Vaillance, devoir d’état.
Active la navette, ma fille, et noue le chanvre et tire chaque maille, car il me faut un filet neuf. Vois mon grand bateau de pêche, il est prêt à labourer de sa carène d’or le fjord profond et poissonneux. J’ai durement manié la hache pour abattre les grands sapins dans le champ glacé où des troupeaux de rennes viennent brouter le lichen et l’écorce tendre. Ah c’est un rude ouvrage, crois-moi, ma fille, de transformer le sapin blond, ce bois qui pleure à chaque coup, en un bateau dur à la vague, docile au vent et que ne mord pas la saumure.
Active la navette, ma fille, et noue le chanvre et tire et serre chaque maille, car il me faut un filet neuf. Mais je voudrais un grand filet car, après Noël, je m’en vais pêcher avec ton frère Axel. Hâte-toi, ma fille, mets‑y tes dix doigts menus et déliés, tes yeux brillants comme givre, car j’ai besoin d’un filet fin. Mets‑y surtout ton cœur, ma Hetta, c’est en effet un filet sans faille qu’il me faut. »
Hetta fit donc un filet neuf. Elle y mit ses dix doigts… mais ses deux yeux pas bien souvent, car ils suivirent, distraits, le vol argenté des lents oiseaux émigrants vers les îles.
Et son cœur, elle l’y mit moins encore. Il s’envolait, léger, au milieu des rêves qui fuyaient loin vers l’inconnu. Ainsi Hetta glissa dans son ouvrage ce qui, jamais, n’y doit entrer. Elle y glissa, l’un par-dessus l’autre, le Doute puis la Fraude.
« Pourquoi tendre si fort le chanvre rêche ? Pourquoi m’y écorcher les mains ? Mon père veut-il du sang sur chaque nœud ? Sur mille et mille points de ma résille, qu’importe un petit fil qui baille ? Ce n’est pas pour un phoque ni pour une baleine, ni pour de bien gros poissons. Mon père ne pêche que le hareng ou le sprat ! Quel menu butin pour de tels efforts ! »
* * *
Un soir d’hiver,