(1873 – 1897)
SAINTE THÉRÈSE de l’Enfant-Jésus ! La petite sœur Thérèse ! La petite Sainte aux roses !
Nous avons deux raisons majeures d’insister plus longuement sur Thérèse. Notre documentation le permet, car elle est puisée à des sources d’autant plus nombreuses et sûres qu’aujourd’hui encore il subsiste des personnes qui ont le bonheur d’avoir connu Thérèse[1] ! Avoir connu une sainte ! L’avoir vue, lui avoir parlé ! Ce bonheur est d’autant plus rare que d’ordinaire l’Église ralentit prudemment les procès de canonisation. Deuxième raison d’insister sur cette enfance : Thérèse était, au plus loin, de la génération de vos grands-parents. Donc, l’exemple d’une vie si proche interdit cette dérobade : « Oh ! évidemment, mais à l’époque des saintes, il était assez aisé de se sanctifier, tandis que de nos jours !… »
Abordons avec plaisir et profit l’enfance de la Sainte de nos jours.
Nous sommes à Alençon au lendemain de 1870. Sur une maison de bonne apparence, nous lisons ce marbre publicitaire : « Louis Martin, fabricant de point d’Alençon ». Ce point de dentelle avait rendu universellement célèbre la vieille cité normande, le travail de ce point a procuré l’aisance à la famille Martin. Le mari est partagé entre la surveillance de la fabrication et les voyages qui propagent cette fabrication. L’épouse s’occupe plus spécialement de la vente de la dentelle à Alençon même, mais elle a surtout l’éducation heureuse d’une petite famille. Le ménage Martin a quatre filles, Marie, Pauline, Léontine, Céline, deux autres Hélène et Mélanie, ainsi que deux garçons sont décédés en bas âge.
Jeune homme, Louis Martin aurait voulu être moine. Jeune fille, Zélie Guérin aurait voulu être religieuse. La Providence en avait autrement décidé et cela pour la plus grande édification du monde. Révélons déjà que Marie, Pauline, Léontine et Céline seront religieuses. Mais voici la dernière fille.
Marie-Françoise-Thérèse Martin naît à Alençon le 2 janvier 1873. Ses parents sont trop pénétrés de leurs devoirs religieux pour faire attendre le baptême du bébé. La petite n’a que deux jours lorsqu’elle est portée sur les fonds de l’église Notre-Dame. Le souvenir de cette cérémonie, qui faisait entrer une future sainte dans la famille chrétienne, devait être évidemment conservé : une plaque, puis une statue, puis un vitrail, puis un autel, rappelleront cette date : 4 janvier 1873.
Mais l’enfant n’a pas encore un an qu’elle est sur le point de mourir. La pieuse madame Martin invoque ardemment saint Joseph, patron de la sainte famille, et bientôt Thérèse va mieux, et bientôt Thérèse est guérie.
Elle est un beau bébé, un bébé joli, si joli, si attrayant que, pour ses dix-huit mois, le papa lui donne ce nom qui lui restera : « Sa Reine ».
Une lettre de la maman nous apprend que cette enfant, qui n’a pas deux ans, est remuante plus que d’ordinaire pour une fillette : elle fait déjà de la balançoire : « Elle se tient comme une grande fille. Il n’y a pas de danger qu’elle lâche la corde ; puis, quand cela ne va pas assez fort, elle réclame ; on l’attache par devant pour l’empêcher de tomber mais, malgré cela, je ne suis pas tranquille quand je la vois perchée là-dessus ».
Mais voici déjà une première indication de cette piété qui ne va pas tarder à faire d’impressionnants progrès dans l’âme de notre petite sportive de vingt-deux mois. Madame Martin écrit à ses aînées, pensionnaires à la Visitation : « Ma petite Thérèse devient de plus en plus gentille, elle gazouille du matin au soir. Elle nous chante de petites chansons, mais il faut être habitué pour les comprendre. Elle fait sa prière comme un petit ange, c’est idéal ! »
Et lorsque Thérèse a vingt-six mois : « Thérèse va toujours bien, elle a une mine de prospérité. Elle nous fait des conversations bien amusantes. Elle sait déjà prier le Bon Dieu. Tous les dimanches, elle va à une partie des vêpres, et si, par malheur, on omettait de l’y conduire, elle pleurerait sans se consoler. »
« Voilà quelques semaines, on l’avait promenée le dimanche. Elle n’avait, pas été à « la Messe », comme elle dit. En rentrant, elle s’est mise à pleurer bruyamment, en disant qu’elle voulait aller à « la Messe ». Elle a ouvert la porte, et s’est sauvée sous l’eau, qui tombait à torrents, dans la direction de l’église. On a couru après elle pour la faire rentrer, et ses sanglots ont duré une bonne demi-heure ».
« Elle me dit tout haut dans l’église : « Moi, j’ai été à la messe, là ! J’ai bien prié le bon Dieu ! »
« Quand son père rentre le soir et qu’elle ne le voit pas faire sa prière, elle lui demande : « Pourquoi donc papa, que tu ne fais pas ta prière ? Tu as donc été à l’église ?» C’est encore madame Martin qui donne ce détail : « Depuis le commencement du Carême, je vais à la messe de six heures et je la laisse souvent éveillée. Quand je pars, elle me dit : « Maman, je vais être bien mignonne ». Effectivement, elle ne bouge pas et se rendort ».
En mars 1876, la maman écrit au sujet du sérieux que sa petite tille apporte à faire, sans jamais l’oublier, sa prière de chaque jour : « Dimanche, lorsque j’ai été couchée, elle m’a dit qu’elle n’avait pas fait sa prière. Je lui ai répondu : « Dors, tu la feras demain ». Oui, mais elle n’a pas lâché prise. Pour en finir, son père la lui a fait faire. Mais il ne lui faisait pas tout dire. Il fallait demander « la grâce… » Il ne savait pas trop de quoi il s’agissait. Enfin, il a dit à peu près suivant l’idée de l’enfant, et nous avons eu la paix jusqu’au lendemain matin ».
Si Thérèse insiste tant pour prier le Ciel, c’est que sa pensée ne le quitte guère, ce Ciel. Voici une forme curieuse de cette continuelle préoccupation.
« Oh ! ma pauvre petite mère, je voudrais bien que tu « mourrais ! »
Étonnement de la « pauvre petite mère… »
— C’est pour que tu ailles au Ciel, puisque tu dis qu’il faut mourir pour y aller !
Et madame Martin écrit à sa fille Pauline en décembre 1875 :
« Elle souhaite de même la mort de son père, quand elle est dans ses excès d’amour ».
Est-ce pour pénétrer plus avant et plus rapidement les mystères religieux dont les grandes personnes parlent devant elle, que Thérèse désire apprendre à lire ? Toujours est-il qu’elle ne comprend pas que ses sœurs aient seules droit à cette instruction. Elle veut assister aux leçons que Marie donne à Céline et Pauline, ses aînées de trois et huit ans. Laissons ces souvenirs à Marie.
« Un jour, je la vis à la porte de ma chambre essayant de l’ouvrir. Mais elle était encore trop petite pour atteindre le bouton. Je regardai ce qu’elle allait faire ; si elle allait pleurer ou appeler quelqu’un pour lui ouvrir ; mais non, elle ne dit rien, et, dans son impuissance, elle témoigna sa douleur en se couchant au pied de la porte.
« Je racontai à ma mère cette petite aventure. Elle me dit : « Il ne faut pas la laisser faire ! »
« Le lendemain, la chose se renouvelle. Alors, je lui dis : « Ma petite Thérèse, tu fais de la peine au petit Jésus ! » Elle me regarda attentivement. Elle avait si bien compris que jamais depuis elle n’a recommencé ». Cet entêtement de Thérèse à vouloir s’instruire à tout prix a pourtant porté ses fruits : elle n’a pas en effet trois ans révolus lorsque déjà elle sait presque toutes ses lettres et commence même à lire.
Et madame Martin apporte à ses filles aînées cette conclusion : « Elle a de l’esprit comme je n’en ai vu à aucune de vous », Et la maman continuait à découvrir d’autres jolies qualités à sa petite Thérèse : « Fine comme l’ambre, très franche et très vive. »
De son côté, l’enfant ressent pour ses parents une affection qu’elle-même se plaira à rappeler dans son Histoire d’une Âme : « On ne peut se figurer combien je chérissais papa et maman. Je leur témoignais ma tendresse de mille manières, car j’étais très expansive ; toutefois, les images que j’employais alors me font rire aujourd’hui quand j’y pense ».
Une lettre de madame Martin nous a conservé une de ces amusantes images :
« Elle ne monterait pas l’escalier toute seule, à moins de m’appeler à chaque marche : Maman ! Maman ! Autant de marches, autant de mamans ! Et si, par malheur, j’oublie de répondre une seule fois : « Oui, ma petite fille ! », elle reste là, sans avancer ni reculer ! »
Et voici des passages de lettres de la maman qui nous rappellent encore combien la fillette était, dès sa plus tendre enfance, continuellement hantée par la pensée du Ciel :
« Thérèse me disait ce matin qu’elle voulait aller dans le Ciel et que, pour cela, elle serait toujours mignonne comme un ange ».
— Irai-je au Ciel, maman ?
— Oui, si tu es bien sage…
— Ah ! maman, si je n’étais pas mignonne, j’irais donc en enfer ? Mais moi je sais bien ce que je ferais. Je m’envolerais vers toi, qui serais au Ciel, puis tu me tiendrais bien fort dans tes bras. Comment le bon Dieu ferait-il pour me prendre ?
Cette Thérèse, qui suppose l’amour maternel plus fort que la volonté de Dieu, n’a que trois ans et demi. Six mois plus tard, elle sera un tantinet plus capable en théologie !
Céline lui demande :
— Comment se fait-il que le bon Dieu soit dans une toute petite hostie ?
Et l’enfant de quatre ans répond imperturbable :
— Ce n’est pas étonnant puisque le bon Dieu est tout-puissant !
Céline n’est pas satisfaite de cette affirmation, elle pousse son interrogatoire plus à fond :
— Et, qu’est-ce que cela veut dire tout-puissant ?
— Cela veut dire qu’il fait tout ce qu’il veut !
Madame Martin est heureuse d’écrire à sa fille Pauline tout le bien qu’elle pense de la piété de Thérèse :
« Cette chère petite fait notre bonheur. Elle sera bonne ; on en voit le germe déjà. Elle ne parle que du bon Dieu ; elle ne manquerait pas, pour tout au monde, à faire sa prière. J e voudrais que tu l’entendisses réciter de petites fables. Jamais je n’ai rien vu de si gentil. Elle trouve toute seule l’expression qu’il faut donner et le ton. Mais c’est surtout quand elle dit : « Petit enfant à tête blonde, Où crois-tu donc qu’est le bon Dieu ? — Il est partout, dans tout le monde, Et puis, là-haut, dans le ciel bleu… »
« Quand elle arrive à ces derniers mots, elle tourne son regard en haut avec une expression angélique. On ne se lasse pas de le lui faire dire, tant c’est beau. Il y a quelque chose de si céleste dans son regard, qu’on est ravi ! »
Elle était encore bien petite, Thérèse, lorsqu’elle songea, pour la première fois, à devenir religieuse ! Lisons son Histoire d’une Âme :
« Lorsque je commençais seulement à parler et que maman me demandait : « À quoi penses-tu ? », la réponse était invariable : « À Pauline ». Quelquefois, j’entendais dire que Pauline serait religieuse ; alors sans trop savoir ce que c’était, je pensais : « Moi aussi, je serai religieuse ! » C’est là un de mes premiers souvenirs, et, depuis, je n’ai jamais changé de résolution. Ce fut donc son exemple qui, dès l’âge de deux ans, m’entraîna vers l’époux des Vierges ».
Voici, toujours dans l’Histoire d’une Âme, le souvenir de Céline mêlé à celui d’une pieuse pratique : « Le dimanche, comme j’étais trop petite pour aller aux offices, maman restait à me garder. En cette circonstance, je montrais une grande sagesse, ne marchant que sur le bout des pieds ; mais, aussitôt que j’entendais la porte s’ouvrir, c’était une explosion de joie sans pareille. Je me précipitais au-devant de ma jolie petite sœur, et lui disais : « Oh ! Céline, donne-moi bien vite du pain bénit ! » Un jour, elle n’en avait pas !… Comment faire ? Je ne pouvais m’en passer ; j’appelais ce festin, ma messe. Une idée lumineuse me traversa l’esprit : « Tu n’as pas de pain bénit, eh bien, fais-en ! » Elle ouvrit alors le placard, prit le pain, en coupa une bouchée et, récitant dessus un Ave Maria d’un ton solennel, me le présenta triomphante. Et moi, faisant le signe de la croix, je le mangeai avec une grande dévotion, lui trouvant tout à fait le goût du pain bénit ! »
Mais, quelle pouvait donc être l’attitude des heureux parents devant autant de gentillesse, une telle précocité dans les bons sentiments, une aussi grande piété ? Comme il convenait, madame Martin avait une tendresse, certes très douce, mais attentive aussi, à redresser immédiatement le moindre petit travers qu’elle aurait pu deviner chez son enfant.
Ordinairement davantage éloigné de sa fillette que la maman, monsieur Martin est aussi plus expansif dans l’affection qu’il témoigne à une enfant qui le distrait si gentiment de ses préoccupations commerciales. Lorsqu’il rentre de son travail, il reçoit Thérèse dans ses bras l’enlève bien haut, l’embrasse, la cajole. Puis, l’ayant assise sur l’une de ses bottes, il la promène ainsi d’une pièce à l’autre à la très grande joie de la petite ! Mais parfois la maman prend peur de cette familiarité qui ferait ensuite prendre trop de liberté à la plupart des enfants ; alors le papa réplique : « Que veux-tu, c’est la Reine ! »
Et à chaque fin décembre, le petit Jésus passe dans le sabot de cette enfant sage. Il passe même plus souvent, bien plus souvent, de sorte que Thérèse a de nombreux et bien beaux jouets. Ces joujoux, elle les utilise avec le plaisir normal d’une fillette bien portante. Au jardin, elle a sa balançoire, mais, au jardin, elle a aussi ses fleurs. Elle va surtout en cueillir des fleurs dans cette propriété du Pavillon, bien agréable demeure de campagne que les Martin possèdent à l’entrée de la ville d’Alençon. Cet amour des fleurs grandit lorsque Thérèse cueille spécialement pâquerettes et boutons d’or pour le mois de Marie. L’autel familial est alors pieusement fleuri et Thérèse attire l’attention de ses sœurs par ses très fréquentes prières devant cet autel, attention affectueuse que nous retrouvons traduite dans une lettre de Marie à Pauline :
« Thérèse est tout émerveillée de cet autel. Chaque matin, elle y vient faire sa prière en sautant de joie ».
Nous savons déjà que Thérèse n’a, très heureusement, rien de commun avec une petite fille pensive et triste ; d’ailleurs au cours de la même lettre, Marie fait une fois de plus remarquer le caractère enjoué de cette pieuse enfant : « Si tu savais comme elle est espiègle et fine ! Je suis dans l’admiration devant ce petit bouquet-là ! Tout le monde, à la maison, la dévore de baisers ! »
Pieuse, affectueuse, gaie, Thérèse a encore cette belle qualité la franchise. La maman l’a remarquée alors que son enfant n’a encore que trois ans : « Quant au « petit furet », on ne sait trop comment ça fera ; c’est si petit, si étourdi ! Elle est d’une intelligence remarquable, elle a un cœur d’or, elle est très caressante et bien franche. C’est curieux de la voir courir après moi pour me faire sa confession : « Maman, j’ai poussé Céline une fois, je l’ai battue une fois, mais je ne recommencerai plus ». Et c’est ainsi pour tout ce qu’elle fait ».
Thérèse se confesse de sa faute et n’oublie pas d’en avoir le meilleur regret qui est encore la résolution de ne plus retomber dans cette faute.
Mais, pour se fortifier, la piété de Thérèse avait besoin de l’épreuve. Et, sous une forme ou une autre, cette épreuve ne devait pas lui être épargnée. D’ailleurs, elle écrira elle-même dans son Histoire d’une Âme : « La croix n’a cessé de m’accompagner depuis le berceau ». Cette croix, Thérèse va la supporter avec un sourire qui sera chaque fois une offrande au Christ douloureux. Mais cette croix, que la Providence lui impose pour aider à sa sanctification ne semble pas suffisante à la petite Thérèse qui, très jeune, recherchera d’elle-même des occasions pour mortifier ses sens. N’écrivons pas que ses privations volontaires ne se comptent plus, puisque justement Thérèse en fera un compte exact de ces privations ! En effet, sa sœur Marie lui a rapporté de la Visitation une sorte de chapelet dont les pensionnaires se servent pour totaliser leurs bonnes actions, leurs B. A. comme diront plus tard nos scouts. L’invention n’est pas grande : le doigt fait glisser un grain mobile qui se trouve ainsi séparé des autres. Thérèse appelle le grain séparé une « pratique » et chaque jour de son enfance sera marqué de plusieurs de ces pratiques.
Cette période d’enfance a laissé un souvenir délicieux à Thérèse qui écrira :
« Que j’étais heureuse à cet âge ! Non seulement je commençais à jouir de la vie, mais la vertu avait pour moi des charmes. J’avais pris l’habitude de ne pas me plaindre quand on m’enlevait ce qui était à moi, ou bien, lorsque j’étais accusée injustement, je préférais me taire que de m’excuser ».
Et elle ajoute modestement : « Il n’y avait en cela aucun mérite de ma part, je le faisais naturellement ».
Thérèse a la même modestie dans l’accomplissement de ces pratiques. Son petit doigt fait glisser le grain, mais elle n’en dit rien, sauf peut-être à sa sœur Céline, qui rivalise de piété avec elle. Cependant la maman, attentive comme toutes les mamans aux faits et gestes de ses enfants, s’est rendu compte combien étaient nombreuses les pratiques de Thérèse.
« Mettant cent fois par jour la main dans sa poche, pour tirer une perle à son chapelet toutes les fois qu’elle pratiquait une mortification ».
Et ces pratiques revêtaient parfois les formes les plus simples, sans cesser pour cela d’être des mortifications très sensibles. Un dimanche Thérèse avait eu la joie d’aller au Pavillon cueillir ses fleurs. Elle en revenait fièrement avec un gros bouquet lorsque sa grand’mère le lui demanda pour orner un autel. Ah ! Thérèse avait justement destiné son bouquet à un autre usage. De plus, elle n’était pas près de retourner au Pavillon, elle y avait choisi les plus belles fleurs, elle n’en trouverait plus certes d’aussi belles. Mais, abandonner ses fleurs, n’était-ce point là l’occasion d’une excellente pratique ? Et, une par une, comme pour apprécier elle-même tout le détail de son abandon, Thérèse livra ses fleurs à sa grand’mère.
Oh ! comme tous les enfants, Thérèse avait ses petits caprices ! Et, plus tard, elle les rappellera avec d’autant plus de plaisir qu’elle trouvera alors là l’occasion d’une parole édifiante :
« Un jour, Léonie se trouvant sans doute trop grande pour jouer à la poupée, vint nous trouver toutes les deux (Céline et moi) avec une corbeille remplie de robes, de jolis morceaux d’étoffe et autres garnitures, sur lesquels, ayant couché sa poupée, elle nous dit : « Tenez, mes petites sœurs, choisissez ! » Céline regarda et prit un peloton de ganse. Après un moment de réflexion, j’avançai la main à mon tour en disant : « Je choisis tout ! » Et j’emportai corbeille et poupée sans autre cérémonie ! »
« Ce trait de mon enfance est comme le résumé de ma vie entière. Plus tard, lorsque la perfection m’est apparue, j’ai compris que pour devenir une sainte, il fallait beaucoup souffrir, rechercher toujours ce qu’il y a de plus parfait et s’oublier soi-même. J’ai compris que dans la sainteté, les degrés sont nombreux, que chaque âme est libre de répondre aux avances de Notre-Seigneur, de faire peu ou beaucoup pour son amour ; en un mot, de choisir entre les sacrifices qu’il demande. Alors, comme aux jours de mon enfance, je me suis écriée : « Mon Dieu, je choisis tout ! Je ne veux pas être sainte à moitié ; cela ne me fait pas peur de souffrir pour vous ; je ne crains qu’une chose, c’est de garder ma volonté ; prenez-la car je choisis tout ce que vous voulez ! »
Les pratiques ne suffisaient-elles donc pas à la sanctification des fillettes des époux Martin ? Le Ciel allait réserver à cette famille l’épreuve la plus cruelle qui puisse être : la mort de la maman.
Le 28 août 1877, âgée à peine de quarante-six ans, madame Martin quittait cette terre. Dans son Histoire d’une Âme, sainte Thérèse nous contera elle-même une des minutes les plus douloureuses de cette épreuve.
L’enterrement, dernière séparation, est terminé. Les enfants sont rentrées à la maison. Désormais elles n’y trouveront plus de maman et cette terrible absence les laisse muettes. Elles ne savent que faire, elles ne trouvent rien à se dire.
« Nous étions réunies toutes les cinq, nous regardant avec tristesse. En nous voyant ainsi, notre bonne fut émue de compassion et, se tournant vers Céline et vers moi : « Pauvres petites, nous dit-elle vous n’avez plus de mère ! » Alors Céline se jeta dans les bras de Marie en s’écriant : « Eh bien, c’est toi qui seras maman ! » Moi, toujours habituée à suivre Céline, j’aurais bien dû l’imiter dans une action si juste, mais je pensai que Pauline allait peut-être avoir du chagrin et se sentir délaissée, n’ayant pas de petite fille, alors, je la regardai avec tendresse, et, cachant ma petite tête sur son cœur, je dis à mon tour : « Pour moi, c’est Pauline qui sera maman ! »
- [1] NDLR : Maurice Berthon a publié cette histoire en 1946.↩
Sainte Thérèse prie Jésus pour moi.
Parle à Sa Maman à mon sujet, ainsi qu’à cette accidenté.
Amen