Catégorie : <span>Par un groupe de pères et de mères de familles</span>

Auteur : Par un groupe de pères et de mères de familles | Ouvrage : Histoire Sainte illustrée .

Temps de lec­ture : 14 minutes

X

Colette est inquiète. Elle a trou­vé Maria­nick endor­mie sur sa chaise dans la cui­sine et le visage pâle à mourir.

Dou­ce­ment réveillée, la bonne vieille a sou­ri, de ce sou­rire qui court à peine sur ses lèvres trop minces, pour dire :

— Las ! je ne suis plus bonne à rien, ma jolie !

Et Colette a sur­pris une las­si­tude infi­nie dans les yeux fidèles qui se rivaient aux siens. Alors, elle a effleu­ré d’un bai­ser le front ser­ré dans la coiffe blanche, comme elle eût posé les lèvres sur l’i­mage de quelque vieille sainte, au pays des landes et des genêts, puis elle a répon­du gaiement :

— Tu en fais trop ! C’est de l’or­gueil, vois-tu, de refu­ser tou­jours de l’aide, et je t’a­ver­tis que je suis par­fai­te­ment déci­dée à liguer tout le monde contré toi, pour que tu acceptes un peu de secours. Qu’est-ce qu’on devien­drait sans toi, Maria­nick ! On va te soi­gner, ma vieille, que tu le veuilles ou non. Et tu seras obli­gée de beso­gner encore des années sur cette « pauvre terre », comme tu dis !…

Plai­san­tant ain­si pour cacher son émoi, Colette court cher­cher sa mère.

Il fal­lut cou­cher Maria­nick et, pen­dant quelques jours, la main­te­nir de force à la chambre. Elle répé­tait : C’est‑y pas mal­heu­reux ! Où je vas-t‑y retrou­ver mes pauvres affaires ? Défen­dez tou­jours à Ber­nard de mettre le nez dans l’of­fice, y serait capable de mélan­ger l’huile et le vinaigre dans la même bou­teille ! Hélas ! quand la bonne vieille redes­cen­dit à la cui­sine, elle n’y retrou­va pas Ber­nard, mais un petit Bédouin, avec un visage de demoi­selle, des yeux noirs qui lui pre­naient toute la figure, une robe qui cou­vrait presque ses pieds nus, et des gestes de jeune chat adroit, souple et malin.

Maria­nick faillit en avoir une syncope.

— Que c’est‑y que ce païen-là ? demande-t-elle à maman, qui assiste pru­dem­ment à l’abordage.

— Pas un païen, ma bonne Maria­nick, mais un petit chré­tien, que nous a four­ni le Père rec­teur du col­lège. Il va t’ai­der au ménage, faire tes com­mis­sions, ta vais­selle. Il a bonne volon­té, tu verras.

Un « ara­bi­co » comme celui-là pour l’ai­der, elle, Maria­nick ! On a per­du la tête dans cette mai­son. c’est sûr. Et, sans un regard sur l’in­trus, Maria­nick, les lèvres ser­rées, s’en va droit à son fourneau.

Après déjeu­ner, on com­mente le fait du jour.

— Dieu veuille que Maria­nick sup­porte son asso­cié, dit maman non sans inquié­tude. J’ai bien peur qu’il ne lui fasse bien des sot­tises et qu’il n’en­traîne dans son sillage les deux petits, aux­quels j’ai pour­tant défen­du de jouer avec lui.

Comme pour don­ner rai­son aux craintes mater­nelles, Nicole et Bru­no, rouge de colère et se bous­cu­lant, entrent en tour­billon, se prennent les pieds dans le tapis et culbutent l’un par-des­sus l’autre au beau milieu de l’appartement.

— Qu’est-ce que cela signi­fie ! dit Gene­viève sévèrement.

— C’est Yamil !…

— C’est Yamil !…

— Hé bien quoi, Yamil ?

— Y m’a caché ma pou­pée, crie Nicole.

— Y m’a cas­sé ma trot­ti­nette, gémit Bruno.

— Faut le fouet­ter, conti­nue Nicole à tra­vers ses larmes, comme nous quand on est méchant.

Rete­nant son fou rire, Gene­viève relève ses enfants, essuie les larmes et cherche à savoir le fin mot de l’af­faire, lorsque Maria­nick, la coiffe à l’en­vers, s’en­cadre dans la porte.

Sa voix tremble de fureur contenue :

— Si ce païen-là conti­nue, moi je monte au gre­nier et j’y laisse ma cuisine !

Cette fois, c’est grave. Maman suit Maria­nick en deman­dant des expli­ca­tions, qui sont vite données.

Yamil est natu­rel­le­ment taquin, mali­cieux et d’une sou­plesse inquié­tante. Il joue des tours sans qu’on puisse s’en aper­ce­voir et maman sou­pire à la pen­sée d’un enfant de plus dans la mai­son,… mais quel enfant !

Pen­dant ce temps, les deux petits, avec force gestes, racontent, indi­gnés, les méfaits de Yamil.

Ber­nard trouve cela on ne peut plus amusant.

— Vous savez, les petits Bédouins sont très malins… et il fau­dra du temps pour mettre Yamil à la page. Les enfants juifs ont un tout autre carac­tère, beau­coup plus sérieux et rêveur, ce qui ne veut certes pas dire qu’ils soient sans défauts, mais c’est différent.

— Alors, dit Colette, qui tient avec une incroyable téna­ci­té à son rôle de pro­fes­seur, Yamil ne te ferait pas pen­ser au petit de notre His­toire Sainte ?

— Oh ! pas du tout. Tan­dis qu’à l’es­ca­drille, j’ai à faire à un très jeune Juif, qui convien­drait par­fai­te­ment comme type.

— Quel type ? demande immé­dia­te­ment Nicole, en cli­gno­tant des yeux comme quand elle ne com­prend rien du tout.

Colette répond à ce regard :

— J’au­rais vou­lu me ser­vir du petit Yamil pour vous faire le por­trait de Joseph, dont l’his­toire est tel­le­ment jolie, mais il paraît qu’il n’a pas le type.

Bru­no, de sa petite voix, déclare :

— Yamil est assom­mant. Lais­sez-le tran­quille et raconte l’his­toire, si elle est chic. Qui c’est Joseph ?

— L’un des douze enfants de . Deman­dez à l’oncle Ber­nard de vous dire leurs noms ?

Inté­rieu­re­ment, Colette, fine mouche, espère un peu embar­ras­ser son cou­sin… Douze noms, s’en souvient-il ?

Mais, par­fai­te­ment calme, avec un petit sou­rire iro­nique, Ber­nard qui a com­pris, défile : Ruben, Siméon, Lévi, Jud, Issa­char, Zabu­lon, Dan, Neph­ta­li, Gad, Aser, Joseph et Benjamin.

— Oh ! fait Bru­no, plein d’admiration.

Comme si Colette n’exis­tait plus, Ber­nard conti­nue : Savez-vous, les mioches, que dix de ces gaillards ont été de méchants gar­ne­ments. Ils ont trou­vé moyen d’être jaloux de leur petit frère Joseph ; jamais vous ne devi­ne­riez pourquoi ?

Quatre yeux inter­ro­ga­teurs sont plan­tés dans ceux de Bernard…

Enchan­té de son suc­cès, il poursuit :

— Un beau matin, Joseph très sim­ple­ment avait racon­té à ses frères qu’il avait eu de beaux rêves. Il s’é­tait cru trans­por­té dans un champ de blé, au temps de la mois­son, lorsque les gerbes rele­vées attendent, appuyées l’une contre l’autre, qu’on les trans­porte dans les granges.

Chose étrange, les gerbes des frères de Joseph sem­blaient venir s’in­cli­ner devant la sienne ; et puis, autre songe plus extra­or­di­naire encore : il avait vu dans son rêve le soleil, la lune et les étoiles se pros­ter­ner devant lui.

Nicole se tré­mousse sur sa petite chaise.

— Pour­quoi y fai­sait des rêves comme ça ?

— Joseph devait être char­gé d’une grande mis­sion. Le Bon Dieu se ser­vait de ces songes pour le lui faire com­prendre. Ses frères l’ont bien devi­né et, furieux de pen­ser que Joseph devien­drait peut-être plus puis­sant qu’eux tous, ils déci­dèrent de s’en débarrasser.

— Y vont pas le tuer ? réclame Bru­no tout apeuré.

Joseph vendu comme esclave par ses frères— Crois-tu qu’ils y ont pen­sé ! Ruben, le frère aîné, n’a tout de même pas été assez lâche pour le per­mettre ; mais tous ensemble, ils ont ven­du le petit Joseph comme esclave à des mar­chands égyp­tiens. Je vous assure que la mort eût été moins cruelle, car les fils de Jacob connais­saient l’é­pou­van­table escla­vage de ce temps-là.

— J’es­père que leur papa les a beau­coup. beau­coup punis ? Est-ce qu’il les a mis au cachot noir ?

Ber­nard ne peut s’empêcher de rire.

— Non, Nicole, pour une bonne rai­son, c’est que ces méchants gar­çons ont trom­pé Jacob, leur père. Ils ont tué un che­vreau, trem­pé dans son sang la robe de Joseph et por­té cette robe à Jacob, en lui racon­tant que l’en­fant avait été dévo­ré par les bêtes féroces.

— Ils ont men­ti, dit Bru­no avec un air de dédain. Hé bien ! c’é­taient des vilains monsieurs !

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Temps de lec­ture : 10 minutes

IX

Ayant enfi­lé son « bleu », Ber­nard véri­fie avec soin le moteur de l’a­vion. Un peu de graisse ici, un peu d’huile par là, quelques coups de pouce sur les com­mandes, et « ça tourne rond » comme il convient.

Atti­ré par le bruit qui assour­dit son oncle, Bru­no s’est glis­sé fur­ti­ve­ment au han­gar et contemple de tous ses yeux l’Oiseau-Bleu.

Ber­nard monte et des­cend de son échelle, va, vient, sans s’a­per­ce­voir de la pré­sence du petit homme, jus­qu’au moment où, dans un mou­ve­ment de recul, il le heurte brus­que­ment. Alors il gros­sit sa voix pour domi­ner le ron­fle­ment du moteur et lui crie, non sans impatience :

— Que fais-tu là, c’est dan­ge­reux de venir ici sans per­mis­sion. Va-t’en et plus vite que ça !

— Oh ! non. Je bou­ge­rai pas.

— Alors reste en dehors de la porte et laisse-moi travailler.

Bru­no marche à recu­lons vers l’ou­ver­ture et se colle au cham­branle. Pen­dant quelques ins­tants il se tait, puis hasarde :

— Dis, oncle Ber­nard, c’est‑y avec cet oiseau-là que tu es allé en Mésopotamie ?

— Bien sûr que non, c’est avec l’a­vion de mon escadrille.

— C’est‑y un drôle de pays, la Mésopotamie ?

— Pas drôle du tout, de grandes plaines, rien d’ex­tra­or­di­naire, et puis, laisse-moi tranquille !

Mais Bru­no est tenace, cha­cun le sait.

— Pour­quoi qu’on en parle tout le temps dans l’His­toire Sainte ?

— Tiens ! parce que les Hébreux y ont été souvent.

Bernard explique l'histoire de Jacob
— Laisse-moi tranquille !

— Com­bien de fois ?

Ber­nard, grim­pé sur l’es­ca­beau à hau­teur du moteur et fort occu­pé de savantes obser­va­tions, est excé­dé. Il hurle :

— Vas-tu te taire, à la fin ! Com­bien de fois ? est-ce que j’en sais quelque chose ! y a habi­té avec .

Quand son fils fut d’âge à se marier, son ser­vi­teur Élié­zer alla lui cher­cher une femme en Mésopotamie.

— Tu sais le nom de la « dame » ?

Cette fois, Ber­nard, désar­mé, lutte pour ne pas rire :

— Mais oui , la « dame » avait un très joli nom. Elle s’ap­pe­lait .

Un ins­tant de réflexion. Bru­no se demande si ce nom est vrai­ment joli. Oui, déci­dé­ment. Alors il continue :

— Elle était gentille ?

Tant de per­sé­vé­rance mérite tout de même qu’on en tienne compte. Tout en asti­quant son oiseau, Ber­nard consent à raconter :

— Quand Élié­zer est par­ti pour cher­cher une femme pour Isaac, il était bien embar­ras­sé de sa com­mis­sion, car il ne connais­sait per­sonne dans ce pays-là. Aus­si, tout le long de la route, il priait le Sei­gneur de le faire tom­ber juste.

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Temps de lec­ture : 8 minutes

VIII

L’ins­tant d’a­près, les enfants s’en­vo­laient, appe­lés par leur mère, pour se laver les mains avant le dîner, et Ber­nard, un peu son­geur, monologue :

— Ma parole, je découvre mon Ancien Tes­ta­ment en l’ap­pre­nant avec les mar­mots ! Quel carac­tère que ce Père  ! On vou­drait en trou­ver qui lui res­semblent par le temps qui court,… ça nous changerait !

— Tu crois ? dis maman, qui feuillette len­te­ment sa Bible, à la recherche d’un pas­sage. Hé bien ! tiens, lis cette page. Tu seras peut-être encore plus admiratif.

Ber­nard par­court le cha­pitre indiqué.

— C’est épa­tant ! J’a­vais tota­le­ment oublié ça.

— Oublié quoi ? réclame Colette.

— Que , le neveu d’A­bra­ham, pos­sé­dait de vastes terres, que des rois voi­sins les lui avaient volées, qu’A­bra­ham prit les armes, ni plus ni moins, pour déli­vrer Loth pri­son­nier des Ela­mites. Mais ce qui me dépasse, c’est qu’il refuse les richesses du roi de , lequel, ayant béné­fi­cié de sa vic­toire, vou­lait lui en céder une part. Écoute un peu : Abra­ham répond au roi de Sodome : « J’ai éle­vé mes mains vers le Très-Haut. Je ne pren­drai rien de ce qui est à toi, afin que tu ne puisses pas dire : j’ai enri­chi Abraham ! »

Eh bien ! tu sais, des types comme ça, ils sont plu­tôt rares !

Cette conclu­sion inat­ten­due met tout le monde en joie.

Mais Ber­nard ne s’en trouble pas. Il conti­nue… Et, tiens, le Bon Dieu a Lui-même trou­vé que cette atti­tude valait quelque chose, car, après la vic­toire d’A­bra­ham, il a char­gé de le bénir en son nom…

Récit biblique : Melchisédech bénit Abraham

Colette prend un air de mystère :

— Tu ne me ven­dras pas, Ber­nard, mais si je te disais que je n’ai jamais su qui était Melchisédech !

— Et si je te répon­dais que mon igno­rance vaut la tienne !

— Allons, cher­chons et pres­sons-nous, pen­dant que les petits ne sont pas là.

— Tiens, voi­là : Mel­chi­sé­dech, roi de Salem. Tout de même je savais que Salem est la future Jérusalem.

— N’ou­bliez pas, grands enfants que vous êtes, ajoute maman, que ce roi de Salem était en même temps un prêtre choi­si de Dieu pour repré­sen­ter d’a­vance Notre-Sei­gneur Jésus-Christ. Il offrit à Dieu un nou­veau, incon­nu jus­qu’a­lors, celui du Pain et du Vin, image loin­taine du Sacri­fice de la Messe.

— Et tu crois, déclare Ber­nard, solen­nel, en regar­dant Colette, que ça ne vaut pas la peine de relire ça, même quand on est vieux ?

La vieillesse de Ber­nard ! À cette pen­sée, Colette est prise du fou rire. Si bien que les deux petits, qui réap­pa­raissent coif­fés, bros­sés, lavés, demandent :

— Pour­quoi vous riez ?

— Parce que Ber­nard a des manières spé­ciales de racon­ter son His­toire Sainte.

— Oh ! quelles manières, oncle Ber­nard ? Il y a encore un quart d’heure avant le dîner. Dis-nous la fin de l’his­toire d’A­bra­ham. Tu veux bien ?

Et Nicole attrape le cou de Ber­nard et le serre de ses deux petites mains en guise de supplication.

— Si tu m’é­trangles, dit Ber­nard, en fai­sant mine d’é­touf­fer, je serai mort, les morts ne parlent plus.

En un clin d’œil, Nicole se donne une pose assa­gie, Bru­no s’as­sied à la turque sur le sable, et la voix mali­cieuse de Nicole déclare :

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Temps de lec­ture : 10 minutes

VII

Mais, juste à cet ins­tant, le chat de Maria­nick débouche à nou­veau dans le jar­din. La vani­té de M. Bru­no n’y tient pas ; il appelle Nicole et une véri­table par­tie de cache-cache s’en­gage entre le cha­ton et ses deux amis.

Nicole saute comme un cabri par-des­sus les plates-bandes. Bru­no se poste gra­ve­ment aux pas­sages pré­vus, en vain. Le chat, souple et rapide, passe entre leurs jambes, et ce sont des cris, des rires qui gagnent les aînés. Pierre est entré dans la course et Colette ne peut s’empêcher de prendre part au jeu, en encou­ra­geant les petits ; elle rit aux larmes quand Bru­no, fau­ché par le cha­ton, tombe assis sur un tas de ter­reau, qui s’ef­fondre avec lui.

Alors, spon­ta­née comme tou­jours, Colette se retourne vers sa mère :

— Oh ! les enfants, maman ! Qu’est-ce qu’on ferait dans une mai­son sans enfants ?

— Je n’y met­trais pas sou­vent les pieds, dit Ber­nard en allu­mant une ciga­rette. Quel tombeau !

— Et moi je n’i­ma­gine pas la vie sans eux, ajoute sa tante. Quand j’ai cru perdre Jean, à Jéru­sa­lem, il me sem­blait que j’al­lais en mou­rir. Heu­reu­se­ment que Dieu donne des grâces d’é­tat aux parents, quand leurs enfants sont en dan­ger, sans cela les pauvres mamans devien­draient folles…

Ber­nard, tout en écou­tant, semble suivre avec inté­rêt la fumée de sa ciga­rette, et demeure silen­cieux. Éton­née, maman lui demande :

— À quoi penses-tu ?

— Je me pose une ques­tion sans trou­ver la réponse. Com­ment expli­que­rons-nous aux petits, quand il fau­dra ache­ver de leur racon­ter la vie d’, que Dieu ait pu deman­der à un père de lui sacri­fier son fils unique ?

— II y a là, en effet, à leur faire com­prendre deux choses bien hautes, aus­si belles l’une que l’autre et qu’il ne faut pas sépa­rer. Même à leur âge on peut les leur dire. Il y a d’a­bord celle-ci : Que Dieu, Créa­teur de tout, peut aus­si dis­po­ser de tout. Il est le maître de la vie et de la mort et Il a le droit de nous deman­der ce qu’Il veut.

Et puis, voi­ci la seconde chose : Dieu ne demande rien, si ce n’est comme un Père infi­ni­ment bon, même quand cela paraît le plus dur. Abra­ham le savait bien. Il n’a pas dou­té du cœ de son Dieu, il n’a pas dou­té de ses pro­messes. Il ne com­pre­nait pas, bien sûr, com­ment la réa­li­sa­tion de ces pro­messes pou­vait s’ac­cor­der avec le que Dieu lui deman­dait, mais il croyait quand même, et sa confiance n’est pas moins admi­rable que sa soumission.

Pour­tant, il y a quelque chose de plus beau encore : C’est la Sainte Vierge, au pied de la Croix, offrant Jésus, son Fils Unique, pour notre salut. Sa sou­mis­sion est incom­pa­rable, comme sa confiance.

Elle aus­si croit tout ce qui a été pro­mis. Elle croit, mal­gré sa dou­leur inex­pri­mable, que son Fils ressuscitera.

Après cela, il n’est pas éton­nant que le Bon Dieu, lors­qu’Il veut accor­der de grandes faveurs, demande aux âmes de pas­ser avant par le sacri­fice. Et même pour nous, pauvres gens qui nous sen­tons si faibles en face de la souf­france, tu sais, Ber­nard, à quel point la foi intré­pide et la confiance sans borne peuvent nous don­ner, à l’heure vou­lue, le cou­rage héroïque.

Ber­nard, qui n’a pas ces­sé de regar­der silen­cieu­se­ment évo­luer la fumée de sa ciga­rette, répond seulement :

— Oui, je le sais.

Mais en même temps une petite voix toute proche demande :

— Qu’est-ce que c’est, un cou­rage héroïque ?

Nicole est là, rouge de sueur, se tam­pon­nant le front avec un mou­choir minus­cule de cou­leur indé­cise ; Pierre et Bru­no en font autant, un peu der­rière elle, tan­dis qu’on aper­çoit Maria­nick ren­trant à la cui­sine, son chat dans les bras.

Maman attire à elle la petite fille.

— Veux-tu un exemple d’hé­roïsme ? Il est tout trou­vé, ma ché­rie. Assieds-toi là, sur le pliant, et demande à Colette d’a­che­ver l’his­toire d’A­bra­ham, dont nous par­lions à l’instant.

Dédai­gnant le pliant, Nicole s’ins­talle d’of­fice sur les genoux de Colette, en disant avec une moue irrésistible :

— S’il vous plaît, ma petite Tate ! Je ne sais pas ce que vous avez racon­té pen­dant qu’on jouait, mais vous avez des drôles de figures. Pour­tant elle est amu­sante l’his­toire. Tu sais bien ? Abra­ham atten­dait la nais­sance du petit gar­çon de . Alors il est né ?

— Oui, il est né. Tu t’i­ma­gines faci­le­ment de quel amour fut entou­ré cet enfant pour lequel Dieu avait pro­mis tant de belles choses.

Le petit Ismaël avait failli mou­rir de soif dans le désert.
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Temps de lec­ture : 9 minutes

VI

Ber­nard vient d’ar­ri­ver en tapi­nois. Il ferme sans bruit la porte d’en­trée, tra­verse silen­cieu­se­ment le ves­ti­bule et lance un regard de gaie­té mali­cieuse vers le jar­din, où tout le monde semble réuni.

Bru­no fait une page d’é­cri­ture ; Nicole, Pierre, pen­chés sur de petites tables, apprennent leurs leçons.

Ber­nard cal­cule sa dis­tance, prend son élan, passe comme un bolide au-des­sus de la tête des enfants ahu­ris, fait un réta­blis­se­ment mer­veilleux au beau milieu du groupe et, les talons joints, salue.

On entend maman dire à tra­vers les rires :

— Écoute, Ber­nard, tu nous don­ne­ras des mala­dies de cœ ! Tombes-tu du ciel, décidément ?

— Tout juste, ma tante, j’en arrive, en per­mis­sion de huit jours. Il paraît que je suis fati­gué par mes der­niers vols au firmament !

— Fati­gué, peste ! qu’est-ce que ce serait si tu ne l’é­tais pas ? pro­teste Colette. Allons, assieds-toi et dis-nous un peu posé­ment d’où te vient cette aubaine.

— Il est très vrai que nous avons fait ces jours-ci une série de vols en for­ma­tion de com­bat qui ont deman­dé des efforts sérieux. Ça a très bien mar­ché. Le colo­nel est content, il a don­né des per­mis­sions. Voilà.

— Jacques ne nous en avait pas parlé.

— Mais vous savez pour­tant que je ne fais pas par­tie de l’es­ca­drille de Jacques. C’est la nôtre qui a « trin­qué » toute la semaine. Nous avons été jus­qu’à la mer. Ce golfe Per­sique, quelle beau­té ! Et puis nous avons sur­vo­lé la Chal­dée, pas­sé au-des­sus de Ur, et j’ai cru me sou­ve­nir qu’ avait dû naître là au temps jadis. Nous avons tra­ver­sé toute la Mésopotamie.

Les trois petits, le nez au vent, ont com­plè­te­ment oublié leurs leçons et écoutent, muets d’admiration.

Mais Nicole, comme prise d’une idée subite, inter­rompt tout à coup :

— Enfon­cée, tante Colette, enfoncée !

— Enfon­cée ?… quelle expres­sion, et pourquoi ?

— Parce que l’oncle Ber­nard y est allé avant vous, au pays de l’His­toire Sainte !

Colette ne semble nul­le­ment consternée.

— Tant pis pour lui ! Il va fal­loir qu’il vous fasse un cours à ma place.

Cha­cun s’at­ten­dait aux pro­tes­ta­tions véhé­mentes de Ber­nard. À la sur­prise géné­rale, il répond :

— Jus­te­ment. Colette a beau croire que je suis un grand fou, je n’ai tout de mème pas com­plè­te­ment per­du la tête, ni même la mémoire. Et c’est toute l’His­toire Sainte qui défi­lait sous mes yeux en sur­vo­lant ces grandes plaines. J’au­rais vou­lu vous avoir là, près de moi dans ma car­lingue, vous les petits, pour vous faire voir ce pays d’Abraham.

Carte des voyages d'Abraham, d'Ur à Canaan

Cela me parais­sait mer­veilleux de son­ger aux dis­tances qu’il par­cou­rut pour obéir à Dieu. Moi, je les sur­vo­lais en quelques heures, mais lui…

Tâchez de le suivre avec moi.

Ber­nard sort de sa poche une carte d’é­tat major et l’é­tale sur ses genoux. Arri­vez ici, les petits. Regar­dez-moi ça. Habi­ter la Chal­dée, tra­ver­ser la Méso­po­ta­mie, reve­nir à Sichem, des­cendre en , et fina­le­ment s’ins­tal­ler dans cette val­lée que vous voyez là, près d’Hé­bron, dites-moi s’il y a beau­coup d’hommes aujourd’­hui à en faire autant ?

— Mais pour­quoi qu’il a cou­ru comme ça ? ques­tionne Bru­no de son petit air posé.

— Pour obéir à Dieu. Abra­ham a été l’ même, l’o­béis­sance héroïque.

— Raconte alors.

— Mais oui, je raconte. Seule­ment vous ne connais­sez que le cinq cents à l’heure ! D’a­bord, il faut savoir qu’A­bra­ham était un des­cen­dant de Sem et qu’à l’é­poque où il vivait en Chal­dée, les hommes étaient presque tous deve­nus plus ou moins idolâtres.