Étiquette : <span>Courage</span>

Auteur : Ducrant, François | Ouvrage : Et maintenant une histoire I .

Temps de lec­ture : 8 minutes

Joie

« Tout droit, la Grise…»

Et ayant, par son aiguillon, enga­gé la bête à prendre le petit sen­tier abri­té de noi­se­tiers, où elle va pou­voir aller pour ain­si dire seule, de son pas lent et régu­lier, l’homme retombe dans ses tristes pensées.

Coeurs vaillant, aide et courage - paysan et son attelage de boeufsAh ! comme il se sent vieux et las, le père Joseph, main­te­nant que tout le poids de la ferme pèse lour­de­ment sur ses épaules ! Celui qui devait assu­rer la relève, le gars qui par­tit si cou­ra­geu­se­ment, n’est jamais reve­nu de la guerre. Et si la « Maouise » tra­vaille dur pour essayer d’ou­blier sa peine, que repré­sente, dans une ferme comme la Vois­se­tière, le tra­vail d’une femme si occu­pée déjà avec son bébé et les soins du ménage ?

Et c’est pour cela qu’en voyant tout ce qui lui reste encore à faire : les noix à gau­ler, les bet­te­raves à ren­trer, le rai­sin sur­tout à ven­dan­ger, le père Joseph sent peser plus lourd le poids du labeur qui fut si long­temps pour lui source de joie.

* * *

« Bon­soir, père Joseph. »

Per­du dans sa médi­ta­tion, le père Joseph n’a pas vu arri­ver M. Loyer, l’ins­ti­tu­teur, qui, fai­sant office de secré­taire de mai­rie, connaît tous les habi­tants du vil­lage et cherche par tous les moyens à les aider quand il en a l’occasion.

« Faites excuse, M. Loyer, je ne vous avais pas vu.

— Je m’en suis bien aper­çu. Alors, pas trop de mal pour ren­trer les betteraves ?

— Ne m’en par­lez pas, M. Loyer. Si c’est pas des mal­heurs d’être obli­gé de refaire pareil métier à mon âge… Oh ! c’est pas que je craigne le tra­vail, non, mais quand je pense à celui qui devrait le faire, ça m’en­lève le courage.

— Man­quer de cou­rage ? Vous, père Joseph ? Allons donc, ce n’est pas possible !

— C’est pour­tant bien la vérité.

— Et si quel­qu’un venait vous don­ner un coup de main ?

— Je vou­drais bien savoir qui pour­rait venir. Vous savez bien, M. Loyer, que tout le monde ici en a plus que son compte à faire.

— Je sais bien, père Joseph, mais jus­te­ment le quel­qu’un à qui je pense n’est pas d’i­ci… Il s’a­git de deux petits cou­sins qui viennent d’ar­ri­ver chez moi comme réfu­giés, avec leur mère.

— Et ils sau­raient travailler ?

— Ils ont vécu toute leur enfance dans une com­mune d’im­por­tance égale à la nôtre. Sans doute n’ont-ils que 12 et 14 ans, mais ils sont si braves qu’ils pour­ront, j’en suis sûr, vous rendre de petits ser­vices ; et sur­tout ils seront heu­reux de ne pas res­ter inoccupés. »

Bien qu’un peu scep­tique sur la qua­li­té de ses futurs employés, le père Joseph, pour ne pas faire de peine à M. Loyer, comme d’ha­bi­tude tou­jours si com­plai­sant, finit par dire :

Auteur : Mariemy, Eli­sa­beth | Ouvrage : Et maintenant une histoire I .

Temps de lec­ture : 5 minutes

Vaillance, maîtrise de soi

Histoire de la maison en feu et du sauvetage du capitaine blesséNe pour­rais-tu pas me racon­ter encore com­ment tu es retour­né dans la mai­son en flammes, pour sau­ver ton chef qui allait mourir ? »

Rémy, sup­pliant, s’ac­croche à la manche de son aîné et insiste :

« Raconte encore ! Il était fort bles­sé à la tête le capi­taine, hein ? »

Le brouillard enve­loppe dou­ce­ment les deux frères, le jeune homme aux larges épaules et le petit gars à peine plus haut que les blés avant la moisson.

La terre mouillée colle à leurs semelles.

Ils vont, côte à côte, à pas lents, au bord d’un champ à demi labouré.

« Ça va, répond le grand Charles, sans quit­ter des yeux sa char­rue qui creuse un long sillon régu­lier der­rière Faraud, le che­val. Laisse-moi ! Dirait-on pas que j’ai fait une action extraordinaire ?

N’im­porte qui aurait ris­qué sa peau de bon cœur pour le capi­taine. Suf­fi­sait de le connaître…

Je l’ai rele­vé ; je l’ai empor­té avec un copain. Ben ! ça se devait. Puis, dans les coups durs — com­ment t’ex­pli­quer ? — y a je n’sais quoi qui vous tient… Enfin, je com­prends. Et la belle affaire d’être à moi­tié chic, pen­dant juste un quart d’heure, une fois ! Vois-tu, mon p’tit, du cou­rage, c’est pas les grands jours qu’il en faut ; c’est du lun­di matin au same­di soir, et encore le dimanche avec ! A l’oc­ca­sion, même, on en a besoin pour des choses de rien du tout.

Je m’rap­pelle une his­toire qu’est arri­vée y a long­temps, je m’pré­pa­rais à ma Com­mu­nion solennelle…

Tu ne t’en sou­viens pas, de tante Angé­lique ? T’es trop jeune. T’a­vais trois ans quand elle a pas­sé, la pauv’femme.

Elle pre­nait déjà de l’âge, c’é­tait la sœur du grand-père.

| Ouvrage : Et maintenant une histoire I .

Temps de lec­ture : 6 minutes

Vaillance, devoir d’état.

Histoire pour illustrer Vaillance et Devoir d'état - Fjord en Norvège par Louis GurlittActive la navette, ma fille, et noue le chanvre et tire chaque maille, car il me faut un filet neuf. Vois mon grand bateau de pêche, il est prêt à labou­rer de sa carène d’or le fjord pro­fond et pois­son­neux. J’ai dure­ment manié la hache pour abattre les grands sapins dans le champ gla­cé où des trou­peaux de rennes viennent brou­ter le lichen et l’é­corce tendre. Ah c’est un rude ouvrage, crois-moi, ma fille, de trans­for­mer le sapin blond, ce bois qui pleure à chaque coup, en un bateau dur à la vague, docile au vent et que ne mord pas la saumure.

Active la navette, ma fille, et noue le chanvre et tire et serre chaque maille, car il me faut un filet neuf. Mais je vou­drais un grand filet car, après Noël, je m’en vais pêcher avec ton frère Axel. Hâte-toi, ma fille, mets‑y tes dix doigts menus et déliés, tes yeux brillants comme givre, car j’ai besoin d’un filet fin. Mets‑y sur­tout ton cœur, ma Het­ta, c’est en effet un filet sans faille qu’il me faut. »

Récit pour les jeunes - Hetta faisant le filet de pêcheHet­ta fit donc un filet neuf. Elle y mit ses dix doigts… mais ses deux yeux pas bien sou­vent, car ils sui­virent, dis­traits, le vol argen­té des lents oiseaux émi­grants vers les îles.

Et son cœur, elle l’y mit moins encore. Il s’en­vo­lait, léger, au milieu des rêves qui fuyaient loin vers l’in­con­nu. Ain­si Het­ta glis­sa dans son ouvrage ce qui, jamais, n’y doit entrer. Elle y glis­sa, l’un par-des­sus l’autre, le Doute puis la Fraude.

« Pour­quoi tendre si fort le chanvre rêche ? Pour­quoi m’y écor­cher les mains ? Mon père veut-il du sang sur chaque nœud ? Sur mille et mille points de ma résille, qu’im­porte un petit fil qui baille ? Ce n’est pas pour un phoque ni pour une baleine, ni pour de bien gros pois­sons. Mon père ne pêche que le hareng ou le sprat ! Quel menu butin pour de tels efforts ! »

* * *

Un soir d’hiver,

Auteur : Dardennes, Rose | Ouvrage : À l'ombre du clocher - 1. Les sacrements .

Temps de lec­ture : 12 minutes

Confirmation

(histoire vraie)

Tous­saint 1867.

Depuis deux cents ans, à la suite de l’in­tré­pide Magel­lan décou­vrant le pas­sage mer­veilleux à la pointe sud de l’A­mé­rique, cor­vettes et fré­gates d’Eu­rope ont sillon­né les Mers du Sud (ain­si nom­mait-on, en ce temps-là, l’O­céan Paci­fique), abor­dé des îles incon­nues, ame­né bien­tôt les missionnaires…

Ile de toauA 500 lieues au nord-est de Tahi­ti, l’é­troite île d’A­naa allonge sur 80 kilo­mètres ses anneaux de corail en ellipse autour d’un vaste lagon cen­tral. Tout à l’en tour, la mer phos­pho­res­cente, à l’infini…

Sur la petite plage de sable étin­ce­lant, un homme debout scrute ces hori­zons illimitées…

— Ici, dit-il à quelques hommes au visage cou­leur de pain grillé, tous les Mao­ris sont deve­nus chré­tiens. Votre foi et votre fer­veur sont la joie de ma vie. Mais là-bas… plus loin ?…

Car « plus loin », sur des cen­taines de kilo­mètres d’o­céan, l’ar­chi­pel des Tua­mo­tous dis­perse ses îles basses « comme une immense cou­vée d’œufs qu’un méchant coq aurait bous­cu­lée… » Et par­mi celles-ci beau­coup, encore abso­lu­ment sau­vages à cette époque-là, ignorent le vrai Dieu et sont entou­rées d’une solide répu­ta­tion île féro­ci­té et de can­ni­ba­lisme. Les pre­miers Blancs qui y ont abor­dé étaient des pirates négriers : par force ou par ruse ils se sont empa­rés des popu­la­tions et les ont emme­nées tra­vailler sur les durs chan­tiers de Tahi­ti ou de Papeete… Deve­nus méfiants, les sur­vi­vants ont accueilli à coup de sagaies les autres Blancs venus pour ache­ter la nacre ou le coprah, et ils en ont offert plus d’un en sacri­fice expia­toire à leurs dieux offen­sés ; puis ils les ont dévo­rés en d’im­menses fes­tins rituels…

Un grand Mao­ri lève son regard d’es­car­boucle sur le mis­sion­naire pensif :

— Il y a dix-huit ans, nous étions comme eux, Ape­re­to. Mais tu es venu. Tu nous a annon­cé le Dieu qui aime tous les hommes et veut que tous les hommes s’en­tr’aiment. Tu nous as appris à construire des mai­sons, à creu­ser des puits, à gué­rir la fièvre. Nous vivons heu­reux et nous nous irons au ciel. Mais nous n’a­vons pas le droit de gar­der ce bon­heur pour nous. Veux-tu que nous le por­tions avec toi à nos frères des îles Basses ?

Ape­re­to — ain­si nomment-ils affec­tueu­se­ment dans leur langue caden­cée le Père Albert Mon­ti­ton, mis­sion­naire chez eux depuis long­temps — sou­rit à ces chré­tiens géné­reux et ren­dit grâce au Sei­gneur : « ceux-là sont pleins de l’Es­prit de Dieu »…

— Réflé­chis­sez. Je pars demain. Un voi­lier de com­merce consent à m’emmener. Il tou­che­ra de nom­breuses îles : j’y des­cen­drai, j’y annon­ce­rai Jésus. J’y lais­se­rai un caté­chiste pour conti­nuer l’œuvre amorcée…

Ils sont dix à s’of­frir, et les femmes ne sont pas les der­nières. Le Père les met en garde contre un enthou­siasme intempestif :

— Son­gez que nous ris­quons d’être accueillis à coups de lances…

— Nous ne

Auteur : Dardennes, Rose | Ouvrage : À l'ombre du clocher - 1. Les sacrements .

Temps de lec­ture : 5 minutes

Extrême-Onction

« Ton père va mieux ?

— Oui, il est reve­nu de l’hô­pi­tal. Même, il désire te voir, je venais te le dire.

— Me voir ? Moi ?…

Gui­laine est intri­guée. Que peut lui vou­loir le père de Colette ? Elle a peur aus­si de le voir encore dans le sang et avec des pan­se­ments, comme le jour de l’ac­ci­dent. Il y a trois semaines de cela, mais elle en est encore impressionnée.

couvreur

Elle jouait à la marelle, avec Josette. Elles enten­daient, sans y prendre garde, le toc-toc léger d’un mar­teau de cou­vreur sur les ardoises sonores.

— Tiens ! dit Gui­laine, le père de Colette est sur le toit de votre grange.

Elles le regar­dèrent une minute aller et venir sur le vieux toit, arra­chant ici un cous­sin de mousse, pous­sant là une ardoise…

— Brr !… je n’ai­me­rais pas être à sa place…

— Sur­tout sur le bord…

Der­rière elles, une voix les fit sursauter :

— S’il n’y avait que des as de votre trempe, il pleu­vrait sur votre lit, je pense !

Le fac­teur avait enten­du leurs dires et les regar­dait en riant. Gui­laine ouvrit la bouche pour lui répondre que les fillettes ne vont pas sur les toits. Mais la phrase s’é­tran­gla… un cra­que­ment, une ef­froyable dégrin­go­lade d’ar­doises, un cri, figèrent tout le monde…

— Ah ! mon Dieu !…

Le cou­vreur n’é­tait plus sur le toit. À sa place on voyait un grand trou… Le fac­teur cou­rait à la grange. Les gens sor­taient des mai­sons voisines…