrée… Et c’est dans les bras de sa maman à Lui qu’elle ose demander : « C’est vrai ? » Dans un baiser, la maman lui répond : « Oui ! »
Ce que tu viens d’entendre, tu penses peut-être que c’est « une histoire », et qu’on a inventé les personnages ?… Non. Celui qui a été torture et mis à mort, c’est le Christ Jésus, et la fillette dont il est question, c’est la petite fille de Jaïre, à qui Jésus avait rendu la vie lorsqu’à douze ans, après une longue maladie, elle était morte.
U. M.
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