Chapitre I
Clac ! Clac !
Les gros sabots de père Pierre et les petits sabots de Colette font une musique d’ensemble sur la route gelée.
Les deux amis (car Colette aime beaucoup le père Pierre et le père Pierre aime beaucoup Colette), les deux amis luttent silencieusement contre l’âpre bise du vent d’est. Le chapeau rabattu sur les yeux, le cache-nez tordu autour du cou, le fermier marche sans hâte, de cette allure régulière et paisible du « terrien ». Colette, enfouie dans un grand manteau, la tête serrée par le capuchon, trotte à son habitude, sans souci de l’heure tardive ni de l’ombre que perce à peine la lueur de la lanterne portée par son compagnon.
Devant la grille du jardin, qu’on devine à travers la brume glacée de cette soirée de novembre, on s’arrête.
— Bonsoir, père Pierre, à demain et merci.
— Bonsoir ma petite demoiselle. Demain, y se pourrait ben que ça glisse ! Faudra faire attention à ne pas courir sans y regarder !
Déjà, de son pas posé, le fermier s’éloigne. Colette vivement pousse la grille, elle saute les trois marches du perron, ouvre et ferme dans un éclair la porte d’entrée, pose ses souliers dans un coin, accroche son manteau au portemanteau, et leste, sur ses petits chaussons, entre en dansant dans le bureau, où maman et Pierrot travaillent côte à côte, au coin du feu.
— Tu n’es pas gelée, ma chérie ? questionne la voix maternelle.
Colette rassure sa mère d’un baiser et s’assied sur un petit tabouret, tout contre la vieille cheminée. Elle tend les mains à la flamme, car on n’a pas encore songé à remplacer les bûches qui pétillent par le poêle morne et sans clarté.
— Ce qu’il fait bon ici, maman !
— Oui, mais cela nous change de la température de Beyrouth !
— Oh ! tant pis ! Je ne le regrette pas. Comme dit Pierrot : « on est chez nous, » cela vaut tous les soleils.