C’est trop dur !

Auteur : Mainé, Marie-Colette | Ouvrage : À l'ombre du clocher - 1. Les sacrements .

Temps de lec­ture : 9 minutes

Ordre

Bonjour père Mat­thias ! ça va ?

— Bon­jour petiot ! Tu parais bien gai ce matin ?…

— C’est la ren­trée après-demain, voi­là pour­quoi je suis heureux !

— Ah ça ! tu es le contraire des autres alors !… dit le vieux tout surpris.

La vocation religieuse expliquée aux enfants - Guy à bicycletteMais déjà Guy Régnier saute sur son vélo et s’é­loigne en riant. A peine a‑t-il dépas­sé les der­nières mai­sons du vil­lage que le gar­çon ralen­tit, il roule dou­ce­ment dans la cam­pagne tout en savou­rant sa joie.

Mais oui, père Mat­thias, c’est la ren­trée qui rend Guy si joyeux, seule­ment voi­là : le gar­çon ne rentre pas à l’é­cole du vil­lage, il part à la ville ; déjà sa malle est prête por­tant l’é­ti­quette sur laquelle est ins­crite l’a­dresse du .

Il y a déjà très long­temps que « l’i­dée » est née dans l’es­prit et le cœur de Guy. Il y son­geait, l’ou­bliait, y reve­nait encore… En gran­dis­sant, quand il dis­cu­tait de l’a­ve­nir, de « quand ils seraient grands… » avec ses cama­rades, « l’i­dée » reve­nait encore. Fina­le­ment, Guy a réflé­chit, puis en a par­lé à sa mère :

— Maman ! quand je serai grand, je vou­drais être

— Mon petit gar­çon, a‑t-elle dit. c’est très beau, mais très sérieux ! En as-tu par­lé à Mon­sieur le Curé ?…

Non, Guy n’a­vait pas son­gé à cela, il le dit et ajou­ta prudemment :

— Tu com­prends, je ne suis pas encore bien sûr…

— Jus­te­ment, ripos­ta Madame Régnier, il faut que tu connaisses la route sur laquelle tu veux mar­cher, et qui, mieux que Mon­sieur le Curé, pour­rait t’ex­pli­quer tout cela ?… Parle-lui sim­ple­ment de ton « idée », dis­cute avec lui et si tu te sens plus sûr de toi, nous en par­le­rons à papa !

Vocation - Saint curé d'Ars montrant le chemin du ciel
Copy­right : Laurent DUBOIS

Fina­le­ment, Guy avait trou­vé le conseil fort sage. Il alla trou­ver Mon­sieur le Curé, et encore une fois le temps passa…

Mais l’an der­nier à la même époque, Guy s’é­tait sen­ti prêt à par­ler. Et, très sérieu­se­ment, Mon­sieur Régnier a écou­té puis, fixant son fils qui, guet­tait ça réponse, il dit :

— Écoute Guy ! c’est pour la famille un très grand hon­neur si Dieu te choi­sit pour son ser­vice, mais vois-tu, c’est très grave ! Je te demande donc d’at­tendre un an pour bien réflé­chir et aus­si pour te pré­pa­rer ; au bout de ce temps, si tu as tou­jours le même désir, tu entre­ras au séminaire.

L’an­née avait pas­sé, ter­ri­ble­ment longue pour le gar­çon impa­tient, mais il avait su en faire une vraie pré­pa­ra­tion, et main­te­nant, c’est la grande joie du départ !…

— Après-demain ! Joyeux, l’a­do­les­cent répète ces mots comme une chanson.

Cette ren­trée, c’est vrai­ment pour lui un départ, une pre­mière réponse à l’appel…

Accident voiture veloMais d’i­ci là, il faut vivre aujourd’­hui et brus­quement le gar­çon se secoue : « Allons Guy ! assez lam­bi­né… tu fais une course pres­sée, hâte-toi… » Appuyant sur les pédales, Guy aborde la côte ; arri­vé en haut, il n’y a plus qu’à se lais­ser empor­ter à toute vitesse… Mais alors, bru­ta­le­ment, sans klaxon­ner, une auto débouche du car­re­four… Guy veut frei­ner, trop tard !… un choc, un cri… Et au bord de la route, il y a main­te­nant un vélo bri­sé et un gar­çon qui gît, les yeux clos, du sang sur la joue…

* * *

Lorsque Guy reprend connais­sance, il est dans son lit et le doc­teur l’exa­mine, pal­pant ses membres un à un. Sou­dain, de nou­veau, une dou­leur aiguë le déchire, encore une fois, il perd connaissance.

* * *

Le sur­len­de­main, au lieu de prendre le train, le pauvre gar­çon est dans son lit, empri­son­né dans un rigide cor­set de plâtre qui pen­dant de longs mois lui inter­di­ra tout mouvement.

Dès que la souf­france phy­sique s’est apai­sée per­mettant à Guy de réa­li­ser son état, un véri­table dé­sespoir le submerge…

Depuis si long­temps il atten­dait ce départ ! A pré­sent, il a l’im­pres­sion d’être tra­hi, frus­tré, dépos­sédé… Alors, il se révolte et se désole !

enfant maladeToute sa famille essaye en vain de le dis­traire et de le conso­ler, il les repousse, même sa mère…

— Guy ! mon petit, il faut avoir du cou­rage, c’est un ter­rible sacri­fice qui pourra…

— Non ! un comme cela, c’est injuste ! c’est trop dur !…

Les jours passent sans amé­lio­rer la situa­tion ; Madame Régnier, ne sachant que faire, se désole de plus en plus. Or, un matin, arrive une loin­taine cou­sine, la mar­raine de Guy.

— Com­ment va le petit ?

Tou­jours pareil ! Il se déses­père, ne veut pas accep­ter son mal, alors il bouge trop. Ce n’est pas ain­si qu’il gué­ri­ra vite, et je ne sais com­ment l’apaiser…

— Je vou­drais lui par­ler, lui par­ler seule…

— Venez !

Les deux femmes pénètrent dans la chambre de Guy ; au bruit, il tourne la tête, le seul mou­ve­ment qu’il puisse faire !

— Voi­ci cou­sine Louise qui vient te dire bon­jour, annonce la maman qui se retire presque aussitôt.

La cou­sine s’ap­proche et vient s’as­seoir tout contre le lit. Les yeux du gar­çon ont un éclat dur ; Madame Louise se penche sur l’en­fant qui ne peut se redresser :

— Mou petit, tu as du cha­grin ! Je te com­prends tellement…

Cou­sine Louise a par­lé si dou­ce­ment que le pauvre Guy ne peut tenir ; écla­tant en san­glots, il gémit :

— Oh ! Mar­raine, c’est si dur ! c’est trop dur !…

Long­temps, le gar­çon pleure ain­si, puis, le voyant se cal­mer un peu, la cou­sine reprend :

— Écoute Guy, je suis venue parce que je pen­sais bien qui tu étais mal­heu­reux et je vou­lais te par­ler de quel­qu’un qui est encore plus mal­heu­reux que toi.

Dur­ci, Guy jette violemment :

— Ça non !… Je…

— Chut !… laisse-moi te racon­ter une his­toire bien triste que per­sonne ne connaît…

Inté­res­sé, Guy tourne la tête.

— Tu connais Marc, ton cou­sin, mon fils aîné ?

— Oui !

La vocation de Saint Matthieu par Le Caravage

— Lui aus­si, autre­fois rêvait d’être prêtre…

— Ce n’est pas possible !

— Mais si, seule­ment, vois-tu, mon mari venait de mou­rir, il fal­lait m’ai­der à éle­ver les petits. Il n’a pas pu par­tir tout de suite au sémi­naire ; près de deux ans, il a tenu, puis des cama­rades l’ont entraî­né à droite et à gauche, oh ! il ne fai­sait rien de mal, mais il a per­du le goût d’une vie don­née. Alors qu’un jour je lui pro­po­sais de par­tir, il m’a dit :

— Ce n’est plus mon idée…

Pour­tant, il me semble qu’il y pense encore, il est main­te­nant sombre, tour­men­té… Il sent bien que là est sa véri­table voie, mais il n’a plus le cou­rage de répondre… Pour qu’il retrouve sa , il fau­drait peut-être…

La cou­sine s’interrompt :

— II fau­drait quoi, dis Mar­raine ?… inter­roge Guy, bou­le­ver­sé par cette révélation.

Alors, gra­ve­ment, Madame Louise répond :

— Il fau­drait peut-être qu’un gar­çon que je connais accepte cou­ra­geu­se­ment sa mala­die et offre le retard de sa voca­tion pour celle de son cousin !

— Oh !…

Remué jus­qu’au fond de l’âme, le petit n’a que ce cri.

Un long moment Louise et Guy ont par­lé tout bas, et quand de nou­veau Madame Régnier entre dans la chambre de son fils, pour la pre­mière fois depuis son acci­dent, Guy l’ac­cueille avec un sourire.

* * *

Les jours passent, Guy est deve­nu un modèle, il n’a jamais une plainte contre le plâtre qui l’im­mo­bi­lise si péni­ble­ment. Sans récri­mi­na­tions, il accepte les trai­te­ments les plus dou­lou­reux, si bien qu’un matin, tout en tapo­tant ses lunettes, le doc­teur déclare :

— Avec un bles­sé aus­si rai­son­nable, nous pour­rons bien­tôt ôter ce plâtre !

— Oh ! vous savez, doc­teur, je ne suis pas tel­lement pressé…

Devant cette réponse tel­le­ment inat­ten­due, le pauvre doc­teur a un tel geste de stu­pé­fac­tion qu’il laisse choir ses pré­cieuses lunettes, tan­dis que Guy éclate de rire ; bien sûr, le pauvre homme ne peut pas comprendre…

* * *

Trois ans plus tard, la famille Régnier attend la visite de cou­sine Louise ; mais, cette fois, Madame Louise n’est pas seule ; à côté d’elle, on aper­çoit une haute sil­houette noire : Marc, qui vient de prendre la sou­tane. Sur le per­ron, Guy guette les arri­vants ; il s’ap­puie encore sur une canne mais c’est plu­tôt par habi­tude car, bien­tôt, il cour­ra comme avant…

Petit Séminaire, départ pour la promenadeMarc, va droit vers son cou­sin, il l’embrasse très fort et lui glisse tout bas :

— Mer­ci Guy ! Je sais tout, c’est grâce à toi que j’ai retrou­vé ma voca­tion. Puis, joyeux, il ajoute :

— A pré­sent, c’est mon tour de t’ai­der, nous al­lons pas­ser les vacances ensemble, je te ferai travail­ler, et tu ver­ras, en octobre, quand tu arri­ve­ras au sémi­naire, tu seras déjà bien avancé !

Guy remer­cie d’un sou­rire, puis un peu rêveur, il ajoute :

— Au fond, tu vois Marc, cet acci­dent que je trou­vais si dur… Que de joies il nous apporte à tous !…

Marie-Colette Mai­né.

2 Commentaires

  1. DUBOIS a dit :

    Bon­soir
    je suis très sur­pris de voir une de mes pho­tos dans votre site, alors qu’au­cune auto­ri­sa­tion ne m’a été adressée.
    la pho­to du Saint curé d’Ars, bien que reca­drée, est ma propriété.
    Aus­si je ne vous demande pas de la sup­pri­mer mais de men­tion­ner sa pro­ve­nance, c’est un mini­mum de respect.
    Mer­ci, cordialement
    Laurent Dubois

    10 septembre 2013
    Répondre
    • Le Raconteur a dit :

      Je vous prie de par­don­ner l’u­ti­li­sa­tion de votre photo.

      Je vous remer­cie de votre auto­ri­sa­tion ; la pho­to contient un lien direc­te­ment vers votre pho­to originelle.

      Mer­ci,

      Le Racon­teur

      12 septembre 2013
      Répondre

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